6 décembre 2003,
Kévin et Ben,
Ca a commencé ici aussi.
J'aurais espéré avoir d'autres nouvelles. J'aurais aimé pouvoir dire que les citoyens anglais sont plus censés que ceux d'Amérique ou ceux d'autres pays qui ont suivi les Etats Unis et qui ont commencé les persécutions ouvertes contre des sorciers et sorcières. Mais je ne le peux pas.
Hier, les journaux nous ont apporté les nouvelles : une douzaine de personnes ont été arrêtée dans les rues de Londres. Les gens sont terrifiés, ils ont vécu avec des sorciers et sorcières pendant toute leur vie mais maintenant ils savent que la population sorcière existe et soudain ils se sentent menacés. Je ne comprends tout simplement pas les gens. Si les sorciers et sorcières étaient aussi monstrueux qu'ils le prétendent, ils auraient certainement attaqué le reste du monde bien avant qu'ils aient conscience de leur existence.
Je ne comprends pas comment les gens peuvent être aussi irréalistes. Une fois qu'ils ressentent les choses, c'est comme s'ils arrêtaient de penser, et je ne comprends pas cela. Severus dit que c'est parce que la raison et les émotions s'excluent mutuellement. Après tout ce qui s'est passé, je dois être d'accord avec lui.
Quelles sont les nouvelles en Amérique ? Les choses ont-elles empiré ?
S'il vous plait, soyez prudents,
Harry.
Harry plia la lettre d'un air désespéré, la mit dans l'enveloppe et se dirigea vers la volière, d'un pas lourd, comme si le sol, au lieu d'être en pierre, était fait en mélasse et qu'il s'embourbait dans celle-ci, l'empêchant d'avancer, voulant l'avaler. Tout était si difficile à croire. Une part de lui niait toujours farouchement. Une part de lui continuait avec entêtement à penser que tout ceci n'était pas possible. Quelqu'un, quelque part devait avoir fait une énorme erreur.
C'était à nouveau comme à l'époque du règne de Voldemort. Tout le monde était inquiet, marchait à pas furtif, regardait par-dessus son épaule, sursautait à chaque ombre et dormait d'un sommeil agité, du sommeil sans repos de ceux qui croient que s'ils ferment les yeux trop longtemps, ils pourraient ne jamais les rouvrir. Tard dans la nuit, quand il était trop fatigué pour en être honteux, Harry se demandait pourquoi lui, et les autres, avaient combattu pendant la guerre. Tant de gens étaient mort en se battant contre Voldemort, depuis que Tom Marvolo avait dédié sa vie à la magie noire, et pour quoi ? Pour des personnes qui avaient tourné le dos aux sorciers et sorcières qui les avaient protégés ? Ils avaient refusé que des moldus soient persécutés, torturés et tués, et ils s'étaient opposés à lui, ils avaient fait couler leur sang pour eux, ils étaient morts pour eux et leur seul remerciement était de voir les mêmes évènements se reproduire à nouveau, les sauveurs devenant les victimes, les chassés. Les proies.
Severus le comprenait. Peut-être même que Drago pouvait le comprendre. Mais Harry ne le pouvait pas, et il savait qu'il ne le pourrait jamais.
« Ne fait-il pas un peu froid pour être dehors ? »
« Apparemment non. A moins que vous n'ayez développé un intérêt pour le masochisme, ce dont je doute, Monsieur Malfoy. »
Il y avait une note d'ironie et d'amusement dans le ton du jeune Malfoy quand il répondit facilement, « Je ne sais pas, Severus. Je commence à penser que j'ai toujours été un peu masochiste, vraiment. Ce n'était pas apparent jusqu'à récemment, c'est tout. »
Severus le regarda du coin de l'œil et Drago s'avança pour s'appuyer contre la rambarde et regarder au-delà du château. Une douzaine de commentaires cinglants lui traversèrent l'esprit, tous acerbes et infailliblement justes. Il savait qu'avec des mots, il pouvait briser l'homme qui se tenait devant lui. Le dédain cruel et vindicatif n'était pas au-dessous de lui. Il serait simplement lui-même. Il n'avait qu'à prononcer de simples petits mots.
Severus ne dit rien.
Les minutes s'écoulèrent et ils restèrent côté à côté à regarder la cour vide, à regarder au-delà des limites de l'école, à regarder la neige tomber et à écouter le vent siffler tout autour d'eux.
