2 – Le diadème

Vint le jour où la seconde des filles du roi monta à la surface le soir de ses quinze ans. Le jeune prince s'était, une fois encore, fait remarquer par son absence. Une fois encore, pourtant, son père ne s'en formalisa guère. Le prince, depuis sa jeune enfance, avait pour habitude de s'évader loin des autres, du château, de sa famille. Comme si tout cela le pesait. Comme s'il ne s'y sentait pas à sa place.

Sa plus jeune sœur vint le trouver dans leur grotte peu après la fin de la fête.

Elle a, l'informa t-elle à propos de leur sœur aînée, décidé de ne partir que demain, lorsque l'aube s'élèvera sur les terres du dessus. Ce doit être beau ! J'en ferai de même, je pense.

Le jeune prince, lui, ne pensait pas ainsi. Oh ! bien sûr, il aurait voulu pouvoir contempler le lever de l'astre lumineux, mais tout comme il aurait voulu être capable d'admirer son coucher, et comme il aurait espéré voir et voir à nouveau le rituel quotidien. Il savait fort bien que lui seul avait pour rêve, non pas de monter à la surface, mais d'y demeurer, de vivre dans le monde des hommes. Seulement ce rêve, il ne pouvait l'exprimer par des mots, ne pouvait le confier à quiconque, pas même à la plus jeune et la plus proche des filles du roi. Toutefois, cette idée résonnait en lui comme une évidence ; le jour de ses quinze ans, il rejoindrait la surface et y demeurerait jusqu'à l'aurore. Il redescendrait ensuite dans son royaume afin d'informer son père et ses cinq sœurs qu'il s'en allait, désormais. Peu importeraient leurs suppliques.

Pourtant le prince n'était pas pour autant ignorant des lois des hommes, et parmi elles, la plus primordiale ; un homme avait, à la différence majeure des sirènes, une paire de jambes pour se mouvoir sur la terre ferme. Et non cette queue si inutile à la surface. Il possédait déjà plus d'une dizaine de statuettes figurants hommes et femmes du monde des humains, et toutes, toutes n'avaient de cesse de lui prouver sa différence…

Lorsque sa sœur quitta la grotte pour retrouver le château, le prince décida qu'il ne l'y suivrait pas. Il souhaitait demeurer seul, désireux par-dessus tout d'éviter le discours que l'ainée des sirènes ne manquerait pas de faire à propos de son ascention prévue pour l'aube prochaine. Il nagea ainsi jusqu'à la paroie rocheuse où, un an plus tôt, il avait découvert, le cœur empli de fierté, l'objet qu'il n'avait pas tardé à baptiser son 'cercle d'émeraude'. Il n'était pas parvenu à en comprendre l'usage particulier mais avait fini par s'en remettre à l'explication la plus aisée, et sans doute la plus logique : il devait s'agir d'un diadème appartenant à un humain important, à en juger par la beauté et la richesse du bijou. L'objet dessinait un cercle fin, fait d'un métal commun à de nombreux objets que le prince possédait en sa collection, et, incrustés dans son pourtour, de petites émeraudes scintillantes se distinguaient. Depuis le jour où il l'avait découvert, le jeune prince sirène ne s'en séparait plus. L'émeraude, mélé à l'argent, s'alliait si parfaitement à la pureté de ses yeux et à ses mèches d'ébène que le diadème donnait l'impression que le prince était auréolé.

Collant son dos contre la roche, il demeura là, immobile, à fixer les eaux sombres de la surface, bien au-dessus de lui. Les secondes s'écoulèrent ainsi, parfaitement silencieuses. Le prince avait à présent les yeux clos. Ses longues mèches de jais caressaient sa joue, portées par le courant d'eau qui passait près de la paroie avant de s'enfoncer dans l'une des cavités de la haute pierre.

Soudain, la jeune sirène sentit quelque chose effleurer son épaule dénudée. Etait-ce le mouvement de l'eau ? Cela n'en avait pourtant pas la texture. Il ouvrit les yeux et son regard émeraude rencontra deux pupilles d'un bleu extrêmement clair, couleur telle qu'il n'en avait jamais contemplé. Agitant sa queue de sirène, le jeune prince s'écarta de la paroie, les yeux toujours rivés sur ce qui lui apparaissait à présent comme étant une sirène, tout comme lui.

Dormais-tu ? lui demanda une voix légèrement grave. Elle semblait lui appartenir.

Les sourcils du prince se fronçèrent délicatement, laissant une petite rainure verticale entre ses deux yeux. Les traits de son visage se modifièrent presque immédiatement pour se détendre. Sa bouche esquissa un sourire, sans toutefois laisser échapper le moindre mot. Qui était-ce ? Jusqu'à présent, il n'avait jamais rencontré de jeune sirène du même sexe que lui. Son père le roi était le seul mâle de sa famille, en dehors de lui, et ses conseillers étaient tous de vieilles sirènes ayant depuis l'éternité entière dépassé l'âge qu'il rêvait d'atteindre.

