Tempête, partie deux

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Et s'il n'y avait pas de lendemain
Et si tout ce que nous avions serait ici et maintenant
Je serais heureux de t'avoir simplement
Tu es quelque part tout l'amour dont j'ai besoin
C'est comme un rêve
Bien que je ne sois pas endormi
Et je ne veux jamais me réveiller
Ne le perds pas, ne le quitte pas..

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Le monde tournoyait sur son axe tandis que des tresses étirées d'une émotion féroce se ficelaient autour et nous emprisonnaient dans une toile invisible, tendue rapidement et de façon ordrée comme pour n'importe quelle proie d'une araignée. Telles des statues changées en pierre vivante par le regard pétrifiant de l'autre, nous étions restés immobiles, excepté le léger combat pour inhaler l'air rendu subitement lourd par le poids du destin, du choix et de la destinée. Presque avalées par un océan de laine rouge, des vrilles de cheveux humides s'accrochaient obstinément aux résidus de larmes sur son visage, elle avait l'air subitement infantile et vulnérable, son cœur exposé gisant honnêtement entre nous, confiant et ouvert en attente de ma réponse.

Les dernières flammes obstinées de ma rage ardente vacillèrent puis moururent, apaisées par son excuse, vaincue par ses larmes. Lorsque la brume rouge se leva, je me trouvai à la place fâché contre moi-même ; pourquoi m'attendais-je à ce qu'elle comprenne complètement l'idée d'être mort ? Ici il n'y avait pas de cérémonie d'accompagnement, pas de monstres ou de furolucioles. Les gens mourraient simplement et c'était la fin. Elle n'aurait pas pu appréhender l'incessant test de ma volonté, la contrainte de résister à l'attrait qui invite et séduit avec une intensité que même des centaines de jours ne pouvaient diminuer. Elle n'aurait pas pu savoir car je ne le lui avais pas dit.

Dans la cité en contre bas, les foules grouillantes s'agitaient toujours comme des fourmis folles au travers du labyrinthe de rues emmêlées, se piétinant presque mutuellement à la poursuite obstinée du divertissement bacchanale, chassant cruellement la conquête suivante sans visage afin de remplir le vide et de tuer l'ennui. Des nuages gris et tourbillonnant couraient follement au travers de la clarté irréelle, du ciel embrassé par les néons, conduit brutalement par la flagellation du vent et du sourd crescendo de la tempête approchante. Tout était comme avant, excepté sur ce toit où le temps lui-même semblait avoir fait une pause et s'approchait avec une anticipation haletante, se courbant bas afin d'écouter les simples mots qui avaient le pouvoir de tout changer.

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Je n'avais pas remarqué le manteau qui glissait de mes épaules avant que je ne sente la chaleur en fusion de ses mains reposant doucement sur elles. Les paumes calleuses infusaient de la chaleur béate au travers de ma peau refroidie, des pouces effleuraient délicatement l'écorchure de la gorge et de la clavicule avec une petite secousse électrique qui me fit trembler. C'était presque une étreinte dont j'aurais pu me délecter s'il n'y avait pas eut la tension sous jacente du muscle et tendon exposant de manière flagrante son intention de me tenir à distance.

- Serra.

Le regard couleur de vin qui s'inclinait gravement vers moi était patient, protégé mais avait une touche de regret amer.

- Ca ne peut pas marcher.

Il ne dit rien de plus, ses doigts frôlaient la peau de mes bras avec une légèreté intolérable tandis qu'ils glissaient pour agripper le manteau par ses revers. Avec précaution pour ne pas me toucher à nouveau, il releva sa chaleur autour de moi tandis qu'il se leva et se retira rapidement, subitement poli et indifférent de formalité. Une mèche de cheveux sombre fut brièvement retenue par le coin de sa bouche puis dansa à nouveau au loin, loin de moi, aussi magnifique et intouchable que le reste de lui.

L'offense et la colère se battaient pour la domination dans mon esprit. La colère gagna aisément et je me levai pour lui faire face, maudissant silencieusement la petite taille qui me forçait à regarder si haut.