« Comment vas-tu ? » Lui demanda Drago après un temps.
« Je ne suis pas encore mort de peur, si c'est ce que tu veux savoir. »
« C'est toujours plus sombre avant l'aube, Severus. »
« Je suppose que ça réfute la théorie de Dumbledore sur la coexistence pacifique. »
« Effectivement. »
« Parfois Severus, nos souvenirs sont tout ce qui nous soutiennent. »
« Il savait, n'est-ce pas ? Et il est resté là à nous dire que tout irait bien, il nous a menti. »
« L'aube viendra, Severus. Il y aura un temps où vous en douterez. »
« Oui. »
« Pourquoi ? » Drago était en colère et il exigeait de connaître la réponse à cette question. Il se tourna vers Severus. « Je ne comprends pas ! Il aurait dû nous dire la vérité. Nous aurions eu le temps de nous préparer, nous aurions pu faire quelque chose pour empêcher -»
Severus le regarda alors. « Qu'aurions-nous pu faire ? » Il s'arrêta. « Savoir que les moldus ne réagiraient pas bien en apprenant notre existence nous aurait aidé comment ? »
« Nous aurions pu les combattre ! »
Il comprenait la raison pour laquelle Albus avait agi ainsi. Cependant la compréhension et la tolérance étaient deux choses entièrement différentes. « Ca, Monsieur Malfoy c'est précisément la raison pour laquelle il ne nous a rien dit. »
Drago grimaça. « Il nous a rendu vulnérable. Le monde entier se tourne vers lui, qu'on l'admette ou non, en espérant trouver en lui un guide. S'il n'avait pas été aussi effrayé, s'il avait réagit en se sentant un peu plus concerné, nous autre aurions pu être prêts ! »
« Pendant quatre décennies, Albus Dumbledore a combattu dans la guerre contre Voldemort, » Répondit Severus, « Il a combattu non seulement pour protéger notre monde et notre culture, mais aussi pour protéger le monde moldu, pour empêcher une guerre entre les moldus et les sorciers. S'il nous avait dit la vérité ce jour-là, combien de temps, à ton avis, aurait-il fallu pour que cela soit brisé ? »
Drago secoua la tête. « La guerre a commencée au moment où ils ont arrêté ces trois sorciers, Severus. »
« Peut-être, » Concéda Severus. « Mais il n'y a pas de victimes. Aucun sorcier et aucune sorcière n'a levé sa baguette contre un moldu : personne n'a prononcé les mots Avada Kedavra. »
Trois semaines étaient passées depuis l'arrivée de la Gazette du Sorcier qui annonçait que l'existence du monde sorcier avait été dévoilée aux moldus. Trois semaines pendant lesquelles le nombre d'arrestations avait augmenté chaque jour, et pendant lesquelles les citoyens moldus de classe moyenne avaient commencé à s'intéresser à toute personne qu'ils jugeaient susceptibles d'appartenir à ce qui était maintenant collectivement connu comme 'l'Ordre de Merlin', c'est à dire, à toutes les personnes qui montraient la plus petite indication qu'elle pourrait être autre chose qu'un humain parfaitement normal et dépourvu de don magique. Pour les raisonner, le Ministère de la Magie avait envoyé des émissaires aux différents gouvernements qui n'avaient pas connaissance de l'existence du monde sorcier, longtemps avant cette fuite, avec l'intention de convaincre le monde moldu que le monde sorcier n'était pas une menace. Les émissaires n'étaient jamais revenus.
La veille, une sorcière du Surrey avait été brûlée. Au même moment, ou presque, un sorcier se promenant innocemment dans Londres avait rencontré un groupe de moldus qui l'avait battu jusqu'à ce qu'il ait une crise cardiaque. Il avait essayé de se battre, non comme un sorcier, ce qui aurait conduit à la mort de plus d'un de ses attaquants, mais comme un moldu. Sa bienveillance, son soutien ardent pour une coexistence pacifique lui avaient presque coûté la vie.
Le monde sorcier marchait sur une ligne fine. Utiliser la magie contre les moldus conforterait leur peur et leur méfiance, et amènerait peut-être la mort du monde sorcier. Se laisser harceler, et maltraiter sans rien faire pour se défendre contre des personnes qui étaient bien moins puissantes rendait beaucoup de citoyens mal à l'aise. Beaucoup se rappelaient Voldemort et Lucius Malfoy. Un nombre croissant de personnes se demandaient maintenant si s'être opposés à eux avait été la décision la plus sage qu'ils aient prises.
