Chapitre XVIII
L'Anneau Sacré de Persuasion
Elles marchaient en silence dans les rues de Balmora, en direction du temple. Alinor ne pouvait s'empêcher de jeter des coups d'œil furtifs en direction d'Almasea mais n'osait pas entamer la conversation quand il était évident que la devineresse ne voulait pas parler.
Du moins elle le crut jusqu'à ce que la Dunmer rompe le silence en disant :
« Je peux sentir vos pensées s'emballer comme les rouages d'une machine de la Cité mécanique, Alinor. »
Elle lui lança un sourire taquin pour lui indiquer qu'elle n'était pas fâchée et ajouta :
« Posez-moi les questions que vous voulez et j'y répondrai au mieux de mes capacités.
— Une… prophétie ? »
Almasea gloussa devant son expression sceptique.
« Je sais que cela semble ridicule d'y accorder de l'importance mais nous n'y pouvons rien. Depuis que la Prophétie de l'Étranger des Cendrais s'est concrétisée, les plus hauts dignitaires de la Maison Hlaalu accordent une attention particulière à cette prophétie, d'autant plus qu'elle semble se concrétiser en ce moment même.
— Et elle vous implique ?
— Il semblerait, oui… Avant ça, de part mon ancien rôle de conseillère hlaalu et ma place au sein du Temple, j'étais encore en contact avec la Maison Hlaalu mais j'ai été propulsée à un rang bien supérieur quand on a réalisé que la Main déchue ne pouvait être que moi – je suis la seule membre des Hlaalu a avoir été une Main d'Almalexia.
— Et vous savez quelle est votre tâche dedans ?
— Non. Les prophéties sont toujours floues. J'ai renoué des liens avec la Maison Hlaalu suite à cette prophétie car mes idéaux vont en accord avec les siens et qu'il me semble que seule la Maison Hlaalu pourra apporter une paix durable et prospère à Morrowind et avec le reste de Tamriel. Mais ceci n'est que mon opinion, pas que ce je sais qui se passera. »
Alinor opina sans rien dire. Tout ceci la dépassait mais levait le voile sur beaucoup de choses : pourquoi on avait envoyé la Confrérie Noire à ses trousses, pourquoi les Hlaalu s'étaient montrés si hostiles envers elle lors de son premier passage à Balmora… et peut-être aussi pourquoi Almasea lui avait tendu la main.
Elle ne put s'empêcher de se remémorer ce qu'elle avait entendu être dit plus tôt.
« Mes sentiments n'ont rien à voir là-dedans… »
Almasea l'avait-elle aidé par devoir, car elle s'y sentait obligée ?
Son coeur se serra à cette idée qu'elle ne cessait de rechasser depuis leur départ du Manoir du Conseil Hlaalu. Ça paraissait très malpoli et insensible d'évoquer ça mais elle ne supportait pas de ne pas savoir, d'être dans cette incertitude.
« Almasea… puis-je vous demander quelque chose d'assez personnel ? »
La devineresse lui jeta un regard curieux.
« Ça ne vous ressemble pas donc c'est que ça doit être important. Allez-y, je vous écoute.
— Est-ce à cause de mon implication involontaire dans cette affaire que vous avez décidé de m'aider, lorsque nous nous sommes rencontrées ? »
M'aidiez-vous par pitié ? Me suis-je trompée en croyant que nous partagions un lien ?
Ces questions, celles qu'elle voulait désespérément évoquer, restèrent enfouies en son sein – elle n'avait pas le courage et l'audace de les poser, ne serait-ce que par crainte de la réponse.
Elle lut l'hésitation dans les yeux de la Dunmer, ce qui ne fit que renforcer ses inquiétudes. Cherchait-elle les bons mots pour ne pas heurter ses sentiments ?
Je ne vous demande qu'une chose… ne me mentez pas.
Elle en avait assez des gens qui lui mentaient.
Alinor détourna la tête, incapable de soutenir son regard alors que ses craintes se confirmaient.
