Stiles ouvrit péniblement les yeux. On le secouait doucement, mais assez pour le mettre dans un inconfort certain. Il sentit quelque chose le recouvrir, l'entourer. Ses membres étaient entravés, mais il ne s'inquiéta pas : l'odeur qui parvenait à ses narines, il la connaissait par cœur.
- … Arrivés…
L'hyperactif ouvrit la bouche mais ne parvint pas à prononcer la moindre parole intelligible tant il était dans les vapes. Il se rendit juste vaguement compte qu'on le soulevait et qu'il se retrouvait plaqué contre un corps chaud et sans aucun doute rassurant. Il le sentait, et s'y cramponna faiblement. C'est fou ce qu'il avait aussi peu d'énergie et semblait ne pas en récupérer des masses… Pourtant il dormait et ce, beaucoup. Simplement, son sommeil n'avait pas l'air des plus réparateurs. Ainsi, il laissa sa tête reposer contre un torse et garda les yeux fermés alors qu'il commençait déjà à somnoler.
Derek regardait le visage détendu de son précieux fardeau qui avait la tête un tantinet penchée en arrière. Des plis soucieux barraient son front alors qu'il avançait vers ce qui serait leur demeure pour les prochains jours. Si l'endroit paraissait cosy et agréable, cela ne changeait rien à la réalité : Stiles était en danger. Resserrant ses doigts sur le corps à moitié endormi, Derek continua d'avancer. Devant lui, Jackson finit par déposer leurs affaires sur le perron. Le kanima, silencieux depuis plusieurs heures, déverrouilla l'épaisse porte en bois à l'aide de la clé qu'ils avaient récupéré quelques minutes plus tôt chez la personne qui leur louait le chalet, dans le dernier village qu'ils avaient traversé avant d'arriver ici. Par chance, la propriétaire ne leur avait pas posé de question. Dans leur état mental, les deux hommes auraient bien peiné à lui répondre sans bégayer, sans créer de mensonge crédible.
Quelques secondes plus tard, Derek déposa délicatement l'hyperactif frissonnant sur un grand canapé inondé de coussin à l'air tous plus confortables les uns que les autres. Le pauvre adolescent était enroulé dans un plaid qu'ils avaient pensé à prendre au cas-où. Cependant, force était de constater que ce n'était pas suffisant. Jackson s'isola un instant et revint rapidement en indiquant à Derek qu'il avait allumé tous les systèmes électriques du chalet et que, par conséquent, le chauffage devrait bientôt se mettre en route.
- Mais je pense qu'on devrait quand même allumer la cheminée… Pour lui, finit par préciser Jackson d'un ton bas en désignant vaguement Stiles de la main.
Stiles ne dormait pas vraiment, mais il voulait le déranger le moins possible.
Derek hocha la tête. Il avait repéré de grosses bûches, contre l'un des murs du chalet, dans un espace que la propriétaire avait aménagé à cet effet. L'adorable vieille femme leur avait d'ailleurs donné son autorisation pour allumer l'âtre quand bon leur semblerait.
- Je m'en occupe, souffla Derek.
Et il sortit de la pièce dans le but d'aller chercher une ou deux bûches – du petit bois attendait dans un panier près de la cheminée – , sans même avoir à demander à Jackson de rester : c'était une évidence. Stiles ne devait en aucun cas rester seul. Sa faiblesse était telle que le laisser sans surveillance était presque du suicide. Si l'hyperactif décidait soudainement de se lever, l'on n'était pas certain qu'il tienne sur ses deux jambes tant celles-ci tremblaient. Aucun des deux métamorphes ne saurait dire si son état était dû à sa bataille intérieure contre Peter ou si c'était parce qu'il mangeait peu, ou des deux. Jackson soupira en s'asseyant au bord du canapé, près du fils du shérif. Au fond, il ne savait même pas si Stiles luttait encore. Et si Peter l'avait déjà battu ? Et s'il se contentait de l'épuiser, juste pour s'assurer une bonne installation en lui ? Autant d'incertitudes que d'hypothèses sordides qui ne cessaient d'inquiéter Jackson.
Stiles bougea un peu, ouvrit les yeux. Son regard terne accrocha rapidement celui de Jackson qui se retrouva… Pantois, à ne pas savoir quoi dire, ni quoi faire. L'hyperactif semblait épuisé, avec des cernes qui s'épaississaient de jour en jour. Un instant, il eut l'air perdu. Était-ce parce qu'il s'attendait à voir Derek auprès de lui, et non le kanima ? Ce serait parfaitement logique et en même temps, cela serra le cœur du blond, qui fit toutefois de son mieux pour étouffer la douleur sourde qui naissait en lui. Il savait que Stiles en pinçait pour Derek, et c'était parfaitement normal, alors il ne devait pas se sentir mal. Il n'en avait pas le droit. Néanmoins, c'était assez difficile à contenir. Que lui arrivait-il ? Il avait bien une idée mais savait que c'était mauvais.