« Ils le feront, » Prédit Drago sombrement. « Si les moldus ne les laissent pas tranquille. Toutes les meilleures intentions du monde ne sauveront pas les moldus s'ils tuent un sorcier ou une sorcière, Severus. L'optimisme ne résiste pas à la persécution et à la haine. »
« Que ferais-tu, Drago ? » Lui demanda Severus doucement. Es-tu ton père Drago Malfoy ? Ou es-tu quelqu'un d'autre ? Tout ce temps, tu as porté un masque différent, et pas une fois nous avons vu le visage qui se cache derrière. Quand la ligne sera tracée, où te tiendras-tu ?
Drago soupira, secoua la tête, et regarda les limites de l'école comme s'il cherchait une réponse cachée dans les touffes des arbres, obscurcies par la neige qui tombait d'un ciel blanc. « Je ne sais pas s'il avait raison ou non, Severus. Je me suis battu contre cela toute ma vie. Il y a des moments où j'ai pensé qu'il avait raison, mais il y en a eu autant où je ne pouvais pas être plus en désaccord avec lui que je ne l'étais. »
« Tu n'es pas seul à penser ainsi. » Admit Severus d'une voix douce.
Drago rit, d'un rire voilé, en passant sa main dans ses cheveux et en enlevant ses longues mèches de son visage. « Comment cela aurait-il été ? »
« Quand j'étais enfant, je croyais que des millions de réalités coexistaient avec celle-ci et chacune s'enrayait à partir des choix qui se présentait à nous, par rapport à ceux que nous avons faits et ceux que nous n'avons pas faits. C'était ma consolation, quand je ne parvenais pas à surmonter mon désespoir et ma frustration.
Un sourire amer étira les lèvres de Severus. « Je me disais que pendant que je vivais cette vie, quelque part un autre moi vivait la vie que je désirais tant. S'il y a une réalité à chaque fois que nous faisons un choix, alors il y a une raison pour que nous ressentions et expérimentions tout. Alors quelque part dans un monde bien meilleur que celui-ci, il y a un autre Severus Snape qui ne connaît pas la douleur de la solitude et de la douleur d'avoir eu le cœur brisé. Il a des amis et est heureux, il connaît l'amour et l'espoir. Et tant qu'il sera là, je pourrais supporter ma vie qui aurait pu être sienne. »
Severus regarda Drago et vit le jeune homme le dévisager. C'était étrange, il était toujours obligé de rappeler aux autres qu'il était humain. « Je ne peux pas te dire ce qui aurait pu être. Je ne peux pas voir au-delà de ce monde. Mais je me suis déjà demandé ce qu'il serait advenu si les choses avaient été différentes. »
Drago regarda Severus d'un air pénétrant. « Que vois-tu pour ce monde, Severus ? »
« Je vois sa fin. »
Prononcer ces mots n'auraient pas dû être aussi douloureux.
« Non, » Drago secoua la tête. Il niait cela. « Non, Severus. Ca ne peut pas se finir ainsi. On ne peut pas avoir fait tout ça pour rien. Nous ne pouvons pas le laisser se terminer comme ça. »
« Que pouvons-nous faire ? » Demanda Severus.
« Je ne sais pas. Mais je sais que je ne resterais pas là sans rien faire, à regarder que ça arrive. C'est une fin que je ne peux pas accepter, que je n'accepterai pas. »
« Pourquoi ? » Lui demanda Severus doucement. « Pourquoi t'en soucies-tu ? »
Le regard de Drago fut aussi pénétrant que le sien. « Il y a ceux qui détruiraient le désir de leur cœur plutôt que de voir une autre personne avoir ce que eux ne pourront jamais obtenir. Mais d'autres le défendront parce qu'il est dans un monde qui a désespérément besoin de sa présence. Tu as reçu un don que je n'aurai jamais, Severus. M'en veux-tu de vouloir protéger cela ? »
Et donc tu crée ton propre camp.
