Si Livaï ne connaissait pas aussi bien les Valgulfr, il aurait été étonné. En plus d'avoir terminé tous les préparatifs pour la lune de sang qui aurait lieu dans deux jours, ils étaient déjà en train de mettre en place les charrettes. Niccolo et Connie avaient vérifié que les denrées résisteraient aux deux prochaines nuits, ainsi qu'à Sasha. Plusieurs Humain entouraient les Valgulfr pour finir de mettre le tout en place.
Non loin du trou qui servirait de foyer au feu, Livaï observait le dernier char se mettre en place et les tables qui se dépliaient à une vitesse folle, tout comme l'estrade qui serait bientôt terminée.
— Ils ont hâte, lança Armin en s'arrêtant près de lui.
— On pourra commencer la fête dès aujourd'hui, si ça continue.
Le Valgulfr sourit.
— Il reste encore les cordes à terminer mais oui, nous pourrions très bien la commencer aujourd'hui. L'attente va être longue pour certains.
Livaï croisa les bras et son attention fut attirée par Eren, non loin. Il venait de sortir de la ville. En pleine discussion avec Connie et Niccolo, ils s'avancèrent vers les chars. Discrètement, Armin s'approcha de lui et tourna sa truffe vers son cou.
— Si tu veux m'renifler, évite de l'faire avec des gens autour, grinça le commandant.
Armin se mordit la lèvre.
— Disons que depuis la dernière fois, je me demande ce que vous attendez. Rien ne dit que les derniers brins ne vont pas se casser en même temps.
Livaï le fusilla du regard. Il n'avait pas du tout envie de revivre ça mais d'un autre côté, il n'avait pas envie de terminer ce fichu lien par peur qu'il se brise dans les prochains jours. Qui a dit que l'esprit de contradiction ne touchait que les femmes de leur espèce ?
— J'vois pas le rapport avec mon odeur, pesta-t-il en reprenant constance.
— Elle… Je me demandais si elle avait changé quand le brin s'est cassé mais c'est peut-être trop infime pour le moment. Ca et le fait que vous n'avez pas franchi le pas avec Eren.
— T'en déduis ça en m'sentant ?
— Parfois, je me demande à quoi vous servent vos sens, se moqua gentiment Armin.
— À la même chose que vous, sauf qu'on est pas des chiens qui sniffent tout c'qui bouge.
— Vous ! Vous ne comprenez qu'un cinquième du monde qui nous entoure, rétorqua-t-il avec un sourire.
— Si c'est l'prix à payer pour pas coller mon pif sur les autres, ça m'va.
Armin éclata de rire. Quelques têtes se tournèrent vers eux, que Livaï prit soin de remettre à leur affaire avec un regard bien placé.
— J'vois pas c'qui a de drôle, ajouta-t-il.
Il secoua la tête, notant son regard sur Eren, il changea de sujet :
— Que comptez-vous faire à la lune de sang ?
— Surveiller, et vérifier les rondes.
Armin soupira. Parfois, le commandant le comprenait rien.
— Je parlais au sujet de… vous savez, Eren, chuchota-t-il : "Ca se voit que vous… L'appréciez plus que de raison."
Livaï grimaça. Il avait réussi à se débarrasser de Mikasa, mais depuis, on le tannait à ce foutu sujet. Il laissa son regard errer sur son Bashert. Il devait se couper les cheveux à cause des fleurs, puis s'était ravisé quand il avait réussi à faire craquer Livaï pour qu'il lui enlève. Comme seul argument que : "C'était sa faute si elles étaient là, et qu'il se coucherait avec s'il ne l'aidait pas à s'en débarasser." Trop content de se faire dorloter, Eren avait eu un sourire bien heureux lors du processus, et Livaï s'étant rendu compte à quel point ses cheveux étaient doux, avait laissé traîner ses doigts dedans plus longtemps que de raison. Depuis, Eren refusait de les couper et les attachaient. Ce qui mettait en avant son visage d'une très belle façon.
