37. Deux Motardes

Malgré les grincements et les craquements stressants, le plafond de la chambre ne broncha pas. Pendant que Mike fouillait le grenier, je regardais dans les armoires. Ma veste Belstaff de cuir rouge course était la seule chose que je n'avais pas mise dans le grand carton d'affaires de moto que nous avions consigné dans l'espace sous le toit quand nous avions emménagé à Lintzgarth. D'après les bruits, Il semblait que Mike n'avait pas beaucoup de succès dans sa mission. Moi non plus, le blouson ne semblait pas être avec mes autres manteaux.

Ma veste Tourist Trophy était étanche, chaude et un classique même les gens qui n'avaient jamais possédé de moto étaient vus la portant. Malgré cela, je ne l'avais pas remise depuis que nous avions vendu la moto. Je l'avais sortie de l'armoire quelques fois, même si c'était avant que je sois enceinte d'Annie, mais je l'avais toujours rangée dans la foulée. Je ne pouvais me résoudre à la porter. Je n'étais plus une motarde et j'avais toujours considéré ceux qui portaient des vestes de moto comme des accessoires de mode avec un certain degré de mépris.

Je la retrouvais enfin tout au fond de l'armoire des 'trucs qu'on ne porte jamais'. Elle avait été masquée à mes yeux lors de ma recherche par un gilet rose tape-à-l'œil que je n'avais porté qu'une seule fois. En soulevant le blouson, je fus horrifiée de découvrir une couche de poussière sur les épaules. Un nettoyage de la chambre entière était essentiel.

Après avoir soigneusement épousseté le coton ciré, je l'examinais à la recherche d'éventuels dégâts. Il n'y en avait aucun. Satisfaite, je plaçais le blouson révérencieusement sur le lit et retournais le regard vers l'armoire. Si le Belstaff rouge apportait de l'espoir, le gilet rose qui l'avait dissimulé était une folie. Le retirant de son cintre, je l'époussetais, le pliais et le plaçais sur le dessus de ma corbeille à papiers. Au-dessus de ma tête, il y eut un grognement de réussite.

Le temps que Mike arrive dans la chambre – avec mes bottes, pantalon, casque et gants dans les bras – je portais le blouson et regardais attentivement un petit rectangle de papier que j'avais trouvé dans la poche. Le reçu d'essence d'Ostende vieux de six ans était bien plus qu'un bout de papier, c'était un témoignage du passé. Il donnait la date à laquelle nous étions revenus de notre dernier tour épique de l'Europe. Quelques semaines plus tard, la moto était partie.

"La motarde est de retour !" déclara Mike. Il fit suivre cette remarque d'un sifflement et d'un clin d'œil.

Je le regardais méchamment.

"Il te va toujours !" protesta-t-il, ressentant on ne sait comment la raison de mon agacement.

Je pointais du doigt un trou très usé sur la ceinture. "C'est celui que j'avais l'habitude d'utiliser," dis-je. "Le plus proche que je puisse utiliser est ici." Je déplaçais mon doigt de deux crans. "Et c'est inconfortablement serré. Trois trous, Mike. Trois maudits trous !" Je lui arrachais le pantalon de cuir des bras et le soulevais. Il avait été moulant six ans plus tôt. "Il n'y a aucune chance que je rentre là-dedans !" Je le pliais soigneusement et le posais par-dessus de gilet rose.

"Tu peux te débarrasser de ce gilet, mais pas du pantalon," me dit fermement Mike.

"Pourquoi ?" demandais-je. "Il ne m'ira pas !"

"Ce n'est pas la question. C'est un témoin du passé…" Il s'interrompit et je l'observais rassembler ses idées. "Tu te souviens de cette chope Stein que tu m'avais achetée en Bavière ?"

"Celle que Henry a cassé l'année dernière." Je hochais la tête.

"C'était un souvenir. Tu me l'avais offerte, donc elle était importante, mais– comme je l'ai dit quand Henry l'a cassée – ce n'était qu'un souvenir. Mon petit cerveau connaît la différence entre un souvenir et un témoin du passé. Ce pantalon et le blouson Belstaff, ce sont des témoins de ce passé, ce sont ces vacances. Je sais que sous bien des aspects ce ne sont que des objets… comme la chope… et je sais qu'on n'a plus de moto… mais on a toujours l'équipement et même s'il ne nous va plus…"

Son plaidoyer venait du cœur. Je plaçais mon doigt sur ses lèvres et il se tut, le visage trahissant ses espoirs.

"Je comprends," lui assurais-je. "C'est pour ça que j'ai gardé le blouson. Mais pourquoi cet attachement pour le…" La lueur dans ses yeux me fit rougir et je fus ramenée à une nuit étoilée dans les Alpes Suisses. "Ah !" Je souris. "Mais même plus grosse de trois trous, je peux quand même enfiler le blouson. Le pantalon n'est qu'un souvenir douloureux de combien j'étais mince." J'hésitais. "Pourquoi ne pas faire un compromis ? Si je peux l'enfiler avant mon anniversaire, il reste sinon, ils finiront comme ce gilet."

"Mais si derrière…" commença Mike.

"Exactement !" lui dis-je. "C'est mon derrière le problème."