« Non, Drago, » Murmura Severus, sa voix n'était pas plus forte que le sifflement du vent. « Je ne peux pas t'en vouloir pour cela. »
« Parfois Severus, nous découvrons qu'il y a des choses que nous ne pouvons pas accepter. Et nous allons à grands pas voir ces choses qui n'arrivent jamais. »
« Est-cela que Harry a fait ? »
« C'est ce que nous faisons tous, quand nous n'avons pas d'autre choix. »
Drago continua à regarder Severus dans les yeux puis tourna la tête vers le paysage enneigé qui s'étendait devant lui. Severus pourtant, continua à l'observer : sa silhouette anguleuse, ses cheveux blonds qui atteignaient maintenant le milieu de son dos, sa posture rigide. Tu es tout ce que Lucius aurait pu être. Tout ce qu'il aurait été si Tom Marvolo n'était jamais né. Si la vie avait été juste, nos positions auraient été inversées. Tu ne devrais pas avoir à porter ces obligations. Et je ne mérite pas le cadeau qui m'a été offert.
Drago se tourna vers lui et étudia son visage. Il avait dû voir quelque chose dans les yeux de Severus ou Drago devait le connaître suffisamment bien pour deviner ses pensées puisqu'il acquiesça lentement. « C'est suffisant, Severus. »
« En es-tu sûr ? »
Les lèvres de Drago se tirèrent en un sourire doux-amer. « Ca doit l'être. »
14 décembre 2003,
Harry,
Les choses ont empiré. Enormément. Suffisamment pour que je regrette les jours où tout le monde avait peur de se faire arrêter.
Les gens ont certainement compris ce qui rend les personnes appartenant à l'Ordre de Merlin différentes et beaucoup essayent maintenant de « laver le monde du mal ». Ils brûlent les maisons de tout ceux soupçonnés de faire parti de l'Ordre, ils détruisent les propriétés et, dans de nombreux cas, battent et brutalisent tout ceux sur qui ils parviennent à mettre la main. Jusqu'à maintenant pas un seul membre de l'Ordre n'a réagi, mais Kévin et moi pensons que c'est n'est qu'une histoire de temps. Après tout, combien de temps peux-tu rester à regarder les gens que tu aimes être brutalisés avant de faire quelque chose ?
Je suis d'accord avec toi, rien n'est compréhensible. Si ces gens étaient dangereux, ils ne se laisseraient pas faire, mais ils ne font rien. Ils ne sont pas passifs, mais ils n'utilisent pas leur « pouvoir démoniaque » pour empêcher ce qui leur arrive. Une personne manipulée par un démon quelconque utiliserait les dons que ce démon lui a donnés, non ?
J'ai peur, Harry. Kévin et moi sommes effrayés. Ca ne peut se terminer que d'une seule manière, et bien que je déteste ce que ceux de notre monde font, je ne veux pas les voir se faire tuer à cause de leur stupidité. Et je ne veux pas voir des innocents, dont le seul crime est de vivre d'une manière que nous ne comprenons pas, se faire massacrer parce qu'ils sont différents. On nous répète sans arrêt à quel point nous sommes civilisés et nous le sommes. Où est la justice là dedans ?
Je n'ai jamais pensé qu'un jour je pourrais détester le fait d'être Américain. Je n'ai jamais pensé qu'un jour je me détesterais d'être un être humain. Mais c'est le cas. Je déteste ce que mon pays est devenu. Et je déteste ce que je suis, de faire parti de cette espèce dont la gloire provoque tant de douleur au sein de son peuple.
J'aimerais pouvoir arrêter cela, Harry. J'aimerais pouvoir faire quelque chose. J'aimerais que nous soyons là avec toi, que tu n'aies pas à faire face à cela seul. Kévin et moi, pensons à toi. Porte-toi bien.
Ben et Kévin.
17 décembre 2003,
Kévin et Ben,
Les choses semblent empirer ici aussi. Tous les jours les assauts prennent un peu plus de force et les dommages sont un peu plus important. Ce n'est qu'une histoire de temps avant qu'une personne ne se fasse tuer. Et la guerre commencera.
C'est drôle de voir à quel point votre vie peut changer rapidement. Une minute tout est comme elle a toujours été. Et la seconde, votre monde s'effondre. Ce premier jour, je n'ai pas arrêté de penser à ce matin-là : c'était comme si tout cela arrivait à une autre personne, dans un autre temps. Je continue à me demander comment j'ai pu être si content ce matin-là, pourquoi je n'ai rien senti venir. On pense être capable de reconnaître les moments qui changent la vie. Mais ce n'est pas le cas.
Nous sommes effrayés. Nous avons si affreusement peur. Et c'est ce qui rend les choses pires encore. Certaines des personnes les plus courageuses que je connaisse, qui ont à peine cligné des yeux en faisant face à la folie de Voldemort, sont maintenant terrifiées. Il est relativement facile de se battre contre des monstres et des fous. Comment se battre contre la fin d'un monde ?
