Entre Tidus et le chat, j'étais destiné à ne plus jamais dormir. La boule de poils éternellement irritante refusait désormais de dormir enroulée sur son propre oreiller, préférant à la place se nicher sous mon menton lorsqu'elle se fut désintéressée du sport qui consistait à chasser mes orteils lorsqu'ils bougeaient sous les draps. Le ronronnement aurait été suffisamment agréable s'il ne s'était pas arrangé pour lécher désagréablement mon visage de sa langue sablée chaque fois que j'étais prêt de tomber du bord de la conscience vers un véritable sommeil. Je pensai l'enfermer à l'extérieur de la chambre, c'est d'ailleurs ce qu'essayais de faire, mais il miaulait juste devant la porte comme s'il était en train de se faire lentement démembrer, jusqu'à que je capitule et le laisse rentrer. Parfois, il daignait finalement s'enrouler et dormir juste avant le lever du jour, ce qui me donnait presque une heure avant que Tidus ne vienne m'importuner.
Ce matin n'était pas une exception, bien que je me fusse presque laissé à espérer que le garçon aurait enfin découvert les joies du sommeil matinal. La porte fut projetée ouverte, rebondissant contre le minuscule ressort qui essayait admirablement de protéger les murs de cet enfant.
- Auron !
J'avais abandonné depuis longtemps de feindre le sommeil. J'essayai l'approche directe.
- Va-t-en, Tidus.
Cela ne lui fit aucun effet.
- Tu as promis de m'entraîner, aujourd'hui !
Et encore une promesse regrettable avait été faite. Cela avait été une tentative de dernier ressort pour faire taire le garçon désirant apprendre les techniques du combat à l'épée que je pratiquais toujours à l'extérieur, presque quotidiennement. Je ne pouvais m'empêcher d'arrêter, aussi inutile que cette compétence puisse-t-elle être en ce monde. C'était un des derniers liens avec l'homme que je fus, et j'avais fait ainsi tous les jours de ma vie depuis que j'étais entré au monastère, il y a maintenant si longtemps. Il était exclu que je le laisse toucher aux bords tranchants de l'arme, ainsi, exaspéré, je lui avais finalement offert de lui enseigner un simple combat à main nue. J'avais espéré à moitié que Serra s'y serait opposée, mais elle n'y avait pas prêté attention.
Les jours où je me levais avant le soleil étaient passés ou du moins c'est ce que je pensais.
- Le soleil est à peine dans le ciel. Sors de là et ne reviens pas avant au moins une heure ou il n'y aura pas d'entraînement, grommelais-je désagréablement.
Il fit un petit grognement de frustration et il n'y eut plus aucun doute du lien de consanguinité entre cet enfant et Jecht lorsqu'il dit.
- Tu ne veux jamais t'amuser, Auron !
Derrière ma paupière close, je fus soudainement transporté dans le passé d'une autre vie ou peut-être il y a seulement deux ans, faisant face à un voyou débraillé avec ses mains sur ses hanches, un sourire indolent mal dissimulé parmi la barbe tandis qu'il se moquait.
- Ouvre-toi et vis un peu, Auron ! Tu es tellement coincé !
Ma seule réponse à cela fut un regard dédaigneux – il détestait cela, avoir à lever les yeux pour croiser mon regard – et ma calme réponse
- Tu es un porc sans manières qui ne connaîtra jamais le tact ou la décence même s'ils venaient à te mordre les fesses..
J'oubliais maintenant ce qu'il aurait voulu que nous trois fassions, mais c'était quelque chose qui nous aurait distraits de notre voyage, et autant j'appréhendais le résultat, je crois que je compris, le sérieux de la tâche me pesait, et les délais semblaient absurdes. Des vies dépendaient de notre zèle.
Je lui lançai un regard furibond et il fit un geste grossier en retour.
- Dois-tu toujours te comporter de façon si infernale ? M'écriais-je.
Braska-sama—
- --devrait nous permettre de profiter de ce voyage, termina-t-il pour moi,
le sourire fâché coulant comme l'eau sur son visage.
Pour une fois, c'était une satisfaction de voir que je l'avais écorché autant qu'il l'avait fait sur moi.
