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Ecoute le vent porter les voix piégées dans le désir,
les mémoires piégées dans le temps
la nuit est ma compagne et la solitude mon guide
vais-je rester ici pour toujours et ne jamais connaître la satisfaction
?
..et je serai celui
qui sera responsable
de t'avoir embrassé si fort
que tu ne pourra respirer
et ensuite, j'essuierai les larmes
ferme seulement les yeux, chérie..
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En dépit des protestations embarrassées de Serra, je restai à son côté la plupart du temps cette nuit-là, prétendument pour veiller sur des symptômes de la commotion et pour être certain qu'elle ne s'évanouirait pas à nouveau sur le chemin de la salle de bain. Mais la vérité était que j'avais peur. L'image de son sang sur le carrelage ne me quittait pas et j'étais cruellement assaillit par la connaissance de combien cela aurait pu être pire, si elle était tombée sous un angle différent ou si elle avait heurté quelque chose de tranchant dans sa chute. Cela n'était pas de ma faute, je le savais, mais je me sentais pourtant coupable, comme si j'avais trahi la confiance que Jecht avait placée en moi en la laissant se blesser. Pour apaiser ma conscience, je la voulais là où je pouvais la voir.
Malheureusement pour elle, elle fut harcelée par les nausées jusqu'aux jeunes heures de la nuit, jusqu'à qu'elle n'ait plus rien à vomir. Elle ne pouvait même pas garder l'eau et je m'inquiétai un peu d'une éventuelle déshydration. Mais finalement, peu avant l'aube, elle réussit à boire quelques gorgées avant de tomber dans le sommeil, et je m'endormis également dans la chaise, autorisant mon œil à se fermer brièvement dans l'espoir qu'elle puisse finalement se reposer. La chaise dans laquelle j'étais assis n'était pas du tout conçue pour encourager le sommeil, je doutais véritablement en avoir la chance.
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Me battant pour sortir lentement du sommeil, je cherchai à contre-cœur
à ouvrir des paupières trop lourdes. Je ne voulais pas véritablement
être éveillée, car cela signifiait me sentir épouvantablement
mal et certainement vomir à nouveau, mais j'étais incapable
de dormir plus longtemps à cause de la sécheresse insupportable
dans ma gorge. Je tâtonnai maladroitement sur la table de nuit pour chercher
le verre, je réussis à en boire la plupart sans rendre, ne me
souciant pas si le liquide devait à nouveau ressortir tant que la douloureuse
sensation de sécheresse n'était pas partie. La matinée
était avancée ; Tidus devait également être encore
malade s'il ne nous avait pas dérangés à cette heure.
Me retournant, je jetai un rapide coup d'œil à Auron avant de m'endormir à nouveau et je fus obligée de sourire. Il avait l'air très inconfortable dans la chaise qu'il avait choisi pour dormir, les pieds élégamment appuyés sur le bord du matelas, mais il était au froid. Têtu n'est pas un mot assez fort pour le décrire. J'avais essayé de lui dire d'aller se coucher, que j'allais me sentir mieux, mais il avait loyalement refusé. Pour être sincère, cela ne me dérangeait pas. La dernière fois que je pus me souvenir avoir été aussi malade, Jecht avait été absent avec l'équipe. Je ne crois pas que j'aie reçu autant d'attention depuis que j'ai été malade enfant, avec ma mère m'apportant les usuels thés dilués et biscottes. C'était agréable pour une fois de jouer ce rôle en tant qu'adulte, de laisser quelqu'un d'autre s'occuper de tout. Avec Auron, je n'avais besoin de me soucier de rien.
Il s'étendit inconfortablement, ces traits s'établissant en un froncement perturbé. Apparemment, il rêvait toujours des fantômes que j'avais cru disparus depuis longtemps. Je ne pus expliquer la tendresse que je ressentis pour lui en cet instant précis ; le plus proche que je pusse exprimer fut qu'après tout ce qu'il avait fait pour moi, je ne souhaitai que rien ne lui fit désormais de peine. En bâillant, je sentis un inexorable besoin d'oubli me tirer dans les profondeurs, telle une marrée océanique léchant mes orteils, mais je tendis le seul bras pour lequel j'avais encore la force et plaçai ma main sur la sienne. Il s'apaisa au toucher, ses doigts se refermant sur les miens et je m'endormis.