"Derrière ?" Son essai d'accent Américain était atroce. "Popotin," me taquina-t-il en m'agrippant. Je ne le repoussais pas avant que Henry ne monte en courant pour découvrir quelle était l'origine du bruit.

~~~oooOOOooo~~~

Les arbres dénudés avertissaient de l'approche de l'hiver. Le lundi matin était frisquet, mais il n'y avait pas de trace de givre. Alors que je me tenais à la porte de la cuisine, les odeurs de mousse humide, de feuilles décomposées et de terre infusaient l'air froid et immobile et promettait une journée d'automne dégagée.

"Passe une bonne journée," me dit Mike. "Je suis jaloux." Son baiser d'au-revoir était plus passionné que d'ordinaire. Après l'avoir regardé partir, je chargeais mon casque et mes gants dans le coffre de ma voiture. J'avais décidé de ne pas porter mes bottes de moto, car nous allions marcher. Cela fait, je réveillais les enfants et commençait le rituel du petit déjeuner d'une journée d'école.

La perspective d'une virée à moto m'avait mise de bonne humeur. Je n'avais pas réalisé que je chantais jusqu'à ce que Henry et Annie se joignent à moi. Nous chantâmes deux fois 'Will Atkinson' avant d'atteindre l'école. Nous ne nous interrompîmes même pas en dépassant Ginny et James à l'entrée du village, bien que nous leur fassions signe en passant. Les enfants avaient clairement hérité de mon humeur. Ignorant sa signification profonde, Henry chantait toujours et tenait la main d'Annie quand nous avançâmes en dansant vers l'école.

Danser ne fut pas simple pour moi, car je portais mes chaussures de randonnée. C'était une bonne chose que mon pantalon de marche chaud et étanche puisse s'étirer. Le pantalon de randonnée était la meilleure alternative au cuir et était un accoutrement de danse marginalement plus adapté qu'un équipement de moto. Après avoir dit au-revoir à Henry, Annie prit ma main et, chantant toujours, nous sautillâmes jusqu'au portail.

J'avais eu l'intention de marcher le long de la route pour aller à la rencontre de Ginny, mais plusieurs autres mères m'assaillirent. Elles pensaient toutes que j'en savais bien plus sur l'arrestation de Pelias Hume que les informations limitées distillées dans les journaux. Ce n'était pas le cas, et j'étais toujours occupée à leur expliquer cela quand Ginny arriva avec James. Les interrogatrices tournèrent immédiatement leur attention sur elle.

Bien que surprise par l'attention, Ginny se contenta de hausser les épaules. Elle leur dit à toutes qu'elle ne savait rien de Hume ou de ses motifs. Les seules choses que Ginny confirma aux autres mères fut que Hume avait avoué, que Harry était absolument certain que la police tenait la bonne personne et qu'il n'y aurait désormais plus de meurtres de la pleine lune. Sur ce, elle fit se presser James à travers la foule en direction de l'école. Les spéculations continuèrent.

"Harry a certainement dû lui dire quelque chose," présuma Amanda.

"Aucune de nous ne sait tout de son mari." Mary Saville, qui avait été étonnement silencieuse, donna enfin son avis plus fort que jamais. Tout le monde se tut. "C'est pour ça que Robert et moi nous sommes séparés," ajouta-t-elle perfidement.

Les murmures commencèrent et l'attention se porta immédiatement sur Mary. Quand Ginny revint, l'arrestation du meurtrier était oubliée au profit d'un problème plus local. Ignorées de toutes, Annie, Ginny et moi prîmes le chemin de ma voiture.

"Surprise de l'annonce de Mary ?" me demanda Ginny.

"Étant donné ce que l'on sait sur le comportement de son mari, non," admis-je. "Mais je suis étonnée du fait qu'elle soit si ouverte sur le sujet. Je me sens presque un peu désolée pour elle."

"Moi pas 'solée," annonça Annie.

"Et tu es parfaitement libre d'avoir ce point de vue," lui dis-je alors que Ginny rirait. "Maintenant en voiture et direction Drakeshaugh. Est-ce que tu seras sage pour Oncle Harry ?"

"Vais zouer sur la balaçare en corde," me dit avec certitude ma fille tandis que je la mettais dans son siège. Une fois Annie attachée, Ginny embarqua sur le siège passager et nous nous mîmes en route.

"Léger souci," me dit Ginny à l'instant où nous démarrâmes. Solidement arnachée dans son siège derrière nous, Annie ne nous accordait aucune attention. Au lieu de ça, elle commença à chanter 'Bobbie Shafto'.

"Qu'es-ce qui s'est passé ?" demandais-je, immédiatement inquiète. "Nous ne sortons plus ?"

"Un peu qu'on va sortir," me rassura-t-elle fermement. "Mais le chef de Harry est arrivé à Drakeshaugh il y a environ une demi-heure. Harry est censé avoir trois jours de congé ! J'ai dit à Kingsley que j'avais des projets et qu'ils impliquaient que Harry garde les enfants, mais on risque de partir avec un peu de retard."

"Le cauchemar !" dis-je avec sympathie. "J'ai accueilli le chef de Mike une fois. Je n'ai pas du tout aimé ce type. Il était complètement imbu de sa personne – complètement 'Je suis aux commandes, prosternez-vous devant moi,' tu vois le genre ? Tout en ego et en fanfaronnades, et pas le moindre talent ! Ça m'a toujours étonné de voir à quel point ça pouvait permettre à certains de monter dans la hiérarchie."

"Kingsley n'est pas comme ça !" Ginny paraissait horrifiée. "C'est juste qu'avec des affaires… compliquées…, Kingsley aime tout savoir le plus tôt possible. Harry a bouclé l'affaire hier, mais Kingsley n'était pas au travail dimanche."

"Bien évidement que non ! Mais il veut tout savoir maintenant." J'étais agacé pour Ginny.

"Kingsley est un type bien, promis," dit Ginny. "J'espère juste que ne nous mettra pas trop en retard."

Quand nous passâmes la barrière et entrâmes dans Drakeshaugh, Harry, Al, Lily et un grand homme dans un costume trois pièces de belle coupe se tenaient sur le gravier, attendant de nous saluer. La Bentley rouge rutilante garée à côté du Range Rover de Harry ne pouvait appartenir qu'au visiteur de Harry.

"Est-ce que c'est lui Mr Kingsley ?" demandais-je, incapable de masquer sa surprise.

"Shacklebolt, son nom est Kingsley Shacklebolt," me dit Ginny. "Oui, c'est le chef de Harry."

"Il n'est pas comme je l'imaginais," admis-je. "Pas dut tout comme j'imaginais ! Il fait très Spencer Jordan, tu ne trouves pas ?"

"Je n'ai aucune idée de qui est Spencer Jordan," admit Ginny.

"C'est un flic à la télé. Waking the Dead," expliquais-je. "Je n'arrive pas à me rappeler du nom de l'acteur."

"Je n'ai jamais eu de télévision, souviens-toi," me dit Ginny.

"Tu as vécu une vie bien isolée, mon amie," lui dis-je avec un soupir.

Sortant de la voiture, je saluais Harry d'un geste et parvint à lancer un bref bonjour. La réponse de Harry fut couverte par les saluts excités d'Al et Lily. Alors que les deux enfants Potter ciraient, ma fille, se tortillant frénétiquement, exigea d'une voix stridente qu'on la libère. Débouclant sa ceinture, je la soulevais et la plaçais devant ses amis. À mon grand soulagement, le chef de Harry n'essaya pas de parler par-dessus le tumulte des enfants.

"Papacostruialaçarébogan," cria avec excitation Lily.

"On aide ," ajouta Al.

