Oh bon sang (pun not intended) comment j'ai pu oublier de poster la fin ?
Voilà la conclusion de cette histoire les amis, le moment que vous attendez tous...
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L'heure de la repentance
Quand Dazai rouvre les yeux - à son grand damne - il reconnaît les rideaux de l'infirmerie de l'Agence des Détectives armés. On dirait qu'il s'en est sorti, cette fois encore. Ce n'est pas surprenant. Le grabuge qu'il entend derrière la porte fermée n'est pas surprenant non plus, ils sont plutôt turbulents pour des détectives, après tout. Ce qui surprend Dazai en revanche - mais franchement il aurait dû s'y attendre - c'est la tête rousse et chapeautée qui débarque sans frapper. Chuuya a encore un pied levé avec lequel il a enfoncé la porte - qui n'était même pas verrouillée à coup sûr.
« C'est moi qui l'ai traîné ici alors la moindre des choses c'est de me laisser lui parler ! » crie-t-il en arrière aux détectives agités.
Puis il referme la porte d'un autre coup de pied, les mains toujours dans les poches. Chuuya semble tracassé, pas que Dazai fasse attention à ce genre de détails. Il s'affale sur le tabouret à ses côtés, épuisé.
« J'ai entendu que t'étais réveillé.
- Tu as dû entendre juste alors. » répond Dazai avec pertinence.
« Arrête de jouer au plus malin, je suis pas là en tant qu'ennemi.
- Tu ferais un bien piètre espion si c'était le cas. »
Chuuya roule des yeux, à peine réveillé et déjà exaspérant, Dazai est fier de son effet. Avec un peu de chance, son visiteur va s'énerver et ne pensera même plus à la raison pour laquelle il est venu en premier lieu.
« Ouais ouais c'est ça, on a compris. T'as fini tes conneries ? Je peux parler ?
- Je suis tout ouïe mon petit Chuuya.
- C'est à propos de ce que t'as dit la dernière fois. Et n'essaie pas de t'esquiver c'est clair ? »
Et voilà. Exactement ce que Dazai redoutait. Il a toujours eu une chance merdique quand ça concernait Chuuya, et il était trop fatigué pour la combattre.
« Comme de l'eau de roche. »
Le voilà qui gigote, qui ne tient plus en place. Son ancien partenaire semble rongé par la nervosité, ce qui aurait dû être un spectacle des plus satisfaisant. Au lieu de ça, Dazai nage en pleine perplexité.
« Je pensais que tu croyais pas aux âmes sœurs. Puis, d'un seul coup tu me sors qu'on l'est ? Excuse-moi d'insister mais tu me dois des explications.
- Alors...
- Je t'ai dit de pas t'esquiver ! » le coupe-t-il à bouts de nerfs.
Dazai lève les mains, en signe de bonne volonté.
« J'y crois pas, mais tu as dit ma Phrase.
- Hein ? Non mais qu'est-ce que tu m'chantes ?
- Les âmes sœurs, c'est une histoire pour les gosses. Nos veines à tous les deux sont déjà rouges depuis bien longtemps, il faut se réveiller. »
Comme si Dazai avait dit une connerie - et il est persuadé que non, pas encore - Chuuya se relève en soupirant, et prend la direction de la sortie.
« C'est toujours pareil avec toi je vois. Si c'est comme ça je me casse, mais si tu voulais vraiment te faire pardonner, ben t'es mal barré. »
La porte claque sans que Dazai puisse ajouter quoique ce soit, statufié. Merde. Peu à peu la réalisation le frappe : Chuuya lui avait donné une chance, et Dazai a tout foiré. Chuuya vient de partir. Finalement ce n'est pas si choquant, Dazai foire toujours tout. Il rate ses tentatives de suicides, se plante dans ses missions - à causes desdites tentatives de suicide -, il est un horrible mentor, il gâche sa carrière prometteuse à la mafia, et il vient de gâcher sa relation avec son âme sœur.