- J-Jackson ? Murmura Stiles en fronçant les sourcils, comme si quelque chose lui échappait.
Toute préoccupation sentimentale déserta le kanima, qui se pencha et l'informa aussitôt que Derek allait bientôt revenir parce que… C'était sans doute l'information dont il avait besoin. Mais le brun secoua doucement la tête, avec une raideur qui n'échappa pas au blond.
- N-non c'est… Je me d-doute mais c'est… C'est p-pas ça. P-pourquoi je… Je peux pas b-bouger ? Lui demanda-t-il faiblement.
- Oh, comprit Jackson. On t'a enroulé dans un plaid. On est arrivé, tu sais ? On est à la montagne. Il fait froid alors on t'a couvert. Tu veux… Que je t'arrange ça ?
La manière qu'avait le métamorphe d'enchaîner les informations perturba un tantinet Stiles, qui mit un temps avant de répondre. Il avait besoin d'un peu de temps pour assimiler chacun des mots de son ami. Plaid. Montagne. Froid. Il hocha doucement la tête et lâcha péniblement :
- O-oui mais je… Pourquoi on est… Là ?
Parler était toujours aussi difficile, pour lui. Chacun de ses mots était tremblant et menaçait de ne pas sortir de sa bouche qu'il avait parfois du mal à maîtriser. Pourquoi avait-il l'impression d'oublier des choses ? L'air désarçonné qui passa sur le visage de Jackson ne le rassura pas beaucoup.
- On… Tu voulais aller à la montagne, y passer des vacances, répondit le kanima d'une voix blanche.
Oui, en soi, il savait que Stiles avait des moments d'absence et semblait oublier certaines choses, parfois les plus évidentes, comme ses propres paroles. Pour autant, il n'en était pas moins déstabilisé par la chose qui, si elle se reproduisait assez régulièrement, n'en était pas moins perturbante. Non, Jackson ne s'y habituait pas. Il avait coutume d'un hyperactif vif, observateur et analyste qui avait toujours le bon mot, et le sens du détail. Être le spectateur de la descente aux enfers de Stiles lui serrait atrocement le cœur alors même qu'elle continuait de le choquer. C'était comme si la chose était trop improbable pour se produire et pourtant, c'était effectivement le cas. Il en était témoin.
Essayant de rester digne, Jackson aida Stiles à s'extirper du plaid dans lequel on l'avait saucissonné. Lorsqu'il dut carrément presque le soulever pour mieux l'installer, le blond fut surpris par sa légèreté qu'il redécouvrait, comme ses pertes de mémoire répétitives, à chaque fois. Une pointe de culpabilité le saisit. Quand venait son tour de nourrir Stiles – il fallait bien que Derek se repose de temps à autres –, le kanima ne le forçait jamais par peur qu'il rende le moindre de ses repas. En conséquence, l'hyperactif ne mangeait pas grand-chose. Il disait qu'il n'avait pas faim ou bien qu'il avait la nausée. Dans les deux cas, la vérité que traduisait son cœur était sans équivoque. Une main derrière sa nuque, il le laissa doucement reposer sa tête sur un des nombreux oreillers que comptait le canapé. Une chose était sûre, il allait falloir qu'il fasse un peu plus attention et peut-être… Qu'il augmente un peu les doses, lui aussi. Mais comment le requinquer ? Il ne mangeait pas beaucoup, certes, mais il devrait déjà avoir repris du poil de la bête, au moins un peu… La présence de Peter en lui ne pouvait pas à elle seule l'affaiblir à ce point, ce n'était pas possible ! Il y avait quelque chose d'autre, quelque chose dont ni lui ni Derek n'avait connaissance.
Avec une patience surprenante venant de lui, Jackson étala le plaid sur le corps frissonnant et déjà tremblant de son ami, qui avait pâli. Il était toujours très pâle depuis quelques jours mais là, c'était encore pire. Par précaution, Jackson posa sa main sur son front. Par chance, il n'avait pas de fièvre. Pour autant, il avait froid.
- Derek est en train de ramener du bois pour la cheminée, l'informa-t-il en espérant qu'il l'écoute.
Stiles hocha faiblement la tête. Il avait compris.
- T-t'inquiète, je… Je v-vais bien.
