Il n'avait fallu que quelques soirées d'exploration aérienne nocturne à Peter pour complètement tomber sous le charme de la ville dans laquelle il vivait désormais. Peut-être était-ce parce que tout respirait encore la nouveauté et l'inédit, peut-être cette impression fanerait-elle au fil des jours, semaines et mois mais pour l'instant, il se contentait de vivre le moment présent en profitant au maximum. Certaines rues étaient plus animées que d'autres, alors il préférait attendre un peu qu'elles se vident avant de commencer à virevolter au-dessus, d'immeuble en immeuble. La discrétion était la clé, il en était parfaitement conscient.
Planer dans ces rues qui lui étaient encore inconnues avait quelque chose de rafraichissant. Il allait devoir apprendre à connaitre la ville de la même façon qu'il s'était accoutumé à New-York. Cela lui demanderait un certain temps de tout recommencer à zéro, mais cela ne lui faisait pas peur. Pour commencer, il n'était plus aussi seul que depuis qu'il avait quitté son quartier, puisqu'il avait eu la chance de tomber sur Matt. Bien sûr, une toute petite parcelle de lui, paranoïaque sur les bords, lui soufflait de tout de même se méfier. Il avait encore en travers de la gorge l'épisode « Mysterio » et avait appris qu'en dépit des apparences, aussi avantageuses soient-elles, mieux valait ne pas faire confiance à n'importe qui trop vite. Pourtant, avec Matt, c'était différent.
Arpentant les diverses avenues par la voie des airs, il ne pouvait s'empêcher de penser à son voisin de chambre qui, en moins de cinq minutes, était parvenu à lui rendre le sourire, à lui remonter le moral alors qu'il broyait du noir depuis des semaines, simplement en restant lui-même. Sans artifices. Peter avant bel et bien appris de ses erreurs et même s'il ne connaissait encore que très peu de choses concernant Matt, son instinct lui affirmait que lui faire confiance était une bonne idée. Jusqu'à présent, il ne s'était pas trompé et tout s'était relativement bien passé. Ou plutôt, parfaitement bien passé. Lorsqu'il était tenté de se dire que c'était trop beau pour être vrai ou pour durer, son cœur lui rappelait que tout le monde n'était pas forcément fourbe, manipulateur et mal intentionné comme l'avait été Quentin Beck. Alors il se reprenait et se disait qu'il pouvait croire en ceux et celles qu'il croisait, tout en se répétant que quoi qu'il puisse arriver désormais, le pire était derrière lui. Du moins, il l'espérait.
Un peu distrait par ses pensées, il faillit manquer sa prochaine prise, ce qui lui aurait valu une douloureuse chute sur la Kansas Avenue, au beau milieu des voitures et de passants qui se seraient demandé pourquoi il pleuvait soudainement des hommes dans leur ville. Il s'était bien éloigné du campus et rentrer courbaturé et amoché n'aurait pas été une partie de plaisir. Sa toile se fixa heureusement à un lampadaire –au lieu de l'immeuble qu'il visait initialement– et après une acrobatie maladroitement réussie, il retrouva l'équilibre et poursuivit sa promenade aérienne comme si de rien n'était. Quelques personnes semblaient avoir remarqué sa présence mais cela ne le dérangeait pas. Il était redevenu un inconnu aux yeux de tous et puisqu'il conservait constamment son masque lorsqu'il était de sortie en tant que Spider-Man, il n'avait pas à s'en faire. Il ignorait si, un jour, il oserait confier son secret à quelqu'un. Ça l'avait refroidi, la dernière fois que cela s'était su.
Il fit une courte pause, perché au sommet d'un building vertigineux, pour balayer plus facilement les environs du regard tout en admirant la vue. Accroupi, il laissa échapper un long soupir. Malgré les problèmes auxquels il avait été confronté, il demeurait étonnamment détendu et serein ce soir. Depuis son piédestal, il se sentait presque invincible, comme si absolument rien de négatif ne pouvait l'atteindre. Il profita de cet instant de solitude, loin de la population, pour ôter son masque et prendre une grande bouffée d'air frais tout en fermant momentanément les yeux. Pendant quelques secondes, il resta ainsi sans bouger, puis il focalisa son attention sur la montre connectée accrochée à son poignet gauche. Il en alluma l'écran, appuya sur quelques touches et, le cœur lourd, se mit à parler.
