Raisonnable ne serait pas le mot le plus adéquat pour décrire Stiles. Deux heures du matin, et il ne dormait toujours pas, et pour cause : difficile de dormir lorsque l'on avait l'impression que l'on pouvait réactiver sa marque à tout moment et lorsque les seules images lui venant n'étaient n'autres que des hommes se penchant sur lui pour lui faire du mal… Oui, forcément, dormir descendait dans l'échelle de ses priorités. Rester éveillé et s'assurer qu'on ne l'approchait pas, c'était bien mieux.

Ce qui ne l'aidait pas, c'était de savoir qu'il y avait quelqu'un avec Magnus, un de ces gens tatoués. Il se souvenait vaguement de lui et se rappelait bien l'avoir vu avec le sorcier lorsqu'il avait été extrait de sa cellule, mais… Il ne lui faisait pas confiance. Il ne le connaissait pas. Qui pouvait lui assurer qu'il ne viendrait pas, en plein milieu de la nuit, le faire crier ? Ça les avait amusés, les autres, pourquoi pas lui ? Après tout, il ne le connaissait pas… D'accord, il l'avait peut-être aperçu aux côtés de Magnus, le jour où le sorcier l'avait sorti de l'enfer de sa cellule, mais… Ce fait ne faisait pas de lui quelqu'un de confiance pour autant. En soi, il ne se fiait pas non plus complètement à Magnus, simplement… Cela se faisait petit à petit. Au moins, ils avaient vécu la même chose et se comprenaient, c'était d'ailleurs ce qui les rapprochait. Alors lui, il le tolérait, mais gardait tout de même une réserve, ne serait-ce que pour sa santé mentale. Dans son état psychologique actuel, une trahison de Magnus achèverait de le détruire. C'était à cela que servaient sa garde et sa réserve : mieux valait prévenir que guérir.

Et le voilà qu'il tournait en rond dans sa tête, les doigts crispés sur son téléphone dont la faible luminosité éclairait tout de même son visage d'une lueur bleutée. Il avait éteint toutes les lumières du salon pour « dormir » mais puisqu'il n'allait pas céder au sommeil avant un moment, au moins, il avait son téléphone pour s'occuper. Il se baladait dans ses messages, en relisait certains, en laissaient d'autres de côté. Et malgré la maigre discussion qu'il avait eue avec Magnus sur le sujet, Stiles n'osait pas vraiment répondre aux nombreux textos laissés par la personne la plus taciturne qu'il connaissait.

Derek Hale avait toujours eu l'habitude d'être dans la concision et de ne parler que lorsque cela se révélait nécessaire : cela se vérifiait autant dans la vie réelle qu'au niveau du téléphone. Il en avait un, mais l'utilisait peu. Pour lui, ce n'était pas toujours utile. Quoiqu'il avait commencé à s'en servir davantage lorsqu'ils avaient commencé à, disons… Se rapprocher. Stiles s'était d'ailleurs, à plusieurs reprises, senti honoré de ce changement initié par leur espèce de flirt. Ce n'était pas grand-chose, mais il aimait savoir que Derek daignait charger son téléphone et l'allumer pour lui parler. Disons qu'autrefois, on ne pouvait pas dire qu'il servait à grand-chose. Le plus souvent, il restait sur sa table de nuit, ou celle de la cuisine. En fait, Derek avait l'habitude de le laisser traîner un peu partout tant il lui accordait peu d'importance. Puis, ils s'étaient rapprochés, embrassés quelques fois. Cela avait donné lieu à des textos, des conversations de moins en moins à sens unique.

Et maintenant, Stiles se retrouvait avec une marée de messages provenant de Derek.

L'hyperactif les parcourut des yeux et savoura plus que de raison ces mots qui lui étaient adressés. C'était difficile à croire, mais… Derek s'inquiétait pour lui. Stiles savait que le loup n'était pas un mauvais bougre insensible. Simplement, il ne pensait pas… Lui manquer à ce point. Ils flirtaient, oui, se plaisaient beaucoup. Pourtant, Stiles n'était pas irremplaçable et savait que n'importe qui pourrait prendre sa place. Ils n'avaient pas signé de contrat, pas parlé d'exclusivité de flirt. Techniquement, chacun était libre de voir ailleurs en même temps qu'ils se cherchaient. Et honnêtement, le brun pensait que c'était ce que ferait l'ancien alpha. Disons que Derek n'était pas juste beau. Il attirait l'œil et son charisme s'ajoutait à sa carrure. Il connaissait ses qualités et Stiles savait qu'il pouvait enchaîner les conquêtes sans aucun problème puisque c'était ce qu'il faisait, autrefois. Il y a peu, Derek lui avait confié vouloir arrêter tout ça et se poser, mais… Il s'agissait seulement de mots. Stiles était du genre à attendre de voir les choses pour les croire.

