« Joyeux Noël. »
Les mots froids et ironiques, prononcés dans un corridor que Harry croyait vide, le surprirent et il s'arrêta sur le pas de la porte. Il regarda sur sa gauche et vit Drago appuyé contre un mur, les bras croisés sur sa poitrine. Il portait un pantalon et un pull noir. Ses cheveux étaient détachés. S'il en jugeait, par sa tenue, les cercles noirs sous ses yeux, et son visage plus pale encore qu'à l'ordinaire, Harry devinait que Drago n'avait pas dû beaucoup dormir la nuit dernière.
« Que fais-tu -» Commença Harry. Mais il fut coupé par une voix énervée derrière lui.
« As-tu décidé de bouger dans les prochaines heures ou espères-tu installer un camp sur le pas de la porte ? »
Surpris pour la deuxième fois en quelques minutes, Harry sursauta, mais se déplaça. Drago décroisa ses bras et se redressa quand Severus sortit pour fermer la porte derrière lui avant de tourner son attention vers le jeune Serpentard.
« Que faites-vous ici, Monsieur Malfoy ? »
Drago haussa les épaules. « J'attendais que vous vous leviez. »
« Comment savais-tu que j'étais là ? » Lui demanda Harry avec curiosité en attendant que les pulsions de son cœur reprennent un rythme normal.
« Du bon sens et de l'observation. » Répondit Drago sarcastiquement. « Deux facultés surprenantes par leur utilité, mais je doute que tu en aies entendu parler. »
« De toutes les choses que tu pourrais faire, tu as choisi d'attendre à côté des cachots pour m'insulter ? » Harry fit semblant d'être étonné et content. « Drago, je suis touché. »
« Dans la tête, » Murmura Severus doucement, mais pas suffisamment pour empêcher les deux autres de l'entendre.
Drago lui sourit.
« Mille mercis, » Grommela Harry en le regardant avec une grimace.
Severus le lui rendit et la ligne terne de ses lèvres se redressa en un demi-sourire.
« Bien, si nous avons fini ici, » Harry les regarda tous les deux avec des yeux noirs, « peut-être pouvons-nous aller prendre notre petit déjeuner avant qu'il ne soit terminé. »
Ils avaient atteint les escaliers qui mènent aux étages supérieurs quand Drago reprit la parole. Il arrêta momentanément leur avancée.
« Que penseriez-vous de sécher le petit déjeuner ce matin ? » Suggéra-t-il plein d'espoir, en regardant Severus et Harry l'un après l'autre.
Severus le regarda méfiance.
Harry fronça les sourcils, « Pourquoi ? »
« Vous n'avez jamais remarqué que les mauvaises nouvelles arrivent toujours au petit déjeuner ? »
« C'est simplement l'heure à laquelle les journaux arrivent. » Harry leva les yeux au ciel. « Ne pas y aller n'empêchera pas les journaux d'être distribués. »
Drago poussa un profond soupir. « Je sais. »
Il y avait un brin d'appréhension et d'impuissance dans la voix de l'homme et Harry regarda Drago pour réévaluer ce qu'il avait vraiment dit. « Hé, nous nous en sortirons, hein ? »
Drago chercha ses yeux un instant, puis répondit avec réticence, « Quelque part, » Puis alors qu'ils s'étaient remis à marcher, il marmonna dans sa barbe, « Je l'espère. »
Cependant il n'y avait rien de mauvais augure dans la Gazette du Sorcier, qui les attendait, quand ils arrivèrent dans la Grande Salle. Et les murs ne résonnaient pas de cris paniqués. En fait, l'absence d'Hermione fut la seule chose qui permit à la scène d'être différente de celle de la soirée précédente.
« Je me demande si elle et Ron se sont amusés. » Songea Harry en s'asseyant.
L'expression sur le visage de Drago semblait hésiter entre la grimace et le sourire. « Je préfère ne pas penser à cela, merci. »
« Que -» Commença Harry incertain de ce que Drago voulait dire. Quand il comprit, il secoua la tête. « Tu es un idiot. »
Drago haussa un sourcil. « C'est toi qui parle d'idiotie. Au moins, je sais quoi faire quand deux personnes intimement liées sont seules ! »
« Je sais quoi faire ! »Lui rétorqua Harry. « Ce n'est pas parce que je ne suis pas dévergondé, que je suis complètement ignorant. »
« Je ne suis pas dévergondé. »
« J'ai entendu ce qu'il s'était passé quand nous étions en Septième Année ! »
« Ce n'était qu'une rumeur ! »
« Pourtant, tout le monde a entendu, ce que Pansy et Milicent racontaient. » Le contra Harry sur un ton suffisant.
« Es-tu devenu complètement sourd ? » Drago le dévisagea. Il n'en croyait pas ses oreilles. « Bien qu'elles l'aient souhaité, Pansy et Milicent n'avaient pas connaissance de ma vie sexuelle ! »
« Ah ouais ? Et qui alors ? Crabbe et Goyle ? » Harry sourit en coin.
Drago le regardait avec des yeux noirs. Il plissa les paupières. « Combien de personnes as-tu embrassé, Potter ? » Lui demanda-t-il doucement.