Non, non non non. Les âmes sœurs n'existent pas ; mais si elles avaient existé, Dazai est sûr et certain qu'il vient de gâcher sa dernière chance avec la sienne. Se lever le fait souffrir atrocement, mais il est hors de question que ça se termine ainsi. Oh, c'est vrai qu'il s'est pris une balle quand même, il ne devrait pas bouger comme ça. Vraiment, il ne devrait pas se lever, marcher - encore moins courir - et ouvrir la porte, et traverser le bureau en grandes enjambées comme si sa vie en dépendait. Yosano le lui répète quand il la croise d'ailleurs : Il est en convalescence, il ne devrait pas sortir, ni descendre les escaliers, ni crier comme ça. Mais d'un autre côté, c'est pas comme si Dazai se souciait de sa propre santé, pas vrai ?
C'est un peu irresponsable de la part d'un médecin, de le laisser passer comme ça alors qu'il s'est pris une balle dans l'épaule la veille. En même temps, elle n'aurait pu l'arrêter à moins de le maîtriser au sol, alors au final c'est pour le mieux.
« Chuuya, attends ! »
Il est là, entre le deuxième et le premier étage. Au bord du palier, devant la marche suivante comme si c'était un ravin, et Dazai ne veut pas qu'il saute, ou il pourrait bien l'y suivre.
Dazai n'a jamais eu l'envie de mourir. Il a rarement eu la moindre envie, à vrai dire. Ce qui avait toujours motivé ses actions, c'étaient surtout son ennui constant et son aversion pour la douleur ; et vivre avait toujours été un supplice. Pourtant, ce jour là il se trouve à vouloir endurer ce supplice un peu plus longtemps, s'il peut... S'il peut quoi, d'ailleurs ? Se faire pardonner de Chuuya ? C'est absurde, « Tu n'as aucun sens mon vieux » voudrait-il dire à son cœur battant.
« Ne pars pas.
- Je n'ai plus rien à te dire. »
Perché un palier au dessus, Dazai ne voit que le chapeau de Chuuya solidement vissé sur sa tête qui cache son visage. Malgré ce qu'il peut dire, le mafioso ne bouge pas d'un pouce, devant le ravin de marches. Avant qu'il ne change d'avis, mais rassuré d'avoir pu rattraper son ancien partenaire, Dazai descend les quelques marches qui les séparent encore, les jambes toutes tremblantes. Toujours immobile, Chuuya lui tourne désormais le dos. Eût-il été n'importe qui d'autre, ç'aurait été une erreur, de tourner son dos à Dazai. Chuuya n'est pas stupide loin de là, il sait pertinemment ce qu'il fait. Dazai se concentre sur les micro-mouvements des doigts et épaules couverts de son ancien partenaire, visiblement tendu. Avec lui ils sont deux.
« Mais moi, si ! Écoute ce que j'ai à dire d'abord, et après je jure que tu pourras me détester tant que tu voudras. »
Lentement, Chuuya se retourne enfin. Dazai avait présumé que Chuuya lui cachait son visage parce qu'il était triste ou fatigué, mais il n'est rien de tout ça. Il est furieux ; Dazai peut naviguer avec la fureur, il la connaît bien. C'est plus délicat à apaiser que des larmes ou de la fatigue, mais il n'est pas du genre à reculer devant un défi - en particulier si ça concerne Chuuya.
« Pourquoi je t'écouterai ? À chaque fois que je t'ai laissé une chance depuis qu'on s'est retrouvés, à chaque fois, tu m'as laissé en plan comme un con. »
Voilà une question plus que pertinente, à laquelle Dazai n'a pas de réponse.
« Je... Je n'ai pas de réponse à ça. Je suis un imbécile doublé d'un lâche. Aujourd'hui je veux affronter ma bêtise et mes peurs. Je t'offre un verre autour duquel on pourra en discuter ? »
De toute évidence, ce n'était pas la réponse attendue. Chuuya s'impatiente - plus avec lui-même que contre Dazai, se rend-il compte - et finit par planter son regard d'orage droit dans celui de son ancien partenaire.
« J'ai jamais vu une faveur être aussi mal demandée. »
Pris au dépourvu, Dazai déglutit. Chuuya attend une chose précise qu'il n'a pas l'habitude de dire, encore plus que des excuses... Mais il peut se forcer un peu.