- Et bien, pourquoi pas ?

Je soutenais audacieusement son regard indifférent et neutre, comme si quelque part cela pouvait le faire rester.

- Est-ce là tout ce que tu as à dire ? N'ai-je pas rendu mes sentiments assez clairs ? Je sais que tu ressens la même chose !

Son oeil ne laissa rien passer.

- Ce n'est pas possible. Je suis désolé.

Son exaspérant et tolérant masque de stoïcisme ne fléchit pas et l'absence totale d'émotion ne servit qu'à augmenter la mienne, nourrissant une violente explosion.

- Dis-moi que tu ne me désire pas !

Je demandais incertaine, ma voix s'élevant en tremblant, en refusant toujours de le laisser regarder ailleurs.

- Regarde-moi dans les yeux et dis-moi que tu t'en fiche !

Si je pouvais à peine contenir la colère, je pouvais retenir les larmes. Je m'épargnerais au moins cette humiliation..

Il soupira, une exhalation d'air si légère que j'avais presque failli la manquer.

- Je ne peux pas, dit-il doucement, une expression indéchiffrable scintillant finalement dans le brun doré de son oeil. Tu sais que je ne peux pas, Serra. Mon nom était presque une caresse. C'est parce que je tiens à toi que je te dis que cela n'est pas possible.

Le calme et simple aveu m'anéantit complètement et je m'assis à nouveau lourdement, les genoux repliés contre ma poitrine, scrutant le ciel de la nuit tandis qu'il commençait à se troubler. La lune retira son voile nuageux afin de poser son regard sur moi et son visage pâle était triste. Je devais demander. Avec une voix involontairement étouffée par l'étranglement dans ma gorge, je demandais :

- A cause de Jecht ?

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Si seulement cela avait été aussi simple. Même dans mes moments les plus sombres, je n'avais pas imaginé que cela serait aussi incroyablement difficile. Finalement, cela avait été rendu possible seulement en me retirant dans un détachement opiacé, étreignant l'espace mort créé dans mon cœur lorsqu'ils moururent, poussant la peine dans sa grande gueule entrebâillée où elle ne pouvait pas me toucher. Comment pouvais-je maintenant exprimer avec des mots ce que j'avais besoin de dire ? Je ne pouvais dire « oui » ; cela aurait été aussi bien qu'une accusation d'infidélité envers ses propres sentiments. Lui faire de la peine était inévitable, mais je voulais lui épargner cela. Ne me regardant plus, son regard torturé s'était tourné à l'intérieur, les iris s'étaient assombris dans un gris meurtri couleur lavande.

En fait, il y avait beaucoup d'autres barrières infranchissables qui se dressaient face à ce qu'elle cherchait ou au moins une très bonne.

- Non, Serra, ce n'est pas Jecht, dis-je fermement. C'est moi. Quel genre d'homme serais-je en te laissant ouvrir ton cœur à un homme mort ?

Une étincelle obstinée s'illumina dans ses yeux, comme pour dire encore cela ? Mais je plaçais un doigt sur ses lèvres afin de faire échouer sa riposte.

- Ecoute-moi. Tu es jeune, belle. Tu mérites un homme qui te donnera plusieurs années et des enfants. Je suis seulement un corps vivant dans un temps emprunté ; je ne peux offrir aucun.

Elle prit ma main dans les siennes et je la laissais me tirer vers le bas afin de reposer sur ses genoux.

- Tu n'es pas un corps, dit-elle directement. Tu es toi, le seul Auron que je n'aie jamais connu et je t'aime, quoique tu puisses être.

Je chancelai légèrement aux mots et à la chaleur spontanée qui s'éveilla dans ma poitrine. Amour ? Etaient-ce ses sentiments déjà si forts ?

Ses pouces bougèrent en des cercles inconscients sur ma paume, ébranlant ma détermination.

- Il n'y a pas de garantie que d'aucuns des hommes que je pourrais aimer puisse me donner plusieurs années ou même des enfants. Ses lèvres se tordirent en un léger sourire. De plus, je ne suis pas sûre de pouvoir en supporter d'autre comme Tidus.

