Tempête, partie une

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J'admets l'effet que tu me fais
C'est dur de penser ça
Tu pourrais ne pas être réelle
Je le sens maintenant, l'eau devient profonde
J'essaie d'éloigner la douleur loin de moi
Loin de moi

Car tu es partout pour moi
Et lorsque je retiens ma respiration
C'est toi que je respire
Tu es tout ce que je connaisse
Qui me fasse croire
Je ne suis pas seul..

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Je m'assis seul avec mon tokkuri sur le point le plus élevé du toit, regardant fixement l'étrangeté irréelle qu'était la Zanarkand de Jecht, ayant depuis longtemps perdu l'habitude de la voir. Ce n'était pas difficile de se convaincre que cette cité criarde et sans cesse bruyante était sa ville natale. Avec seulement un peu de saké à peine passable pour compagnie, je jurai de tout mon être contre ma nouvelle incapacité à devenir complètement saoul.

Savais-tu, Braska, qu'en fin de compte ta voie avait été la plus aisée de tous ? Ta ferme acceptation d'une mort certaine nous avait mortifiée, Jecht et moi tandis que nous t'avions suivis jusqu'à la fin, bien que cela nous avait déchiré avec une angoisse qui n'avait jamais diminué. La culpabilité était insupportable pour moi, te permettant de mourir pour notre bien, mais tu étais déterminé. J'avais passé la deuxième moitié du pèlerinage à chercher un autre chemin, comme si par la seule force de la volonté j'avais pu tout changer et créer une solution où aucune n'existait. Mais quel absurde ironie, qu'en fin de compte tu ais été celui qui fut le plus chanceux – une mort propre et rapide au sommet de ta gloire. Je ne parle même pas du fait que mon existence torturée est le résultat de ma propre folie ; attaquer Yunalesca était inutile, irréfléchi. Insensé. Peut-être de la pure lâcheté, un effort de dernier ressort pour éviter de devoir affronter la vie sans vous deux. Mais Jecht..l'horreur de son sort est au-delà de l'imaginable. Peux-tu le voir depuis le Farplane ? Peux-tu pleurer, comme je souhaiterais en être capable ?

Une voix féminine déchira distinctement le vent.

- Auron ?

En fermant mon œil, je grognai intérieurement, irrité par l'invasion importune dans ma méditation mélancolique. Qu'est-ce qu'au monde elle faisait debout à cette heure-là ?

- Auron ? Est-ce que tu vas bien ?

Elle était debout à l'extérieur de la maison à une distance suffisamment éloignée pour être visible depuis où j'étais assis. Le vent balaya ses cheveux en un déplacement complexe qui révéla son visage ici et là ainsi que les pantalons larges et légers dans lesquels elle avait dû dormir, ils flottaient follement autour de ses chevilles. Ils étaient manifestement trop longs ; ils avaient du appartenir à Jecht.

Non, Serra. Je n'avais pas « été bien » depuis bien longtemps. Fiche-moi juste le camp d'ici. Mais je ne dis rien à voix haute, espérant qu'elle comprenne.

Elle ne le fit pas. J'entendis le léger bruit d'un grattement de pieds nus contre le mur. Yevon, aide-moi, la petite idiote essayait de grimper ici. J'eus une soudaine image mentale de devoir ramasser sa carcasse aplatie sur le sol.

- Serra—
- Quoi ?

Deux grands yeux couleur améthyste me contemplaient depuis la corniche tandis qu'elle se hissait au-dessus, sa chemise glissant juste pour révéler un morceau de chaire ronde que j'essayai péniblement d'ignorer.

Cela me frappa soudainement qu'elle avait l'air bien plus forte que je ne l'avais jamais vue, beaucoup plus vivante. A mon regard étrange, elle dit :

- Jecht avait également l'habitude de venir souvent ici. Il aimait regarder la ville.

Elle leva le regard en silence, ses iris me reflétant la ligne d'horizon peinte dans toutes les nuances possibles de violet. Elle sourit doucement, comme en souvenir.