Elle entendit Almasea pousser un soupir las et murmurer presque à regret :
« J'aimerais vous dire que non, mais ce serait vous mentir et je ne peux pas faire ça. »
Alinor sentit son coeur s'effondrer. Elle avait donc raison : elle ne représentait rien pour Almasea. La solitude qu'elle ressentait depuis la mort d'Iudas revint en force lui rappeler que, malgré le soutien du Culte impérial, elle était bel et bien seule contre tous sur Vvardenfell…
« Au départ, après que vous soyez venue au manoir, j'ai décidé de vous aider car vous me sembliez victime d'une injustice et je ne pouvais pas laisser passer ça, surtout en ayant connaissance de ce qui se cachait derrière tout ça. C'est pour cela que je vous ai rattrapée près de l'échassier des marais. D'ailleurs, je suis désolée que vous pensiez que je vous menaçais – ce n'était pas mon intention, loin de là.
— Je le sais à présent. Vous n'avez pas à vous excuser pour ça. »
Almasea lui sourit tristement avec une expression coupable.
« Si, je vous dois des excuses… »
Elle s'arrêta de marcher et commença à ôter son gant droit tout en continuant à dire :
« Je dois être honnête avec vous, Alinor. Je voulais vous en parler mais je ne trouvais pas le courage de le faire… jusqu'à maintenant. Me faire ensuite encore confiance ou non sera votre choix mais j'espère au moins que cela suffira à vous convaincre de la confiance que j'ai envers vous. »
Alinor fronça les sourcils, confuse. Comment en étaient-elles arrivées à remettre en doute la confiance qu'elle accordait à Almasea ?
Une fois son gant ôté, Almasea retira la bague à son index – ce qui permit à Alinor d'avoir un meilleur aperçu de celui-ci : c'était un anneau d'un vert impérial aux bords arrondis, ciselé de motifs d'un jaune de cobalt rappelant la couleur de l'or qui venait d'être coulé dans une fonderie. Des lettres noires aux reflets incandescents y étaient gravées et faisaient le tour de l'anneau, des symboles aux traits saccadés et acérés reconnaissables entre mille : des lettres daedriques.
Cela ne la surprit qu'à moitié : de part leur héritage chimer, les Dunmers utilisaient l'alphabet daedrique. Elle l'avait notamment vu à l'entrée de Balmora : le nom de la ville y était inscrit sur une borne avec ces symboles qui feraient frémir n'importe quel étranger ignorant et croyant donc les Dunmers soumis aux cultes sombres des Princes Daedra.
Alinor avait appris à lire l'alphabet daedrique mais n'eut pas le temps de déchiffrer ce qui était décrit sur l'anneau qu'Almasea lui demanda :
« Savez-vous ce que c'est ?
— Votre… bague de mariage ? »
La devineresse la dévisagea avec de grands yeux, ce qui la rendit mal à l'aise – elle ne comprenait pas où Almasea voulait en venir.
« Mes excuses, finit par dire Almasea en secouant la tête, un sourire aux lèvres. C'était idiot de ma part de vous poser une telle question : il n'y a aucune façon pour vous de savoir ce qu'est cet anneau. Venez, je dois vous montrer quelque chose. »
Elles marchèrent à grand pas vers le temple et entrèrent en silence dans celui-ci, passant d'une salle à l'autre sans déranger les fidèles et pèlerins qui priaient devant les stèles des saints vénérés à Balmora. Elles arrivèrent dans la grande salle de l'autel sur lequel était posé le Jugement de Véloth et se dirigèrent vers un des autels adjacents sur les côtés, presque cachés à la vue des visiteurs.
Sur l'autel duquel qu'elles approchaient se trouvait un artefact : une masse dwemer aux reflets scintillants, signe qu'elle bénéficiait d'un enchantement magique.
« Je présume qu'il s'agit aussi d'une relique matérielle ? devina Alinor.
