Derek ne savait pas combien de temps il était resté assis au bord de ce lit, mais de nombreuses minutes avaient dû s'écouler puisqu'il entendit une voiture se garer, voiture qui était partie un peu plus tôt. Un tintement de clés parvint à ses oreilles lupines et il sembla retrouver une étincelle de vie. Tout lui revint soudainement : le morpion, Stiles, le comportement étrange du morpion, encore Stiles, leur départ, toujours Stiles.

En fait, l'hyperactif ne quittait pas ses pensées depuis qu'il l'avait laissé seul, dans cette pièce qui semblait être… Leur chambre. Leur putain de chambre. Les choses lui parurent à nouveau bien surréalistes, bien trop pour être ne serait-ce que plausibles. Et pourtant, force était de constater qu'il était là, toujours, que Stiles l'avait reconnu, que ce môme l'avait reconnu également… Mais lui, il ne reconnaissait pas cette vie qui avait l'air d'être la sienne. Dans sa tête, cela ne faisait absolument pas sens et le pire, c'est qu'il n'avait pas l'impression de souffrir d'un quelconque trou de mémoire. Il avait sa vie à lui, dans son loft austère mais parfait pour une personnalité dans son genre, il recevait la meute de temps à autres, participait à sauver la ville lorsqu'une quelconque entité surnaturelle menaçait son intégrité… Et puis voilà. Dans sa vie, Stiles était insupportable, un hyperactif qui parlait trop, cherchait sans arrêt à le provoquer et qui se mettait sans arrêt stupidement en danger. Ah oui, le garçon possédait un instinct de survie aussi relatif que l'intelligence de son meilleur ami, Scott McCall.

Ouais, Stiles c'était le type de personne qu'il supportait difficilement et avec qui il n'envisagerait jamais de se poser. Et puis même, Stiles mis à part, Derek avait plus l'habitude de se retrouver dans le lit d'une femme que celui d'un homme. Il n'était pas contre la chose et l'avait d'ailleurs déjà faite à plusieurs reprises, mais avait effectivement une petite préférence pour la compagnie féminine. Pour lui, c'était plus simple d'enchaîner les coups d'un soir avec une femme plutôt qu'un homme. Derek se connaissait : il avait tendance à s'attacher trop vite. Et avec lui, les hommes voulaient être réguliers, pas les femmes. Celles-ci ne voulaient pas de lui, désiraient juste qu'il s'occupe d'elles. Le lendemain, elles se levaient aux aurores et s'en allaient. Pas besoin d'au revoir, de regard interrogatif, de vue sur la partenaire endormie. La plupart n'avaient d'yeux que pour sa plastique. C'était bien plus simple de coucher avec un genre auquel on n'accordait plus aucune confiance plutôt que de s'appesantir et de risquer d'être trahi par l'autre.

Derek appréciait ne compter que sur lui-même. La meute était une exception, une entorse particulière à la règle qu'il s'était fixée après l'incendie qui avait décimé la majorité de sa famille. Il pouvait compter sur tous ces adolescents idiots, dans des mesures bien évidemment différentes. Stiles faisait étrangement partie de ceux sur lesquels il pouvait se reposer le plus facilement. Son côté insupportable n'enlevait rien à sa fiabilité à toute épreuve. De source sûre, Derek n'avait jamais vu un humain se donner autant pour ses amis, pour sa meute. Oui, sa loyauté était une grande qualité. Toutefois, elle était parfois un tantinet démesurée puisqu'il lui arrivait bien trop régulièrement de risquer sa vie pour pas grand-chose. C'était le seul véritable humain de la meute et il semblait jouer avec sa vie comme s'il ne s'agissait que d'un simple jeu dont les conséquences n'étaient pas le moins du monde importantes. A bien y réfléchir, c'était sans doute ce qui agaçait le plus Derek, chez lui. La vie, c'était précieux, on n'en avait qu'une et un humain, c'était fragile. Stiles la prenait bien trop à la légère, si bien qu'il fallait sans cesse le surveiller, faire en sorte qu'il fasse attention à ne pas mourir par accident.

