Disclaimer : le personnage de Hurle et son château magique appartiennent à la talentueuse et merveilleuse Diana Wynne Jones.
Au-delà de nos rêves
Rêve numéro 2 : voyager
Ce soir-là, Marina était particulièrement épuisée et n'attendait que de retrouver son lit douillet pour retourner à ses rêves.
Ses élèves la décevaient : peu d'entre eux s'intéressaient au français. Ses collègues la mettaient souvent à part, sauf Hubert qui se montrait toujours très sympathique à son égard. Une jeune prof de maths l'avait prévenu à propos d'Hubert. Elle lui avait dit que c'était un homme fantasque et bizarre, qu'il valait pour elle ne pas trop se lier avec lui. Récemment, il avait passé quelques semaines dans un hôpital. On disait de lui qu'il avait été interné pour instabilité psychologique. Mais Marina n'en croyait rien et ne pouvait s'empêcher de rechercher la compagnie d'Hubert, d'une part parce que son aura vert d'eau l'attirait et d'autre part parce qu'elle espérait secrètement revoir à travers lui le mystérieux visage au sourire charmeur.
Malheureusement, celui-ci se faisait de plus en plus rare. Marina n'avait toujours pas trouvé le courage de parler à Hubert de cette vision.
Ce soir là, Marina attendait donc impatiemment l'heure de se coucher. Mais pour l'instant, son estomac la tiraillait et elle n'avait eu d'autre choix que de descendre à la supérette du coin de la rue pour faire le plein de plats tout prêts (ses talents culinaires étaient médiocres)
Il faisait déjà nuit lorsqu'elle poussa la porte de la boutique. Le gérant avait l'air endormi et peu aimable. Il semblait avoir horreur des clients qui venaient le déranger à cette heure de la soirée. Il regardait la télévision avec une expression ennuyée. Marina avait toujours eu horreur de la télévision. Pour elle, ce n'était qu'une boîte magique envoyant des images enchantées destinées à envoûter ceux qui les regardaient.
Elle s'avançait sans enthousiasme vers le rayon des fruits et légumes, lorsqu'elle percuta quelqu'un.
" Excusez-moi… fit-elle d'une vois fatiguée."
"Je vous en prie ! répondit une voix familière."
Marina reconnut le sourire timide d'Hubert et il lui sembla que sa morne soirée allait soudain s'éclairer.
"Oh Hubert ! s'écria-t-elle. Quelle bonne surprise ! Est-ce que…"
Elle allait lui proposer d'aller dîner ensemble lorsque le visage encadré de cheveux blonds fit soudain son apparition. Elle s'interrompit, n'osant pas prononcer une parole de plus, de peur que la vision fugitive ne s'efface.
Le visage semblait tout à fait serein et lui souriait aimablement. Marina cligna plusieurs fois des yeux. La vision ne disparut pas.
"Qui… Qui êtes-vous ? finit-elle par bégayer."
Le visage sourit de plus belle et répondit :
"Je m'appelle Hurle."
"Hurle ? répéta Marina."
L'homme aux cheveux blonds hocha la tête. Mais ses cheveux étaient déjà en train de foncer et Hubert reprit bientôt sa place en face de Marina. Il écarquillait les yeux et était bouche bée.
"Comment… Comment connaissez-vous Hurle ? demanda-t-il."
"Vous le connaissez aussi ? s'écria Marina, se remettant de sa vision."
Le visage d'Hubert s'assombrit un instant.
"C'était il y a si longtemps… murmura-t-il. Mais… reprit-il en levant les yeux vers Marina, comment est-ce possible ?"
"Qui est-il ? demanda Marina."
Hubert secoua la tête.
"Non, Hurle est mort. Je ne veux plus entendre parler de lui. Je ne peux plus…"
Un frisson le parcourut. Il reposa en hâte la botte de carottes sur l'étal et s'excusa maladroitement.
"Je suis désolé… balbutia-t-il. Ma sœur m'attend… je dois y aller"
Il tourna les talons rapidement. Mais Marina n'en avait pas fini avec lui. Le visage de Hurle restait gravé dans son esprit. Elle le rattrapa au coin du rayon des jus de fruits.
" Hubert ! cria-t-elle. Attendez ! J'aimerais vous parler…"
Hubert secoua à nouveau la tête, refusant toute conversation.
"Je dois garder mon neveu et ma nièce, je n'ai pas le temps…"
"Demain alors ? proposa Marina. Dînons ensemble, demain. J'ai beaucoup de choses à vous dire…"
Hubert s'arrêta net, surpris d'une telle proposition.
"Demain ? répéta-t-il."
Il parut réfléchir.
"D'accord."
"Rendez-vous devant le collège à 19 heures ?"
Hubert hocha la tête, sourit gauchement et quitta la boutique.
Marina sourit. Elle espérait que Hurle serait aussi au rendez-vous…
Le lendemain, à 19 heures 10, Marina attendait devant la grille du collège, un peu tendue. Elle n'avait pas l'habitude des rendez-vous galants. Encore n'était-elle pas sûr que c'en était un.
Hubert avait déjà dix minutes et elle se demandait s'il n'allait pas se désister au dernier moment.
Mais il apparut enfin. Marina soupira de soulagement.
"J'ai eu peur que vous ne veniez pas ! dit-elle."
"Je suis désolé… bredouilla Hubert. C'est ma sœur, Mégane. J'habite chez elle et elle voulait absolument savoir où j'allais… Elle s'inquiète toujours beaucoup pour moi depuis que… Enfin, vous savez, depuis que je suis allé à l'hôpital…"
Les yeux d'Hubert se voilèrent. Sans savoir pourquoi, Marina posa sa main sur son épaule et dit d'un ton amical :
"Mais, vous allez mieux maintenant, n'est-ce pas ?"