— En quelque sorte, oui… »
Almasea souleva la masse avec une prudence révérencieuse, mais ce qui suscita la curiosité de la Bréton fut la mélancolie qui transparaissait de façon flagrante dans les yeux de l'ancienne Main. Avant qu'elle ne puisse poser de questions à ce sujet, Almasea continua :
« Beaucoup l'oublient mais Dame Almalexia était aussi une guerrière – ce qui peut paraître… étrange mais découle d'un raisonnement logique des plus simples : aimer amène à se battre pour protéger ce que nous chérissons. C'est une épée à double tranchant, que l'on dresse contre ses adversaires mais à laquelle nous devrons prendre garde pour ne pas nous laisser emporter par l'émotion à moins de nous blesser avec ou, pire, de la briser irréversiblement… »
Elle s'interrompit et secoua la tête avec regret.
« Pardonnez-moi. Il semble que je divague. Quoi qu'il en soit, en tant que Déesse guerrière, Dame Almalexia possédait une quantité conséquente d'artefacts légendaires. À chaque Main qui se mettait à son service, elle offrait une arme ou une armure de son armurerie personnelle. Je reçu cette masse enchantée comme présent, témoin du serment qui me liait à tout jamais à la Dame Sacrée. »
Elle ferma brièvement les yeux et sa voix se teinta d'émotions :
« Je l'ai nommé la Sentence d'ALM, car je ne levais cette masse que lorsque Dame Almalexia me le demandait. Si ses ennemis refusaient d'entrer dans la lumière de sa miséricorde, alors plus personne ne pouvait rien pour eux et il ne leur restait qu'à subir le courroux de son jugement. Nous étions ses hérauts : c'était donc notre rôle d'appliquer sa justice, quand bien même il fallait nous salir les mains pour cela. »
Elle soupira et reposa la relique sur l'autel.
« La Sentence d'ALM n'a désormais plus lieu d'être. Elle demeure donc dans le temple de Balmora mais si je devais à nouveau m'en armer pour faire face aux Exaltés du Nérévarine, je le ferais. »
Alinor fut déconcertée. Cela devait se voir sur son visage puisque Almasea sourit.
« Vous devez vous demander pourquoi je vous dis cela. J'y viens. Voyez-vous, ce n'est pas le seul présent que je reçus de la Mère Guérisseuse. Vous souveniez-vous de la discussion que nous avons eu à Longsanglot après l'attaque du Bosmer délirant devant le temple ?
— Je m'en rappelle.
— J'ai omis quelques détails dont il faut que je vous parle maintenant. »
Elle lui montra une nouvelle fois son anneau aux lettres daedriques.
« Comme je vous l'ai expliqué, j'ai assisté à la déchéance de Dame Almalexia. Nous connaissions ses accès de colère depuis toujours et sans doute étions-nous les seuls à comprendre ce qu'ils signifiaient vraiment mais tout fut différent après que les Tribuns aient commencé à perdre leurs pouvoirs divins. À partir de là, sa colère n'exprimait plus l'amour qu'elle ressentait pour ses enfants. C'était désormais une colère… déraisonnable et incontrôlable. Dame Almalexia devenait aussi plus renfermée et méfiante – jusqu'à parfois être paranoïaque, même envers les seigneurs Vivec et Sotha Sil, ses plus proches amis. Elle n'accordait plus sa confiance qu'envers nous, Ses Mains. Nous étions devenus ses plus proches et seuls confidents mais elle restait une déesse : elle ne voulait pas nous imposer des doutes qui l'accablaient et paraître faible devant ses serviteurs. Alors elle gardait le silence et par respect envers elle, nous faisions semblant d'être aveugles à ce que se passait…
« Je ne pouvais plus supporter ça. Je savais qu'il n'y avait rien que je puisse faire pour aider ma Dame. Ses coups de folies m'inquiétaient de plus en plus, au point que je commençais à avoir peur – non pas pour ma sécurité mais de ce qu'elle pourrait m'ordonner de faire : même si elle perdait l'esprit, elle restait la déesse que j'avais juré de servir jusqu'à ma mort et si elle m'ordonnait quoi que ce soit, je ne pouvais que m'exécuter. J'étais déchirée entre le devoir qui me disait de la suivre où qu'elle aille sans jamais la remettre en question et ce sentiment en moi qui me murmurait que la plus grande trahison envers elle serait de lui obéir alors que Dame Almalexia, avant la perte progressive de ses pouvoirs, ne m'aurait jamais ordonné de commettre de telles atrocités. J'ai finalement pris la décision de partir. Ce fut le choix le plus difficile que j'eus à prendre mais je savais au fond de moi que c'était pour le mieux.