Livaï fut soudainement agacé.
— Commandant.
— J'vous emmerde, lâcha-t-il sans même le regarder.
Eren venait de relever la tête, alerte.
— Ça ne me répond pas.
Trop concentré sur l'attitude de son Bashert, Livaï ne l'écoutait plus. Eren s'approcha d'un char, s'arrêta et recula précipitamment.
— À terre ! Tout le monde à terre !
Il se rua sur Connie et Niccolo, tandis que par réflexe, Livaï attrapa Armin et se jeta dans le trou avec le Valgulfr.
Une explosion retentit soudainement, des milliers de débris de bois volèrent en tous sens, des personnes hurlèrent. Les tympans sifflants, Livaï compta jusqu'à dix avant de se relever et de vérifier les alentours. Tout le monde était au sol, personne ne semblait blesser gravement. Du monde arrivait déjà de la ville, sans doute alerté par le bruit.
Il jeta un coup d'oeil à Armin. Sonné, ce dernier allait bien.
Certain qu'il n'avait rien, il sauta hors du trou et courut jusqu'à Eren. Plusieurs personnes se trouvaient non loin, et avaient reçu quelques débris sur le corps, mais rien de mortel. Connie et Niccolo soulevèrent Eren et le déposèrent à nouveau sur le ventre. Ce dernier grogna. Des morceaux de bois s'étaient fichés dans son dos, et un imposant dans son flanc. D'un coup d'œil, Livaï était certain que c'était le plus touché aux alentours.
Il ordonna aux premiers arrivants de s'occuper des blessés, de préparer des civières et des seaux d'eau.
Connie arracha son t-shirt sans toucher le bois. Eren braqua ses yeux dans ceux de Livaï.
— Y'a des épines qui risquent de rester si j'les enlève d'un coup, Chef, i' m'faudrait un couteau !
— Livaï, un poignard, gronda Eren.
— Pour qu'un de tes subordonnés t'entaille le dos ?
— Si j'le fais pas, il va s'régénérer autour et ça va être pire, pesta Connie : "Ca le tuera pas, mais ça va faire mal."
Niccolo, pâle, se hâta de défaire sa chemise, prêt à l'utiliser comme serviette.
Livaï pesta intérieurement et donna la lame à Connie. Il se tourna et hurla que chaque espèce s'occupent de ses blessés. Armin sortit de son hébétude, analysa la situation et commença à répartir les groupes.
D'autres Valgulfr et Humain s'affairaient autour d'eux.
Tremblant, Connie saisit un morceau de bois. Niccolo l'arrêta :
— Je peux entailler et récupérer les morceaux de bois si tu veux.
Connie soupira de soulagement et lui passa la lame. L'Humain songea qu'il fallait juste penser à un gros poisson plein d'arêtes.
Ils hochèrent la tête simultanément, prêts.
— J'aurais dû sentir l'odeur de poudre avant ! On aurait dû sentir l'odeur de poudre ! mugit Eren.
Connie arracha le premier bout de bois juste après, Niccolo récupéra plusieurs morceaux.
Eren continua de grommeler dans sa barbe pendant qu'on lui retirait les bouts de bois. Ca lui permettait de penser à autre chose qu'à la douleur.
Livaï les observa pour les trois premiers, puis détourna la tête. Les autres Valgulfr touchés subissaient le même traitement, contrairement aux Humain que l'on emmenait vers la ville.
Armin était monté sur une table et vérifiait à ce que l'on oublie personne. Erd était près des portes de la ville et regroupait les civils selon leur état.
Livaï nota qu'il n'y avait pas d'arbres proches, même sur une table, il était difficile de voir la situation dans sa globalité, ainsi que les comportements étranges et il n'avait pas le flair des Valgulfr. Pestant contre son inutilité, il fut pourtant incapable de s'éloigner de son Bashert.