Ce n'était pas un camp d'été et j'étais fatigué de le voir agir comme un enfant.
- Tu humilies Braska-sama et son pèlerinage avec ton manque total de respect, dis-je catégoriquement.
Sa réponse fut encore plus orageuse.
- Tu agis comme s'il s'agissait d'une marche funéraire !
Assez. Essayant de masquer la douleur des mots en les emballant dans la glace, je coupai.
- Notre devoir est de le protéger jusqu'à la fin, il a l'intention de se sacrifier pour nous sauver tous !
Même si je n'avais pas l'intention de le choquer, j'étais très déçu. Au lieu de ça, j'étais celui qui restait étonné devant l'expression étrangère dans laquelle ses traits s'étaient établi ; une triste compréhension.
- Je sais, Auron, fut tout ce qu'il dit, calmement. Braska m'a dit.
Il passa une main dans ses cheveux sales et mal peignés, essayant vainement de leur donner un air encore plus sauvage.
- Quelque chose là-dedans sonnait faux à mes oreilles, et je lui ai demandé ce qu'était l'embrouille.
Dans un ton étouffé dont je ne l'aurais jamais cru capable, il continua.
- Ne penses-tu pas, Auron, qu'en plus de le protéger durant sa quête, nous devrions également y apporter autant de bonheur que possible ? Ton refus d'arrêter d'être misérable lui fait de la peine. Il ne changera pas son itinéraire, bien que pour toi, il le fasse presque.
J'étais stupéfait par le regard ouvert qu'il portait sur Braska. La douceur étrange de sa voix ne put cacher l'amertume lorsqu'il ajouta.
- Le temps passé avec ceux que tu aimes est précieux, imbécile, et il ne devrait jamais être gaspillé.
Je sentis soudainement une pitié effrayante pour ce rustre inconsidéré qui avait perdu à la fois son monde et sa famille en un jour. Inclinant ma tête en signe de défaite, je concédai à sa requête pour laquelle toute cette interaction avait commencé. Il saisit mon épaule et la serra dans un geste presque douloureux d'amitié, et je souris presque. Depuis ce moment, je crois que nous nous étions compris, et nous battions la plupart du temps au travers des plaisanteries. A tel point que j'oubliais que mon Invokeur et moi avions voyagé sans lui, et l'aimais presque aussi chèrement. J'aurais souhaité pouvoir le lui dire, juste une fois. Mes des hommes tels que nous ne donnions pas à la parole à ce genre de chose.
Me résolvant à ouvrir mon œil, je vis l'expression déçue de son fils, et je fis une tentative afin de lui faire plaisir et de gagner encore quinze minutes de sommeil par la même occasion. Avec la voix la plus irritée dont j'étais capable, je soupirai.
- Pourquoi est-ce que tu ne vas pas nous faire le petit déjeuner ?
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C'était une idyllique journée d'arrière été, lorsqu'il y avait juste assez de brise pour nous empêcher d'étouffer tandis que l'on profite des derniers rayons du soleil d'été doré. Auron avait finalement traîné le garçon dehors afin de « l'épuiser », en le faisant alternativement courir avec le blitzball et en lui faisant pratiquer les coutumes qu'il avait apprises des prêtres guerriers. Je les suivis, à la fois pour me diriger vers mon jardin et pour le protéger de tirs égarés.
J'avais fini d'arroser et de tailler bien avant qu'ils se soient lassés de leur jeu, ainsi je m'assis sur une chaise près de l'eau et regardai. C'était fascinant de voir comment le Gardien sombre devenait presque insouciant tandis qu'il jouait avec mon fils, ici et là un petit sourire gaspillé sur ses traits. Si cela était que pour un instant, c'était toujours cent fois plus souvent que je ne l'avais vu sourire le reste du temps. Si Tidus était outrageusement plus idiot que d'habitude, l'homme plus âgé riait même parfois ; un profond rire étouffé au fond de sa gorge. L'exubérance infantile de Tidus avait du lentement guérir quelque chose dans l'âme en lambeau d'Auron.