Ce qui ressortait le plus dans les messages de Derek, c'était sa peur. Oui, il avait peur pour lui, Stiles, l'hyperactif un peu trop maladroit, peu sûr de lui, au nombre stratosphérique de grains de beauté, au physique de brindille, à la personnalité bien taillée. Il lui demandait où il était, si sa soirée s'était bien passée. Puis, les jours qui suivaient, il cherchait à savoir si tout allait bien, s'il ne répondait pas par envie ou s'il s'était passé quelques choses. Il disait que Noah avait informé toute la meute qu'il allait bien et qu'il était chez un ami, mais il arguait ne pas y croire. Il s'inquiétait, le disait étonnamment sans honte. Il en vint même à lui demander s'il n'avait pas fait quelque chose de mal, quelque chose qui lui aurait déplu et l'aurait poussé à se murer dans le silence. Se couper des gens pour mieux le fuir, lui. Derek se remettait bien trop en question et avec peu de mots, essayait réellement de voir ce qui aurait pu mal se passer, tout en lui confiant qu'il regrettait de l'avoir embrassé cette fois-là, au loft, dans la bibliothèque parce que peut-être… Peut-être que Stiles n'avait pas envie. Peut-être qu'il avait voulu partir, faire le point, qu'il voulait se retrouver loin du loup. Loup qui s'excusait, promettait qu'il lui laisserait tout l'espace dont il avait besoin et qu'il n'était même pas obligé de lui répondre. Si tous ces mots émoustillaient l'hyperactif qui rougissait en secret, le dernier message envoyé par l'ancien alpha et datant de quatre heures acheva de le faire fondre.

« J'espère juste que tu vas bien. »

Parce que c'était ce qui ressortait le plus, ce qui avait l'air de réellement compter pour Derek. Son état. Savoir comment il allait. Plus précisément, priant pour qu'il aille bien.

S'il savait. S'il savait que Stiles s'était retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, qu'on l'avait malmené, que la torture lui avait fait perdre toute confiance et toute estime de lui-même. L'hyperactif qu'il connaissait se terrait au fond de son esprit, terrorisé par l'extérieur, les gens. Comment réagirait Derek s'il apprenait qu'on lui avait fait tant de mal ? Se moquerait-il de lui, s'il lui disait qu'il avait suffi d'une nuit pour le détruire ? Ou, au contraire, se mettrait-il en colère ? Voudrait-il le venger, retrouver ces tyrans ? Autrefois, Stiles aurait répondu sans hésiter. Maintenant, il ne savait plus, simplement parce qu'il doutait de sa propre valeur, ne savait plus s'il comptait tant que ça. Alors, pour essayer de garder un semblant de santé mentale, Stiles tenta de se raccrocher aux messages de Derek. Ses yeux repassaient sans arrêt sur ses mots, les gravant autant que possible dans sa mémoire, s'imprégnant au maximum de leur sens. Pour continuer d'exister, d'exister tel qu'il était autrefois. Bordel, il avait réellement suffi d'une nuit pour faire sauter toutes ses certitudes.

Fébrilement, ses doigts se mirent à tapoter l'écran, marquant maladroitement quelques mots, alternant entre mensonges et vérités. Pourquoi Derek était-il le seul à qui il avait envie de répondre ? Il n'en avait pas la moindre idée, mais c'était ainsi. Peut-être qu'avec lui, il savait n'avoir pas besoin de se prendre la tête. Et puis… Si Magnus lui avait conseillé de lui envoyer quelque chose en réponse, ce n'était sans doute pas pour rien. Stiles avait pour le sorcier une affection et une affinité toutes particulières. Leur expérience, similaire par son caractère, aidait l'hyperactif à se dire qu'il n'était pas le seul et que, peut-être, une nuit, c'était amplement suffisant pour briser quelqu'un. Dans le cas de Magnus, les tortures avaient duré plusieurs jours, mais il avait succombé mentalement dès les premières heures tant cette souffrance était inhumaine. Stiles ne pouvait qu'être d'accord avec lui.

Alors forcément, il avait envie d'écouter Magnus qui, assurément, ne cherchait pas à lui nuire. Si tel était le cas, nul besoin de gagner sa confiance : il suffisait de le mettre à genoux et d'activer cette marque maudite. Avec cette chose ancrée dans sa peau, Stiles était à la merci de n'importe qui. Cette pensée le fit frissonner et il fit de son mieux pour se concentrer sur ce qu'il écrivait. S'imiter lui-même était aussi étrange que difficile. Parce qu'il ne désirait pas éveiller ses soupçons ni lui confier ce qui lui était arrivé pour l'instant, l'hyperactif faisait comme s'il était toujours lui, le Stiles d'avant, joyeux et insouciant, avec un soupçon d'espièglerie, juste ce qu'il fallait pour avoir l'air tout à fait normal. Mais ça sonnait faux.