« S'il te plaît ? » parvient à supplier une toute petite voix sortant de sa gorge.
Ce n'est bien sûr pas suffisant, mais il espérait quand même que son ancien partenaire laisse passer. Chuuya ricane sans joie, son rictus bien vite remplacé par la même expression furieuse qui ne l'a jamais complètement quitté depuis leurs premières retrouvailles, dans les geôles du quartier général de la mafia.
« À genoux. »
C'est un retour de bâton plus que raisonnable, vraiment, quand Dazai repense à tout ce qu'il avait pu faire subir à ses collègues, en tous temps. Son âme sœur mérite bien qu'on s'agenouille devant elle, elle le mérite mille fois, elle mérite qu'on se prosterne, qu'on l'implore et la vénère. Chuuya n'apprécierait probablement pas un tel traitement, au vu de son rapport particulier à son statut de véhicule d'un Dieu... Pourtant, Dazai se surprend à quand même vouloir se prosterner et l'adorer, pas le Dieu Arahabaki, mais bien son hôte humain Chuuya. Pas aujourd'hui ni encore moins ici, mais un jour, en privé, Dazai voudrait adorer Chuuya physiquement comme il peut l'adorer en pensée.
« À genoux. » répète un drôle d'écho dans son esprit.
C'est bien un truc d'occidentaux ça, pense Dazai avant de se laisser complètement tomber. Ses rotules s'éclatent contre a dalle de béton et il reste là un long moment, à subir le regard sévère de Chuuya qui le fixe de haut. C'est drôle, d'avoir inversé les rôles comme ça. Peut-être que dans un autre contexte, Dazai se mettrait encore volontiers à genoux pour Chuuya. Peut-être que celui-ci lit dans les pensées, quand il détourne le regard avec les joues roses.
« J'entends toujours rien, » insiste Chuuya, debout.
« Chuuya, » dit Dazai après une grande inspiration. « S'il te plaît, écoute-moi autour d'un verre. Laisse-moi une dernière chance de te présenter mes excuses les plus sincères. »
Le concerné se retourne sans même lui accorder un regard de plus - ce que Dazai trouve for dommage, il a mis toute l'intensité qu'il pouvait dans ce regard là - et reprend sa descente. A-t-il fait tout cela pour rien ? Alors quoi, Chuuya l'a fait s'agenouiller, dire s'il te plaît, et il va juste le laisser en plan comme ça ?
« Ben quoi ? » dit-il quand il lui fait face, un palier plus bas. Dazai distingue un petit sourire - très mauvais pour son rythme cardiaque ça. « Il est au rez-de-chaussée le bar, non ? »
...
Plus abattu qu'on a l'habitude de le voir, Dazai touille son café - qui n'est même pas sucré - plus qu'il ne le boit, la gorge nouée. Comment Chuuya peut-il avaler un truc aussi amer sans sourciller ? Ah oui, il doit avoir l'habitude, avec tout ce qui a dû lui rester en travers de la gorge depuis qu'ils se sont rencontrés. Ils sont assis face à face autour d'une table près d'une fenêtre. Les paupières de Chuuya sont fermées, peut-être qu'il se concentre sur les saveurs - amères - du café, peut-être qu'il essaye de garder son calme. Il s'est mis à l'aise : son manteau plié sur la banquette à ses côtés, son vieux chapeau par dessus. Cependant, il n'a pas quitté ses gants, constate Dazai avec déception. Du coin de l'œil, il a remarqué deux serveuses qui semblent commérer sur leur compte.
Même dans sa propre tête, il essaye d'éviter de sujet. Il n'y a pourtant plus de retour en arrière possible, alors il inspire lentement.
« Je pensais tout ce que j'ai dit hier. Je ne suis pas désolé d'être parti, mais je regrette de t'avoir laissé, je sais que je t'ai blessé mais j'avais espéré que ce serait moins douloureux si tu me détestais.
- Comme tu as pu le constater, » dit Chuuya sans laisser la moindre trace d'émotion percer sa carapace stoïque, « tu t'es bien planté.