M'ennuyant de mon rôle de spectatrice, je décidai qu'ils avaient véritablement trop de plaisir pour que je reste à l'écart. Je souris machiavéliquement; ils avaient l'air d'avoir si chaud..
Je marchai innocemment vers le tuyau d'arrosage et le retournai contre eux à plein jet, riant diaboliquement.
Tidus hurla.
- Maman!
Tandis qu'Auron eut l'air momentanément surpris. Puis une expression de férocité moqueuse orna ses traits, et il s'élança vers moi plus rapidement qu'un homme de cette taille n'en avait le droit. Je hurlai de terreur, laissant tomber le tuyau dans ma hâte de fuir.
Il attrapa rapidement le tuyau d'une main avant qu'il n'atteigne le sol, agrippant mon bras fermement de l'autre. Je me débattis vainement, quelque part paralysée par la joie déchaînée que je n'avais jamais vue dans son regard.
- Je crois que Madame a besoin d'un verre, dit-il en tournant le tuyau d'arrosage contre mon visage.
Je hurlai avec une colère moqueuse, m'étranglant. Il me libéra et malheureusement pour lui, il se tenait près du bord de l'eau. Sans pitié, je me ruai sur lui et d'un coup d'épaule dans l'estomac, je l'envoyai s'étaler dans la baie. Malheureusement pour moi, ses réflexes aiguisés et inéquitables réagirent dès qu'il me vit me préparer à le charger, et il me tira dans l'eau avec lui.
Lorsque nous fîmes surface, je l'entendis rire fort pour la première; c'était un son plein et joyeux, dépourvu de tout chagrin. Nous sourions tous deux comme des idiots, rependant de l'eau aux alentours. Un sourire était une chose si belle sur son visage. Durant un instant, je crus qu'il voulut m'agripper, probablement pour essayer de me faire plonger la tête sous l'eau, tout comme Jecht avait essayé - j'étais presque aussi agile que mon mari sous l'eau, et il n'avait pas réussi souvent - puis ensuite je me demandai pourquoi est-ce que je m'étais imaginé cela, car il n'avait pas bougé du tout, bien que mon coeur battît toujours follement dans l'expectative.
Déçue pour une raison que je ne pus nommer, je dis :
- Nous devrions probablement sortir et nous sécher, c'est bientôt l'heure du repas.
Son expression retrouva sa lucidité et il ôta une mèche trempée de mon visage.
- Si tu le dis, répondit-il.
L'eau autour de moi sembla soudainement chargée de quelque chose, un quelconque nouvel élément qui me terrifiait avec ses frissons. Je sortis rapidement de l'eau et m'en alla, confuse.
Je l'entendis grimper derrière moi, mais il ne me dit rien de plus, criant seulement à Tidus d'arrêter de jouer avec son épée tandis que le garçon avait profité de l'absence d'Auron pour examiner l'objet interdit de façon plus détaillée. Je courus presque à l'intérieur, bien que je ne susse dire pourquoi.
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Un geste peut tout change en un instant, rendant tout ce que l'on sait clair dans sa tête en un clin d'oeil. La boucle sombre et reluisante d'une mèche me suppliait de l'ôter de son emplacement où elle cachait la beauté de la joue pâle au-dessous. Et en l'espace d'une respiration ou dans la pause entre deux battements de son coeur, le geste sans prétentions fleurit soudainement au-delà de ses intentions -- ses pupilles se dilatèrent, engloutissant abruptement le violet plus foncé qui les entourait, ses lèvres s'ouvrirent tandis qu'elle s'inclina sous le contact, très certainement inconsciemment. Je ne pus respirer en voyant le regard dans ses yeux, mais avant que je puisse gagner un quelconque discernement de leur étude, elle sauta soudainement dans un grand déluge d'eau, sortant de l'océan avec l'agilité d'un geste depuis longtemps pratiqué.
Elle était magnifique, même complètement trempée
-- incontestablement, et je ne pus rien faire d'autre que de contempler les
vêtements collés révélant chaque rondeur et creux
tandis qu'elle sortait de l'eau, son dos me faisant face. J'étais vaguement
content du froid de l'océan, sombrement amusé par un corps qui
refusait de croire qu'il était mort.