Sans même avoir besoin de faire attention à ses battements de cœur, Jackson ne pouvait que savoir qu'il avait menti, tout bonnement parce qu'il était transi de froid. C'était visible et le plaid n'avait pas l'air de le réchauffer beaucoup. Depuis combien de temps avait-il froid comme cela ? L'inconscience partielle dans laquelle il était avait dû le protéger quelques minutes. Jackson devait avouer qu'il ne faisait pas extrêmement chaud dans ce chalet qu'ils étaient probablement les premiers à louer depuis un moment. Autour de la bâtisse, les montagnes commençaient à blanchir. La neige tombait par intermittence et le chemin par lequel ils étaient passés avait eu la chance d'être dégagé.
Jackson se mordit la lèvre inférieure. Vu le temps que Derek prenait dehors, il ne devait pas juste s'occuper de prendre des bûches. Sans doute s'occupait-il également de faire une ronde, histoire de s'assurer qu'ils n'avaient pas été suivis. Le kanima comprenait qu'il puisse potentiellement prendre ses précautions, mais… En attendant, Stiles avait froid. A nouveau, il s'assura qu'il n'avait pas de fièvre en posant sa main sur son front. L'hyperactif voulut sans doute être discret, mais le sportif perçut très distinctement le petit soupir qu'il poussa. Il eut alors une idée. Ce n'était sans doute pas la meilleure qu'il avait eue dans sa vie, mais il espérait qu'elle fasse l'affaire en attendant que Derek veuille bien revenir avec de quoi allumer la cheminée.
- Tu me fais une petite place ? Demanda Jackson en retirant sa main.
Si Stiles répondit quelque chose, il le fit de manière si basse que le kanima l'entendit à peine, voire pas du tout. En lui assurant, au cas-où, qu'il n'allait rien faire de mauvais ou de nuisible à son égard, bien au contraire. Ainsi, après avoir retiré ses chaussures, Jackson se glissa derrière l'hyperactif, sous le plaid, contre le dossier du canapé, et l'enlaça contre lui. La manipulation s'avèrerait bien plus efficace s'il se déshabillait pour lui transmettre directement sa chaleur corporelle mais… Non, il ne fallait pas abuser. Même si des vêtements séparaient leurs corps, il savait que cela fonctionnait et ce serait amplement suffisant en attendant que Derek daigne enfin ramener son cul en portant dans ses bras démesurément musclés des bûches prête à réchauffer leur habitat dans sa globalité. Pas que serrer l'hyperactif dans ses bras le dérange, au contraire… Toutefois, ce n'était pas sa place à lui. De plus, Stiles lui faisait confiance, oui, mais certainement moins qu'à Derek. Et pourtant, bien loin de se crisper ou de le repousser, le brun se pelotonna contre lui, contre cette source de chaleur inopinée dont il avait tant besoin.
- D-désolé j'ai… F-froid, s'excusa-t-il toutefois, sans s'éloigner pour autant.
Il s'était retourné et avait niché son visage dans le cou de Jackson qui, bienheureux qu'il ne voie pas son visage, avait commencé à rougir un tantinet. Cette proximité, loin d'être désagréable, lui rappelait un peu trop ce qu'il essayait désespérément d'oublier. Jackson aimait la sensation de ce corps contre lui, d'enlacer. Pour être honnête, cela lui manquait. Mais son long célibat ne dictait pas ses actes : non, c'était plutôt son instinct protecteur et son désir inhérent de sortir l'hyperactif de cet enfer. A défaut d'y arriver, il faisait de son mieux pour rendre certains aspects de sa vie plus simples et confortables. Il avait froid ? Eh bien plus qu'à essayer de le réchauffer. En fait, cette dévotion plutôt naturelle envers le fils du shérif lui faisait peur, tout simplement parce qu'il n'avait pas l'habitude de se comporter de cette façon avec quelqu'un.
Mais il avait fallu que cet idiot déballe son histoire, un soir, au loft. Non, plus loin encore : il avait fallu que Stiles lui envoie ces messages qui l'avaient tout de suite alerté.
Dans ses bras, Stiles tremblait, mais ça allait. Il se réchauffait lentement, doucement, péniblement et la différence, si petite soit-elle, était là. Et malgré sa gêne le concernant, Jackson ne changea pas de position. Toutefois, un frisson le parcourut lorsque l'hyperactif souffla un pauvre « merci » contre son cou. Jackson ne saurait décrire ce qu'il ressentit à ce moment précis, mais il était clair que s'il avait pu, il se serait calfeutré dans l'une des chambres du chalet, ne serait-ce que pour réfléchir et faire le point. Là, avec son précieux fardeau dans les bras, son jugement se retrouvait un tantinet… Altéré. A nouveau, l'image d'un Stiles entreprenant se jetant sur ses lèvres apparut dans son esprit. Le kanima se gifla mentalement en tentant de se raccrocher au fait que l'hyperactif n'était ni maître de ses pensées, ni maître de ses actes à ce moment-là. Ce n'était pas lui, mais Peter. Un imposteur. Un malade. Un dégénéré. Quelqu'un qui s'était servi du pauvre humain et de son propre corps pour le forcer à faire des choses qu'il ne désirait pas, tout ça pour faire en sorte qu'il perde confiance en l'un de ses amis. La chose avait failli marcher avec Derek également, un peu plus tôt, mais Stiles avait eu la présence d'esprit de faire la différence à chaque fois, même si c'était difficile. C'était fort. Stiles l'était.