Un rire léger le fit sortir de ses songes. Ses pupilles s'équarquillèrent comme il prenait tout à fait conscience de la présence de cette jeune sirène inconnue.

Pourquoi me scrutes-tu ainsi du regard ? T'ai-je fait peur ?

Sa main passa sur la peau pâle de sa joue. Le contact le fit trembler sans qu'il n'en prenne conscience. Il sourit.

Je pensais que nul autre que moi ne venait jamais ici, dit le prince.

C'est la première fois que je m'approche de cette falaise, répondit la sirène.

Sa queue brassa l'eau jusqu'à ce que son corps rencontre celui du prince aux cheveux d'ébène. Il prit ses mains dans les siennes et les souleva à hauteur de ses joues. A quelques centimètres de son visage, la jeune sirène put voir les courtes mèches blondes de l'inconnu se mouvoir, portées par le courant.

Je nageais, juste là et… j'ai aperçu ceci ! s'exclama la sirène et se reculant d'un geste vif, les mains toujours jointes à celles du prince. Il indiqua le diadème d'un rapide geste du menton. Tu ressembles à… oh, je ne sais ! Tu es sublime, dit-il en souriant.

Il se mit aussitôt à nager, s'éloignant de la paroie rocheuse, et tenant entre sa main les longs doigts du jeune prince. Celui-ci se laissa entrainer, un instant interdit. Il ferma les yeux, les réouvrit, et lorsqu'il le fit, il sentit que son corps avait cessé de brasser l'eau et vit à nouveau la silhouette de la sirène, immobile devant lui. Son visage semblait moqueur, comme l'était souvent celui de sa plus jeune sœur lorsqu'ils jouaient tous deux et qu'elle se préparait à le taquiner de façon affectueuse.

Ne sais-tu donc pas nager ?

Le jeune prince serra sa main autour des doigts de la sirène, le fit lever son bras lentement, dans le même geste que le sien, tout en le contemplant. Il semblait être plus âgé que lui, de quelques années sans doute. De courtes mèches blondes encadraient un visage qui semblait ne pas avoir tout à fait quitté l'enfance mais qui ne se distinguait pas encore comme celui d'un adulte. Sa peau avait la pâleur des sirènes, sa texture lisse. Son corps, tout en longueur, se mouvait légèrement, prolongeant le mouvement de sa queue. Le prince revint à ses yeux et les scruta plusieurs secondes avant de prononcer de sa voix d'enfant :

Je nage parfaitement, sans que l'on m'entraine à travers l'eau.

Cela est parfait ! Veux-tu que nous fassions la course ?

Et la sirène fila en avant, à travers les fonds obscurs. Sans attendre, le prince s'élança à sa suite, ses yeux émeraude ne perdant jamais de vue la queue de sirène qui propulsait son compagnion vers les profondeurs. Pourtant, malgré son excellence, il ne put le rattraper que lorsque la sirène n'interrompit sa course tout près d'un banc de poissons, lesquels s'éparpillèrent en un instant.

J'ai gagné ! rit la sirène. Il croisa les bras contre son torse mince, attandant que le prince le rejoigne. Puis il plissa les lèvres. Mais je n'ai pu te voir nager… veux-tu recommencer ?

Pourquoi ? interrogea le jeune prince sirène. Il ne ressentait pas la moindre deception ou la moindre tristesse de s'être fait distancer. Au contraire, son cœur battait sous l'excitation. Son esprit n'était plus en rien tourné vers ses espoirs de voir la surface, de contempler l'astre qui illuminait le monde des hommes. En cet instant, ne comptait plus pour lui que la contemplation de cette sirène dont il ne savait rien mais qui en l'espace d'un instant avait fait naître en lui un sentiment qu'il n'avait jamais eut l'occasion d'éprouver. Ce devait être cela, ce que l'on nommait l'amitié.

Je tiens à remercier les deux personnes qui m'ont reviewé, Miss Faust et Sevy, car cela m'a fait vraiment, vraiment plaisir ! Je suis navrée de la mise à jour si tardive de cette fic, quoi que vous ne l'ayez pas lu il y a si longtempsn que ça (enfin, étant donné que je l'ai posté en août dernier, lol) Je m'y remets à présent, et j'ai mon schéma jusqu'à la fin de l'histoire yeh ! En tous les cas, heureuse de voir des amatrices de cette chère Poppy Z. Brite ! J'espère de tout cœur que ce chapitre vous aura plu ! -

(et au passage, une corres à moi - elle qui m'a fait connaître cette fabuleuse auteur - a acheté 'Lost Souls' en anglais afin de s'assurer de quelque chose, et OUI Steve dit à Ghost 'I LOVE you' à la fin yataaa! Lol, non parce qu'en français c'est 'Je t'aime, Ghost' mais ça aurait pu être 'like' mais non non non, c'est 'love' aahh que c'est mignon - Mmh, pardon, c'est la review de Sevy qui m'a fait penser à dire ça )

Mikii (see you !)