« Je pensais m'enfuir dans la nuit comme une voleuse mais bien sûr, les choses ne se sont pas passées ainsi. Le soir même où j'allais quitter le temple, Dame Almalexia m'a arrêtée. J'étais bête de croire qu'elle n'avait pas remarqué mon étrange comportement. Elle pressentait ma trahison depuis quelques temps et attendait le bon moment pour me confronter à ce sujet. Pour la première fois de ma vie, j'eus peur d'elle et du châtiment qu'elle allait m'infliger pour ma traîtrise. Je n'osais même pas implorer sa clémence : j'étais trop tétanisée pour ça mais, à ma grande surprise, elle ne me condamna pas – loin de là. Elle s'adressa à moi d'un ton surprenamment lucide – peut-être même était-ce là son dernier instant de lucidité avant de complètement sombrer dans la folie – et bien que ses propos restaient quelque peu décousus et obscurs à mes yeux car concernaient des choses qui me dépassaient, j'en compris qu'elle ne m'empêcherait pas de partir. Au contraire, elle semblait même… soulagée que je m'en aille et me fit don de cet anneau en gage d'adieu de sa part, me demandant de veiller à ce qu'il ne tombe pas entre de mauvaises mains. »
Les lettres de l'anneau en question se mirent à briller d'une lueur rougeâtre, comme s'il était doté d'une volonté propre et comprenait qu'on parlait de lui. Almasea le tendit à Alinor, qui hésita avant de le prendre et d'en examiner les contours et les runes daedriques.
« Vous avez sans doute remarqué que ce n'est un simple anneau…
— Il est tout sauf ordinaire, c'est certain. Il est enchanté, n'est-ce pas ?
— En effet. Les Mains d'Almalexia l'ont récupéré après avoir vaincu un mage talentueux mais malfaisant qui l'a soumis à un enchantement des plus puissants et dangereux qu'il soit. J'ignore ce que Dame Almalexia comptait en faire mais je suis soulagée qu'elle me l'ait remis ce jour là plutôt que de le garder.
— Pourquoi ? Qu'a-t-il de si particulier ? »
Alinor eut soudain l'impression que l'anneau brûlait entre ses doigts et s'empressa de le remettre à Almasea, qui le tourna lentement avec précaution en jetant des coups d'yeux incertains vers la Bréton.
« Par la voix s'obtient le pouvoir, murmura-t-elle si doucement qu'Alinor faillit ne pas l'entendre. Voici ce que dit l'inscription daedrique qui y est gravée.
— Qu'est-ce que ça signifie ?
— Que la persuasion est la clé du contrôle sur les individus. Ce mage noir était convaincu que la magie d'Illusion était la plus puissante qu'il soit et il avait œuvré toute sa vie dans l'espoir de créer un enchantement capable de soumettre l'esprit des autres sans même qu'ils le remarquent. Il n'est jamais arrivé au bout de son projet mais Dame Almalexia, lorsque Ses Mains lui présentèrent la dernière création du mage noir sous la forme d'une bague, l'améliora jusqu'à en parfaire les enchantements. Ainsi fut conçu l'Anneau Sacré de Persuasion. »
Le regard d'Alinor s'attarda sur la bague dans le creux de la main d'Almasea.
C'est cet anneau.
