Honneur

C'était toujours dur, si dur de se lever le matin sans lui. Après que je me fusse levée et douchée, cela devenait tolérable, et peu à peu durant la journée je me sentais presque à nouveau en vie. Mais le crépuscule de chaque jour était toujours désespérément morne et mélancolique, tandis que mon esprit somnolent oubliait – ignorait ? - la réalité, et je tendais la main pour le chercher, trouvant seulement des draps froids et stériles. Le pire étant toujours les premiers moments de lucidité après avoir passé une nuit à rêver de lui, lorsque le souvenir tombait froidement sur moi telle une couverture de flocons de neige. Ensuite je pleurais à nouveau, même si je me forçais à m'arrêter après un petit instant et trébuchais jusqu'à la salle de bain, m'astreignant à mes ablutions comme si elles étaient un rituel contre le chagrin. Et curieusement, cela fonctionnait. Il y avait quelque chose dans la monotonie de la routine quotidienne qui engourdissait la peine, me permettant de continuer à vivre.

Et quelque part, c'était ce que je devais faire. Les paroles d'Auron me hantaient ; je ne pouvais oublier la simple vérité que Jecht n'aurait jamais voulu que je gâche ma vie. Cela n'avait jamais été conscient, mais je savais que j'avais lentement courtisé la mort de mon propre chef, et y aurais bientôt succombé, sans son intervention. Et puis il y eut la douloureuse confession de sa propre infortune. Comment pouvais-je voir l'angoisse avec laquelle il vivait quotidiennement et ne pas essayer ? Mon désir de mourir semblait dégrader tout ce que lui, Jecht et Braska avaient délibérément abandonnés – leurs véritables existences.

Aujourd'hui était un matin agréable. Jecht était un poids consolateur sur mon cœur, me rappelant son amour mais ne provoquant que de la peine atténuée. Je chantai un peu tandis que travaillai dans mon jardin, encourageant la verdure à fleurir. Le gris morne des pluies hivernales s'était finalement illuminé en d'occasionnelles giboulées printanières, et la chaleur en augmentation graduelle du soleil indiquait que l'été venait bientôt. Désirant prendre un peu de beauté à l'intérieur, je cueillis quelques fleurs qui ne manqueraient pas, en en mettant un peu dans mes cheveux par caprice et épargnant le reste pour un vase.

Je rentrai pour trouver que Tidus avait « fait le déjeuner », et son petit visage sérieux me préserva de soupirer tandis que je souris et le remerciai. Il avait fait un véritable chantier, mais le cœur y était. Je l'envoyai dehors pour un moment afin que je puisse nettoyer et boire un café en paix. Je l'avais juste mis à cuire lorsqu'un son sourd contre la fenêtre me fit sursauter, tandis que je vis de quoi il s'agissait, je ne pus contenir le rire qui bouillonna soudainement dans ma poitrine. Je ris bruyamment, cela faisait si longtemps que je ne pus m'en souvenir, et sentis à nouveau une joie que j'avais presque oubliée.

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Niché dans l'espace entre veille et somnolence, mon esprit tissait des rêves indescriptibles, imprégnés de la profonde douleur d'un désir sans espoir. Je rêvai du Farplane, mon âme atteignant dans le sommeil la seule place que j'interdisais d'accès à mes pensées, une fois éveillé.

J'en avais eu des aperçus auparavant, dans le siège des Guado ; nébuleux et irréel, éternellement calme et d'un silence de mort. Mais le silence pénétrant était réconfortant, bien que le brouillard trouble avalait doucement tout son discordant, invitant les âmes épuisées à se laisser aller et prendre le repos dans sa douce et éternelle étreinte.

Comment est-ce que cela pourrait bien être, de dormir sur un tel nuage – s'ils étaient en vérité fait de la merveilleuse substance ouatée imaginée par l'esprit d'un enfant, et pas seulement d'autant de pluie attendant son tour ? Ici, dans ces limbes momentanés, j'avais assez de compassion pour me poser la question –

Et spontanément, je me retrouvai soudainement là-bas, assis les jambes croisées sur une immensité gonfle, d'un blanc pur, des vrilles spectrales tourbillonnant paresseusement afin de m'entourer. Le brouillard tangible rougeoyait doucement avec un éclat prêté par le soleil tardif, chaud au toucher et doux comme la respiration.

Avec un profond soupir émanant du centre de mon âme, je m'étirai sur mon côté, me nichant dans un déplacement soyeux, le regardant me recouvrir avec des bras neigeux et protecteurs, et je me laissai aller. La tension insupportable de mon existence anormale et forcée s'évacua complètement, et finalement je ne connus plus que la paix.

Brièvement.

Le soudain grondement du son était si anormal et étranger que je tombai du lit, tendant la main pour atteindre le glaive qui n'était pas à mes côtés tel qu'il aurait dû l'être, avant que je fusse complètement réveillé. Mais tandis que ma main touchait le manche, le caractère bénin du trouble s'enregistra finalement dans mon esprit tandis qu'il retentissait encore une fois. Mélodieux et doux, il émanait de la cuisine, seulement légèrement atténué par les murs.

Serra riait.

Elle leva la tête tandis que j'entrai, toujours en train d'étouffer des légers gloussements hystériques derrière sa main. Elle avait l'air d'être en bien meilleure santé, je réalisai soudainement, bien que je pouvais voir maintenant que cela avait été un changement très graduel. Le rose teintait ses joues, une pointe de gaîté illuminait ses yeux violets. Elle portait dans ses cheveux quelques jeunes fleurs de son jardin qui avaient dû être cueillies ce matin, à en juger par le parfum qu'elles produisaient encore.

