Point lumineux

Renonçant à l'armure, j'attrapai mon manteau jeté sur le dos d'une chaise et le tirai sur ma peau nue. Un pull propre eut été mieux, mais le seul que je possédais pendait dans la salle de bain, séchant toujours de ma tentative de lavage à la main. La « machine à laver » avait l'air un peu sinistre, et les vagues instructions du garçon concernant son utilisation avaient été moins qu'inutiles. Je ne pouvais me résoudre à porter un quelconque habit de Jecht, et pas seulement parce que la plupart d'entre eux n'étaient pas le genre que j'eusse porté.

Les douces pleurs continuaient, le son plaintif atteignant mes oreilles plus clairement tandis que j'avançai dans le hall. Je trouvai Tidus pleurant seul dans sa chambre, comme si son cœur avait été brisé au-delà de tout réconfort, étouffant de grands sanglots haletants dans son oreiller, à peine capable de respirer. Je l'approchai avec précaution, mon pas feutré s'appliquant plus à faire face à un monstre d'une force inconnue qu'à un petit garçon lacrymatoire. Yevon, aide-moi, que suis-je censé faire, maintenant ? Il était aussi profondément enraciné dans sa nouvelle apostasie que moi, son nom sur mes lèvres ne venant que trop tard.

Le garçon s'assit et balaya ses larmes dès qu'il sentit ma présence, essayant d'avoir l'air brave et stoïque, mais échouant misérablement. Abaissant sa tête de honte, il refusait de croiser mon regard. Comment est-ce que Jecht l'avait appelé ? Un « pleurnichard » ? Et bien, il n'y avait aucun secret qu'il y avait beaucoup que Jecht n'avait jamais compris. Tidus était un simple garçon et il était en train de perdre son monde entier, tout ce qui lui était familier et sécurisant. Avec précaution, j'étreignis sa petite épaule, ma main nue monstrueuse en comparaison.

- Il n'y a pas de honte dans les larmes.

Et je me retrouvai subitement avec un misérable enfant désemparé et sanglotant, l'humidité se répandant rapidement dans la texture épaisse de mon manteau. Après un moment, un peu perdu, je le soulevai d'un bras et m'assis sur le lit, caressant ses cheveux lisses tandis qu'il pleurait son chagrin. J'étais très mal à l'aise, mais le garçon n'avait personne d'autre pour le consoler ; sa mère avait rejeté les peines de tous exceptée la sienne. Progressivement, il se calma, ses sanglots s'estompant en de petits et tristes hoquets.

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Il était si grand et chaud..solide et réel. Il m'avait laissé s'asseoir sur ses genoux et pleurer sans me dire « Tais-toi et sois un homme », ou « Cesse d'être un fichu pleurnichard ». C'était tellement agréable, mais j'eusse voulu plus que tout que ce fût Papa qui m'eût ainsi tenu, juste une fois..et maintenant il ne le fera jamais, jamais..

Pourquoi est-ce que maman l'aimait autant ? Elle l'avait toujours aimé plus que moi..et maintenant qu'il s'en était allé, elle le faisait à son tour.

Mais je suis juste là—

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- Mieux ? Demandais-je, le grincement rauque de ma voix étant du uniquement à l'heure matinale ou du moins c'est ce dont je me convins.

Tidus me regarda en reniflant. Quelque chose dans ses yeux déchira mon cœur mort, le goût de la souffrance indiscutable devenait amer sur ma langue. Sa mort était si injustifiée.

- Elle ne mourra pas. Je ne reconnaissais pas ma propre voix, rendu glaciale par un froid inconnu. Je ne la laisserai pas mourir. Jecht ne me l'aurait jamais pardonné.

Otant le garçon de mes genoux, je sortis furieux de la chambre et entrai dans celle de Serra, la tirant inélégamment du lit par les bras. Sans me soucier de la modestie ou de la chaire trop facilement abîmée, mes doigts s'enfonçant sans pitié dans sa peau trop froide, sa chambre de nuit glissant ouverte sur son cou tandis que sa forme lâche s'y accommodait sans résistance. Tidus avait suivi, scrutant au travers du pas de porte, son petit visage choqué et un peu effrayé. Ses yeux embrumés s'ouvrirent et me regardèrent, mais les pâles iris grisés ne me voyaient pas. Je la secouai furieusement, voulant qu'elle en sorte brusquement. Cela n'avait aucun effet, et ainsi avec une force calculée, je la giflai.

- Serra !

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Pour autant que je me sois souvenue, c'était la première fois que je voyais une expression sur tous ses traits. Sa soudaine et brûlante furie s'était transmise à ses mains pour se durcir sur mes bras, sa prise mordant douloureusement ma chaire. La proximité de sa chaleur insupportablement chaude, me faisant frémir soudainement tandis que je réalisais combien j'étais glacée. Mais je voyais tout cela de loin, très loin, comme si cela arrivait à quelqu'un d'autre. Même sa voix en colère et âpre me semblait atténuée et distante, inintelligible.