–Bonjour, May. Je suis désolé de ne pas avoir appelé plus tôt, la rentrée a été assez mouvementée… Je sais, ce n'est pas tellement une excuse, alors… Désolé. Mais tu vas être contente, je me suis fait un ami ! Enfin, je crois… En fait, c'est Matt, mon coloc'. Ça fait presque un mois qu'on se connait. Il est plus vieux que moi, mais on a pas mal de cours en commun. Il est hyper sympa et c'est quelqu'un avec qui on peut facilement discuter. Il sourit tout le temps et s'entend bien avec tout le monde, c'est fou ! Je sens qu'il a l'air d'avoir eu un passé compliqué qui lui pèse beaucoup, par contre. Je crois qu'il est encore trop tôt pour aborder plus profondément ce sujet avec lui, mais peut-être qu'un jour, il ressentira le besoin de se confier à moi… Et ce jour-là, je répondrai présent ! affirma-t-il avec vigueur avant de changer de sujet. J'ai revu Ned et MJ, mais je n'ai toujours pas osé aller leur parler. J'ai peur de leur réaction, avoua-t-il, un ton plus bas. Et s'ils ne me croyaient pas ? Ou pire, poursuivit-il, s'ils me croyaient mais qu'ils finissaient par m'en vouloir de ne pas être revenu plus tôt vers eux ? Je n'arrête pas de repousser l'échéance parce que je ne sais pas comment leur en parler, mais plus je retarde ce moment, plus ça va être difficile. Pour nous trois, précisa-t-il, une réelle douleur dans la voix. Tes conseils m'auraient vraiment été utiles… Parfois, je suis même tenté d'appeler Happy ou quiconque de ma… De ma « vie d'avant », mais le problème reste le même, souffla-t-il. J'ai bien pensé à demander son avis à Matt, mais cela reviendrait à lui révéler tout ce pourquoi je suis bloqué dans cette situation aujourd'hui, et je ne pense pas être prêt à dire à qui que ce soit ce qu'il s'est passé et qui je suis. C'est trop dur, dit-il dans un murmure qui se perdit dans le vent qui soufflait.
Il se tut un instant, laissant ses souvenirs le submerger. Sa réputation –et celle de ses amis par la même occasion– avait été trainée dans la boue, il avait joué avec une magie dangereuse de laquelle il aurait été préférable qu'il reste à distance, créé des failles dans le multivers, perdu sa tante avant de finir par se retrouver complètement seul et livré à lui-même dans un monde où tout souvenir de lui s'était volatilisé. Niveau drames, il avait été servi.
–Tu me manques, reprit-il tristement, tête baissée. J'espère que tu n'es pas trop en colère contre moi, que tu ne m'en veux pas pour mes erreurs. J'essaye de m'améliorer, je te jure que je veux faire des efforts et aller mieux, déclara-t-il sincèrement. C'est en grande partie pour ça que je continue mes tours de ronde. J'ai envie de me rendre utile. J'ai envie d'être là pour ceux qui en ont besoin. Et je refuse que ce qu'il m'est arrivé arrive à quelqu'un d'autre. Personne ne devrait avoir à vivre ça, ce n'est pas juste. J'espère que tu comprends.
Quelque chose au loin capta son regard. Il lui sembla qu'il y avait de l'animation à quelques rues de là, mais pas spécialement « normale » ; de violents flashs lumineux, des bruits sourds, des éclats de voix prononcés qui atteignaient les oreilles du jeune homme malgré la distance. Peter sut tout de suite qu'il devait y avoir un problème suffisamment conséquent pour qu'il l'ait remarqué et que son sixième sens se mette en alerte, lui signifiant qu'il allait être temps pour lui d'intervenir avant que cela ne dégénère.
–J'vais devoir y aller, dit-il en se redressant d'un bond, les yeux alternant entre le point central de l'activité et sa montre. Je te promets de te donner des nouvelles plus souvent ! jura-t-il avant de remettre son masque. A bientôt, May ! acheva-t-il avant de prendre son élan pour se jeter dans le vide, prêt à se rendre là où il semblait y avoir du grabuge.