Alors forcément, le voir aussi différent de ce qu'il était censé être avait un tantinet perturbé Derek. C'était la même personne, avec la même voix, le même visage, le même semblant de personnalité… Mais pas le même comportement.

Le loup manqua de sursauter lorsqu'il vit la porte de la chambre s'ouvrir. Stiles était là, la main sur la poignée et semblait surpris de le trouver ici, comme s'il n'y avait pas sa place. L'hyperactif semblait figé par la vision de Derek, toujours assis sur ce lit. Leur lit, apparemment.

- Quoi ? Maugréa Derek, peu désireux d'engager une nouvelle conversation plus que surréaliste mais sachant très bien qu'il n'avait pas le choix.

- Je pensais que… Que tu serais parti, balbutia le jeune homme aux yeux ambrés en clignant des yeux.

- C'est pas l'envie qui manque, grommela le loup.

Oui, mais il lui manquait bien trop d'éléments pour s'en aller sans risquer de faire une crise cardiaque ou bien de perdre la tête. L'avouer ne lui faisait pas plaisir, mais il avait besoin de Stiles, ne serait-ce que pour comprendre un minimum la situation, savoir comment ils auraient pu en arriver là. Parce que peut-être que pour retrouver sa vie, celle qu'il maîtrisait et qu'il avait appris à aimer malgré sa solitude, il fallait connaître celle-ci. Rien n'était certain, mais qu'avait-il à perdre ? Il n'avait actuellement plus rien qui lui tenait à cœur. Au moins, il se reconnaissait, gardait sa personnalité à lui. Après mûre réflexion, oui, c'était la seule chose qu'il lui restait.

A nouveau, l'odeur de Stiles se retrouva nauséabonde, comme s'il lui avait fait du mal. Derek, pour ne pas céder à une sorte de panique intérieure, réfléchit avec froideur. Oui, techniquement, s'il était… S'il était marié avec Stiles et qu'il avait eu la merveilleuse idée de lui faire un gosse, il était normal que celui-ci soit blessé par une hypothétique remarque de sa part. Une remarque bien évidemment grommelée, lâchée de manière acide par sa bouche qui ne désirait rien d'autre que de lâcher des mots qui, il le savait, seraient regrettés par son côté humain. Et puisqu'il n'était pas si méchant que cela, il allait les garder pour lui.

Derek fit autant que possible le vide dans sa tête et releva les yeux vers son vis-à-vis qui restait là, figé, sur le seuil de la chambre. Vraiment, son odeur commençait à être difficile à supporter. Le loup soupira.

- Ecoute, mon but, c'est pas de te blesser, mais j'imagine que tu peux comprendre que je ne suis pas nécessairement heureux de me retrouver avec toi alors que je suis célibataire et heureux de l'être.

La souffrance dans l'odeur de Stiles s'intensifia. Oh la boulette, se serait dit l'hyperactif s'il était à l'origine de ce genre de maladresse. Et merde, se dit plutôt Derek en se levant. Le fils du shérif fit un pas en arrière, comme désarçonné. Le loup fronça les sourcils.

- Hum, Stiles… Tenta-t-il Presque fébrilement en s'avançant à nouveau.

L'hyperactif l'arrêta d'un geste de la main.

- Non, tu m'approches pas, surtout pas… Surtout pas en caleçon, le rabroua Stiles d'une voix qu'il voulut assurée, mais qui se retrouvait plus tremblante qu'autre chose. Tu me fais mal et tu… Tu serais capable de me donner des idées dans cette tenue. Je suis faible et… Je te serais reconnaissant de pas en profiter. S'il te plaît, juste… M'approche pas. Tu comprends peut-être pas, mais tu oublies que tu n'es pas le seul.

Derek se mordit la lèvre inférieure et en même temps, une partie de lui était surprise à cause de certains mots qu'il avait malencontreusement retenus. Stiles avait-il réellement insinué qu'il lui donnait presque envie, là maintenant ? Au moins, dans sa vie comme dans celle-ci, l'hyperactif était toujours aussi perché. Ça au moins, ce n'était pas dépaysant… Et d'un autre côté, il y avait cet aveu, cette douleur qui le touchait malgré lui, cette douleur qu'il voulait éloigner de sa psyché. Elle ne devait pas l'atteindre.