« Pas beaucoup. » Harry haussa les épaules et dit doucement, au cas où on aurait écouté leur conversation « Cho m'a embrassé une fois ou deux, Hermione m'a embrassé sur la joue, tu m'as embrassé, et bien sûr il y a -»
« Oui, oui. Je ne t'ai pas demandé la foutu liste. » Claqua Drago en remuant ses mains d'un air impatient. « Allons droit au but. Es-tu puceau ? »
« Oui, » Répondit Harry d'un air vexé. Il s'arrêta quand ses pensées voyagèrent vers un été particulier qui selon Severus ne s'est jamais passé. « Euh, en quelque sorte. »
Drago leva les yeux au ciel. « En quelque sorte ? Bon sang, comment peux-tu être en quelque sorte puceau ? »
« Ca dépend de ce que tu veux dire. Si tu…Ah… » Balbutia Harry. Il remarqua, pour la première fois, que Severus le regardait avec des yeux noirs, de sa place à côté de Drago. « C'est que, eh bien… Merde, tu sais ce que je veux dire ! »
Un sourire joua sur les lèvres de Drago. « Oui, effectivement, je le sais. » Il regarda Severus. « Qu'en penses-tu Severus ? Est-ce que 'en quelque sorte' décrit correctement le degré de sa pureté ? »
« Monsieur Malfoy… » Grogna Severus pour le prévenir.
« Quoi ? » Drago fit semblant de paraître surpris. « Tu étais là, non ? »
Severus prit sa tasse de thé et l'étudia très attentivement avant de regarder à nouveau Drago. « Le thé est plutôt chaud ce matin, ne trouves-tu pas ? »
« Je crois. »
« Alors si tu crois, ne pas vouloir être ébouillanté par du thé qui se serait renversé sur tes genoux, je te conseille de te taire. » Lui dit Severus sur une fausse note de conversation.
« Tu as le point. » Drago se tourna vers Harry qui lui souriait d'un air mauvais. « Si on fait les comptes, Potter, le dévergondé, ce serait toi le dévergondé, pas moi. »
Harry cligna des yeux. Il ne souriait plus. « Quoi ? »
« Oh, comme la conversation s'est retournée. » Murmura Drago, satisfait de lui.
« Je ne suis pas dévergondé ! » Objecta Harry.
« Même une chose aussi ridicule qu'en 'quelque sorte' ne l'emporte sur un puceau complet, Potter. »
« Te moques-tu de moi ? Mais et tout -»
« Ce n'est pas parce que je sais ce qu'il faut faire que je l'ai prouvé. Contrairement à certaines personnes, » Ajouta Drago d'un air désapprobateur.
« Pourquoi, » Demanda Severus une fois que Drago et Harry furent silencieux, «est-ce que ce genre de conversation a toujours lieu pendant que d'autres essaient de manger ? »
« Tu ne manges rien de toute façon. » Lui signala Drago.
« Je me demande pourquoi. »
« Mais tu -» Harry avait des difficultés à se faire à la révélation de Drago ;
Drago leva les yeux au ciel. « As-tu déjà regardé les personnes de ma maison, Potter ? Etre un Serpentard et un Malfoy en plein milieu de la petite guerre menée par Voldemort, quand le monde sorcier tout entier sait que mon père était son plus fidèle allié, a plutôt limité mes options. Et contrairement à ce que nos camarades, faibles d'esprit, pensaient de moi, j'ai des critères. »
Harry fronça les sourcils et le regarda attentivement. « C'est drôle, j'ai toujours cru que-»
« J'étais dévergondé. Oui, j'avais compris. » Marmonna Drago, sarcastique.
« Non, c'est ce que tout le monde pensait. » Clarifia Harry gentiment.
« Eh bien, c'est pour le mieux, alors ? »
« Ce que je veux dire » Continua Harry en l'ignorant, « c'est que par rapport à ce que tu as dit, j'ai pensé qu'il y avait eu quelqu'un dans ta vie. »
« Il y a de nombreuses personnes dans ma vie, » Lui répondit Drago catégoriquement, en montrant de la main toutes les personnes présentes dans la Grande Salle. « Regarde-les tous. »
« Tu es obtus et tu le fais exprès. » Dit Harry en serrant les dents.
Drago resta bouche bée devant lui. « Incroyable ! Non seulement tu connais le mot, mais en plus, tu sais l'employer correctement ! Bien joué, Potter. »
« Drago… »
Drago exhala un long et douloureux soupir. « A un moment dans sa vie, tout le monde aime quelqu'un. Je suppose que c'est le prix que nous avons à payer pour être vivant. »
« On dirait que pour toi c'est une sorte de malédiction. »
Le regard de Drago aurait pu couper le marbre. « Etais-tu reconnaissant d'avoir cette capacité l'année dernière ? »
Harry tressaillit au souvenir. Il se souvenait à quel point il avait souffert quand Drago parlait de Severus avec Kévin et Ben. Il se souvenait de la douloureuse solitude quand il se tournait pour partager une pensée avec l'homme et découvrait qu'il n'était pas là. Il se souvenait que sa vie lui avait paru inutile quand il n'avait personne avec qui la partager. « Drago, je -»
« N'ai pas pitié de moi, » Claqua Drago en le regardant avec des yeux noirs. « C'est ainsi, c'est tout. »
« Je n'ai pas pitié de toi. » Lui dit simplement Harry. « Je comprends, c'est tout. »
« Comme c'est gentil, » Lui dit Drago d'une voix bizarre. « Maintenant pouvons-nous arrêter de jouer au psychologue et laisser tomber ? »
« Tu as commencé ! » Protesta Harry.
