Oui, je sais que dans la version juive, mon Satan ressemble plus à Azraël qu'à Satan. Mais il n'y a pas si clairement d'"adversaire" défini que dans la mythologie chrétienne, la plupart des créatures qui ont l'air maléfiques sont aussi au sevice de Dieu. ce concept me plaisait, mais je ne savais pas lequel prendre. Techniquement, j'aurais peut-être plutôt dû écrire sur Asmodée. Ou sur Le Calomniateur. Mais tant pis, c'est trop tard, c'est écrit. Et puis, roi des enfers, c'est un boulot bien démoniaque, non? Désolée pour l'histoire bâtarde qui mélange plusieurs religions sans coller avec aucune.


Jugement

Cela a été décidé au commencement des temps : seuls ceux qui savent qu'ils font le mal souffriront en enfer.

Le mal involontaire, qui n'est dû qu'à la cécité de l'homme, bénéficie de l'immense pardon de Dieu. Il accueille en son sein non seulement les juifs, mais aussi les chrétiens, les musulmans. Et aussi les témoins de Jéhovah et les Mormons, les bouddhistes et les hindouistes, et même les matérialistes athées et les communistes. Les prostituées qui ont besoin d'argent pour nourrir leur famille, les percepteurs d'impôts qui croient en la justice, et les Grands Inquisiteurs qui ont la foi.

Mais il en reste, qui n'ont pas fait le mal par idéal ni par nécessité mais par cruauté ou par haine. Ceux-là sont ceux que Satan garde près de lui. Mandaté par Dieu, il surveille ces âmes cruelles privées de sa présence qui se font souffrir les unes les autres. Souvent, ce spectacle le dégoûte. Mais il sait que chacun a son rôle à tenir dans la divine Création, et le sien est de garder les âmes maléfiques, tout comme celui d'Asmodée est de mener les démons et celui du Calomniateur de pousser les humains au péché. Ce sont des rôles difficiles, mais qui n'en sont que plus importants.

Les hommes parlent de pacte avec le diable, mais cela n'a pas besoin d'être un parchemin signé avec du sang. Juste une acceptation implicite du fait qu'on n'a pas pris le bon chemin, sans réel remords. Il est l'archange des morts, l'archange de la justice. C'est lui qui doit décider du sort des âmes.

Quand on a expliqué cela à Satan au commencement des temps, il a trouvé que c'était beau, que c'était la seule façon de concilier la justice et le pardon de Dieu. Puis il s'y est habitué, a trouvé cela normal, banal. maintenant, il doute.

Assis sur son trône, il les observe et les sonde. Ses ailes sont immenses et noires, ses yeux profonds comme un ciel étoilé. Son épée est noire aussi - plus que noire, en fait, elle est entourée d'un halo d'obscurité.

Il se retrouve maintenant face à un des jugements qu'il déteste le plus rendre - en fait, le deuxième jugement qu'il déteste le plus rendre après celui sur les croyants sincères qui ont torturé au nom de Dieu.

L'enfant est armée d'un couteau qu'elle serre encore contre elle comme si c'était une poupée, sa robe est brune de sang séché, avec encore quelques taches fraîches de rouge. C'est une enfant de la guerre. Ses mots sont plein de fiel, elle sait qu'elle a fait le mal, elle s'est préparée à l'enfer, elle a eu sa vie pour ça. Parce que le monde avait été cruel avec elle, elle a tué, torturé, sans rien construire, sans espoir de changer le monde.

Celle-là est de ceux que Satan voudrait pouvoir laisser partir, qui n'ont pas vraiment choisi le mal, parce qu'ils n'ont jamais rien connu d'autre. Elle menace, elle blasphème, elle ne regrette rien, et il a encore plus de peine pour elle à l'entendre pécher. Elle ne devrait peut-être pas aller au paradis, mais elle ne mérite pas l'enfer non plus. Pourtant les décisions de l'Eternel sont irrévocables : elle savait. Autrefois, il y a très longtemps, on lui a dit qu'il ne fallait pas tuer, et quand ses parents sont morts aussi, elle aurait pu comprendre pourquoi.

Il lui faut lever son épée sur elle, envoyer ainsi son âme rejoindre les autres âmes maudites. C'est son rôle, il est dur, et il doit le tenir justement parce que personne d'autre ne voudrait le faire. S'il ne souffrait pas de le faire, il n'aurait pas de coeur, il ne vaudrait rien. Même si au moment où il doit le faire, une larme soudaine lui brouille la vue, il ne sait plus s'il l'a vraiment touchée, il ne sait plus si elle n'a pas disparu, juste avant, si ce n'est pas un mauvais rêve qu'il a fait.

Cela a été décidé au commencement des temps : une âme qui fera pleurer le sombre seigneur ira droit au paradis, quels que soient ses actes.

S'il le savait, il pleurerait plus souvent.