Dans un soupir, il s'approcha d'Eren, s'accroupit à sa hauteur et lui posa une main sur le crâne. Ce dernier arrêta de râler, mais continua de grogner dans sa barbe en serrant les poings.
Quand ils extrairent le plus gros morceau de bois, fiché dans son flanc, Livaï constata avec morbidité que la blessure aurait été fatale à n'importe quel Humain pour cause d'une sacré hémorragie.
Niccolo eut à peine enlevé les derniers morceaux qu'Eren contractait ses muscles pour se relever.
— T'as même pas intérêt à essayer de te lever ! cria Armin -soudainement à côté d'eux- avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit.
— Bordel, Armin, on a rien senti ! Il faut que je vérifie les alentours !
— Je vais y aller, alors tu restes tranquille !
— C'est-...
Historia arriva en trombe près d'eux.
— Eren, ô Freya ! Tu restes ici, je me charge de tout.
— J'vais bien ! Ragea Eren, une nouvelle fois.
Livaï ricana :
— Ca à l'air.
Ses yeux brillèrent sous le coup de la colère. Ce qui ne l'effraya pas du tout, au contraire, il les trouvait plus beau ainsi.
Niccolo, les mains pleines de sang et ne sachant que faire, regardait la scène. Connie lui maintenait une épaule et Livaï s'était décalé pour tenir la seconde. Son dos continuait de saigner, mais les blessures étaient déjà presque fermées sauf une. Sacré pouvoir, songea Livaï, il aurait aimé le même. D'un geste expert, il saisit une de ses dagues, la fit tournoyer sans le quitter des yeux puis la planta au sol à quelques millimètres de sa tête.
— Si tu bouges, j'te cloue l'épaule au sol.
La colère d'Eren fit vibrer le fil si fort que Livaï préféra s'asseoir, quitte à avoir le cul plein de terre. Il n'en démordit pas pour autant et ne lâcha pas son regard.
Historia sourit et fit signe à Armin de la suivre. Ce dernier hésita quelques secondes, avant de suivre les ordres de sa Königin.
Livaï sortit un nouveau couteau de sa botte et le fit tourner entre ses doigts.
— J'ai rien vu, pas de mouvements suspects, ni aucune des personnes qu'on suspectait, grommela-t-il à l'adresse d'Historia.
— Soit, je vais utiliser mon flair, je te laisse la garde d'Eren.
— Combien de temps avant qu'il ne bouge ?
— J'suis là, j'vous signale ! râla-t-il.
— Pas tant que son flanc ne se sera pas fermé complètement, et même quand ce sera le cas, interdiction de forcer.
Livaï reposa ses yeux sur Eren. Il ordonna à Connie de le lâcher et l'autorisa à partir, et à Niccolo d'aller se nettoyer.
— Vous guérissez moins vite que dans mes souvenirs, lâcha Livaï quand ils furent seuls.
Les autres blessés avaient été évacués, même les Valgulfr touchés furent transportés après leurs incisions. Seul Eren et lui demeurèrent près des chars.
— J'ai été touché sur différents organes, grommela Eren.
Livaï observa son flanc. Il continuait de saigner légèrement mais il ne voyait rien à part une masse sanguinolente.
— Intestin et rein, ajouta-t-il pour répondre à sa question muette.
— Pour un Humain, ça aurait été fatal.
Eren se tourna légèrement sur son flanc indemne. Dans moins de cinq minutes, il serait comme neuf. Ce qui n'était pas encore le cas. Il grimaça.
— Je suis pas un Humain.
— Y'a pas de quoi être fier. Ça aurait pu être pire même sans être Humain, pesta le commandant.
— Mais ça l'est pas.
Il avait envie de gifler Eren mais se retint. Il récupéra le poignard qui était proche de son crâne. En vérité, le voir aussi vulnérable ne lui plaisait pas. Certes, il avait sauvé la vie de deux hommes et avait donc fait preuve d'héroïsme mais si c'était pour le voir dans cet état, Livaï s'en serai passé. Son coeur se serra.