C'était une chose à laquelle je n'avais pas pensé – Yevon l'interdisait.

Son regard s'intensifia et les mains qui tenaient la mienne s'immobilisèrent puis resserrèrent leur emprise.

- S'il y a une chose que j'ai appris de la perte de Jecht, c'est qu'il faut profiter au mieux du temps qui nous est donné. Elle regarda au loin et dit doucement : Nous croyions que nous avions le temps d'une vie à passer ensemble, mais à la fin, nous n'avions qu'un court intervalle de temps que nous avons gaspillé, passant trop de temps loin de l'autre.
- Serra, commençais-je, mais elle n'écoutait pas.
- Je ne veux pas commettre à nouveau la même erreur, Auron. Ses yeux étaient d'un gris têtu, couleur acier. Tu peux avoir deux ou vingt années, mais je ne vais pas volontairement en abandonner une seule d'entre elles.

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Auron fut soudainement et irrationnellement courroucé.

- Tu parles si légèrement de la mort et du chagrin ! N'oublie pas que tu as failli en mourir ! Si je t'aime et que je sais que mon temps est compté, comment puis-je supporter de savoir que mon départ inévitable te tuerait de la même manière que celui de Jecht a failli le faire ? Cria-t-il, renonçant finalement abruptement au masque de passivité artificielle.

Serra ressentit une forte pointe de gaieté d'avoir finalement percé ses remparts. Ah, le cœur du sujet. Mais ne peut-il pas voir ?

- C'est trop tard pour cela ! Répondit-elle en criant, puis tomba dans un silence colérique.

La pluie commença à descendre de la vaste obscurité au-dessus de leurs têtes, éparse au début, puis progressivement plus dense, devenant une averse constante qui obscurcissait toute vue aux alentours. Le vacarme d'un million de minuscules impacts aqueux se transforma en un crescendo qui étouffa tout autre son provenant de la métropole environnante, les immergeant dans un étrange et tranquille silence irréel qui s'installa autour d'eux telle une couverture. D'incessantes gouttelettes ondulaient les flaques argentées en un arc-en-ciel éphémère, des schémas de paillettes où l'incandescence des néons rejoignait la sombre eau réfléchie. Serra inclina sa tête sous la pluie, fermant ses yeux. Auron se retourna afin de regarder les lignes claires de son profile délicat, des gouttes cristallines glissaient le long de son visage tourné vers le ciel tels des diamants liquides, suivant le coin de sa bouche.

Elle brisa le silence la première, ses yeux clos comme dans la douleur.

- Si cela devait arriver, ce serait déjà trop tard, dit-elle prudemment, sa voix couvrant à peine la pluie. Mais tu vois, Auron, j'ai appris une leçon difficile. Je ne peux pas oublier ce que j'ai fait à Tidus, à mon bébé. Il a perdu un parent et au lieu d'essayer de sécuriser son monde brisé, je lui ai pratiquement dérobé l'autre. Aucune mère ne peut se pardonner cela, d'avoir négligé son enfant au cœur brisé en faveur d'elle-même et de sa propre peine. Cela n'arrivera pas deux fois.

Il resta silencieux et elle ne put rien lire dans un sens ou dans l'autre au travers de son expression. Elle demanda finalement :

- Peux-tu vraiment rejeter ce genre d'amour, quelque chose de si rare ?

Le combat s'écoulait hors de lui et il désespéra, n'ayant plus de bons choix. Les mots de Jecht raisonnaient dans sa tête, demandant à son ami de s'assurer de son bonheur. Mais..

- Pourquoi es-tu aussi insistante là-dessus ? Contra-t-il.
- J'aime les hommes têtus, dit-elle sans expression.

Un rire de surprise s'échappa avant qu'il ne puisse l'en empêcher. Une blague, oui, mais cela était aussi le seul trait de personnalité que lui et Jecht avaient en commun.

Ses protestations grandirent à contre cœur, bien qu'un peu irritées.