Toujours incapable d'un discours cohérent, elle pointa la fenêtre de son doigt en réponse à ce qui devait être mon expression incrédule. Traversant la pièce, je regardai dehors pour trouver un misérable chat trempé, s'accrochant à la vitre avec ses griffes.

- Tidus a décidé de lui donner un bain –

Elle hoqueta avant qu'un accès de gloussements ne la reprenne.

L'explication semblait inutile, tandis que le garçon venait juste d'arroser la pauvre créature encore une fois avec le tuyau d'arrosage.

- J'imagine.

Elle fit une tentative visible pour retrouver sa lucidité, bien que j'eusse préféré qu'elle ne le fasse pas. Mes oreilles sensibles capturaient encore parfois le son de ses sanglots éreintés, et je voulais que ce rare moment de bonheur subsiste aussi longtemps que possible.

Je jetai un œil à la cuisine, mon œil prenant note du reste de mon entourage avec la longue force de l'habitude. Je grognai intérieurement lorsque je vis le bol débordant sur la table, rempli avec plus de céréales que dix personnes pouvaient en manger, et avec ce qu'il semblait être un récipient entier de lait versé dessus, dont la plupart était maintenant sur le sol, mélangé avec le jus d'orange qui n'avait pas tout à fait assez de place dans le verre.

Elle sourit à nouveau et soupira, sachant que j'étais maintenant familier avec cette routine matinale particulière. En dépit de mes tentatives virulentes pour convaincre Tidus que je ne mangeais pas le matin, il me faisait quand même le déjeuner, bien assez souvent. Ignorant le désordre, elle me demanda.

- Café ?

Je soupirai d'irritation et grognai quelque chose comme une affirmation. La mort et Tidus ne m'avaient pas changé en une personne du matin.

Elle sourit de mon effort et se déplaça afin de prendre une tasse tandis que je m'assis sans grâce sur la seule chaise qui ne fut pas inondée de lait. J'essayais de ne pas la regarder, mais cela était pratiquement impossible. Avec la disparition de sa dépression, sa beauté était revenue multipliée par dix. Je me demandais comment Jecht avait pu la quitter pour quelque chose, même ce sport absurde qu'il adorait. Ses cheveux brillaient avec une vitalité renouvelée, les fleurs colorées s'emmêlaient comme des écolières parmi sa frange couleur noisette, sa plus grande mèche masquant les courbures de l'œil puis s'en allant lorsque je ne regardais pas. Ses grands yeux merveilleux auraient pu capturer l'âme de n'importe quel homme avec leur ton toujours changeant, d'une améthyste pâle jusqu'à un violet presque noir.

Je n'étais pas une exception.

Les réflexes d'un gardien ne meurent jamais apparemment, même si lui-même meurt. Elle glissa sur le chemin du retour et je la rattrapai sans y prêter garde, de même que la tasse. La nécessité me força à la tenir contre moi bien plus longtemps que j'aurais aimé, jusqu'à qu'elle puisse retrouver pied sur le sol glissant. Je maudissais Tidus dans ma tête pour l'infortune dans laquelle il me plongeait continuellement. Son odeur frivole recouvra mes sens, d'une chaleur mielleuse et d'un intoxicant gingembre épicé. Oh, quel ami merveilleux je suis, désirant l'épouse d'un ami mort que je suis censé garder !

Elle sourit avec une reconnaissance innocente tandis que ses yeux croisèrent les miens, riant lorsque je la relâchai, heureusement inconsciente de mes basses pensées inexcusables, ne remarquant pas que j'essayais d'effacer de mes doigts le contact soyeux de sa peau nue.

- Merci, Auron, pour m'avoir sauvée de ma maladresse.

Elle retrouva sa lucidité et pencha sa tête légèrement sur le côté.

- Mais je suppose que tu y es habitué, n'est-ce pas, monsieur le Gardien ? Porter secours aux demoiselles en détresse ?

Le rire était caché dans sa voix et je compris qu'elle se moquait de moi, mais seulement un peu. Je ne pris pas la peine de la corriger et de lui faire remarquer qu'un Gardien portait secours seulement à son Invoqueur. Je voulais juste en être le plus loin possible.

Je me levai pour partir, essayant de fuir et quelque part de rassembler mes pensées, mais une petite main sur mon bras m'arrêta. J'essayai de ne pas me tendre, mais il lui était impossible de ne pas remarquer ma rigidité.

A nouveau sérieuse, elle demanda.

- Comment est-ce qu'on remercie un Gardien ?

Face à mon silence, elle ôta une fleur de ses cheveux et me la tendit avec une révérence suffisamment gracieuse pour trahir sa longue inutilisation. Puis elle leva sa main et ferma ses yeux sur moi, amusée par mon embarras, puis commença à nettoyer le désordre de Tidus. Elle chantonnait lorsque je sortis, complètement inconsciente du grand désordre qu'elle avait fait de moi.

Je me jetai dos contre le lit, mes pensées courant follement. L'honneur me recommandait de partir, de crainte que mes sentiments ne me conduisent à la trahison, mais j'avais juré dans le sang et les larmes de les garder ! Je n'avais pas le choix ; quelque part, je devais rester ici et endurer.

La fleur solitaire se moquait de moi avec sa délicate beauté sculptée, depuis la table de nuit où je l'avais jetée, me rappelant de quoi elle avait l'air, enlacée dans la dentelle brillante de ses cheveux. Je me retournai, mon dos lui faisant face, fermant mon œil, et je cherchai à m'échapper dans le seul moyen permit..