L'adolescent appuya sur « envoyer » avant de se donner le temps de regretter. Il savait qu'en réfléchissant trop, il finirait par revenir sur sa décision et finalement, ne rien dire. Stiles se mordit la lèvre inférieure. Et maintenant ? Une chose était certaine, il n'avait toujours pas la tête à dormir alors même qu'il sentait une lourde fatigue peser sur ses paupières. Son corps était lourd, mais Stiles… N'était pas près de fermer les yeux. Chaque soir depuis cette fameuse nuit, dormir s'avérait être un parcours du combattant. Le plus souvent, Stiles ne cédait qu'aux alentours de quatre heures du matin, pour se réveiller en début de matinée. Ça, c'était quand son sommeil n'était pas ponctué de cauchemars. Là, les interruptions se faisaient particulièrement fréquentes.

Stiles manqua de sursauter lorsqu'un petit « vu » apparut sous son message, à peine deux minutes après son envoi. Au lieu d'être heureux que son petit texto ait été vu aussi rapidement, l'hyperactif se vit submergé par une bouffée d'angoisse et relut son message, à la recherche de quelque chose qu'il aurait dit en trop.

« Coucou Der, je suis désolé de ne pas t'avoir répondu plus tôt. Mon père a dû vous le dire, je suis chez un ami, en tout bien tout honneur ! Je vais bien, pas besoin de s'inquiéter pour moi. De ton côté, ne t'en fais pas, tu n'as rien fait de mal et j'ai hâte de te retrouver. Ta petite bouille de loup-garou me manque. Mais t'en fais pas, je reviens bientôt et je vais tellement t'assommer de paroles que tu vas regretter mon absence, p'tit loup d'amour. »

La plupart de ses paroles sonnaient faux, tout simplement parce qu'elles étaient fausses. Il n'était pas chez un ami. Il n'allait pas bien. Il avait hâte de retrouver Derek, oui, et en même temps, il était terrifié à cette idée. Comment l'accueillerait le loup ? Serait-il toujours aussi intéressé ? Continuerait-ils leur petit jeu du chat et de la souris ou Derek laisserait-il tout tomber en le voyant ? Oui, il lui manquait, tout lui manquait chez lui : son visage, son corps, sa personnalité, ses petites mimiques et habitudes, ce caractère qui n'appartenait qu'à lui… Tout. Quant au fait qu'il reviendrait bientôt… Il avait dit ça comme ça mais n'avait aucune idée de quand planifier son retour. Il ne savait même pas s'il était prêt à rentrer ou non à Beacon Hills. L'assommer de paroles ? Il mesurait chacun de ses mots et avait peur de faire le moindre bruit, de prononcer une parole de trop. La gorge de Stiles se serra. Bordel…

Son cœur rata un battement lorsqu'il vit un message apparaître sous le sien. Au départ, il refusa de le lire, par peur d'en découvrir son contenu et en même temps… Il en avait besoin. Il s'agissait de sa première interaction avec quelqu'un d'autre que Magnus et… Il n'avait pas l'habitude. Alors il lut, doucement, réfrénant autant que possible le tremblement de ses mains.

« Comment ne pas m'inquiéter pour toi avec ce silence ? Tu nous as laissé des jours sans nouvelles. Oui, on a eu le message de ton père, mais ce n'est pas comparable à un message de toi. Je suis heureux de te lire même si je ne suis pas certain que tu sois complètement honnête. Tu pourras parler autant que tu veux, tes mots me manquent autant que ta petite tête. Tu me manques, Stiles. »

Si le cœur de Stiles se réchauffa, il fut sidéré par les espoirs qui naissaient en lui, des espoirs qu'il voulait taire plus que tout, et il n'y avait qu'un seul moyen d'y arriver. Être un peu plus honnête. Très franchement, il n'en avait pas envie mais quelque chose envie avait besoin de s'exprimer malgré tout.

« J'ai besoin de te parler. »

Il envoya tout de suite ces simples mots en se mordant la lèvre inférieure. Stiles était un être compliqué. Il pouvait vouloir refuser de parler de quelque chose, mais dire ce qu'il voulait garder secret la minute d'après. D'autant plus qu'en envoyant ce message, qui ne répondait absolument pas à celui de Derek, ce dernier allait forcément relever.

En effet, il releva, rapidement d'ailleurs, et en l'appelant.