- Je ne suis pas fait pour être l'amant d'aucune femme, dit-il amèrement. Pour autant que je sache, je ne pourrais même pas en être capable.

Elle haussa un sourcil.

- J'en doute véritablement, dit-elle ironiquement, puis son expression se calma. Mais me croirais-tu si je te disais que cela m'importerait peu, combien même cela serait ainsi ?
- Tu as une pile de romances misérablement écrites qui pourraient dire le contraire, remarqua-t-il calmement.

Elle reprit des couleurs à cela, mais dit sans hésitation :

- Si cela était tout ce que je voulais, je n'aurais pas besoin d'un homme.

Le regard qu'il lui donna était narquois, mais elle n'allait pas donner plus de détail. Considérablement audacieuse, elle traça légèrement les contours de son visage, glissant ses mains le long des lignes de sa joue.

Il ferma son oeil lorsque ses doigts éraflèrent la joue meurtrie et s'attardèrent là.

- Ne le fait pas, dit-il involontairement. Ton toucher me déchire.

Elle retira sa main.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il prit un long moment avant de répondre.

- Depuis si longtemps, tout ce que je voulais était la paix de la mort. J'ai vécu ma vie et étais prêt à ce qu'elle se termine. Mais toi.. Il fit une pause. Tu me donne envie d'être à nouveau en vie. Tu me donne envie d'être un homme vivant, un amant, un mari, un père. Et je ne peux être aucune de ces choses, jamais. Mon humanité n'est que fictive.

Elle écouta tout d'abord sombrement, mais le temps qu'il finisse ses lèvres s'étaient déformées légèrement contre le haut dans un sourire amusé. Il lui lança un regard furibond, à nouveau fâché face à son refus de le prendre au sérieux.

- Est-ce que tu m'écoutes ?

Elle soupira, mais le sourire ne la quitta pas pour autant.

- Auron, est-ce que tu réalises que tu trembles ?

Dès qu'elle le mentionna, il nota finalement les légères secousses qui le parcouraient et jura énergiquement. Il savait qu'il n'avait pas froid, mais son corps semblait penser qu'il devait l'être, assit trempé jusqu'à l'os avec seulement une légère chemise dans une tempête nocturne, et commença de trembler à nouveau.

- Tu vois ? Tu as froid.

Non. Si—

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Le regard sur son visage de confusion furieuse, couvrant une peine plus profonde, déchira mon cœur. Avant qu'il ne puisse reculer, j'ouvris mes bras, rampant vers lui et l'enveloppais dans une étreinte rouge, partageant la chaleur contenue par la laine étanche. Le manteau volumineux était sec à l'intérieur et nous couvrait presque complètement, mais pas tout à fait.

Il se raidit durant un instant, mais le toit était un emplacement trop précaire pour un mouvement brusque et les derniers éléments de résistance semblèrent le quitter d'un coup. Après un moment, ses bras glissèrent sous les miens afin de m'envelopper, son menton descendant afin de reposer sur mes cheveux.

- Tu vas être complètement trempée, marmonna-t-il, mais je n'y prêtais aucune attention.

Tout ce que je pouvais sentir était la solidité qui finalement enveloppait mes bras.

- Auron, dis-je en essayant de l'atteindre. Quoique ton corps puisse être maintenant, ton esprit est toujours humain. Et c'est l'esprit qui contrôle le corps, chaque influx nerveux, chaque battement de cœur. Il ne dit rien, aussi continuais-je. C'est pourquoi tu as froid, pourquoi ton cœur, j'étendis une main afin de la reposer contre son torse, bat toujours. C'est l'esprit qui pense, ressens et aime, aussi dis-moi encore pourquoi ce que je ressens est si faux ?

Je me retirais afin d'évaluer sa réaction. Il avait toujours l'air torturé, mais n'avait pas de réponse prête. J'étais fascinée de le trouver pour une fois à court de mots. Il essaya malgré tout.

- Serra..

Lassée d'essayer de le convaincre avec de simples mots, j'abusais de ses lèvres entrouvertes et l'embrassais.

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Paroles de « Breathless », des Corrs.