« Non, tu as commencé. » Le contra Drago. « Je me moquais simplement de toi pour me divertir. Tu as simplement étendu la conversation sur des choses dont nous n'avions pas à parler. »
« Mais -»
« Laisse-tomber ! »
C'est la dernière fois que je me soucie de quelqu'un d'autre, pensa Drago avec humeur en attendant avec les autres professeurs que les élèves sortent pour pouvoir lui-même quitter la salle. La prochaine fois, je crois que je veux sécher le petit déjeuner, je le ferai et le reste du monde pourra être maudit. Potter, tu es stupide et indiscret. Pour son mérite le Gryffondor avait laissé tomber. Et, Drago avait remarqué que Potter voulait poser des questions, mais ne l'avait pas fait.
C'était Noël. Les professeurs et les élèves ne travaillaient pas aujourd'hui. Ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient du moment qu'ils ne sortaient pas du château. Après sa nuit blanche, et sa désastreuse matinée, Drago pensait sérieusement faire un détour aux cuisines pour demander une boisson particulièrement forte aux elfes de maison. Il n'avait pas de responsabilité à assumer et il savait qu'il ne manquerait à personne s'il passait le reste de la journée à ruminer dans ses quartiers.
« Drago ? »
Drago regarda avec des yeux noirs le foutu et exécrable con qui essayait de lui parler. Vas-t-en. Prends Snape et laisse-moi tranquille. « Quoi ? »
« Je voulais te demander -»
Oh putain. Il recommence.
« - qu'est-il arrivé à ta main ? »
« Je-…Quoi ? » Ce n'était pas la question à laquelle il s'attendait.
« Ta main. » Lui répéta Potter. « Je l'ai remarqué tout à l'heure mais j'ai oublié de te poser la question. »
Drago regarda rapidement sa main, qu'il avait enveloppée du mieux qu'il put avec une bande. « Du verre brisé, » Répondit-il brièvement. Il ne voulait pas non plus parler de cela.
« Pourquoi ne pas -»
« Harry ? »
Ils se retournèrent tous les deux et virent Albus Dumbledore et Minerva MacGonagall. Ils s'étaient rapprochés d'eux pendant qu'ils discutaient.
« Oui ? » Demanda Harry avec curiosité.
Dumbledore et MacGonagall échangèrent un regard.
Drago plissa les paupières. Il y avait quelque chose dans les yeux de MacGonagall. Quelque chose qu'il ne voyait pas d'habitude. Quelque chose ne va pas. Il croisa les yeux de Snape pour lui communiquer ses soupçons. Soit c'était plus facile qu'il ne l'avait cru, soit Snape avait vu le regard de MacGonagall parce qu'il inclina imperceptiblement la tête.
« Pouvons-nous te parler Harry ? » Lui demanda Dumbledore d'une voix douce.
« Maintenant ? »
Dumbledore acquiesça.
« Bien sûr. » Répondit Potter aimablement. Il se tourna vers Drago et Snape. « Puis-je vous voir tout à l'heure ? »
Drago haussa les épaules et haussa un sourcil en regarda Snape. En face d'un mal commun, il mit ses pensées présentes de côté et s'intéressa à des préoccupations plus importantes. Or tout ce qui impliquait Dumbledore et MacGonagall, qui paraissait sérieux, ne pouvait être que de mauvaise augure.
« Nous serons dans mon bureau, » Répondit Snape à la question de Potter.
Potter hocha de la tête et suivit Dumbledore et MacGonagall.
Drago et Snape les regardèrent partirent, les suivirent du regard jusqu'à ce qu'ils aient quitté la Grande Salle. Ils n'échangèrent un regard que lorsque qu'ils disparurent totalement de leur vue.
« Quelque chose ne va pas. » Drago jeta un coup d'œil vers la porte. C'était au moins la centième fois qu'il le répétait depuis qu'ils étaient entrés dans le bureau de Severus. « Il aurait déjà dû revenir. »
« Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. » Lui accorda Severus sombrement. « Surtout s'il s'agit d'une réunion avec Albus et Minerva. »
« De quoi penses-tu qu'il s'agisse ? »
Severus fronça les sourcils d'un air dégoûté. « Pourquoi est-ce que dès qu'on se pose une question on vient chercher des réponses auprès de moi ? »
« Tu fais dans l'exagération Severus ? » Lui demanda Drago sur le ton de la plaisanterie. Mais sa voix manquait de conviction et n'était pas aussi acerbe que d'habitude. « Ou, le monde s'est-il soudainement réduit à Potter et à moi ? »
Severus étudia le jeune homme. Il vit son expression fatiguée et la lueur hantée présente dans son regard. Ses yeux se posèrent sur le bandage qui enveloppait la main de Drago. « Que s'est-il passé ? »
Drago suivit son regard. Il serra les lèvres quand il vit ce que regardait Severus. « Je suppose que tu n'accepteras pas 'Je ne veux pas en parler' comme réponse ? »
Severus secoua la tête. « Tu ne t'es pas soigné ? »
Drago haussa les épaules. « Ca ne fait pas très mal. »
« Ca te fait suffisamment mal, » Répondit Severus avec perspicacité.
« Oui. »
Ils se regardèrent fixement.
« Pourquoi ? » Lui demanda Severus après quelques instants de silence.
« J'étais fatigué de regarder dans le miroir. » Drago avait une voix terne. Ses yeux qui autrefois brillaient de fierté étaient vaincus.
« Tu n'es pas ton père. »
Un sourire amer étira les lèvres de Drago. « Non ? »
« Lucius ne ressentirait pas ce que tu ressens. » Lui dit Severus d'une voix lente. Il choisit ses mots avec une attention qui ne lui ressemblait pas.
Drago détourna son regard. « Pourquoi n'es-tu pas en colère contre moi ? »
« Parce que je comprends. » Répondit-il simplement.