Pris d'une bouffée d'angoisse mélangée à de la panique, Stiles appuya tout de suite sur l'icône rouge. Il ne pouvait pas répondre. Non, pas maintenant. A cet instant, il ne pensait pas à Magnus ni à cette personne qui était avec lui, au fait qu'ils dormaient et qu'il ne devait pas les réveiller. Non, il pensait à sa voix cassée qui revenait doucement, cette voix qu'il n'avait plus, quelques jours plus tôt. Les doigts tremblants, il rédigea un court message expliquant qu'il ne pouvait pas parler, juste écrire, car on dormait dans la pièce voisine. Un semi-mensonge, mais qui l'arrangeait bien. Derek sembla accepter de passer par le canal écrit et c'était tant mieux parce qu'il n'avait pas le choix. Stiles ferma les yeux un instant et prit le temps de se calmer, d'attendre que son cœur reprenne un rythme cardiaque plus ou moins normal.

Lorsqu'il fut un peu mieux, Stiles réfléchit à ce qu'il pourrait dire, tout en écartant bien sûr tout de suite l'idée de lui parler de cette nuit d'horreur. Il pouvait être honnête avec lui, en omettant les détails qui le dérangeaient. A l'heure actuelle, il se posait principalement des questions concernant son futur, y compris sur sa relation avec Derek. C'était tout ce sur quoi il pouvait se questionner sans avoir peur de perdre la tête. Il s'agissait d'un sujet… Un peu plus léger que les autres ou du moins, légèrement moins stressant.

« Tu voudrais quand même de moi même si… Je changeais ? »

La question était légitime. Derek aimait bien le Stiles qu'il connaissait. Qu'en serait-il de sa version détruite ? Et puisque l'hyperactif n'avait rien de plus à faire pour l'instant… Autant parler à ce loup qui continuait malgré tout de le faire fantasmer.

La réponse fut rapide. La réactivité de Derek en cette nuit fit esquisser à Stiles un très léger sourire, même si le stress continuait de l'habiter.

« Tu connais déjà la réponse, idiot. »

Une bouffée de chaleur l'envahit à nouveau. Qu'il était bon de goûter à la familiarité. Derek avait ses réponses à lui, sa manière de parler, et ce petit côté ronchon ressortait de temps à autres, avec des petits mots doux de ce genre qui étaient en réalité une marque d'affection manifeste. Stiles prit son courage à deux mains.

« Même si je suis plus vraiment pareil ? »

Honnêtement, il ne savait pas de quoi demain serait fait, ni s'il s'en remettrait un jour. Toutefois, parler à Derek et lui poser ce genre de questions l'allégeait légèrement. Parler… C'était difficile, mais agréable. Parce qu'avec le loup… Stiles se sentait écouté et savait que l'ancien alpha faisait attention aux détails.

La preuve de ce fait apparut rapidement.

« Parle-moi. Dis-moi où tu es. »

« Je ne peux pas. Enfin si, techniquement, mais juste… Non. »

« Stiles, qu'est-ce qui se passe ? »

« Pas grand-chose, c'est juste que je ne suis pas prêt. »

« Bordel, Stiles, parle-moi, tu peux tout me dire ! »

Oui, il le pouvait, mais il était bloqué. C'était trop frais.

« J'ai besoin d'un peu de temps. Mais t'inquiète, discuter avec toi, juste comme ça… Ça me fait du bien. »

« Stiles, s'il te plaît. »

« Pas maintenant. Quand on se verra, d'accord ? »

« Quand ? »

« Je ne sais pas. »

« Tu es vraiment chez un ami ? »

« Oui, je te le jure. »

Enfin, ce n'était pas vraiment un ami, mais Magnus était en bonne voie pour en devenir un. Son instinct le lui soufflait, et il avait rarement tort.

« Je veux te voir. »

Stiles sentit son cœur rater un battement. Ses doigts tapèrent frénétiquement sur le clavier de son téléphone. Son cœur battait vite, mais c'était agréable. Oui, agréable de sentir… Désiré, en quelque sorte, même si au fond, il doutait que Derek continue de s'intéresser à lui lorsqu'il le verrait. Par message, il ressemblait à peu près à celui qu'il était. Dans la vraie vie ? Il était devenu ridicule. Il se voyait, s'entendait, lorsqu'il parlait avec Magnus et autant dire qu'il avait du mal à se reconnaître. Derek… En soi, oui, il voulait vraiment le retrouver, mais comment réagirait-il, bon sang ?

« Moi aussi, j'ai envie de te voir. On se verra… Je sais pas, à la prochaine réunion de la meute ? »

« Dans deux jours, donc. C'est long, Stiles. »

C'était court. Trop court.

« Je serai là. »

Stiles se rendit compte trop tard qu'il avait déjà envoyé le message avant même de se relire.