- J'ai du apprendre à grimper ici également, si je voulais le voir certaines nuits.

Elle s'assit spontanément à côté de moi, proche mais sans contact. Son sourire mélancolique s'effaça pour un autre plus soucieux et elle toucha ma main.

- Quelque chose te tracasse vraiment.

Et je suis ici sur ton toit, au milieu de la nuit parce que j'ai envie de parler. Je ne pouvais certainement pas lui dire ce qui m'avait amené ici.

La semaine passée, j'ai parlé à ton « défunt » mari dans un rêve et il m'a dit de coucher avec toi.

Enfin, presque. Je pris une longue rasade de la jarre, même si le malheureux vin de riz voulait assurément une chaleur particulière.

- Etre mort fait ce genre de chose, remarquais-je prudemment.
- Tu continues de dire cela, mais il me semble que tu es bien assez vivant.

Sa main n'avait pas quitté la mienne et j'essayai de la retirer.

- Je. Suis. Mort. Rien d'autre que la force de l'habitude fait battre ce cœur. Je n'ai pas besoin de manger ou dormir et je ne peux même pas me saouler, lâchais-je rageusement. Peut-être étais-je finalement un peu enivré.

Elle n'était pas impressionnée.

- Bon, puisque tu es mort, donne-moi ce fichu manteau, je gèle.

En fait, c'était le cas. La chaire de poule couvrait ses bras nus et la subtile évidence du froid pressait contre la légère et inutile chemise qu'elle portait alors qu'elle tremblait de froid. Je regardai ailleurs.

- Tu devrais plutôt rentrer, dis-je en colère.

Mais même en parlant, je défaisais la ceinture, sortis mon bras de la manche avant d'enrouler le lourd manteau rouge peu gracieusement autour d'elle. Je suppose que peut-être je ne voulais pas vraiment qu'elle parte..ou je pensais que quoique j'aie pu dire, elle ne partirait pas, donc elle pouvait tout aussi bien avoir chaud.

Son sourire reconnaissant était devenu merveilleux avec l'amour innocent qui brillait au travers et je goûtai au désespoir. Je ne vis aucun moyen de sortir de ce fatal imbroglio. Je ne pouvais partir, je ne pouvais mourir.

Suis-je supposé errer dans ce monde éternellement, à jamais tourmenté par des choix impossibles ? N'y a-t-il jamais d'autre moyen ?

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Cela m'avait surprise qu'il soit si exceptionnellement caustique cette nuit, lorsqu'il parla véritablement. De longues minutes s'étaient écoulées sans qu'aucuns de nous ne dise quelque chose et il semblait satisfait de cela, tant il était captivé par sa sombre contemplation dans le vide.

Cela semblait ainsi être à moi de le pousser à parler, d'essayer et de sortir les mots. Mais ayant vécu si longtemps avec un homme qui ne gardait rien à l'intérieur, je n'étais pas habituée à la tâche et je craignais de mal choisir mes mots dans mon inexpérience.

- Ta mort est d'un genre inhabituel, dis-je. Tu as l'air d'un homme vivant à mes yeux. Regarde, même tes cheveux ont poussé depuis que tu es arrivé ici, méditais-je.

De son propre chef, ma main s'éleva pour se poser sur la queue noire et tressée qui tombait sur ses épaules.

- Ton existence ici-bas est-elle si épouvantable ?

L'amertume dans son œil s'enflamma en de la colère avant que le dernier mot eut quitté mes lèvres. Il arracha sauvagement ses cheveux de ma main, déchirant le nœud qui les liait.

- Tu peux être capable d'embellir ma mort, mais je ne peux.