Elle sentit son estomac se tordre, pensant à ce que cela impliquait. Sans même réfléchir, elle demanda :
« Vous vous en êtes servie sur moi ? »
Almasea lui sourit tristement, incapable de cacher la douleur d'être accusée de la sorte.
« Une seule fois, lors de notre rencontre. Je ne voulais pas que vous vous mettiez dans une situation dangereuse alors je m'en suis servie pour essayer de vous convaincre de ne rien faire de déraisonnable qui pourrait mettre votre vie en danger. »
Cela expliquait pourquoi elle s'était sentie si étrange après que la devineresse se soit adressée à elle avant de quitter Balmora : elle était alors sous l'emprise d'un sortilège. Pourtant ce n'était pas la seule fois où elle s'était sentie drôle en étant auprès d'Almasea mais celle-ci lui assurait qu'elle n'utilisait pas l'Anneau Sacré de Persuasion alors qu'en était-il ?
Remarquant son expression troublée et l'interprétant mal, Almasea soupira doucement :
« Je… Je ne sais pas comment vous prouver que je ne vous mens pas. Je ne peux que vous demander de me croire mais…
— Je vous crois. »
Almasea s'interrompit lui jeta un regard perplexe.
« Vous le faites ? Pourquoi ?
— Pourquoi ne le ferais-je pas ? Vous ne m'avez jamais donné de raison de remettre en doute votre parole. »
Cette répondit ne sembla pas satisfaire Almasea, qui continua de la dévisager avec incrédulité – ce qui, si Alinor devait être sincère, commençait non seulement à la gêner mais aussi à la vexer.
« C'est si étrange venant de moi ? » demanda-t-elle en arquant un sourcil.
Almasea eut un sourire en coin.
« Ce n'est pas défaut, loin de là. Vous êtes normalement plus sur vos gardes que ça et votre prudence vous honore. D'ailleurs, je vous rassure : une fois que quelqu'un a conscience de l'existence de l'Anneau Sacré de Persuasion et de son usage, il n'a plus aucun contrôle sur cette personne et n'en aura plus jamais. Vous n'avez donc rien à craindre de ça. »
Alinor haussa nonchalamment les épaules.
« Je ne m'en inquiétais pas. »
Elle pensait vraiment ces mots : cet anneau enchanté aurait été en possession de n'importe qui d'autre, elle s'en serait souciée car être capable de manipuler l'esprit des gens était un pouvoir des plus dangereux mais pas tant qu'il était entre les mains d'Almasea – en fait, maintenant elle y repensait, l'Anneau Sacré de Persuasion avait dû leur sauver la mise dans bien des situations, comme à Longsanglot…
Elle faisait confiance à Almasea pour s'en servir prudemment et sans excès. Après tout, celle-ci lui avait fait assez confiance pour lui révéler l'existence de cet artefact donc il était juste qu'elle en fasse de même, surtout envers quelqu'un qui n'avait cessé de l'aider depuis le début.
Une fois l'anneau remis à son doigt, Almasea le dissimula sous les gants offerts par Alinor la veille.
« C'est donc pour ça que vous portez des gants ?
— En effet. Même si on ne se doute pas de son utilité, il a tendance à attirer l'attention donc je préfère le cacher. Sinon on me croit mariée… »
Elle ponctua ses mots d'un sourire taquin qui fit rougir Alinor. Après coup, cette supposition était effectivement ridicule mais c'était le raisonnement le plus logique qu'elle avait eu à ce moment précis.
« Comment pouvais-je me douter qu'il s'agissait d'un anneau enchanté ? » rétorqua-t-elle en croisant les bras dans une piteuse tentative de se défendre.
Ses protestations amusèrent Almasea qui en rit avant de reprendre son sérieux. Elle se racla distraitement la gorge d'un air pensif avant de se décider à dire :
« Vous me demandiez pour quelle raison je vous aidais, n'est-ce pas ? Eh bien au début, je vous aidais car mon sens du devoir me le dictait mais les choses ont changé depuis. »
Ses yeux rouges la fixèrent avec intensité.