Drago tressaillit comme si Severus l'avait frappé. « Est-ce aussi simple que cela ? La compréhension empêche-t-elle de se sentir en colère ? »
« Non. C'est nous qui déterminons la manière dont nous réagissons. »
Quand il tourna finalement la tête pour regarder Severus, les yeux de Drago étaient tourmentés. « Je ne le veux pas. »
« Je sais. »
« Il n'y a pas de réponse, si ? »
« S'il y en a une, je ne l'ai pas encore trouvée. Et je l'ai cherché pendant des années. Je n'ai jamais demandé à aimer ton père. »
Drago acquiesça. « L'histoire de ma vie. » Le lamenta-il d'un air désolé.
« Ca l'est toujours. » Murmura Severus doucement.
« De te fabula, » Murmura Drago.
D'une génération à la suivante… « Je suis désolé, Drago » Et il l'était. Si on lui avait posé la question des années auparavant, il n'aurait pas cru possible de ressentir autre chose que du mépris pour le fils de Lucius Malfoy. Mais maintenant, eh bien, maintenant, il comprenait aussi. « Si -»
Les yeux de Drago brillèrent d'une lueur furieuse. Il secoua la tête. « Non. Je ne voudrais pas que les choses soient différentes. »
« Pourquoi ? »
« Il vaut mieux que ce soit moi. » Drago sourit, fatigué et vieux. « Je n'ai jamais connu rien d'autre. Et tu as marché sur ce chemin pendant trop longtemps. C'est mon tour maintenant. Pas le tien. »
Et voilà, on se demande encore qui tu es. Pensa Severus en regardant le jeune homme assis devant lui. Ta ressemblance avec Lucius est superficielle. Tu n'es pas comme lui. Je le sais. Je l'ai cherché dans tes yeux quand je t'ai vu ici l'année dernière.
« Il y a pire dans la vie que d'aimer, » Drago s'arrêta et ajouta sèchement. « Je n'ai pas encore trouvé quoi, c'est tout. »
Le passé et le futur potentiel se dessinèrent dans l'esprit de Severus. « J'espère que tu ne trouveras jamais. »
Il n'était pas conscient des mots qui quittaient sa gorge. Ses yeux ne voyaient pas, ne se rendaient pas compte qu'il voyageait par cheminée. Il ne sentit pas l'impact quand il atterrit dans la cheminée. Il ne sentit pas qu'il s'était écorché les mains sur la pierre quand il trébucha.
Il ne sentait plus rien.
Il ne savait pas combien de temps s 'était écoulé depuis qu'il était entré dans le bureau du directeur. Ca devait faire un long moment. Il se souvenait de leur discussion.
Non !
Son esprit se détacha du souvenir.
Il pouvait se souvenir de ce matin. Il n'y avait pas de risque. Il pouvait se rappeler avoir plaisanter avec Drago. Il n'y avait aucune douleur dans ce souvenir.
Quand sa mémoire avança dans le temps et inclut l'image d'Albus et de Minerva, il se mit à trembler.
Trois mots. Il n'avait fallu que trois mots…
Non !
Il se rendit vaguement compte que des personnes se tenaient devant lui.
Il détourna son regard.
Trop douloureux. Les regarder le faisait beaucoup trop souffrir.
Un visage différent ressortait de la foule de fantômes qui voletaient autour de lui. Cette fois, la douleur était différente. Il pouvait regarder ce visage, sans reculer de terreur et de culpabilité.
Il regarda les yeux rouges, brillant de larmes, les traces de celles qui avaient roulées sur ses joues.
Il se souvint, la torpeur s'en alla.
Une boule dans sa gorge l'étranglait, une douleur lui comprimait la poitrine. Ses yeux le brûlaient. Il avait l'impression de suffoquer. Il avait l'impression de se noyer. Il avait l'impression d'être mis en morceau. Le passé l'envahit. Il avait l'impression que ses souvenirs l'étouffaient.
« Oh, Harry ! » Cria Hermione d'une voix cassée. Elle se jeta dans ses bras et mit ses bras autour de lui.
Ses paroles brisèrent sa paralysie. Ses bras se resserrèrent convulsivement autour d'elle, il posa la tête sur son épaule et pleura.
« Mais bon sang, qu'est-ce qui se passe ? » Siffla Drago en entrant dans la Grande Salle.
« Je ne sais pas. » Marmonna Severus, mal à l'aise. Il refit le tour de la pièce des yeux, irrationnellement, de peur de ne pas avoir vu Harry la première fois. Mais, à sa place, il vit qu'Albus le regardait attentivement.
Que se passe-t-il ? Pensa Severus avec colère en écho aux paroles de Drago. Il plissa les yeux tout en soutenant le regard du directeur. Où est-il ?
Cette fois, ce fut Albus qui détourna les yeux le premier. Son malaise se transforma en alarme.
« Severus… » Apparemment Drago avait remarqué le geste.
« Je sais. »
Quelque chose ne va pas. Severus sentait les poils de son cou se hérisser alors que lui et Drago se rapprochaient de la table. Il s'y attendait, il le craignait, mais Severus supporta le contact sans rien dire quand Albus toucha son bras quand lui et Drago passèrent devant lui.
« Puis-je avoir un mot avec vous après le déjeuner, Severus ? » Les yeux bleus du directeur se tournèrent vers Drago « Et avec vous aussi, Drago ? »
« Oui, » Répondit Severus brièvement pendant que Drago hochait la tête, sans rien dire.
La manière dont Albus lui tapota le bras lui donna envi de crier.