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Couchée dans le lit ou allongée sur le canapé du salon, j'avais plus de temps que je ne l'eusse souhaité pour examiner mon cœur et mes motifs, afin de me poser les questions que j'eusse préféré éviter. Après de nombreuses et pénibles introspections, je commençai à réaliser que peut-être mon attirance pour lui n'était pas si horrible et qui plus est, eût été inévitable. Jecht n'allait par revenir. Je n'avais pas choisi de le quitter et sa mort m'avait profondément affectée. Je savais qu'il n'aurait jamais voulu que je passe le reste de ma vie seule ; il aurait voulu que je trouve le bonheur si j'avais pu. Les mots d'Auron sonnaient vrais ; Jecht n'aurait jamais voulu que ma vie se termine avec la sienne.
Choisir son meilleur ami aurait pu être une trahison, je le savais – mais en même temps, en était-ce véritablement une ? Si Jecht eût été forcé de me voir avec un autre homme, n'eût-il pas choisi celui qu'il aima tant ? Je ne saurai jamais..mais d'un autre côté, que pouvais-je faire ? Je ne pouvais changer ce que je ressentais. Jecht avait été le vent, un mistral s'engouffrant dans ma vie, me balayant à en perdre pied et changeant le désir en une flamme. Auron était une force tranquille, stable et puissant, une robuste présence dont l'appui ne fléchissait jamais. Il était toujours là, bien que sans requête de ma part, ne me demandant rien. Si différents, bien que j'aie aimé les deux.
Il marchait habilement sur la fine ligne entre être attentif et envahissant tandis que je récupérai. Jamais il ne me choya, m'apportant seulement occasionnellement du thé chaud ou un livre à lire lorsque je devenais insupportablement lasse de regarder les murs. Une fois, cela avait été un roman choquant et obscène, lequel j'avais failli lui lancer à la tête avec une indignation moqueuse.
Durant l'intervalle temporel où je me sentis suffisamment en forme pour me tirer hors du lit, je fus profondément tourmentée. J'étais à la fois heureuse et épouvantée, car je n'étais plus la jeune fille innocente qui tombait amoureuse pour la première fois. Je savais comment lire un homme, comment décoder la lueur énigmatique qui illuminait son œil lorsqu'il m'imaginait seulement vêtue de ma peau. Même si l'ensemble tendu de sa bouche trahissait sa tentative désespérée pour ne pas le faire.
Jecht avait été fougueux et passionné, affichant pleinement chaque émotion sur son visage, facile à lire une fois que j'avais su comment. Auron était un autre défit, chaque expression était dissimulée et atténuée, mais il n'était finalement également qu'un homme. Il pouvait cacher habilement le désir de son visage mais il ne pouvait éviter le soubresaut dans sa respiration si je me tenais trop proche de lui, pas plus qu'il ne sut que son effort évident pour me toucher aussi peu que possible était l'aveu de combien il aurait voulu le faire. Son attitude taquine ne changea jamais, mais le contact accidentel des genoux ou des coudes lorsque nous étions assis ensemble à regarder des films avec Tidus ou l'effleurement des mains passant la nourriture sur la table durant le dîner, tout cela était absent. D'ailleurs, il ne s'asseyait jamais prêt de moi s'il pouvait l'éviter.
J'avais honte d'avouer que je le taquinai un peu au début, le touchant lorsqu'il ne voulait pas le faire : une douce main posée sur son bras tandis que nous parlions ou laisser mes cheveux frôler son épaule si je me penchais proche de lui bien que souvent je ne réalisais pas le faire. Parfois, je m'étirais dans son champ de vision, ma colonne s'arquant parfaitement innocemment pour la détendre si j'étais venue à rester trop longtemps assise dans la même position. Etre tombée amoureuse une fois ne nous immunise pas de la peur d'être blessée une seconde fois.
Malheureusement, je trouvai la réponse que je voulais, mais également un obstacle que je ne savais comment passer. Il se souciait de moi plus que tout ce que j'aurais pu espérer, mais il aimait également mon mari et sa loyauté envers lui, ce code inexprimé entre les hommes nous interdisait d'être plus que ce que nous étions aujourd'hui. Ainsi, je ne dis rien.
J'aurais pu le forcer, je le savais. J'aurais pu le tenter au-delà de ce qu'il pouvait supporter, aller vers lui au milieu de la nuit et lui offrir ce qu'il n'aurait pas été capable de refuser. Mais briser son honneur aurait signifié le briser et je l'aimais trop pour cela. Au lieu de cela, je me maintenais dans une misère heureuse, contente de savoir que j'étais aimée et plus seule, mais toujours insatisfaite.