Hubert haussa les épaules.
"Je sais que je ne devrais pas, mais je voudrais vous parler de Hurle…" dit-il après un silence.
Ses yeux s'emplirent de larmes. Marina resserra sa main autour de son épaule.
Le dîner semblait oublié, et Hurle ressuscité.
"C'est ici, dit Hubert."
Marina scruta l'endroit d'un regard dubitatif. Ils étaient au beau milieu d'une vieille halle en ruine, qui avait autrefois servie au marché.
Ils avaient marché à vive allure pendant de longues minutes, sans qu'Hubert prononce un seul mot. Marina n'avait pas osé poser la moindre question, bien que cette folle course à travers les quartiers louches de la ville l'inquiétât. Hubert avait fermement saisi son poignet et ne l'avait pas lâché en s'arrêtant.
Il se tourna vers elle, attendant un commentaire. Marina ne sut trop que dire. Ils étaient face à une porte délabrée, en bois vert sombre, qui se tenait en plein milieu d'un bric-à-brac de vieilleries inutiles. La porte n'appartenait à aucun mur et ne semblait s'ouvrir sur rien d'autre que l'autre côté de ce dépotoir apparemment sans intérêt.
Si Hurle, ou qui que ce soit, vivait là, il ne pouvait s'agir que d'un sans abri ayant besoin d'un coup de main…
Marina réprima un frisson. Elle n'était pas rassurée du tout dans cet endroit insalubre et étrange. Et si elle s'était laissée entraîner par un pervers ? Bien sûr, Hubert d'avait pas l'air d'un aliéné… Mais quand même…
Voyant qu'elle ne disait rien, Hubert lâcha son poignet et saisit le bouton de la porte. Il le tourna délicatement. Son anxiété était aussi perceptible que celle de Marina.
"Êtes-vous sûre de vouloir y aller ? demanda-t-il."
Marina faillit demander : mais aller où ? Mais les mots s'étranglèrent dans sa gorge.
"Êtes-vous sûre de vouloir rencontrer Hurle ? reprit Hubert."
Tremblante, Marina hocha la tête, les yeux toujours fixés sur le bouton cuivré de la porte.
La porte s'ouvrit sans le moindre bruit. Derrière…
Derrière il n'y avait rien. Rien qu'un néant noir et vide.
Marina recula.
"N'ayez pas peur, murmura Hubert. Il n'y a rien à craindre. Rien d'autre que nos rêves…"
Ils se regardèrent droit dans les yeux pendant une longue minute, comme s'ils se voyaient pour la première fois. Marina n'était plus aussi sûre de vouloir poursuivre. Tout ça était si étrange… Elle se sentait… comme dans un rêve…
Un tas de sensations étranges et de couleurs mystérieuses se mélangeaient en elle. Elle en savait plus où donner de la tête.
"J'y vais si vous venez avec moi, dit Hubert. Sans vous, je n'oserais pas."
Elle reprit ses esprits et avala péniblement sa salive.
"Comment dois-je faire ? demanda-t-elle."
"Il… Il suffit de passer de l'autre côté de la porte, répondit Hubert."
"Est-ce que ce sera douloureux ?"
Hubert sourit. Marina se dit qu'il y avait dans son sourire quelque chose de celui de Hurle.
"Non. Vous n'avez à craindre…"
Juste mes rêves, pensa Marina.
Après tout, elle vivait dans ses rêves depuis toujours…
"Je passe le premier, reprit Hubert. Quand je serais entièrement de l'autre côté, allez-y à votre tour."
Marina acquiesça. Il se tourna soudain vers elle et ajouta d'un air mélancolique :
"C'est la première que j'emmène quelqu'un…"
Ss yeux brillèrent.
Il fit un pas dans le néant, puis un autre. En moins d'une seconde, il ne restait plus rien de lui qu'une tâche bleu-vert sur le noir.
Quand la tâche eut complètement disparu, Marina prit une profonde inspiration et avança une main à travers la porte. Elle s'était attendue à quelque chose de froid et visqueux. La sensation était bien différente. Elle avait l'impression d'être enveloppée d'une légère et tiède brise d'été. Elle ferma les yeux et passa la porte.
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle était dans une jolie pièce parquetée et tapissée de vert. Il y régnait une délicieuse odeur de jasmin. Et devant elle, Hurle lui souriait.
Elle faillit appeler Hubert, mais le seul mot qui lui sortit de la bouche fut :
"Hurle ?"
Ce dernier hocha la tête et fit son sourire le plus charmeur. Sa ressemblance avec Hubert était frappante, à part pour les cheveux. Hurle avait aussi l'air beaucoup plus assuré. Ses yeux paraissaient également plus froids, plus artificiels.
"Je suis Hurle. Et toi, qui es-tu ?"
Marina réfléchit. Mais la réponse s'imposa d'elle même.
"Je m'appelle Ellia, dit-elle."
"Bienvenue chez moi, Ellia. Referme la porte, s'il te plaît. Je ne voudrais pas que n'importe ne s'introduise ici."
Dans d'autres circonstances, Marina aurait demandé ce qu'était "ici". Mais Ellia était bien loin de ce genre de considérations. Elle se retourna. Derrière, une porte en vert foncé, avec un bouton de cuivre était ouverte sur le néant. Elle le referma délicatement et se prépara à voir ses rêves devenir réalité.