Franchement, je suis content que vous ne soyez pas là. Vous êtes en sécurité, autant que vous puissiez l'être dans cette aliénation. Personne ne vous accuse d'être ce que vous n'êtes pas.
Prenez soin de vous. Ne donnez leur aucune raison de vous suspecter. Tout ce que je peux faire est d'espérer que quelque part, quelqu'un trouve une solution avant qu'il ne soit trop tard.
Harry
20 décembre 2003
Harry,
Voici la dernière lettre que nous t'enverrons.
Je ne sais pas si c'est déjà arrivé en Angleterre, mais ici, ils ont découvert que les membres de l'Ordre communiquent à l'aide de hiboux. Le gouvernement a donné une permission spéciale aux citoyens pour tuer tous les hiboux, quelle que soit leur espèce et qu'ils portent une lettre ou non.
Ils vont permettre de massacrer des animaux innocents, Harry. Ils se fichent de savoir qu'ils peuvent conduire à l'extinction d'une espèce.
J'aurais proposé de prier si j'avais pensé que ça puisse nous aider à en voir la fin. Mais je ne crois plus aux dieux. Un dieu qui permet cela, n'est pas un dieu auquel j'ai envie de croire. Si les dieux demandent du sang, de la violence et des persécutions, je préfère vivre pour l'éternité en enfer plutôt que de participer à leur paradis.
Prends soin de toi. S'il y a une fin à cette folie, nous serons là pour te saluer. Tout notre amour t'accompagne.
Kévin et Ben.
« Quel Noël que celui-ci, » Marmonna Drago amèrement en se jetant dans sa chaise avec un air dégoûté. « Je ne vois pas pourquoi nous faisons cela. » Il fit un geste en direction des élèves qui s'asseyaient et qui attendaient que le dîner soit servi.
« Nous devons manger, Drago. » Lui signala Hermione, d'une voix terne.
Harry ne dit rien. Il regardait silencieusement son assiette vide. Des visions d'autres soirs de Noël dansaient dans son esprit : des rires et des blagues avec Ron et les autres Gryffondors présents dans le dortoir ; se lever pour faire des bêtises avec Ron et Hermione, quand les autres élèves étaient chez eux pour les vacances. Il se souvenait du clin d'œil entendu de Drago, de Severus, d'être sorti indigné des appartements du Maître des Potions qui reniflait d'énervement face à ce recul. Il vit Severus le battre Harry à plate couture à un jeu d'échec sorcier. Ces jours, où Noël était un jour de joie, semblaient très loin aujourd'hui. Pourtant, il pouvait presque se rappeler de ce qu'il ressentait alors.
Il n'y avait aucune joie sur le visage des élèves assis devant la table, aucun rire ne résonnait dans la Grande Salle. Il n'y avait pas de place pour la plaisanterie dans ce climat de peur et de paranoïa.
Harry n'était pas sûr de savoir comment il le faisait, mais il était Albus Dumbledore, après tout, et même au milieu de l'apocalypse, ça signifiait encore quelque chose. Malgré l'arrêt de la poste, le directeur restait en contact avec les familles. Et les parents étaient tous d'accord sur une chose en cette période de vacances : les élèves devaient rester à Poudlard où ils étaient en sécurité, à l'abris du chaos du monde extérieur.
Ainsi, tout le monde était assis à attendre le commencement d'un festin pour lequel personne n'avait l'appétit, assis dans un silence inconfortable qui n'était brisé que par le bruit des pieds, des ustensiles, des couverts et des assiettes poussées sans réel désir sur les tables. Dehors, la neige tombait lentement, couvrait de blanc un monde tombant en ruine, d'un linceul sans couleur. A l'intérieur, le silence de ceux qui pleurent était lourd et accablé du regret poignant de ce qui aurait pu être.
« C'est tout ce que nous avons pour l'instant. » Murmura Harry doucement sans lever la tête.
« Harry ! » Hermione essayait d'avoir une voix réprobatrice. Pour Harry, elle semblait juste fatiguée.
« Pourquoi le nier ? » Lui dit-il sans conviction en haussant les épaules.
Pourquoi s'ennuyer avec tout cela ? Ils tuent des hiboux en ce moment. Et bientôt ils tueront des personnes.