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Il me fascinait toujours de la manière dont il avait appris à lire une fois que je lui avais montré les rudiments et donné un dictionnaire. Les ordinateurs l'effrayaient toujours un peu mais il s'en servait relativement bien. Cette nuit, Tidus étant endormi depuis longtemps, nous étions assis tous deux lisant dans la pièce faiblement éclairée, le feu artificiel brillant gaiement dans la cheminée sur l'écran lumineux. Il ne trouvait absolument aucune distraction à cela – « Complètement inutile ! » avait-il ri. Mais le craquement des bûches en feu et le rougeoiement consolateur de la flamme vacillante étaient si confortables ; était-ce de ma faute si Zanarkand avait un climat si tropical qu'une véritable cheminée était hors de question ? Cela avait été un cadeau de Jecht fait à sa femme, gâtée sans scrupules, dans une autre vie. Nous avions toujours eut plus d'argent que nécessaire, à l'image de sa célébrité, car il était un des joueurs les plus payé de sa ligue. Nous en avions assez pour nous soutenir même aujourd'hui pour un certain temps si nous étions frugaux. J'espérais vendre quelques peintures pour un revenu supplémentaire. C'était amusant de voir comment « nous » incluait maintenant automatiquement Auron dans mon esprit.
Je ne pus m'empêcher de lui jeter encore une fois un coup d'œil par-dessus mon livre, à la façon dont la lumière de la lampe de lecture se répandait sur ses épaules dans l'obscurité, dorant sa silhouette parfaite en des lignes abstraites, dorées et ombrées. Même le mouvement de sa main se soulevant pour ôter une mèche ennuyeuse de son œil était gracieux. J'aurais voulu jeter ma lecture de côté et ramper à travers la pièce avec l'intention de le distraire peu chastement de sa profonde littérature classique..
Il leva les yeux et croisa mon regard de façon inattendue et quoi qu'il ait pu y voir sembla l'effrayer. Il s'en remit rapidement, comme à son habitude, me laissant à m'interroger si mes yeux ne m'avaient pas trompée dans le noir. Avait-il deviné ? Je ne pus le dire. Il se leva seulement et s'excusa poliment en se retirant dans sa chambre, prétextant l'heure tardive.
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Elle m'avait regardé comme une panthère affamée aurait regardé un morceau de viande fraîche. La panique m'avait alors envahit ; cela m'était déjà assez pénible de la désirer, sachant que cet amour ne serait jamais réciproque et impossible à avouer. Je n'avais jamais imaginé combien les choses eussent pu être pires, qu'un jour elle eût pu éprouver pour moi plus que de la simple sympathie. Comment avais-je pu en arriver là ? Comment pouvais-je la laisser m'aimer tandis que Jecht perdait chaque jour un peu plus de lui-même dans la folie destructive de Sin ? Comment pouvais l'aimer ouvertement alors qu'il souffrait autant ? Je ne peux pas – mais d'un autre côté, comment puis-je la rejeter ? Comment pourrais-je supporter de la blesser alors qu'elle n'a fait seulement ce que je lui avais ordonné : accepter la mort de Jecht et poursuivre son chemin ? Je ne peux mentir, il m'est impossible de la regarder dans les yeux et lui dire que je ne suis pas amoureux d'elle. Je ne peux également lui dire pour Jecht, je ne peux pas. Cela détruirait la vie en elle, cette fois pour de bon.
Je n'aurais jamais été capable de prétendre que je ne la désirais pas, si elle me l'avait demandé. Je n'avais jamais désiré quoique ce soit aussi désespérément dans ma vie, excepté lorsque j'étais tombé sur mes genoux sur la pierre froide et ébréchée des ruines de cette cité et avais imploré en pleurs les oreilles sourdes de Yevon pour un autre moyen, une autre solution que ne nécessitât pas le sacrifice des vies des deux hommes qui m'étaient si chers. Ils voulaient sauver le monde..mais ils étaient mon monde.
Et cela me rappelait à l'esprit le fait inévitable que je n'étais pas tout à fait en vie – comment pouvais-je laisser une femme en vie m'aimer ? Elle est si pleine de vie et de vitalité, avec tant d'espoir devant elle. Je ne peux lui offrir que mort et désolation ; je ne peux tenir éternellement. Les hommes la regardent, je le sais. Elle ne sera pas seule longtemps, je devrais partir..mais je ne peux ! Ah, Jecht, pourquoi m'as-tu attaché ici ?
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Paroles de Sarah McLachlan