« Nous sommes censés nous asseoir ici, maintenant ? » Grogna Drago, une fois qu'ils se furent assis. « Nous devons manger et faire comme si tout allait bien ? »
Il fallut à Severus un effort considérable pour ouvrir son poing. « C'est exactement ce que nous devons faire. »
« Merde. »
« Exactement mon opinion. »
Le repas fut laborieux et le temps s'écoula lentement. Quand la nourriture disparut finalement et que les élèves se dirigèrent vers la sortie, Severus était au bord d'une rage meurtrière. Les yeux de Drago étaient aussi froids que des morceaux de glace et Severus devina qu'il devait ressentir la même chose que lui. Pourtant, ce ne fut que lorsque la salle fut entièrement vide qu'Albus se dirigea vers eux.
« Que se passe-t-il, Albus ? » Exigea de savoir Severus. Il se leva quand le vieil homme s'arrêta près d'eux. Drago fit de même.
Albus regarda Severus dans les yeux noirs de celui-ci. Il ne bougea pas. Il lui fallut un moment pour démêler les différentes émotions qu'il pouvait percevoir dans les yeux saphir du vieil homme. Il n'aima pas ce qu'il y vit.
« On a tiré sur Ron Weasley. » Répondit Albus simplement.
Ce n'était pas les mots eux-mêmes, mais la tristesse de ses yeux qui obligea Severus à détourner le regard. Il n'avait pas à demander. La réponse était inscrite sur le visage d'Albus, dans l'absence d'Harry. C'est ainsi que ça commence, réalisa Severus avec une horreur grandissante. C'est ainsi que commence la fin.
Les paroles de Drago lui revinrent alors, comme si une prophétie involontaire venait d'être à contre cœur réalisée. « Toutes les bonnes intentions du monde ne sauveront pas les moldus s'ils tuent une sorcière ou un sorcier, Severus. » La panique glissa dans sa vision éveillée, celle d'un cauchemar qui commençait à se dessiner dans son esprit.
« D'accord… » La voix de Drago le sortit de sa rêverie. Et avec difficulté, Severus se concentra sur le jeune Serpentard. Il remarqua, pour la première fois, la confusion qui se peignait sur le visage de Drago quand il oscilla des yeux d'Albus à Severus. « Alors ? »
« On lui a tiré dessus avec un revolver, Drago. » Lui dit Albus gentiment.
« Un quoi ? » Drago regarda le directeur d'un air ébahi.
Tardivement, Severus se souvint que ce que Drago connaissait des moldus pouvait tenir dans le bout de sa baguette et il restait de la place. « Weasley est mort. » Agacé, il serra les dents, surpris d'entendre que sa voix était aussi rauque.
Drago se retourna rapidement pour le regarder, en état de choc. « Quoi ? Mais comment -»
« Je vais expliquer. » Lui dit Albus doucement. Drago détourna son attention de Severus.
Qu'y a-t-il à expliquer Albus ? Notre monde est mort. Il l'avait su, au moment même où la gazette du Sorcier leur avait apporté les nouvelles. Mais ce savoir, malgré sa certitude, avait été tempéré par des hypothèses. Les hypothèses n'étaient pas un fait. Et rien ne pouvait préparer à la destruction d'un monde, même à une personne telle que Severus, qui s'y attendait depuis presque deux mois.
« Nous pensons qu'il s'est arrêté avant de rentrer chez lui pour acheter un cadeau de dernière minute. » Disait Albus. Severus chercha désespérément à s'accrocher à ses pensées fragmentaires, à essayer de se concentrer sur le dernier chapitre de ce que fut la vie de Ronald Weasley. « Personne n'en est certain, il n'y avait aucun témoin sorcier, mais son corps a été retrouvé dans une ruelle du centre commercial de Londres. Les représentants du Ministère qui sont allés là bas, disent qu'il y avait des marques de strangulation sur son corps, comme si on lui avait tiré dessus après coup. On pense qu'on a voulu lui donner une raclée et que ça a mal tourné. »
« Comment l'a-t-on retrouvé ? » Demanda Drago, le visage cendreux.
« Molly Weasley à une horloge absolument unique. »Répondit Albus tristement. « Qui montre où se trouve chacun des membres de sa famille. Ils ont su presque immédiatement ce qui s'était passé. »
Severus n'avait jamais vu le clan des Weasley autrement que comme une nuisance, comme un groupe de souris dans les murs du château dont on ne pouvait pas se débarrasser. Mais maintenant, il voyait clairement la matriarche du clan jeter de fréquents coups d'œil à son horloge, un geste habituel qui lui désignait depuis longtemps où se trouvait sa progéniture. Et il imaginait le refus horrifié se peindre sur son visage quand elle vit que son fils ne reviendrait plus. Apparemment son empathie nouvellement découverte ne se terminait pas avec Drago.
Voilà qui est bien, il faut que la fin du monde arrive pour que je me soucie suffisamment des autres pour voir le monde à travers les yeux d'un autre, pensa Severus avec un amusement morbide et ironique. C'était plus simple ainsi. La seule autre option était de paniquer, d'être terrifié. Et Severus n'avait jamais été le genre de personne à perdre le contrôle de lui-même aussi facilement.
« Et Potter et Granger ? » Severus avait des soupçons, mais il était fatigué de faire des hypothèses.
« Ils sont au Terrier, » Confirma Albus, en hochant la tête. « J'espère qu'ils seront de retour demain. »
Vous espérez ? Severus entendit la légère intonation qu'Albus avait mise dans ses mots. « La guerre a commencé. » Ce n'était pas une question.