"Vous allez aider votre papa, c'est bien," leur dis-je, même si la confirmation enthousiaste d'Al ne faisait pas beaucoup plus sens pour moi que la déclaration initiale de Lily. Ses mots avaient été rapides et tellement entremêlés que je n'avais pas la moindre idée de ce qu'elle avait dit.

Je jetais un coup d'œil à Ginny, dont le sourire indiquait que j'avais donné la bonne réponse. Elle indiqua alors du doigt une large pile de poutres de bois sur l'herbe près de l'enclos des poules. "Papa construit une balançoire et un toboggan," expliqua-t-elle.

"Tu vas laisser les enfants t'aider à construire ça ?" demandais-je à Harry en refermant ma portière.

"Oui, ça ne te dérange pas ?" Il semblait soucieux quand je m'avançais vers lui pour le saluer. À côté de moi, les enfants, guidés par Annie, se joignirent les mains et dansèrent en cercle en chantant "Ring-a-ring a des roses."

"Aucun soucis pour moi," lui dis-je joyeusement. "Mike a laissé Henry 'l'aider' à construire notre balançoire. Il suppose qu'il lui aurait fallu moitié moins de temps s'il l'avait simplement fait tout seul."

"Mais c'est là qu'est tout le plaisir, n'est-ce pas ?" demanda Harry. Son sourire était large et excité il avait clairement hâte de se mettre au travail.

"Bonne chance," dis-je, lançant un regard significatif à l'homme à ses côtés.

"Oh, pardon." Il effectua les présentations. "Jacqui, voici mon patron, Kingsley Shacklebolt. Kingsley, notre voisine, Jacquie Charlton."

"Mme Charlton." Sa voix était profonde et calme, et sa poignée de main ferme mais décontractée me donna l'impression d'un homme qui serrait de nombreuses mains. "J'ai beaucoup entendu parler de vous. Et ce doit être Annie."

"Rien de mauvais, j'espère," dis-je. "Vous êtes le patron de Harry, j'espère que vous n'allez pas essayer de me voler mon baby-sitter. J'attendais vraiment cette journée dehors avec Ginny." Avant même que les mots n'aient quitté ma bouche, je me sentis embarrassée. Les pouces levés flagrants de Ginny ne m'aidèrent pas à me sentir plus à l'aise. "Désolée," commençais-je.

"Ne vous inquiétez pas, Mme Charlton…"

"Jacqui," interjetais-je.

"Jacqui," poursuivit-il. "Vous pouvez m'appeler Kingsley. Ginny a déjà été parfaitement claire avec moi pour me dire qu'elle avait des projets pour la journée. Je vais repartir bientôt. J'attends juste le rapport final de Harry."

"Donne-moi cinq minutes, Kingsley, dix au plus," dit Harry. Il se précipita vers la porte de la cuisine.

"Si tu es vraiment sur le point de te mettre en route, Kingsley, je vais aller me préparer moi aussi," dit Ginny. "Tu peux garder un œil sur ceux-là pendant quelques minutes, n'est-ce pas Jacqui ? Je suis sûre que Kingsley pourra t'aider." Son sourire était insolent. Se retournant, elle suivit Harry dans Drakeshaugh. Bien que j'apprécie son enthousiasme à aller se préparer, je n'appréciais pas d'être laissée seule avec le chef de Harry.

"Balançare de corde," exigea Annie, agrippant mon bras.

"Excusez-moi," dis-je, préparant ma propre fuite de l'homme en costume. "Mieux vaut garder ces trois-là heureux."

"Je vais venir avec vous," offrit Kingsley. Il regarda tout autour de lui vers la maison, son jardin et les collines. "Harry s'est trouvé un endroit très agréable."

"Le meilleur," dis-je. "Bien plus d'espace pour les enfants qu'ils n'en avaient dans leur maison de Londres."

"Londres ?" Il semblait étonné que je sois au courant. "Ginny vous l'aura dit, évidemment."

"Oui." Je hochais la tête. "Ça a dû être un long trajet pour vous. Je suppose que vous êtes venu de Londres."

"Harry a mentionné votre talent avec les accents," sourit Kingsley. "Vous avez raison, je suis Londonien, mais j'étais en Écosse hier, donc mon trajet jusqu'ici n'était pas trop long."

"Ça dépend d'où en Écosse vous êtes parti. Nous ne sommes qu'à une vingtaine de kilomètres de la frontière, mais c'est une très longue route jusqu'à John o' Groats," dis-je alors que nous flânions en direction du bois de Drakeshaugh. "D'ici, vous pouvez aller à pied jusqu'à la frontière Écossaise en quelques heures."

Je savais que je parlais pour ne rien dire, mais je trouvais difficile de m'en empêcher. Baisser les yeux sur ses pieds m'aida. Ses chaussures marron brillantes étaient conçues pour les rues des villes et les bureaux, pas pour la campagne boueuse et couverte de feuilles mortes. Avec ces chaussures, il lui faudrait bien plus que quelques heures. Il se tenait sur une flaque de boue, mais ne semblait pas s'en soucier.

"Donc vous connaissez le coin et vous êtes douée pour les accents," observa-t-il.

"Je ne suis pas une experte," commençais-je.

Le sourire de Kingsley me fit me taire. "Harry m'a dit que vous aviez identifiée Mademoiselle Sidebotham comme étant de Sheffield simplement à son accent. Vous avez raison pour moi aussi, je suis un londonien pur et dur."

"C'était facile avec elle. Ce n'était pas que l'accent elle a parlé de pain gâteau, pas de brioche. C'est un indice flagrant," expliquais-je. "Je ne suis experte en rien, Kingsley, je suis vraiment très ordinaire."

"Je ne pense pas que quiconque soit ordinaire, Jacqui," me dit-il fermement. "Nous sommes des individus uniques. Nous avons tous nos passions et nous voyons tous le monde différemment."

"Chut," sifflais-je. Il se tut. Je pointais vers l'enclos des poules. "Annie, Al, Lily, vous voyez cet oiseau sur le toit du poulailler ?" chuchotais-je.

"Jaune," me dit fortement Annie. L'oiseau commença à battre des ailes.

"Il est jaune, et ça s'appelle un chardonneret. C'est un mâle."

"Parti !" observa Al alors que nous le regardions s'envoler au loin.

"Nous voyons tous le monde différemment, Jacqui," répéta Kingsley. "Je peux nommer tous les joueurs de l'équipe première de West Ham, le pouvez-vous ?"

"Bien sûr que non !" Je ris et secouais la tête.

"Pour moi, cependant, ce n'était pas un chardonneret. Ce n'était qu'un simple petit oiseau jaune. Quel type d'arbre est-ce ?"

Je regardais dans la direction qu'il indiquait. "Un aulne," lui dis-je.

"Et pourtant je ne vois rien de plus qu'un arbre," dit-il avec un sourire. "Je me demande ce que vous pouvez voir d'autre que les autres ne voient pas."

Il me regarda droit dans les yeux avec une curiosité tellement intense que je fus tentée de lui dire avoir vu le fantôme de Polly Protheroe. Heureusement, le bon sens prit le dessus.

"Vous pouvez voir un mouton, je verrais un Cheviot, un Swaledale, un Hedwick ou…" dis-je.

Il me sourit et hocha sagement la tête. "Vous avez les compétences de quelqu'un élevé à la campagne, Jacqui. Cela teinte la façon dont vous voyez le monde. Mais au-delà de ça, vous prêtez aussi attention aux choses qui vous intéressent."

"Vrai. Mike, mon mari, connaît une quantité incroyable de choses sur les châteaux et l'histoire locale," admis-je, impatiente de lui montrer que j'avais compris. La fascination de Mike était un sujet sur lequel je m'étais souvent moqué de lui. Kingsley m'avait presque convaincue que c'était des capacités presque magiques.

"Et voilà !" s'exclama-t-il d'un air triomphant.

"Pousse-moi, monsieur King," annonça Lily quand nous approchâmes de la balançoire de cordes.

"Pousse, king, pousse-king, nous tombons tous !" chanta Annie, et le chef de Harry se mit à rire.