Et pourtant, c'était le cas. Derek sentit la culpabilité augmenter en lui, au point de le miner. Si sa part animale désirait laisser exploser chacune de ses émotions, l'humaine lui soufflait de faire attention. Les mots faisaient mal, souvent plus que des coups. Le Stiles face à lui ressentait des choses, n'était pas insensible, loin de là. Son visage parlait autant que son odeur.

Ses mots commencèrent à faire sens dans le cerveau fatigué de Derek. Non effectivement, il n'était vraisemblablement pas le seul à ne pas comprendre et cela ne le rassura pas le moins du monde. Il soupira. S'il voulait apprendre des choses sur cette vie, ce n'était pas en malmenant Stiles qu'il allait y arriver. Puis, cela ne lui plaisait pas. Autrefois, il avait une réputation de grand méchant loup. Autant dire qu'elle lui collait à la peau au point qu'il devenait ce que l'on pensait de lui. Pourtant, il n'aimait pas l'idée de blesser qui que ce soit, pas même Stiles.

- Ecoute, on est partis du mauvais pied. Je ne comprends pas, tu ne comprends pas. J'ai parfois des mots… Enfin, je suis maladroit, se reprit Derek, un tantinet gêné de faire un pas vers l'hyperactif et de reconnaître ses torts par la même occasion.

Stiles n'eut pas l'air de réagir et Derek prit cela comme une invitation à continuer :

- Je ne voulais pas te faire mal.

- Et pourtant c'est fait, lâcha platement l'hyperactif.

La gorge du loup se serra étrangement, les mots de son vis-à-vis le touchant plus que de raison. Parce qu'ils étaient vrais. Parce qu'ils étaient simples. Crus. Parce que Stiles ne se cachait pas derrière des mensonges comme il le faisait dans sa vie à lui. Il était honnête, tant pis si sa réponse ne plaisait pas. En fait oui, sa franchise troubla Derek et ce, bien plus qu'il ne l'aurait imaginé.

Stiles détourna le regard, sans le baisser toutefois. A cet instant, son regard paraissait plus chocolat au lait que couleur whisky. Il le vit tout autant qu'il l'entendit ravaler sa salive avant de lâcher d'une voix un peu trop monotone :

- De toute façon c'est pas grave.

Sa main lâcha enfin la poignée de la porte, qu'elle serrait entre ses doigts depuis le début de cette sorte d'entrevue. Derek ne put détacher ses yeux de cette main qui semblait avoir perdu toute vitalité.

- J'ai l'habitude.

Cette phrase, aussi simple soit-elle, et prononcée d'un ton aussi monotone, fit rater un battement au cœur de Derek, qui releva des yeux horrifiés vers ce visage cette fois impassible. D'accord, il avait toujours eu du mal avec Stiles. Oui, il le trouvait régulièrement insupportable. Mais jamais il ne cautionnerait une telle acceptation de sa part. L'ancien alpha était conscient qu'il était parfois un peu brut et oubliait de temps à autres de se mettre à la place des autres. Il faisait des erreurs et avait parfois du mal à les reconnaître. Toutefois, quelque chose dans l'odeur un peu trop souvent remplie de souffrance de Stiles l'avait poussé à ne pas faire le difficile et à se remettre rapidement en question – pas complètement, mais c'était déjà ça.

Derek fit un pas de plus, tenta de s'excuser, mais Stiles le coupa dans son élan :

- Tout va bien, c'est pas grave.

Le loup entendit très clairement l'accroc que fit son cœur.

- Tu vas t'habiller et moi, je vais prendre l'air, d'accord ? Fit Stiles.

Il pâlissait à vue d'œil et pourtant, son visage ne changeait pas : il était toujours aussi inexpressif, au contraire de son odeur qui en disait long sur son état d'esprit.

Derek n'eut le temps ni de le retenir, ni d'émettre une quelconque opposition. Stiles fila sans attendre son reste et la dernière chose que le loup vit de lui avant que la porte ne se ferme fut l'éclat de son alliance, passée au doigt de cette main fine.