- Je le referais mille fois si c'était à recommencer, je... Il faut dire que la mafia ne me réussissait pas ! »
Sa minable tentative d'humour tombe complètement à l'eau - au fond du ravin - et les poings de Chuuya se resserrent. Dazai sait que ce qu'il dit est dur à entendre, mais il faut que la vérité se dévoile maintenant, ou elle ne le ferait jamais.
« J'essaierai sûrement de m'y prendre différemment, mais que je reste ou parte, il n'y a pas de bon scénario pour nous. »
Dazai lui-même n'est plus sûr de ce qu'il espérait en présentant de si pitoyables excuses, mais il s'est promis d'être honnête, et parfois l'honnêteté est bien chère.
« Alors quoi ? » s'agace Chuuya en reposant sa tasse, qu'il a à peine sirotée. « Qu'est-ce que tu veux que je te dise, qu'est-ce que tu attends de moi ? Que je trahisse la mafia c'est ça ? Ou bien que j'abrège tes souffrances ? Pourquoi tu me dis tout ça, Dazai ?!
- Je veux être franc avec toi, Chuuya. Je veux que tu aies de bonnes raisons de me faire confiance, je veux que, la prochaine fois qu'on se croise par hasard dans la rue, tu ne me regardes pas comme si j'avais égorgé ton chien devant tes yeux ! »
Face à lui, Chuuya est surpris de ce qu'il entend. Après tout, ce n'est pas tous les jours qu'il assiste à un tel spectacle. Dazai reprend contenance dicrètement, un peu embarrassé. Il n'avait pas prévu de s'emporter comme ça, mais finalement ça aura joué en sa faveur alors autant ne pas trop s'en formaliser !
« S'il te plaît, » reprend-il plus calme. « Dis-moi pourquoi tu es venu me rendre visite ? »
Ayant du mal à maintenir le contact visuel, Chuuya rougit et se distrait avec sa tasse un moment. C'est idiot, et Dazai est vraiment le pire des abrutis, pense-t-il ; ce qui suffit à lui redonner assez de courage pour affronter son interlocuteur. Non mais, depuis quand Nakahara Chuuya baisse-t-il le regard ?! On aura tout vu ! Malgré sa nouvelle détermination, il ne peut empêcher sa voix de trembler d'incertitudes quand elle demanda :
« Pourquoi tu as dit que j'étais ton âme sœur, l'autre jour, si t'y crois pas ? »
Dazai se retient au dernier moment de hocher les épaules avec nonchalence. Pas d'esquives, ça s'avère plus compliqué qu'il l'avait anticipé. De l'autre côté de la petite table, son ancien partenaire est déjà à un cheveu de s'en aller et disparaître à jamais, au moindre pas de travers, il dégringole.
« Est-ce que tu me croirais, si je te disais que tu m'avais fait y croire ? » tente Dazai de mauvaise foi.
« Ha ! » fait Chuuya amusé, « Tu m'excuseras, mais il te faudra trouver bien mieux que ça mon vieux.
- Oui, je m'en doutais bien, » soupire Dazai, à peine déçu.
Au moins, il aura détendu l'atmosphère.
« Est-ce que tu connais ma Phrase, Chuuya ?
- Comment je pourrais la connaître ? Toi-même tu la connaissais pas quand on était partenaires.
- C'est vrai. Regarde, y a presque rien sur mes mains, c'est une Phrase toute bête, complètement lambda.
- Ok, et alors ? » s'impatiente-Chuuya en décroisant les jambes. Il se penche un peu pour observer les veines quasi-invisibles sur les mains de Dazai.
« Alors, des Phrases simples, on en entend tous les jours pas vrai ? Vraiment, c'est le genre de trucs que j'aurais dû entendre des milliers de fois !
- Laisse-moi deviner, » il continue avec une voix de jeune fille : « Oh, merci Dazai, qu'est-ce qu'on ferait sans vous ! Vous êtes vraiment le meilleur et blablabla ? » Malgré son talent pour les voix ridicules, Chuuya se lasse bien vite, reprenant un ton plus grave.
« Non, mais un truc dans le genre haha.