Ma vague incompréhension l'exaspéra plus encore, et une répugnante épithète atteignit mes oreilles tandis qu'il me portait à moitié, tirait à moitié jusqu'à la fenêtre, tirant les rideaux si brusquement qu'ils se détachèrent du mur et la sombre pièce en deuil se vit inondée d'une cruelle luminosité éblouissante. Mon enfant pleurait et lui criait d'arrêter, tirant sur ses bras avec autant d'effet qu'une fourmi essayant d'arrêter un ouragan. J'essayai de traîner mes pensées hors du brouillard stagnant qui m'avait engloutie, essayant de repousser les sinistres profondeurs marécageuses de mon chagrin et essayai de nager à la surface.

- Tidus, fut tout ce que je pus dire, dans un murmure audible seulement de mes oreilles.

L'homme qui me tenait tourna ma tête avec force de façon à regarder au travers de la fenêtre la lumière du soleil éclatante.

- Regarde ton jardin, Serra. Il meurt.

Brutalement, il me porta de façon à faire face à la chambre dans mon dos.

- Regard ton fils, siffla-t-il sévèrement.

Tidus était assis pitoyablement sur le sol, les yeux grands ouverts, avec un regard choqué par la peur et son chagrin abject sur son petit visage.

- Il a besoin d'une mère.

Son emprise s'était décalée à mes épaules tandis qu'il me tournait pour lui faire face, son regard fixe avançant profondément jusqu'à atteindre mon âme. Son œil s'embrasa d'un feu d'acajou, ses traits se déformèrent avec du chagrin et mélangés avec d'autres émotions qui étaient si emmêlées les unes avec les autres qu'elles étaient impossibles à discerner.

- N'abandonne pas et ne meurt pas, Serra ! Ne gâche pas ta vie comme je l'ai fait !

Le brun doré habituellement éclatant de son unique œil était devenu complètement transparent, révélant les profondeurs insondables derrière, et je su du tourment qui tourbillonnait à l'intérieur que les mots étranges qu'il me prononçait étaient entièrement véridiques, bien que le sens m'échappait.

Ma voix était rêche d'inutilisation, ma gorge fêlée et douloureusement sèche. Mais son chagrin torturé régnait là où la colère ne l'avait pas faite.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

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Ses yeux gris-violets retournèrent mon regard, sans comprendre, en attendant une clarification. Il était impossible de rappeler les mots maintenant, et s'ils eussent pu d'une certaine manière la convaincre de vivre, je ne voulais pas les rappeler. Le reste coula hors de moi dans un profond murmure, car je haïssais de parler de quelque chose avec laquelle je ne m'étais pas accordé moi-même.

- Je ne pouvais supporter la complète solitude, l'écrasante culpabilité d'être le seul survivant. Pendant si longtemps il n'y avait eu que nous trois contre le reste du monde, puis ensuite seulement moi, et leurs morts sans signification. Sin était condamné à revenir.

Je fermai mon œil de faiblesse tandis que la mémoire triompha de moi avec des griffes aiguisées comme des rasoirs, tailladant dans ma chaire, mon cœur.

- Cela avait taillé mon âme en pièce, et dans ma fureur aliénée, je partis à la recherche de Yunalesca la menteuse, et me jetai sur elle, bondissant avec toute ma force, soit pour la tuer ou qu'elle me tue, je ne le sais toujours pas.

En prenant une profonde inspiration, je me battis pour revenir au présent et j'ouvris mon œil afin de lui faire face.

- Sans eux, je ne me souciais plus de ma vie, mais ma mort n'avait pas eu de signification pour autant. Yunalesca a survécu pour mieux tromper ceux qui suivront, et j'étais incapable d'aller plus en avant, lié par les promesses que j'avais faites, prisonnier dans les limbes infernaux entre la vie et la mort. Incapable de vivre, dénigrant la paix de la mort. Mort, vivant et ni n'un ni l'autre.

Incroyablement son visage n'affichait aucun scepticisme, aucun doute qu'en à la véracité de mes mots. Ses yeux contenaient un monde d'horreur compatissante, scintillant avec des larmes non versées.

- La vie est précieuse, Serra. Jecht n'aurait jamais voulu que tu gâches la tienne. Je touchai ses cheveux. Je ne veux pas que tu la gâches. Je ne pourrai supporter d'être le témoin d'encore une mort inutile.

Ne me fait pas cela.

- Auron.

Mon nom était un soupire.

- Tu as raison. Je vais..essayer.

Elle s'effondra contre moi, et je me figeai, incertain s'il était convenable de tenir ainsi la femme d'un ami mort. A titre d'essai, j'enroulai mes bras autour de ses minces épaules, avalant sa frêle forme dans mon étreinte hésitante. Ses bras se serrèrent autour de mon cou et finalement, pour la première fois depuis des semaines, elle se permit de pleurer.

Je devrais dire maintenant que je voulais seulement la sauver ; je n'avais jamais voulu tomber amoureux d'elle. J'avais cru mon cœur mort et vide, que tout ce qu'il restait pour animer ce corps étaient les lourdes chaînes du Devoir qui attachaient toujours mon âme lasse à sa chaire. Mais elle, elle me fit rire, un homme qui n'avait pas beaucoup connu le rire, même de son vivant. Elle me fit se soucier d'autrui, elle me fit aimer, elle me fit construire un rempart contre le Destin et à la fin, elle me prouva que les morts peuvent, en réalité, toujours pleurer. Mais je suppose que je m'avance trop.