~~~oooOOOooo~~~

Quand Harry nous trouva, j'étais assise sur un arbre tombé et chantait, essayant d'apprendre à Al et Lily les paroles de ' Not' Geordie a perdu la boule'. J'observais également un homme en costume d'affaire et aux chaussures boueuses pousser ma fille sur la balançoire de cordes.

"Salut Jacqui. Ginny est prête elle t'attend près de la moto," lança Harry. Je me retournais pour lui faire face, mais il ne me regardait pas. Il fixait avec incrédulité son chef.

"Merci Harry." Je me remis sur mes pieds. "Maman va y aller maintenant, Annie," lançais-je à l'intention de ma fille. Oncle Harry va s'occuper de toi. Bisou !"

"Pousse plus, pousse-King !" exigea Annie.

"Au revoir Al et Lily," dis-je.

"Au revoir Tante Jacqui," répondirent-ils.

"Au revoir Annie," essayais-je à nouveau d'atteindre ma fille qui couinait.

"Au 'voir." Son acceptation – enfin – de mon départ imminent fut au mieux assez tiède.

"Tu vois, je lui manque déjà," dis-je sarcastiquement à Harry. "Bonne chance."

"Je m'en sortirais," m'assura Harry. "J'ai gardé nos trois bien assez souvent et je suis presque certain qu'Annie ne posera pas autant de problèmes que James."

"Peut-être que tu pourras persuader ton ami 'pousse-king' de rester t'aider," suggérais-je. Son expression stupéfaite me fit rire. "À plus tard, Harry."

Tandis que je marchais à travers les bois, je jetais un coup d'œil par-dessus mon épaule. Annie n'était pas inquiète de mon départ elle ne me regardait même pas partir. Elle était désormais au sol et ils avaient entamé une partie de loup. Harry et Kingsley s'y étaient joints. Me retournant, je dépassais le poulailler et arrivais dans la cour.

Ginny portait un jean noir moulant et des bottes noires à lacets. Sa veste de cuir était d'un vert sombre, et dans la lumière du matin, elle semblait presque avoir des écailles. Elle se tenait à côté de la moto et tenait deux casques.

"J'ai apporté mon propre casque," lui dis-je.

Ouvrant le coffre de ma voiture, j'en sortis ma veste, mon casque, mes gants et mon sac à dos.

"Je me doutais que tu l'aurais pris," admit Ginny. "Mais le mien et celui de Harry sont reliés."

"Ah, oui. L'intercom," dis-je. "Rouler et bavarder. Bonne idée. Est-ce que Harry est d'accord pour me laisser emprunter son casque ?"

"Oui, on en a discuté ce matin," répondit Ginny. Elle regardait derrière moi, pas moi directement. "Où est Kingsley ?" demanda-t-elle.

"Il joue au loup," lui dis-je en enfilant le blouson Belstaff et remontant la fermeture éclair pour la première fois depuis des années.

"Sérieusement ?" demanda-t-elle.

"Non," dis-je prudemment. "Je pense qu'il s'amuse vraiment."

Elle grogna et sourit. "Mike serait fier de toi."

"Oh, joie, je me transforme en mon mari," grommelais-je en levant les yeux au ciel. "Achève-moi tout de suite !"

Riant, Ginny me tendit le casque rouge vif de Harry. Je le passais sur ma tête. Après avoir attaché le sien, elle se baissa, déplia la pédale de démarreur, bondit dans les airs et mit tout son poids sur le levier. La moto s'anima dans un rugissement.

"Où allons-nous ?" demanda-t-elle.

"Je t'emmène à Cragside," lui dis-je. "Ce n'est pas très loin et je veux une vraie virée à moto, donc je vais t'y emmener par le chemin le plus long."

"D'accord." Sur ce, nous partîmes.

"Je ne me suis pas excusée," dis-je quand je me souvins enfin. "Si ta moquette doit être nettoyée, ou ton canapé, ou n'importe quoi, tu dois me prévenir."

"Tout est en ordre," m'assura-t-elle. "Tout est nettoyé et tellement impeccable que tu serais fière de moi."