« Tu ne peux pas abandonner comme ça, » Le réprimanda Hermione, sa voix était plus forte qu'avant.
« Trop tard, » Répondit Drago d'un ton acerbe.
« C'est Noël, Hermione, » Harry la regarda. « Et regarde-nous. Nous nous cachons ici, effrayés à l'idée de sortir, effrayés de nous faire lyncher par un groupe de moldus. Ces enfants devraient être avec leurs familles ! Et toi tu devrais être avec Ron. Ron devrait être ici ! Mais où est-il ? Le sais-tu seulement ? »
Le regard noir d'Hermione s'adoucit. « Il sera au Terrier ce soir après le travail. J'y vais avec la poudre de cheminette après le dîner. Le directeur m'a arrangé cela. »
« Bien. » Dit Harry. « Sois prudente pendant que tu es là-bas, d'accord ? »
« Tu sais que je le serai, » Elle s'arrêta, « Mais Harry, tu ne peux pas -»
« Je suis fatigué de me battre, Hermione. Pendant toute ma scolarité je me suis battu : j'ai combattu Voldemort, j'ai combattu pour protéger notre monde, j'ai combattu pour protéger leur monde. Et maintenant, je suis censé me battre encore ? Pour quoi ? Et je suis censé tuer des moldus maintenant ? Je suis fatigué de me battre contre tout le monde ! Je suis fatigué des tueries, de la haine et de la violence ! Tout ce que je veux est un moment de paix ! » Sa voix qui avait commencé à s'élever, se craqua soudain. « Un moment, Hermione. Un misérable moment de paix avant que tout ce que nous connaissons ne se transforme en poussière. »
Harry soupira et regarda à nouveau son assiette, d'un air misérable.
« Harry… » Hermione posa une main sur son bras.
Il était vaguement conscient du regard de Drago. Probablement comme tous les autres. Tout le monde observe Potter l'inutile, Celui Qui Vit Pour Rien. Il a craqué nerveusement. Quand il souffrait d'un autre été sans fin chez les Dursley, Harry avait l'habitude de rêver de la seule maison qu'il connaissait, du seul endroit dans lequel il se sentait heureux. Mais maintenant, sa maison était devenue sa prison, alors qu'il était sur le point de s'effondrer, il n'avait aucun sanctuaire dans lequel il pouvait se réfugier. Il n'avait plus de maison.
Il ne faisait pas vraiment attention au temps passé, perdu dans ses pensées pleines de détresse. Mais après un certain temps, il entendit le son des bancs sur la pierre, il aperçut de vagues mouvements du coin de l'œil. Et une autre main se posa délicatement sur son épaule. Bon sang, Hermione, laisse-moi tranquille.
« Harry. »
Surpris, Harry leva la tête et vit les yeux noirs et brillants de Severus. « Viens avec moi. »
« Albus ? »
Le directeur leva les yeux du parchemin qu'il regardait aveuglément. Il n'avait pas besoin de demander. Ils connaissaient tous les deux la question. « Oui, Minerva. »
Elle ferma les yeux, resserra ses lèvres fines, et un muscle pulsa dans sa mâchoire. Jusqu'à ce qu'elle ouvre les yeux, elle paraissait presque ne pas être affectée. Mais en regardant à l'intérieur, Albus vit toute la douleur qu'elle ne se permettait pas d'exprimer.
« Demain, je le lui dirai. »
Elle secoua la tête. « Non, Albus. Nous le lui dirons. »
Ils regardèrent les feuilles de parchemins éparpillés sur le bureau. Après un moment, elle releva les yeux et jeta un œil furtif en direction de la chambre du directeur. Albus vit ses yeux revenir vers lui et comprit la question qu'elle n'osait pas poser.
« Oui, Minerva. »
C'était au mieux, un sourire timide.
Ensemble, ils regardèrent à nouveau le parchemin.
« Je n'ai pas envie de jouer aux échecs ce soir. » Admit Harry en se laissant tomber sur le canapé. « Désolé. »
« Je n'allais pas te suggérer cela, » Répondit Severus. Il s'assit à côté de lui et lui offrit un verre presque plein d'un liquide doré.