Il s'élança vers son objectif à toute vitesse, prêt à intervenir. Ça le démangeait depuis un moment de passer l'action, et il semblait enfin avoir l'occasion de s'échauffer et se défouler. Cependant, plus il approchait, plus il sentait qu'il risquait de passer un mauvais moment. Une petite voix intérieure lui répétait qu'aller jouer les héros tout seul n'était pas une bonne idée, mais il ne voyait pas vraiment d'autre option. Il n'avait plus le moindre contact avec ses collègues super-héros, il était livré à lui-même. Il ressentait le même pic d'adrénaline qu'à chaque fois qu'il se rendait sur le terrain, mais aujourd'hui, c'était légèrement différent. Il n'avait plus l'équipe des Avengers pour le soutenir et ça n'avait rien à voir avec ses petites missions de routine dans le Queens. Et d'après ce qu'il voyait à distance, il allait avoir affaire à une menace de taille qu'il ne serait peut-être pas capable de gérer seul.
En arrivant sur place, il se plaça une nouvelle fois en hauteur pour évaluer les dégâts il sut que son sixième sens ne l'avait pas trompé. Aux abords du centre hospitalier MedStar, toutes les voitures étaient à l'arrêt et leurs propriétaires s'enfuyaient en courant tout en hurlant de terreur. Le sol tremblait dangereusement, se fissurait et se craquelait de toutes parts, tandis qu'un liquide semblable à du magma en fusion remontait des entrailles de la terre et jaillissait à divers endroits, manquant de brûler vifs celles et ceux qui se trouvaient à proximité de ces impressionnantes brèches. Des bourrasques de vent trop violentes pour être naturelles nourrissaient des flammes dévastatrices qui carbonisaient les quelques arbres encore debout et malgré la présence d'ambulances et de véhicules de police sur les lieux, la situation était loin d'être maitrisée par quiconque. Les forces de l'ordre demeuraient à la fois débordés et dépassés par les événements.
Peter ne s'était pas attendu à être témoin d'un tel chaos. Le feu et la lave dégageaient tant de lumière qu'on y voyait presque comme en plein jour. Il avait bau être habitué à l'agitation et aux bizarreries, il resta tétanisé durant quelques secondes. C'était presque comme s'il avait pris un aller-simple pour l'Enfer. Il venait de plonger dans une fournaise infernale et n'avait aucune idée de la façon dont il pourrait ramener un certain ordre. Il eut ensuite la –désagréable– surprise de voir apparaitre, se matérialiser d'étranges créatures composées de flammes. Il s'agissait d'oiseaux de feu géant qui terrorisaient encore plus la population déjà affolée en poussant des cris stridents insupportables qui déchiraient les tympans. Peter hésita même à se boucher les oreilles à cause de la puissance phénoménale de leurs piaillements massacrants. Heureusement pour lui, ces bêtes ne l'avaient pas encore remarqué et le laissaient tranquille, lui donnant un peu de temps pour réfléchir à ce qu'il comptait faire.
Il n'était pas certain que son costume puisse résister à ce brasier. Il n'avait plus accès à la technologie Stark et s'était contenté de fabriquer lui-même sa tenue avec ce qu'il avait sous la main, en se servant des compétences et connaissances acquises grâce, justement, à son expérience au sein des Avengers et en compagnie de Tony. Il avait donc un ensemble pratique et souple, toujours fait de ses couleurs fétiches –rouge et bleu– avec un masque assorti, y avait inclus quelques spécificités telles que, principalement, le système de chaleur diffuse et une vision thermique et nocturne au niveau des verres. A ses débuts, il était parvenu à se contenter de moins, mais aujourd'hui, il aurait bien eu besoin de l'armure que Tony avait spécialement conçue pour lui quelques années plus tôt. Là, il aurait été certain de moins risquer sa vie. Heureusement, il savait comment remédier à ce souci, mais pour le moment, il devait avant tout s'occuper des problèmes en ville.