- Et. Alors. Dazai ? Viens-en aux faits !
- Oui, oui, voilà : C'est quand même bizarre qu'une phrase aussi passe-partout, je ne l'aie entendue que deux fois, non ? »
Finalement, l'intérêt de Chuuya est piqué, et son langage corporel le traduit clairement : il croise les bras, fronce les sourcils. Dazai a toujours trouvé ça fascinant, il lit vraiment en son ancien partenaire comme dans un livre ouvert.
« Mh, ouais ça peut être bizarre, » concède-t-il. « C'est sûrement que, pour toi, elle doit pas être si passe-partout que ça. »
Cette affirmation seule suffit à ébranler un peu plus le sang froid de Dazai. Ça semble évident après tout, la Phrase est censée être spéciale. Dazai l'a toujours su mais soudain, quand c'est Chuuya qui lui dit il le comprend enfin. C'est insupportable, il essaie de raconter quelque chose, là.
« La première personne qui me l'ait dite, celle qui as fait rougir les veines, était en train de mourir. Tu sais que je ne pleure jamais ? Je n'ai jamais fait à cette règle qu'une seule exception, et c'était ce jour là, pour cette personne. »
Chuuya est sans voix. Bien sûr ça pourrait être une ruse, mais Dazai est malin, s'il avait voulu embobiner Chuuya, il aurait trouvé quelque chose à dire sans se montrer si... Vulnérable. C'est ça qui le convainc, plus que les mots de son ancien partenaire, de sa sincérité.
« Et puis il y a eu toi. C'est tout.
- Quoi "c'est tout" ?
- Les deux seules fois où j'ai pleuré : il y a quatre ans quand j'ai décidé de quitter la mafia, et que mon meilleur ami mourrait dans mes bras ; et l'autre jour quand j'ai cru que j'allais mourir, et que tu as dit ma Phrase, » raconte Dazai.
Le café est un peu trop silencieux à son goût, il a l'impression d'être écouté de tous les côtés. Ce n'est sûrement rien de grave, ou son imagination qui lui joue des tours.
« C'est vrai que tu as pleuré, » dit Chuuya, les yeux fermés pour mieux se rappeler. « Et moi qui pensais que c'était ton séjour loin du crime qui t'avait rendu plus sensible...
- Je suis une personne très sensible, je te signale ! » s'offusque Dazai, une main sur le cœur.
Ça fait ricaner doucement Chuuya, qui le croit peut-être mais le taquine volontiers. Après un instant joyeux, il finit par lui poser la question que Dazai avait attendue :
« Qu'est-ce que ça disait alors ?
- De quoi, ma Phrase ? Allons mon petit Chuuya, je suis sûr que tu peux la deviner avec les indices que je t'ai donnés ! »
Chuuya ne répond même pas à la provocation, préférant se concentrer. Il sait que c'est quelque chose qu'il lui a dit l'autre jour, mais pas avant. Une phrase simple, que Dazai n'a pas l'habitude d'entendre et qui dise beaucoup en peu de mots.
« Ça ne peut pas être Ferme ta gueule de toute évidence, ni va te faire foutre ; ou j'aurais fait rougir tes veines il y a bien longtemps.
- Le jour de notre rencontre sûrement ! Il faut dire que tu sais faire forte impression sur les gens.
- Tu as eu... Un spasme ? Quand je t'ai dit... » dit-il en réfléchissant tout haut. « Que c'était trop facile de tout foutre en l'air et de revenir la bouche en cœur pour te faire pardonner. Non, je l'ai pas dit comme ça. Tu venais de prendre une balle et on pensait tous les deux que t'allais mourir, alors j'ai dû te dire un truc du genre... Si tu veux que je te pardonne, c'est pas en mourant... Rha merde, je sais plus là !
- Ah, comme c'est dommage ! On dirait que je t'ai surestimé. »
Malgré son air de plaisantin, Dazai se sent sincèrement déçu. C'était facile de dire que Chuuya est son âme sœur quand il était en train de mourir dans ses bras, mais s'il pouvait redire sa Phrase maintenant, sans grands enjeux mélodramatiques, juste eux deux autour d'un café trop amer... Si Chuuya avait bel et bien été son âme sœur, il aurait ressenti ce dont Ranpo avait parlé, et il aurait été certain.