Certaine qu'elle me taquinait, je ne dis rien.

~~~oooOOOooo~~~

Angela et Mary se tenaient toujours devant l'école quand nous passâmes. Elles avaient entendu la moto approcher et nous regardaient fixement, nous leur fîmes donc signe.

"Ça va leur donner de quoi parler pendant encore vingt minutes," observais-je.

"Au moins," approuva Ginny.

J'avais toujours eu à regarder par-dessus l'épaule de Mike, et j'avais également dû le faire avec Harry. Harry était plus petit que Mike et Ginny était plus petite que Harry. Rouler avec elle était une expérience différente : je regardais au dessus de sa tête, ma vue presque entièrement dégagée. Je la guidais sur la route quittant la vallée de la Coquet, dépassant le village d'Holystone, puis sur la route B, où nous tournâmes à droite.

Nous bavardions tout en roulant. Nous parlâmes des enfants, du randonneur blessé – qui allait bien et était sorti de l'hôpital – et de l'affaire de Harry. Ginny admit librement qu'elle en savait plus sur l'affaire qu'elle n'en avait dit aux autres mères au portail.

"Mais l'arrestation a été faite, donc l'affaire est sub-judice…" Elle hésita, incertaine de savoir si elle devait présumer de mon ignorance ou de mon savoir sur le sujet.

"Je sais comment ça fonctionne," confirmais-je. "Au cours de la nuit, on est passé de 'Pelias Hume, armé et extrêmement dangereux' à 'l'homme arrêté pour les meurtres de la pleine lune'. Aucune mention de son nom ou de son passé. Les journaux vont fouiller, évidemment, mais même s'il a un casier judiciaire long comme mon bras, ils ne diront rien avant la fin du procès. S'il est déclaré coupable, c'est là que l'explosion d'articles commencera."

"Exactement. Si les journaux publiaient quoi que ce soit qui puisse influencer un jury, ils feraient acte d'outrage à la cour," approuva Ginny. "Je n'ai aucune idée de combien de temps il se passera avant qu'il ne soit de nouveau dans les journaux, mais ça risque d'être bientôt. Il a plaidé coupable et fait des aveux complets. Harry pense qu'il sera condamné d'ici quelques semaines."

"Ce doit être un psychopathe," suggérais-je. "Il veut la publicité, la notoriété. Les journaux ne devraient pas le lui donner."

"Je suis d'accord," dit Ginny. "Au moins il a été capturé. Maintenant que l'affaire est bouclée, les choses peuvent revenir à la normale et Harry va pouvoir se détendre un peu."

"Se détendre ?" demandais-je. "On lui a laissé les enfants, tu te souviens ?"

Ginny rit.

"Voilà Elsdon," dis-je alors que nous approchions le village. "Le château est à gauche ce n'est que quelques tas de terre, mais Mike l'apprécie. Et voilà la tour Pele à droite. On va passer directement sur le pont et ce sera à gauche quand tu arriveras au pré."

Quelques instants plus tard, nous accélérions hors d'Elsdon. J'aurais juré que nous avions quitté le sol quand nous passâmes l'étroit pont bossu. La route devant nous était droite et dégagée, et Ginny ouvrit les gaz.

"Fichus enfants !" annonça Ginny. "J'avais presque oublié à quel point c'est amusant."

"Maudits soient-ils," approuvais-je. "Virage serré à gauche en haut de la butte," ajoutais-je.

"J'ai vu le panneau, mais merci," dit Ginny en ralentissant.

Nous prîmes le virage à plein vitesse, nos genoux à quelques centimètres à peine du bitume. Tandis que les landes s'ouvraient autour de nous, Ginny accéléra de nouveau. Après un second virage à gauche, la route devint droite et s'étira devant nous jusqu'à l'horizon. Nous fûmes rapidement à cent dix et nous dépassâmes plein pot la première voiture en route que nous avions vu depuis notre départ, une vieille VW Polo. Incertaine de comment lui montrer à quel point j'étais heureuse, je choisis de lui presser l'épaule.

"Les Cheviots sont au loin à gauche," dis-je.

Ginny jeta un coup d'œil dans cette direction. "Je les vois," dit-elle.

"Et on se rapproche du gibet," l'avertis-je.

Quand nous approchâmes, elle ralentit et le regarda fixement. Beaucoup de gens le font. La potence se tenait sur un point haut et la tête de bois qui en pendait se balançait. Des nombreux monuments de la région, le gibet est l'un des plus étranges.

"Le Gibet de l'Hiver," dis-je alors que Ginny arrêtait la moto sur un accotement de terre. "Ils avaient l'habitude de pendre les criminels ici, il y a quelques centaines d'années. Tu devrais venir ici quand il pleut ou par une nuit de pleine lune. C'est vraiment angoissant. Ils disent que c'est hanté, mais je n'ai jamais rien vu."

"Harry a campé près d'ici une fois," dit Ginny en retirant son casque. "Il y a très longtemps, avant qu'on soit mariés. Il m'en a parlé, mais il n'a pas très bien expliqué. Il n'a pas retranscrit combien c'est glauque."

"Je pense que tu dois le voir pour le ressentir," dis-je en retirant mon casque. Nous regardâmes la potence et la tête en silence pendant un moment, puis Ginny rompit l'enchantement.

"Qui hante cet endroit ?" demanda-t-elle.

"Un assassin, un homme appelé William Winter, d'où le nom Gibet de l'Hiver," lui dis-je. "C'est sur le panneau."