« Oui. »
Severus accrocha son regard à celui d'Albus. Il cherchait des réponses aux questions qu'il ne savait pas comment poser. L'impénétrable forteresse qu'était l'esprit du plus grand sorcier que le monde ait connu, était devenue transparente face à l'examen de Severus. Dans ses yeux, Severus vit le remords, la tristesse, la culpabilité et la douleur. Il voyait qu'il se cramponnait à un espoir fragile. Severus connaissait le directeur depuis des années, et pendant tout ce temps qu'il avait combattu à ses côtés, il n'avait jamais paru aussi vieux, aussi mortel.
« Albus… » Les mots quittèrent sa bouche sans qu'il l'ait décidé.
« Il y a encore du temps, Severus, » Murmura Albus puis il secoua la tête d'un air dédaigneux. « Ce n'est ni le temps ni le moment. » Il regarda Severus puis Drago. « Quand Harry reviendra… »
Severus vit un muscle pulsait dans la mâchoire de Drago. « Je ne suis pas un imbécile, Professeur, » Marmonna le blond avec colère.
« Ce n'est pas ce que je voulais dire. » Lui répondit Albus avec douceur. « Je voulais simplement vous prévenir. »
« A quel sujet ? »
« Le chagrin peut changer l'esprit, Drago. Essayez de ne pas vous offenser si Harry s'énerve sur l'injustice d'événements terminés depuis longtemps. »
Drago le regarda longuement avant d'acquiescer. « Je comprends ce que vous me dites. »
Albus le regarda avec attention. « Oui. Eh bien…Il y a tant de choses que je dois faire aujourd'hui. Je voulais simplement vous préparer. »
Severus se leva silencieusement avec Drago et Albus sortit. Une fois le directeur partit, le vide de la Grande Salle s'enfonça en lui.
« Severus ? » Demanda Drago doucement.
« Oui, Monsieur Malfoy ? »
« Est-ce que tu penses que…juste pour cette fois, je pourrais -»
Il n'avait pas besoin de finir sa question.
« Etant donné les circonstances, Monsieur Malfoy, je crois que ce serait très bien. »
Le vide continua à se resserrer autour de lui.
Avec précaution, Drago ouvrit les yeux. Il y avait peu de lumière dans la pièce, mais elle frappait sa tête comme un rasoir ou une lame l'aurait fait. Il grimaça et les referma. Le sol…et la chaise… bon sang, où était-il de toute façon ?... tournaient autour de lui. Oh Seigneur. Je vais vomir.
Il serra les dents pour contrer son traître d'estomac, Drago combattit la nausée jusqu'à ce que tout s'arrête de tourner. Lentement, Drago se lécha ses lèvres sèches. Le goût lui fit remonter sa nausée. Il fit appel à toute sa volonté pour garder la substance qui bouillonnait dans son estomac. Il souhaitait en même temps que l'elfe de maison qui essayait de dévisser sa tête le fasse et le laisse tranquille.
C'est la dernière fois que je fais ça .Je suis un sacré idiot.
Alors que son estomac se calmait à nouveau, Drago se risqua à ouvrir ses yeux. Cette fois, il parvint à se concentrer sur le goblet posé sur la table devant lui. Avant que sa tête douloureuse ne comprenne qu'il bougeait, Drago se pencha pour prendre le verre et avala le contenu d'un trait, pour que son estomac ne puisse pas le rejeter. Après quelques secondes, les effets d'une nuit de beuverie disparurent.
Après le dîner pendant lequel lui comme Severus étaient restés silencieux, ils s'étaient retirés dans les quartiers de Severus et ce dernier avait sorti une bouteille de quelque chose, mais Drago n'avait pas demandé de quoi il s'agissait. Un verre devint deux qui devint quatre, et après deux bouteilles, tout était devenu noir.
Nous nous sommes saoulés, Severus et moi jusqu'à ce que l'on perde conscience, pensa Drago avec amusement. Il observa le lit improvisé. A un certain moment, et il était sûr que c'était un fait de Severus, un drap s'était retrouvé sur lui et il était à présent emmêlé dans ses jambes. Attends que Potter entende parler de ceci.
Abruptement, l'amnésie alcoolique de Drago disparut et les raisons pour lesquelles il avait bu frappa ses défenses et s'incrustèrent dans son esprit. Potter.. Oh mon dieu…Weasley…
Drago s'assit, enleva le drap, et fit le tour de la pièce des yeux mais Severus n'était pas là. Bon sang, où est-il ? Oh ouais. C'est vrai, il a un cours tôt ce matin…Cours…cours, cours… Oh, fils de pute !
Il se leva rapidement, se fit une note pour remercier Severus pour la potion et sortit à toute allure. Il était à mi-chemin quand il réalisa que même si les élèves n'avaient pas pu retourner chez eux pour les vacances, ils étaient encore en vacances et il n'y aurait aucune classe avant la semaine suivante.
Il était au milieu du corridor, il ne savait pas ni où aller ni quoi faire dans un monde en guerre. Il ne savait pas où les autres étaient ni quelle heure il était. La prise ténue qu'il gardait sur sa raison faiblissait. Si j'ouvre la bouche, je vais me mettre à rire. Ou à crier. En tout cas, je ne sais pas, si je serais capable de m'arrêter.
Les fondements de la réalité se décomposaient autour de lui. Il avait connu cet endroit. Il avait su qui détester. Il avait su comment partir. Il avait su quoi faire. Et le plus important, il avait su qui il était.