— Je vais bien, souffla Eren.
— Dit-il avec le bide à moitié ouvert.
— C'est pas mon "bide" !
Il voulu se relever, mais un coup de Livaï pile sur sa blessure le fit retomber lourdement.
— Bordel de merde ! gronda Eren.
— J'crois que j'déteins sur toi.
— Si j'te dis que j't'emmerde, ça le confirme ? plaisanta-t-il à moitié.
Il eut la fierté de tirer un sourire à Livaï. Désormais en tailleur, ce dernier se pencha en avant et attrapa quelques mèches folles qui s'étaient échappés. Non, il n'avouera jamais qu'il appréciait jouer avec. Jamais.
Eren attrapa sa main et la glissa doucement dans la sienne. Livaï se laissa faire, et observa les dernières plaies de son dos. Elles disparurent sous ses yeux et il posa sa seconde main dessus. La peau était de nouveau lisse, propre, belle. Mais surtout, chaude. Vivante.
Sans savoir pourquoi, son cœur se desserra légèrement. Oui, il en fallait bien plus pour tuer Eren, même son flanc commençait à redevenir un flanc, et non plus une bouillie rougeâtre.
— Je t'ai dis que j'allais bien, souffla Eren, un poil agacé.
— J't'ai dis que la plupart des gens crevaient toujours quand ils étaient proches de moi ? rétorqua Livaï.
— Ah, j'me régénère mille fois plus vite que votre espèce, je suis plus endurant, bien meilleur dans tous domaines et j'vais vivre deux fois plus longtemps que toi !
— Ca, t'en sais rien.
— Pourquoi, vous vivez vieux dans votre famille ? s'exclama Eren.
— J'sais pas, généralement, on s'fait buter. Etonnant que j'sois encore vivant, d'ailleurs.
Eren resta interdit quelques secondes, avant d'éclater de rire et de râler juste après à cause de la douleur.
— Tu vois, c'est moi qui devrait m'inquiéter, pesta-t-il en essayant de s'asseoir.
Livaï rappuya sur le nouveau tissu de chair, bien rosé. Il glapit :
— Pourquoi tu me fais ça ? C'est horrible et tu sais que j'ai raison !
Oui, oui, il savait qu'Eren n'était pas le premier venu, et voir qu'il était plus résistant que n'importe qui lui faisait du bien. Au moins, il ne mourrait pas même s'il s'éloignait de lui. Il chassa les visages d'Isabel et Farlan de sa pensée, et jeta un nouveau coup d'oeil à son Bashert. Oui, au fond, il était heureux de pouvoir compter sur quelqu'un sans avoir à songer à sa mort prochaine. Il se mordit la lèvre en comprenant cette évidence.
— T'as compris que j'étais formidable et que tu peux rien y faire, plaisanta Eren en voyant sa grimace.
Il était presque guéri et comptait bien se relever jusqu'à ce que Livaï se penche sur lui. Il se figea. Priant pour ne pas recevoir un nouveau coup, il fut étonné de sentir une main dégager sa nuque et des dents se poser dessus. Il n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche que Livaï le mordait brutalement.
Soudainement, le pauvre fil qui servait de Lien fut enroulé de millier de brin et se transforma en une solide corde. Leurs émotions se nouèrent autour et glissèrent de part et d'autre jusqu'à eux dans un tumulte de non-sens.
Pantois, Livaï se redressa, les lèvres barbouillées de sang et le souffle court. Ils restèrent le regard planté l'un dans l'autre, jusqu'à ce qu'Eren lui saute dessus et le serre si fort qu'il eut peur d'avoir les côtes cassées.
— Tu vas me buter, souffla-t-il difficilement.
Eren se redressa sur ses coudes, tout sourire.
— Comme si c'était si facile, rétorqua-t-il.
Il lécha le sang de ses lèvres, puis s'appropria sa bouche.