"Tu as dit que tu ne l'avais jamais vu, est-ce que tu t'y attendais ?" demanda calmement Ginny.

"Euh…" J'hésitais, avant d'avouer. "Maman dit que je suis sensible, comme elle. On ressent les fantômes dans ces collines, mais je n'aime pas l'admettre. Imagine ce qu'Angela et Mary feraient d'une telle information. De toute façon, personne ne croît aux fantômes ces temps-ci, n'est-ce pas ?"

"N'en sois pas si sûre. Il y a énormément de choses inexplicables dans le monde," me dit Ginny.

"Probablement, même si – selon Mike – elles sont inexpliquées, pas inexplicables," dis-je. "Il n'est pas croyant. Ça ne fait rien. Je ne cherche pas d'explications, je sais juste ce que je ressens."

Une fois de plus, le silence se fit.

"Superbe vue," observa Ginny alors que le vent faisait voler ses cheveux.

"Oui," approuvais-je. "C'est un peu morne, surtout en hiver, mais pour moi il y a quelque chose d'extraordinaire dans cette partie du monde."

"Je ressens la même chose pour le Devon, où j'ai grandi," approuva Ginny. La Polo blanche passa doucement à côté de nous et le conducteur, un vieux type portant une écharpe et un béret, nous regarda d'un œil mauvais. Ginny le remarqua également. "S'il n'aime pas être doublé, il devrait rouler à plus de soixante. Vers où maintenant ?" Elle enfila son casque.

"Tout droit. Cette route est droite comme un cierge pendant plusieurs kilomètres. Je me demande si c'est une route Romaine ? Ce sont les seules personnes qui aient jamais construit des routes rectilignes dans ce pays."

"Tu poses la question à la mauvaise personne," me dit Ginny en arrangeant son casque. "Je parie que Mike le saurait."

"Il le sait," admis-je en rattachant le mien. "Prête."

Nous partîmes dans un rugissement et rattrapâmes bientôt la Polo : elle roulait au milieu de la ligne blanche, rendant le dépassement difficile.

"Crétin !" dis-je.

"Tu me fais confiance ?" demanda Ginny.

"Oui," lui assurais-je.

Elle se décala à gauche dans une tentative apparente de le dépasser par l'intérieur. À l'instant où il se rabattit du bon côté de la route, dans une volonté évidente de la bloquer, elle fit un écart à droite et accéléra fort. Nous l'eûmes dépassé en un rien de temps et je jurais et lui offrait un salut à un doigt.

"Enfin, Jacqui !" Ginny semblait plus amusée que choquée. "Où diable as-tu appris un tel langage ? Qu'en penseraient tes enfants ?"

"Ils ne m'entendront jamais dire des saloperies de grossièretés," dis-je. Elle rit.

En quelques instants, la Polo fut perdue au loin et nous discutions des gens qui détestent les motos et de leur aversion déraisonnable des personnes qui choisissaient deux roues plutôt que deux. J'interrompis la discussion pour la diriger vers Rothbury Road, où nous rencontrâmes les premières voitures depuis la Polo. Nous vîmes trois voitures venant en sens inverse et dépassâmes un break chargé. Tournant de nouveau à gauche, nous commençâmes enfin à nous diriger vers le nord.

"Rothley," annonçais-je. "L'histoire veut que le fort ait été construit pour tenir les Écossais de Bonnie Prince Charlie à distance. C'est les Collines de Simonside que tu peux voir au loin. Par temps clair, tu peux voir la Mer du Nord depuis le sommet de Simonside. J'ai entendu des gens prétendre qu'on peut aussi voir la côte ouest, mais j'en doute. L'estuaire de Solway est carrément loin d'ici."

Avant que je ne m'en rende compte, nous descendions vers Rothbury. Il semblait que notre ballade à moto n'avait pris qu'un rien de temps.

"À droite ici, et ensuite tout droit," dis-je. Nous suivîmes le haut mur de pierre qui montait et atteignîmes rapidement l'entrée. "Et la deuxième à droite. Tu vas devoir t'arrêter. Je vais payer."

"Payer pour quoi ?" demanda Ginny en venant s'arrêter devant la cabane des billets.

'L'entrée," lui dis-je. "C'est pour moi, tu te souviens ? J'ai dit que je payais."

Retirant mes gants, je m'assis dessus et sortis mon porte-monnaie de ma poche. Quand la femme dans sa parka verte approcha, je soulevais ma visière.

"Je suis membre," dis-je en tendant ma carte à la femme. "Plus une."

"Allez-vous voir la maison ?" demanda la femme.

"Oui," dis-je, lui tendant la monnaie. J'avais regardé le prix d'entrée sur notre ordinateur et j'avais le montant exact pour elle.

"Merci." Tandis qu'elle laissait tomber l'argent dans son sac et imprimait un ticket pour Ginny, elle récita les instructions habituelles. Nous fûmes informées sur le parking et les accès et interrogées sur nos visites précédentes, si nous avions besoin d'une carte, etc. Je lui donnais mes réponses habituelles et elle nous laissa enfin passer.

"Suis la route qui longe le Lac de Tumbleton et monte la colline le parking est indiqué," dis-je à Ginny. Qu'est-ce que tu veux faire en premier, rouler autour du parc, t'arrêter et marcher, visiter la maison ou prendre un café ?"

"Je m'en remets à toi, Jacqui," répondit-elle.

"On va prendre un café et ensuite on marchera jusqu'à la maison. Après ça, on pourra déjeuner et explorer les jardins."