« Attends attends, j'ai pas encore abandonné ! » déclare Chuuya toujours en plein dans ses propres réflexions. « J'ai pas la bonne méthode, la Phrase c'est pas des mots, c'est un message profond avant tout ; peu importe ce que j'ai dit, ce qui compte c'est surtout ce que tu as pu entendre... »
Il s'interrompt une seconde pour lancer un regard dubitatif vers Dazai, le genre de regard qui dit : « À quel point tes oreilles perverses peuvent-elles déformer mes propos, et lequel de ces propos déformés est assez significatif pour être inscrit dans tes veines ? » Dazai ne va pas lui donner la réponse comme ça; si facilement, il préfère le laisser chercher.
« Laisse tomber... Non, non non, c'est plutôt n'abandonne pas, oui... Alors, ce serait... Reste ? Avec moi ? Non, non. Pas loin, mais non ça colle pas. »
Chuuya analyse les micro réactions du corps et du visage de Dazai pour tirer ses conclusion. C'est... Astucieux, pour le moins. Cette méthode nécessite de bien connaître Dazai et ses mimiques, alors évidemment, Chuuya en est maître.
« Ne va... Non, c'est une affirmation ! Tu vas vivre, je t'ai dit Tu vas vivre ! » s'exclame-t-il tout joyeux quand il a trouvé.
C'est... Un peu de la triche. En fait, c'est carrément de la triche ! Chuuya n'était pas censé crier comme ça, avec une expression triomphante et si heureuse ! C'est beaucoup trop d'un coup pour le cœur serré de Dazai.
Alors c'est ça ce que ça fait, d'entendre la Phrase, prononcée par la bonne personne ? Cette chaleur dans son ventre, ce brouillard devant ses yeux, comme si sa tête avait été remplie d'hélium et ne pesait plus rien sur ses épaules - elle d'ordinaire si lourde de pensées sombres. Comme si l'univers s'était fendu en deux, et qu'une main cosmique invisible en était était sortie, venue lui caresser l'âme gentiment. Comme si la voix de Chuuya l'avait transpercé de part en part et était revenue du bout du monde telle un super-boomerang, pour l'attirer à lui. C'était comme si l'orage éternel dans les yeux de son partenaire avait fait place à la plus douce et salvatrice des éclaircies, comme si l'océan de son regard était soudain soucieux de ne plus noyer celui qui s'y perdait toujours.
C'était comme si une porte, à l'intérieur même de Dazai, avait été déverrouillée. Non, avait été enfoncée d'un coup de pied théâtral, et laissait entrer enfin la lumière et l'oxygène dont il avait été si longtemps coupé. Il était ébloui de l'intérieur, amuï.
Le sourire de Chuuya s'accentue ; et bien qu'il soit des plus charmants, ce fut assez pour sortir Dazai de sa transe.
« Chuuya est un tricheur !
- Hein ?! En quoi au juste, j'vois pas comment j'aurais triché ?! »
Dazai fait la moue, mais il ne manque pas la façon dont le regard de son interlocuteur s'attarde un instant sur ses lèvres.
« Il devrait bien savoir que ça ne se fait pas de dire la Phrase des gens, comme ça !
- Quoi ?! » aboie-t-il aussitôt, Dazai a toujours adoré comme son partenaire part au quart de tour mais n'est jamais réellement en colère. « C'est toi qui as voulu me la faire deviner gros débile !
- Même ! » insiste puérilement Dazai, les bras croisés et le nez relevé.
Puis, l'animosité sur le visage de Chuuya laisse peu à peu place à une surprise ravie qui lui laisse des frissons dans le dos.
« Alors c'était ça ? J'avais raison ? Tu vas vivre, c'est ta Phrase ?
- Pas loin, » concède Dazai sans peine, il hausse des épaules en détournant le regard. « Mais c'est assez proche pour être efficace.
- Tu vas... Vivre... » continue de murmurer Chuuya distraitement.