Qu'était un Malfoy, maintenant ? Autrefois, on était fier de porter ce nom. Aujourd'hui, il était dédaigné et vilipendé. Un nom ne ferait rien contre un moldu avec un…un…ce truc qui avait tué Weasley.
Les moldus devaient être dédaignés, devaient être regardés avec dégoût. Ils ne méritaient pas qu'un sorcier les regarde avec respect. Mais ils sont en train de nous tuer. Ils savent ce qu'ils sont et ils ont tué Weasley.
Les Weasel (ndt, belettes). Sans valeur, pathétique Weasley. Etendu mort dans une ruelle. Les visages du reste de la famille. Molly Weasley regardant l'horloge lui disant que son fils était mort.
Nous allons tous mourir.
Drago était conscient que ses mains tremblaient. Que quelque chose de sauvage lui égratignait la gorge.
« Drago ? »
La voix était hésitante et fragile.
Elle interrompit son noir désespoir. Drago leva la tête. Ses mains se glacèrent.
« Harry ? »
Le Gryffondor avança lentement vers lui. Son visage était aussi pâle que la cendre, ses yeux verts luisaient comme des émeraudes. Alors qu'il se rapprochait, Drago voyait des cernes noirs entourer ses yeux rouges embués de larmes. Il voyait les traces de sel qu'il n'avait pas essuyé briller sur sa peau blafarde. Il voyait les tremblements dont était pris le corps d'Harry. Ses mains n'étaient pas les seules à trembler. Comme Drago, Harry portait encore les vêtements de la veille. Comme Drago, ses cheveux étaient en bataille, et n'avaient pas été coiffés depuis le matin précédent.
Inconsciemment, Drago sentit la tension se dilater dans tout son corps. « Le chagrin peut changer l'esprit, Drago. Essayez de ne pas vous offenser si Harry s'énerve sur l'injustice d'événements terminés depuis longtemps. » Il revoyait très clairement tous les commentaires haineux et sarcastique qu'il avait fait à Ron Weasley. Il savait qu'il serait chanceux si Harry ne s'énervait qu'avec des mots.
« Drago ? » Harry se rapprocha, il était à portée de bras.
Drago se prépara, « Oui ? »
« Drago, je… » La voix d'Harry se tut. Il fut traversé par un frisson. « Il est parti. »
« Je sais. »
Drago s'attendait à être frappé. Il ne s'attendait pas à ce que son ancien ennemi s'écroule sur lui, et craque dans ses bras. Ne sachant quoi faire d'autre, Drago mit ses bras autour de ses épaules. Ca aurait été beaucoup plus facile, pensa Drago misérablement, alors qu'il se tenait au milieu d'un corridor avec dans les bras un Harry Potter sanglotant. Si tu m'avais simplement frappé.
« Je ne comprends pas. »
Moi non plus, lui répondit silencieusement Drago. Il est très rare que ce que nous pensions ait une importance dans un sens ou dans un autre.
« Comment est-ce arrivé ? »
« Je ne sais pas, » Murmura Drago d'une voix douce.
C'est Severus qui devrait être assis là. C'est à Severus qu'il devrait poser ces questions. C'est en Severus qu'il devrait chercher les réponses, le confort, la vie au milieu de ce cauchemar. Pas en moi. Sa tête ne devrait pas reposer sur mes genoux. Mes doigts ne devraient pas lui caresser ses cheveux, en essayant vainement d'apaiser son cœur brisé. Mais c'était ainsi. Même quand il avait perdu son dernier match de Quidditch contre Harry, il ne s'était pas senti aussi impuissant, aussi inutile. Je ne sais pas réconforter les autres. Je ne sais même pas comment me réconforter.
Il avait amené Harry dans les quartiers de Severus dans l'espoir que le Maître des Potions serait revenu. Quand il vit qu'il n'était pas là, Drago avait conduit Harry sur le canapé et ils s'étaient assis. Harry pleura jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. A un moment, il s'était allongé sur le canapé, et avait posé sa tête sur les genoux de Drago. Et depuis, il avait refusé de bouger.
« Drago ? » Harry tourna la tête sous la main de Drago.
« Quoi ? »
« Penses-tu…Et si… »
« Non ! »
Harry bougea jusqu'à ce qu'il soit sur le dos et qu'il puisse regarder Drago dans les yeux. « Mais est-ce que si -»
Drago le regarda avec des yeux noirs. Il voulait le secouer. « Ce n'est pas de ta faute. Tu ne l'as pas convaincu de faire un détour avant de renter chez lui. Tu n'as pas dit à ces maudits moldus de l'attaquer. Tu n'as pas… avec ces trucs… » Drago grimaça de frustration, il ne connaissait pas la technologie moldue. « Tu n'as pas dévoilé le monde sorcier. Rien de cela n'est de ta foutue faute ! »
Harry écarquilla les yeux. Mais maintenant, la culpabilité était revenue et elle se mélangeait avec une tristesse, qui Drago le suspectait, ne disparaîtrait jamais. « Pourquoi est-ce que ça devait être lui ? »
Ca doit toujours être quelqu'un. Et cette personne représente toujours le monde pour une autre. Aussi pitoyable que ça l'était, Drago l'avait toujours su. Les victimes sans nom n'étaient pas anonymes pour tout le monde. Mais comment dire à celui qui ne peut pas comprendre pourquoi son meilleur ami n'est pas là ? Mais comment l'expliquer à celui qui connaît le nom de cette personne ?
« Si je pouvais te donner une réponse… » Commençant Drago impuissant.