Harry le prit avant de réaliser ce que c'était. « Tu me donnes de l'alcool maintenant ? Mais je pensais que -»
Severus le fit taire. « J'ai pensé que peut-être ce soir, ça ne nous ferait pas de mal de partager un verre. »
« Je n'ai pas vraiment envie de me soûler ce soir, » Répondit Harry sincèrement en buvant une gorgée du liquide. « Qu'est-ce que c'est ? »
« Je n'avais pas prévu une beuverie pour ce soir. » Clarifia Severus doucement. « Et c'est du cognac. Un très vieux cognac que je conservais depuis des années. »
Harry regarda attentivement son verre de cognac. Il avait entendu tout ce que Severus n'avait pas dit. « Nous ne sommes pas obligés de -»
« C'est une habitude absurde que d'attacher à des choses une signification qui n'en a pas. » Murmura Severus. « Ainsi que de les conserver pendant une période indéterminée sous la dénomination trompeuse, 'Pour un Jour Important'. Beaucoup de gens meurent sans avoir utiliser leur babiole, à attendre l'heure magique pour que ce soit bien. Mais il n'y a pas de Bien. Simplement du temps. Un très bon cognac ne doit pas être perdu à cause d'une nostalgie absurde. »
Harry observa les émotions traverser son visage.
Severus haussa un sourcil puis leva son verre. « C'est la seule paix que je connaisse. »
Harry se demanda quand il avait arrêté d'écouter les paroles prononcées par Severus pour n'écouter que les mots qu'ils ne disaient pas. Harry sourit tristement et toucha le verre de Severus. « Il devrait y avoir plus que cela. »
« C'est suffisant pour moi, »
« Severus… »
« C'est plus que je ne le mérite. »
« Nous ne sommes pas revenus à cela, hein ? »
« Non. »
Le silence était amical, ils écoutaient le feu flambait dans la cheminée, buvaient leur cognac librement et ressentaient un simple confort en la présence l'un de l'autre. Les minutes devinrent des heures, et Harry se rendit compte qu'on lui prenait des mains son verre vide.
« Tu t'endors. »
« Tu m'as réveillé. » Murmura Harry en désaccord. Il cligna des paupières d'un air endormi quand Severus lui fit signe de se lever.
« Viens. »
Trop fatigué pour discuter et ayant l'impression que parler briserait l'humeur irréelle dans laquelle il se trouvait, Harry se leva et suivit Severus dans sa chambre. Une fois à l'intérieur, quand la porte fut fermée, Harry sentit la léthargie dans laquelle il était tombé s'en aller. Il avait déjà été dans sa chambre avant mais jamais dans le lit, ce qui était apparemment ce que voulait dire Severus quand il fit un rapide geste de la main.
« Severus ? »
« J'ai pensé que peut-être je pourrais t'offrir une nuit sans rêve. » Il prononça les paroles avec hésitation, comme s'il n'était pas certain de son impact.
Harry cligna d'étonnement. « Comment -»
« J'ai dormi dans la même chambre que toi pendant presque deux ans, » Lui répondit Severus simplement. « Et les rares fois que j'ai partagé ton lit, tu n'as pas fait de cauchemars. »
Parfois, ça lui donnait le vertige. Harry savait ce que Severus ressentait, mais connaître ses sentiments et expérimenter l'impact de ses sentiments étaient deux choses incroyablement différentes. « Severus ».
Un petit sourire étira les lèvres fines de l'homme. « Je peux te frapper le visage avec un oreiller avant de succomber au sommeil, si tu veux. »
Harry ne put s'empêcher de lui rendre son sourire.
Pendant que Severus disparaissait dans la salle de bain, Harry enfila le pyjama que Severus lui avait donné et se mit dans le lit. C'était juste un lit, peu différent des autres lits que Harry avait vus dans sa vie. Mais c'était le lit de Severus. Et ce simple fait changeait tout. Il s'installait confortablement quand Severus revint. Il portait le pyjama en satin noir que Harry connaissait. Il éteignit les bougies d'un geste de la main et se glissa lui aussi dans le lit.
« Quoi ? Pas de bataille de polochons ? » Lui demanda Harry d'un air taquin après quelques instants.
« Je te frapperai demain matin. » Murmura Severus d'une voix douce. « Pour l'instant, profite du seul cadeau que je puisse t'offrir. »
C'est vrai. C'était Noël. « Je ne m'attendais pas -»
« Peut-être pas. Mais ça ne devrait pas être dangereux de sortir du château. »
« Mais ça l'est, » Lui dit Harry. « De plus, je ne pouvais pas demander un meilleur cadeau. »
Severus demeura silencieux. Il aurait pu tout aussi bien dire les mots qui, Harry le savait, traversaient son esprit : simples esprits, simples plaisirs. Harry sourit d'un air narquois dans l'obscurité. C'était drôle, de façon ironique , de voir comment les choses tournent à la fin.