Dazai est bien conscient que ce n'est pas pour le mettre mal à l'aise - au contraire ça aurait même plutôt eu tendance à le mettre trop à l'aise - mais plus comme s'il goûtait les mots sur sa langue. Il les teste savamment comme s'il voulait les graver dans sa bouche. Le problème, c'est qu'à chaque fois qu'il les répète, Dazai sent la vague de chaleur et de lumière revenir, et si au début c'était juste une sensation de légèreté et de calme, de plus en plus le plaisir devient physique. Dazai aurait préféré se remettre à genoux plutôt que de l'admettre, mais visiblement son corps est loin d'être aussi difficile.
« Si c'est comme ça, on peut être deux à jouer ce jeu là.
- Hein ? »
Plus que dans les veines sur ses mains, les mots de Chuuya sont imprimés dans la mémoire infaillible de Dazai depuis qu'il les a lus. Il sait exactement quoi dire.
« C'est terminé maintenant, Chuuya. » dit-il avec l'air le plus doux qu'il peut se donner. Les teintes cramoisies dont se teintent les joues de Chuuya en valent nettement l'effort. « Tu peux te reposer, je suis là. »
En toute franchise, la Phrase de Chuuya est assez longue et dramatique, mais Dazai est fier de la manière dont il a réussi à la tourner. C'est sans doute la façon parfaite de terminer son plaidoyer. De l'autre côté de la table - la si petite table qui les sépare, ridicule comparée aux années de rancune et de trahison que Dazai tente vainement d'effacer - Chuuya n'en mène pas large. Il se frotte le visage d'une main en regardant ailleurs, signe évident d'embarras.
« Non mais ça va pas de sortir des trucs pareils ? » fait-il en relevant les yeux vers ceux de Dazai, sa fausse colère dissimulant quelque chose de bien plus tendre que Dazai aurait aimé voir de plus près.
Se sentant un courage qu'il ne se connaissait que dans les plus grands tournants de sa vie, Dazai prend une décision un peu rapide quand il approche son pied délicatement, pour faire passer son message avec plus d'appui. Chuuya sursaute au contact, mais ne se retire pas tout de suite.
« Maintenant qu'il y a cette trêve entre nos deux camps... On pourrait peut-être s'accorder une seconde chance ? » tente-t-il avec son sourire le plus charmeur.
Malheureusement, Chuuya préfère reculer.
« Comme tu l'as dit toi-même, tu m'as fait beaucoup de mal, Dazai. Je comprends ce qui t'a poussé à nous trahir et je ne doute pas une seconde qu'il s'agissait de la meilleure option pour toi... Je veux dire, il n'y a qu'à te regarder aujourd'hui, tu débordes de vie ! Mais... Je ne peux pas te pardonner comme ça, c'est au dessus de mes forces.
- Je comprends, » répond-il attristé malgré lui. Il ne sait pas trop à quoi il s'attendait, c'est tout ce qu'il a mérité après tout. Malgré sa résignation, voir Chuuya se lever de table lui transperce le cœur.
Son ancien partenaire se dirige vers le comptoir - sans doute pour payer, même si Dazai lui a assuré qu'il l'invitait, Chuuya n'aime pas se sentir endetté ; et avant de quitter le café définitivement, se retourne une dernière fois vers son ami :
« Je t'avais aussi dit que tu allais devoir le mériter, non ? »
Ce sourire était bizarre. Trop grand pour être un adieu, trop fier pour être un bon débarras. Les mots pèsent lourd dans la poitrine de Dazai mais comme la barmaid lui fait signe de s'approcher, il n'y fait plus trop attention et accourt. Qu'a donc manigancé son ex-partenaire ?
Derrière son comptoir, la barmaid est toute excitée, plus heureuse qu'elle ne l'ait jamais été quand Dazai lui propose de se suicider en sa compagnie. Sa collègue est occupée avec des clients un peu plus loin, mais elle leur lance des petits regards de temps à autres, visiblement intéressée par l'affaire. Tout le café semble soudain intrigué par la vie privée de Dazai Osamu, et il commence à regretter de ne pas avoir été plus discret, pensant que deux anciens partenaires discutant autour d'un bon café passeraient inaperçus. Il faut dire qu'ils étaient une paire plutôt difficile à ignorer, entre l'éclat étincelant de Chuuya et l'âcre maussaderie de Dazai.