Mais il faiblissait.
Et c'était terrifiant, même pour Jackson.
Le plus frustrant, c'était d'assister à sa déchéance sans pouvoir rien y faire. Derek désespérait : de son côté, le kanima continuait de croire naïvement qu'une solution existait. Il se disait qu'elle était là, cachée quelque part en attendant qu'on la trouve. En fait, il ne pouvait pas en être autrement à ses yeux. Peter ne pouvait pas s'en sortir de cette façon, il existait forcément un moyen de briser ce foutu lien de possession. Beaucoup de choses étaient immuables dans le monde surnaturel, mais pas toutes. Si Stiles venait à mourir et son corps, obéir à vie à l'oncle de Derek… Non, c'était définitivement trop injuste.
- Tu te sens mieux ? S'enquit doucement le sportif.
Les tremblements de Stiles avaient encore diminué en intensité. L'hyperactif avait malgré lui entrelacé leurs jambes, comme pour capter encore plus de cette chaleur bienfaitrice provenant de son ancien ennemi. Il hocha faiblement la tête et Jackson souffla doucement. Leur position actuelle le gênait autant qu'elle lui était agréable, mais il n'allait rien dire. L'essentiel, c'était le confort de Stiles.
Enfin, du bruit se fit entendre et Derek apparut finalement, deux grosses bûches dans les bras, qu'il déposa dans l'âtre ouvert, âtre dont il allait bientôt s'occuper. Il jeta un regard perplexe à Jackson, qui détourna aussitôt le regard. En serrant ainsi Stiles contre lui, il avait l'impression de faire quelque chose de mal et en même temps non. Il n'y avait rien de mal à réchauffer un ami, d'autant plus que cet ami gardait, pour une fois, conscience plus de quelques minutes.
Oui, mais Derek et Stiles étaient liés par un lien d'union qui, à l'évidence, n'avait de lien que l'apparence. D'après ses dires, Derek savait qu'il était là, il le sentait… Mais c'était tout. Il n'y avait rien de plus : pas d'intensification d'émotion, de transmission d'il ne savait quoi… Rien.
Et pourtant, Jackson avait l'impression de se sentir en faute, comme s'il avait fait quelque chose de mal. Son instinct de loup lui disait le contraire et lui soufflait même qu'il était parfaitement à sa place, dans son droit.
Le regard encore humain face à lui ne se fit pas lupin, ni agressif. Il parut simplement… Très surpris. Perplexe. Perturbé aussi, peut-être. Mais il ne dit rien, ne communiqua pas sa pensée au kanima qui se retrouva un tantinet désemparé. Sans doute préférait-il voir Derek réagir de manière claire, comme lorsque Stiles l'avait embr… Putain. Quoi qu'il fasse, il en revenait toujours à ce satané souvenir qui continuait de le gêner plus que de raison.
- Allume le feu, dit-il d'une voix légèrement enrouée.
Derek le regarda étrangement.
- Il en a vraiment besoin, précisa le blond en jetant un coup d'œil à l'hyperactif serré contre lui.
Hyperactif qui ne démentit pas ce fait. Jackson avait beau le réchauffer, ce n'était pas suffisant.
Enfin, l'ancien alpha face à lui parut se détendre un peu et finit par s'exécuter. Après quelques minutes d'un vague nettoyage et après avoir mis petit bois et bouts de vieux journaux, Derek fit naître les premières flammes. Il s'appliqua, privilégia l'efficacité de la chaleur à la grandeur du feu, le tout sans prononcer un seul mot. S'il avait eu l'air de s'être détendu quelques secondes plus tôt, c'était tout relatif. Il y avait en lui une tension aussi forte que visible et même en analysant son odeur aussi précisément que possible, Jackson ne comprit pas : elle était comme d'habitude depuis le début de cette histoire.
Bien vite, le salon commença à changer d'ambiance. Ce n'était ni extraordinaire ni miraculeux. Disons que l'air se faisait moins glacial, un peu plus agréable à respirer, surtout pour Stiles qui continua toutefois de se pelotonner contre Jackson. Tant que la pièce ne serait pas significativement plus chaude, il serait incapable de se détacher de lui. Derek se retourna vers Jackson et Stiles, leur jeta un regard insondable avant de sortir de la pièce sans un mot.