« Harry ? »
« Oui, »
« Que fais-tu ? »
Harry sourit d'un sourire endormi, d'un sourire content, dans l'obscurité et s'installa contre Severus : enveloppa ses bras autour de la taille de l'homme et posa sa tête sur son épaule. « Profite de mon cadeau. » Murmura-t-il à la colonne vertébrale de Severus.
« Je …Bonne nui, Harry. »
« 'Nuit, Severus. »
Pendant un instant, juste avant de sombrer dans le sommeil, Harry eut l'impression de sentir la légère pression du bras de Severus sur son dos, le tenant près de lui, comme une étreinte.
Il relâcha le souffle qu'il n'était pas conscient de retenir. Drago ferma doucement le livre, le mit sur ses genoux et regarda la couverture d'un air absent. Maintenant, je sais. Après tout ce temps, après toutes ces questions, j'ai finalement compris. Son regard s'assombrit. Je regrette d'avoir compris.
Une chose était imprégnée à la naissance d'un Malfoy : la haine. Lucius était la quintessence des Malfoy, et de lui, Drago avait appris l'art de haïr. Dans les premières années de sa vie, il avait eu beaucoup de pratique et promettait de devenir comme son père. Et bien qu'il pouvait haïr, Drago n'avait jamais été capable de conserver la rancœur immuable, brûlante et malveillante qui bouillonnait chez son père. Après un temps, il avait perdu de l'intérêt à détester les autres et il n'avait plus l'énergie nécessaire à haïr. C'était fatigant, c'était inutile et à la fin, Drago avait trouvé que l'apathie lui était bien plus profitable que l'antipathie. De plus, la haine s'emmêlait et s'entortillait avec d'autres choses quand elle était restée trop longtemps à suppurer.
Mais pour l'instant, Drago aurait aimé pouvoir faire appel à cette haine que son père aimait tellement ressentir. Il aurait aimé pourvoir haïr cet homme pour ce qu'il avait fait, pour ce qu'il avait demandé à Drago de faire. Mais il ne pouvait pas, parce que finalement, après tout ce temps, il comprenait. Maudit soit cet homme, Drago comprenait finalement.
Il ne pouvait pas haïr son père. Mais il était très facile, il le découvrit en fermant le livre, de se haïr.
Agité et ressentant un profond dégoût envers lui-même et sa famille, Drago remit le livre sur la table, se leva, s'éloigna de la chaise comme s'il pouvait mettre à distance la charge qu'on lui avait laissée. Il y a un temps où je me serais délecté à faire ce que tu m'as demandé. Mais maintenant…
« Les vrais amis ne se trahissent pas. »
Drago s'arrêta brusquement et alla vers le miroir de sa chambre. Il regarda son reflet, sourit légèrement, un sourire cruel, qui n'atteignit pas ses oreilles. Ne le font-ils pas ?
« Tu as tort, Harry, » Murmura-t-il d'une voix rauque et regardant dans ses yeux maussades. « Les vrais amis se trahissent tout le temps. N'as-tu pas remarqué ? Seules les personnes en qui tu fais confiance peuvent te faire souffrir. Tes amis sont les seuls qui peuvent te trahir. »
Ce n'est qu'un jeu pour toi, n'est-ce pas ? Pensa Drago avec colère. Son regard balayait son reflet. Même après tout ce temps, tu refuses encore d'admettre que tu as perdu. Il plissa les yeux. Je n'ai pas d'autre choix que de faire ce que tu m'as demandé. Mais je ne suis pas ta marionnette. Ses lèvres tirèrent sur ses dents et il gronda silencieusement. Il serra son poing. Il y a suffisamment de douleur, suffisamment de tristesse. Je n'en ajouterai pas. Je ne prendrai pas le temps précieux qu'il nous reste. Si nous traversons cela, si nous voyons le soleil se lever sur ce cauchemar sans fin, alors je ferai ce que tu m'as prié de faire. Le grondement devint revanchard, un sourire méchant et méprisant. Mais quelles en sont les chances ?
Drago regarda avec un détachement froid et sans émotion, les éclats du miroir brisé tombés sur le sol. Il ne les regarda pas, ne les vit pas tomber le sang qui tombait goutte après goutte de sa main. « Joyeux Noël, père. »