« Ca aurait dû être moi, » L'interrompit Harry avec une calme ferveur.
« Quoi ? »
« Pourquoi suis-je ici, Drago ? Bon sang, que vais-je faire avec cela ? » Harry s'agita et frappa presque Drago au visage. « Le Sauveur du Monde Sorcier ? Bon dieu, comment suis-je censé sauver le monde de cela ? »
« Peut-être ne le dois-tu pas. » Murmura Drago. Il n'avait pas pu s'arrêter ?
Harry cligna des yeux. « Alors pourquoi suis-je ici ? Etre le foutu Garçon qui a Survécu ? Je ne veux pas être celui qui a survécu ! Je veux être Celui qui Meurt avec Tous les Autres ! »
« Harry -»
« Sais-tu ce que ça fait, Drago ? De regarder ceux que tu aimes mourir autour de toi ? De savoir qu'ils sont partis mais que toi tu restes ? De devoir vivre dans un monde vide, où les gens que tu aimes ne sont plus ? » Les larmes étaient revenues dans les yeux de Harry. « Je déteste cela, Drago ! Mes parents sont partis ! Ron est parti ! Et je suis là ! Je reste derrière, je regarde des lieux où ils avaient l'habitude d'être, j'écoute leurs échos dans le silence où ils étaient autrefois…. » Son souffle se brisa et il se retourna, ses épaules tressautaient à chaque sanglot, ses doigts s'enfonçaient dans les jambes de Drago.
Les paroles de Harry résonnaient dans l'esprit de Drago. Il avait dû mal à respirer. Pendant une brève seconde, le passé et le futur se rencontrèrent dans l'ici et maintenant et Drago vit ce qu'il resterait, à la fin. Il se vit regarder avec désir le passé. Il se vit remplir tous les espaces vides avec les fantômes de ceux qu'ils connaissaient. Oh mon dieu…
« Comment suis-je censé traverser ces couloirs, Drago ? » Lui demanda Harry doucement en interrompant l'enfer de Drago. « Comment suis-je censé m'asseoir dans la Grande Salle, regarder le terrain de Quidditcht, m-monter mon balai. » Il s'arrêta pour inspirer profondément plusieurs fois. « Comment suis-je censé faire toutes ces choses, Drago, quand tout ce que je vois me le rappelle ? »
« Je ne sais pas. »
« Nous n'étions plus aussi proches que nous l'étions autrefois, vers la fin, »Continua Harry. Il parlait plus pour lui que pour Drago. « Il avait Hermione et son boulot. Et je t'avais toi, Severus, et mes mo…amis américains. Mais ça n'avait pas d'importance parce que…parce qu'il était Ron. Et je n'avais pas… Et depuis que j'ai onze ans, Ron était là. .. »
Harry se remit sur le dos une nouvelle fois. Il leva la main avec laquelle il avait presque frappé Drago et lui toucha le front. La main de Harry était froide, mais Drago ne bougea pas, ne pouvait pas bouger. Harry passa un doigt tremblant le long des pommettes de Drago, frôla ses lèvres.
« A chaque fois que je te regarde, » Murmura Harry, « Je penserai à lui. »
Drago ferma les yeux. Autrefois impensable, les mots se déversèrent facilement. « Je suis désolé, Harry. »
« Nous étions des enfants. Nous ne savions pas ce qui allait se passer. Nous ne pouvions pas voir au-delà de la fin de l'année. » Il s'arrêta. « A chaque fois que je te verrai, je me souviendrai de cela. »
Quelque chose n'allait pas avec sa gorge. « Harry… »
« S'il te plait, ne me laisse pas oublier. »
Drago sentit quelque chose d'inexprimable se briser en lui.
« Je -» Il sentit l'arrivée de Severus plus qu'il ne le vit ou l'entendit. Il leva les yeux et vit le Maître des Potions se tenir tranquillement sur le pas de la porte. Le soulagement l'envahit comme si on venait de le ramener d'un précipice sur lequel il se trouvait l'instant d'avant.
Harry dut voir quelque chose car il se tourna sur le côté et suivit le regard de Drago. Il fut facile à Drago de déterminer à quel moment précis, Harry vit Severus. La tension qui émanait de son corps depuis qu'il l'avait vu dans le couloir s'évapora soudain. Severus ne pouvait rien dire ou faire, Drago le savait, pour effacer ces derniers mois. Mais quelque part, contre toute attente, son aîné dirait les mots justes qui ferait diminuer le chagrin d'Harry.
Il croisa les yeux de Severus et lui dit silencieusement : s'il te plait, prends-le.
Severus inclina légèrement la tête pour montrer qu'il avait compris et traversa la pièce. Harry s'assit suffisamment longtemps pour que Drago se lève et que Severus puisse prendre sa place. Alors qu'Harry s'installait, Severus rencontra les yeux de Drago et lui dit silencieusement, Merci.
Drago lui fit un mince sourire, sans humour, reconnaissant sa gratitude puis se glissa hors de la pièce. Il ferma la porte doucement derrière lui.
Une fois qu'il fut sûr d'être seul dans le couloir, Drago s'affaissa, épuisé, contre la porte. Et là, il resta un long moment, inspira, expira, regarda devant lui d'un air absent jusqu'à ce qu'il reprenne en main les lambeaux, les miettes de son contrôle. Il fit appel à ses années où son père le guidait, et parvint à peindre sur son visage une expression qui était presque celle de l'indifférence complète. Alors, seulement, il se dirigea vers ses quartiers.
C'était le seul endroit où il n'avait pas besoin de prétendre.