~~~oooOOOooo~~~

Le café était dans le centre d'accueil, une étable cubique convertie à quelque distance de la maison. Je guidais Ginny par un chemin passant à travers les arbres et montant à flanc de colline. En bas de la pente, le lac de Tumbleton étincelait au soleil. L'entrée, sur la rive opposée, était calme. La haute saison était passée depuis longtemps. Les rares visiteurs qui se baladaient étaient des retraités.

Après avoir profité de la vue sur la vallée, je menais Ginny à travers l'arche vers le quadrilatère abrité et dans le presque café. Seules deux tables étaient occupées mais, malgré cela, je l'emmenais vers la salle adjacente vide. Là, nous nous installâmes à la table la plus éloignée du comptoir. La laissant à la table, j'allais commander au bar. Quand je revins, plusieurs minutes après, elle regarda curieusement le contenu de mon plateau et leva un sourcil.

"Un latte, pour toi," dis-je. "un americano avec du lait pour moi, et deux singing hinnies. Un chacune. Je sais que tu as dit que tu ne voulais rien à manger, et moi aussi, mais je n'ai pas réussi à leur résister."

"J'ai vécu sur Ynys Mon… l'île d'Anglesey… avant d'être mariée. Ce sont des gâteaux gallois. Comment tu les as appelés ?" demanda Ginny. Je m'empêchais de commenter sur son utilisation inattendue du Gallois, et défendis à la place les scones.

"Dans cette partie du monde, ce sont des singing hinnies," lui dis-je fermement. "Maman avait l'habitude d'en préparer je n'en ai pas eu depuis des années. Je n'ai pas pu résister." Je fis une grimace. "C'est bien le problème, je n'aurais pas dû. Je suis censée retrouver mon poids d'avant les enfants."

"Bonne chance pour ça," dit Ginny en beurrant son gâteau. "Quand je jouais, on s'entraînait régulièrement. Ces temps-ci…" Elle haussa les épaules, démunie.

"Les enfants !" dis-je. "On les aime plus que tout, mais ils ne remplissent pas qu'à moitié nos journées et ils nous poussent facilement à grignoter."

"Vrai." Ginny hocha sombrement la tête.

"Ne te méprends pas," poursuivis-je. "J'ai choisi d'arrêter de travailler. Mike et moi en avons discuté. On s'en sort avec son salaire et je voulais m'occuper d'eux moi-même, pas les mettre à la crèche. Mais…"

"Mais il doit y avoir plus dans la vie que des nez coulants, des genoux écorchés et ranger après des petits morveux désordonnés," ajouta Ginny. Je ris.