Surgit soudainement d'une des failles ce qui apparut au début aux yeux de Peter comme l'ange de la mort, tant par son allure que par le froid global que son apparition jeta sur la foule. Il s'agissait d'une femme aussi redoutable que splendide revêtant une armure métallique aux reflets lilas –plastron, jambières, protèges avant-bras et bottes montantes–. Les extrémités de ses doigts fins se terminaient en griffes acérées comparables aux serres d'un aigle. Ses cheveux lisses noir corbeau flottaient librement dans le vent et contrastaient avec ses yeux étincelants et blancs. Les amas homogènes de plumes soyeuses et colorées de teintes lavande, rose Mountbatten et ébène qui descendaient dans son dos firent d'abord penser à Peter qu'il s'agissait d'une cape, jusqu'à ce qu'il voie cette « cape » s'élever et se déployer en deux immenses ailes majestueuses. Pour couronner le tout, elle était armée d'un javelot en argent.
En la voyant, Peter demeura autant tendu qu'admiratif. Cette dernière se fit rapidement rejoindre par un homme aux cheveux bruns et au regard bleu perçant, lui aussi protégé par une armure –principalement dorée et orangée pour lui–. Ses propres protèges avant-bras étaient gris anthracite, de même que ses épaulettes qui retenaient une cape de la même couleur. Ce qui dérangea le plus Peter avec lui fut qu'il avait l'allure typique d'un valeureux super-héros mais qu'il se situait du mauvais côté, celui où inciter la peur et provoquer la panique était parfaitement rationnel. L'étudiant trouvait cela un peu dommage, car il estimait que celui-ci aurait pu, dans d'autres circonstances, faire un très bon Avenger, et cette pensée ne fit que s'accentuer lorsqu'il vit l'homme à l'œuvre : lui aussi était doté de pouvoirs hors-normes, puisqu'il semblait être une sorte de combinaison entre le célèbre guerrier asgardien et Captain Marvel, entre les salves d'électricité et de lumière qui émanaient de lui, ainsi que la lave qu'il manipulait et dont il était sûrement à l'origine.
Peter entendit quelqu'un rire, ce qui le surprit. Ce ne fut qu'à cet instant qu'il remarqua le troisième membre de leur petite équipe : un deuxième homme à la tignasse blonde et au regard azur vif. Sa tenue avait l'air d'être aussi pratique et souple que l'était celle de Peter, en dehors du fait que ses couleurs de prédilections étaient le rouge cardinal et le jaune orpiment, sa combinaison étant surplombée de quelques pièces de cuir –autour de ses épaules et de ses genoux, et en guises de gants–, de bottes robustes qui lui permettaient de marcher sans problèmes dans les flaques de magma créées par son allié et d'un masque cinabre qui couvrait son cou et remontait juste au niveau de ses yeux en laissant le reste de son visage à l'air libre. Une étrange machine pourvue de réacteurs était accrochée dans son dos via deux sangles solides. Peter comprit en le voyant agir qu'en plus d'apparemment bien s'amuser, il était celui qui avait façonné les quelques oiseaux de feu géants qui tournoyaient au-dessus de leur tête.
L'inquiétude de Peter grimpa d'un cran lorsqu'il remarqua d'autres créatures surnaturelles se joindre à la fête. Quelques reptiles ailés émeraude et translucides sortir du sol sans l'abîmer, comme s'il s'agissait de fantômes, de spectres. Pourtant, les dégâts qu'ils causèrent par la suite, eux, furent bien réels. Puis, sortant elle aussi des entrailles de la terre se présenta au monde le quatrième membre du groupe de fauteurs de trouble. Une femme fatale à la chevelure blonde lustrée, accoutrée d'un kimono traditionnel sans manches d'un vert empire somptueux aux larges échancrures au niveau de ses hanches et aux bottes assorties, qui montaient jusqu'au-dessus de ses genoux, de même que ses gants, qui eux la couvraient du bout des doigts et par-delà ses coudes. La ceinture qui s'enroulait autour de sa taille avait des motifs écaillés qui rappelaient fortement les dragons qui venaient de se manifester. Tout comme son collègue pyromane, un masque fin cachait uniquement ses yeux cobalt. Le plus terrifiant et impressionnant la concernant –autant selon Peter que selon les passants horrifié– étaient les tentacules opalescents qui jaillissaient de sa colonne vertébrale et détruisaient tout ce qu'elles attrapaient.
Il ne connaissait encore aucun de ces quatre personnes, mais Peter avait la nette l'impression de très, très mal barré. A juste titre.