Il était maintenant furieux, tel que je ne l'avais jamais vu, chaque muscle tendu et les mains serrées en poings. Ceci était maintenant le redoutable Gardien qui envoyait sans regret les ennemis à la mort s'ils avaient osé menacer son Invokeur. Cela demandait un effort de ne pas fléchir devant une telle colère enflammée, si étrangère sur son visage qu'il s'était transformé en quelqu'un que je ne connaissais pas du tout. La natte s'était rapidement défaite et ses cheveux se déchiraient derrière lui telle une noire bannière flottant au vent.

Il affûta chaque mot en une arrête tranchante, de façon à ce qu'il puisse mieux écorcher mon cœur.

- Peux-tu seulement imaginer, Serra, le mélange non dilué de culpabilité, de chagrin et de fureur frustrée qui aveuglerait toute la raison d'un homme, dépassant toute pensée éveillée et l'inciter à se jeter contre une force beaucoup plus grande que lui, courant à sa perte avec pour seule pensée la folie et la douleur silencieuse ?

L'acier dans son regard ne me laissa pas parler, si toutefois j'avais pu trouver les mots.

- Peux-tu imaginer le sobre froid de ton propre métal réfléchissant dans un éclat mortel un messager sans pitié apportant la soudaine réalisation que la seule chose qui soit pire que ton impardonnable échec dans la vie serait de les trahir également dans la mort ? Pourrais-tu faire face à la pitoyable décision d'abdiquer face à l'oubli béni à portée de main et retourner ainsi à une vie bien pire que celle que tu as essayé si péniblement de quitter, maintenant également ruinée par le sang, l'agonie et la constante peine épuisante de maintenir ton corps ensemble contre sa volonté ?

Je le vis clairement dans mon esprit, l'image de sa forme se jetant contre elle qui lui offrit tant la revanche que la mort. Je l'avais pris en pitié la première fois que j'avais entendu son récit, lui, un étranger alors que je me traînais à l'intérieur de mon propre chagrin sans limites, combien mon cœur me faisait mal maintenant que je l'aimais ? Sa douleur n'était plus seulement la sienne, qu'il le veuille ou non.

Il se tut finalement, son œil s'élargissant presque de façon inattendue. Pensait-il véritablement que j'allais me défiler si facilement, telle une enfant punie ? Même si je l'avais voulu, comment aurais-je pu partir après avoir entrevu la souffrance solitaire et agonisante qu'il croyait si bien cachée derrière cette colère édifiante ?

- Je suis désolée pour cela, Auron, dis-je tranquillement.

C'était difficile de respirer, accablée par la pure intensité des émotions qui m'irritaient.

- Je ne sais pas comment cela était pour toi. Mais..je peux au moins savoir ce que c'est que de se noyer dans le chagrin, souhaitant la mort.

Quelque chose vacilla dans son regard bien que restant indéchiffrable pour moi.

J'essayai sans succès d'avaler de la boule au fond de ma gorge.

- Je ne suis pas aussi forte que toi. Si cela n'avait pas été pour toi, je l'aurai trouvé. Si toi, qui ne nous connaissais pas, pouvais s'accrocher à une telle vie pour prendre soin de mon fils, que dire de moi, sa mère ?

Ah, bon sang. Je n'aurais pas du dire la dernière partie. C'était quelque chose avec laquelle je n'étais pas encore tombée d'accord.

Je remarquai les larmes sur mon visage seulement lorsqu'il fronça légèrement des sourcils, redirigeant une partie de la colère contre lui. Le fait qu'il ne fit aucune excuse signifiait combien sa fureur avait été profonde.

- Je suis désolée, dis-je simplement, faisant une dernière tentative pour m'approcher de lui. Tu ne parles jamais de peine ou de lassitude. Je n'avais aucune idée que cela était si difficile pour toi, même maintenant.
- Chaque jour est pire, dit-il sans intonation.
- Laisse-moi t'aider, ai-je presque supplié. Laisse-moi apaiser le peu que je puisse.

Nous savions tous deux ce que j'offrais, bien qu'aucuns de nous n'ait jamais parlé de ce que nous ressentions pour l'autre.

- Laisse-moi entrer.