"Dans quelques années, Annie sera à l'école," dis-je. "Et alors…"

"Et alors !" interrompit Ginny. "Qu'est-ce qui ne va pas avec maintenant, Jacqui ? Tu es une nageuse…"

"J'étais une nageuse, et j'avais aussi l'habitude de courir, mais…" La flamme dans les yeux de Ginny me fit stopper en plein milieu de ma phrase. Elle avait une idée, et son expression m'en avait donné une également.

"On…" Nous parlâmes, et nous interrompîmes, simultanément. "Toi d'abord," lui dis-je.

"Quand j'étais plus jeune, la plus grande partie de mon entraînement était des exercices d'équilibre et du travail de fondamentaux physiques, mais j'avais aussi l'habitude d'aller courir," me dit Ginny. "Harry est à la maison pour six heures d'ordinaire. On pourrait aller courir deux – ou trois – fois par semaine.

"Il fera noir avant six heures," dis-je pensivement. "Mais ça ne doit pas nous arrêter. Je suis partante."

"Super ! Maintenant, qu'est-ce que tu allais dire ?" me demanda-t-elle.

"Rien, vraiment, du moins rien d'aussi bon que ton idée."

"C'est toi qui le dit, Jacqui. Je ne le saurais pas tant que tu ne me l'auras pas dit."

"Nos sorties piscine en famille le samedi sont en quelque sorte régulières maintenant, non ?" commençais-je prudemment.

"Oui," approuva Ginny.

"J'allais suggérer – ce n'est pas aussi bien que ta proposition, mais – il y a un créneau de natation réservé aux adultes le samedi matin. Je pensais que je pourrais te récupérer à Drakeshaugh, qu'on pourrait nager et déjeuner, et que Mike et Harry pourraient amener les enfants à temps pour la séance des enfants. Mais j'aime vraiment ton idée d'aller courir."

"J'aime aussi ton idée," me dit Ginny. "On pourrait faire un compromis."

"Un compromis, comment ?"

"En faisant les deux !" Ginny sourit malicieusement.

"Tu penses qu'ils nous laisseront faire ?" commençais-je.

"Nous laisser faire ?" Ginny écarquilla les yeux et ouvrit la bouche en imitation cartoonesque de choc. "Comment oses-tu ? On n'a pas besoin de leur permission, Jacqui ! Même si c'était le cas, Harry est assez facile à persuader pour presque tout – hormis le travail. Et Mike ferait n'importe quoi pour toi."

"Tu dois penser à un Mike différent," dis-je.

"Ne sois pas ridicule." Ginny secouait la tête tout en parlant. "Je l'ai vu quand tu t'es évanouie. Ce regard dans ses yeux… Je l'ai déjà vu dans ceux de Harry quand il a été inquiet pour moi…"

"Tu étais soule," lui rappelais-je.

"Et toi aussi, mais si tu avais vu son visage, tu saurais que j'ai raison."

"Deux soirées et le samedi matin, ça fait beaucoup…"

"Trois soirées. Demande à Mike. Il dira oui," annonça Ginny. "Ou dis-lui juste. Il ne discutera pas."

"Il va devoir donner le bain aux enfants," dis-je avec hésitation.

"Et qu'est-ce qui ne va pas avec ça ?" demanda Ginny. "Harry donne le bain à nos trois il l'a toujours fait."

"J'ai été obligé de bannir Mike de l'heure du bain," dis-je. "Trop d'éclaboussures, pas assez d'épongeage du sol ensuite."

"C'est la pire excuse du monde," dit-elle sévèrement. "C'est trop tôt pour ce soir, mais notre premier footing sera mercredi soir. C'est établi et une dernière chose…"

"Qu'est-ce que tu vas encore me forcer à faire ?" demandais-je d'un ton moqueur.

"Je dis pas," dit-elle d'un air boudeur.

"S'teuplé – s'teuplé ?" demandais-je.

"Tu pourrais passer me prendre à Drakeshaugh pour aller nager le samedi matin, ou alors tu pourrais laisser ta voiture là et on pourrait…" Levant les mains, elle saisit un guidon imaginaire et fit tourner l'accélérateur.

"Carrément, oui ! J'adore ta façon de penser, Ginny," dis-je, levant la main. Elle tapa dedans.

~~~oooOOOooo~~~

Depuis le café, j'emmenais Ginny vers la maison et lui fis visiter. Elle trouva tout dans cet endroit fascinant, surtout le fait qu'il s'agisse de la première propriété résidentielle au monde éclairée par de l'hydroélectricité. Quand nous terminâmes notre tour de la maison, Ginny prévoyait déjà d'amener son père voir ce lieu.

Après être revenue au café pour le déjeuner, nous explorâmes le parc en dessous et les jardins, avant de repasser en moto sous l'arche, de contourner la maison et de remonter dans le parc. Nous nous garâmes au sommet de la colline et marchâmes autour des lacs de Nelly's Moss, et bavardâmes et planifiâmes. La ballade prit plus de temps que je ne pensais et au lieu de retourner à Drakeshaugh pour récupérer Annie, et ma voiture, nous ne pûmes qu'aller jusqu'à l'école juste à temps pour récupérer les enfants. Notre arrivée à moto causa un certain remous, mais je n'en avais que faire. Ça avait été une excellente journée dehors.

Le temps que je quitte Drakeshaugh, Harry avait déjà accepté notre cure planifiée de footings et de natation. Il n'opposa aucune objection et la pression fut immédiatement mise sur moi pour que je convainque Mike.