D'une manière faussement discrète, la barmaid se penche en avant et place sa main devant sa bouche comme pour lui murmurer un secret :
« Le gentilhomme qui vient de partir vous a laissé un message ! » dit-elle en lui glissant un petit bout de papier. « Et il a aussi payé l'entièreté de votre note ! C'est le genre de personnes à garder, si vous voulez mon avis. Essayez de ne plus accumuler autant la prochaine fois, d'accord ? »
L'entièreté de la note aussi renversante que moi de Dazai ? Chuuya est simplement un fou. C'est incroyable. Il s'éloigne et reprend la direction des bureaux, pas tout-à-fait redescendu sur Terre. Il a besoin d'être un peu seul, les commères du café peuvent bien raconter ce qu'elles veulent ! Au creux de sa main, le petit bout de papier dit :
« Comme ça tu me le devras, invite-moi à manger un de ces jours.
Peut-être que d'ici à ce que tu m'aies remboursé ta note, je t'aurai pardonné.
Mon numéro n'a pas changé, je sais que tu t'en rappelles. »
...
Et voilà !
Je suis plus fier-e que de raison des titres des parties individuelles de cette histoire, alors je vais vous en parler un peu, parce que c'est ma note d'auteur et je fais ce que je veux.
On s'en lavera les mains : L'histoire commence avec Chuuya littéralement en train de se laver les mains, et comme le titre général est "Le Sang sur nos Mains" ; la référence est assez claire. "Je m'en lave les mains" est également une façon de parler qui signifie : "Ce n'est pas mon problème/ma responsabilité" ; et c'est une référence au déni de Chuuya (comme celui de Dazai), qui préfère couvrir ses veines rouges plutôt que d'affronter ce qu'elles signifient. Enfin, "Avoir du sang sur les mains" ou "Ne pas avoir les mains blanches" signifie qu'on a fait des choses pas jolies-jolies dans le passé ; vu que Souble-Noir sont littéralement des criminels, c'était vraiment parfait !
Les âmes sœurs n'existent pas : En toute simplicité, le titre de la partie sur Dazai est à la fois directe et fausse (après tout, vous lisez un soulmate-AU). C'est une partie importante du world-building, le fait que les âmes-sœurs soient plus de l'ordre de l'astrologie que des faits établis, on le voit pas souvent dans les soulmates. Bref, dans cette partie on a le PDV Dazai qui est une personne cartésienne et froide. Bien sûr, cette affirmation est peu à peu démentie au fil de la partie, parce que Dazai n'est juste pas du genre à dire la vérité, que ce soit pour les autres ou pour lui-même.
L'heure de la repentance : C'est la fin, exactement ce que ça dit (de manière très mélodramatique) : l'heure de se faire pardonner. Cette partie en elle-même est plutôt mélodramatique donc ça colle bien. Je trouve que ça sonne classe, à la fois ultime et salvateur, et ça conclut ce three-shot.
Bon ben voilà,
j'espère que ça vous a bien saoulé, parce que c'est clairement mon but dans la vie (de saouler mes lecteurs avec des notes d'auteur interminables).
Au départ j'envisageais d'écrire une suite à cette fic, avec leurs divers rendez-vous (pendant lesquels Dazai est censé rembourser sa note) mais honnêtement je sais pas si j'aurais la foi mdr. En tous cas, si cette histoire vous a plu et que vous voulez vraiment voir Dazai et Chuuya en tête à tête dans une situation moins tendue (enfin si on peut dire ça), on peut considérer que mon OS Le Canon de Verre en est la suite... Même si on parle plus d'âmes-sœurs ni de Phrases, le concept est différent mais les circonstances sont similaires :)
Sur ce, dites moi ce que vous avez pensé de Le Sang sur nos Mains et de sa fin dans une petite (ou longue) review, et je vous dit à bientôt !