« À présent, je le fais car vous êtes importante pour moi, Alinor. Je vous apprécie plus que vous ne pouvez le croire et tant que ces fanatiques vous prendront pour cible, ils me trouveront sur leur chemin. »
La détermination féroce dans la voix d'Almasea fit battre son coeur au point de lui faire mal, sans qu'elle ne comprenne exactement pourquoi. Probablement parce que jamais personne n'avait jamais pris sa défense de cette façon, surtout dans un contexte aussi particulier où il lui semblait avoir une épée de Damoclès au dessus de la tête.
Alinor se retrouva incapable de dire quoi que ce soit : comment répondait-on face à de tels propos ? Quels mots suffiraient à exprimer sa reconnaissance ?
« Vous faites preuve d'un manque flagrant d'imagination quand il s'agit de vous exprimer, Alinor. Vous savez qu'un de ces quatre, vous devrez répondre d'une autre façon qu'en affichant un regard noir ou indifférent ? Je prie les Neuf pour être présent ce jour là car pour rien au monde je ne voudrais rater un tel spectacle ! »
Elle détestait combien Iudas avait eu raison à ce sujet, mais elle n'allait certainement pas se ridiculiser en essayant – et en échouant – à se montrer plus expressive.
« Merci. »
Sa réponse laconique mais emplie de sincérité suffit à Almasea, qui lui sourit en retour.
. . .
Le soleil commençait à se coucher et déjà les rues de Balmora replongeaient dans le silence. Alinor s'en réjouissait : cela lui permettait de réfléchir calmement en prenant le chemin de l'auberge, de faire le point sur tout ce qu'elle avait appris aujourd'hui concernant la Prophétie Hlaalu mais surtout les révélations faites par Almasea.
Elle se doutait depuis un moment qu'il y avait de la magie dans toute cette affaire car la devineresse, aussi éloquente puisse-t-elle être, parvenait très – trop – facilement à ses fins, surtout quand il s'agissait de convaincre quelqu'un. L'existence de l'Anneau Sacré de Persuasion justifiait toutes ces étrangetés mais, d'une certaine façon, la troublait également.
Pendant tout ce temps, elle s'était pensée sous l'emprise d'un sortilège, d'un charme qui embrouillait son esprit et ses émotions. Sauf qu'elle se trompait alors comment expliquer ce qu'elle ressentait ces derniers temps ?
Elle pouvait presque entendre Iudas se payer sa tête…
« Vous êtes sérieuse ? Pour quelqu'un de si perspicace, vous êtes vraiment aveugle parfois… »
Alinor soupira et passa une main à son cou.
À quoi bon essayer encore de se mentir ? Elle ne pourrait pas fuir éternellement la vérité : tôt ou tard, elle devrait y faire face alors autant l'accepter dès maintenant, quand bien même cela n'aboutirait à rien, et admettre ce qu'elle ressentait pour Almasea.
« Alinor Selone ? »
Alinor s'arrêta à l'entente de son nom et fronça les sourcils : cette voix ne lui était pas inconnue mais pas assez familière pour qu'elle se rappelle à qui elle appartenait.
Elle s'apprêta à faire volte-face et ne réalisa que trop tard son erreur : elle avait baissé sa garde. Elle entendit et vit le crépitement familier de cristaux glacées entourés de frimas avant que le sortilège de glace la touche. Elle n'eut pas le temps de réagir et fut frappée de plein fouet.
Par les Neuf… !
Tout son corps se raidit, prisonnier du froid et avant même qu'elle ne puisse essayer de crier pour qu'un garde hlaalu accoure, une silhouette plongée dans la pénombre d'un bâtiment à sa droite leva la poignée de son épée avant de l'abattre avec force sur elle.
Une fulgurante douleur à la tête fut la dernière chose que ressentit Alinor avant qu'un voile noire n'obscurcisse sa vue.
D'une certaine façon, ce chapitre fait suite à celui sur la Main d'Almalexia, à Longsanglot. Il me permet d'ailleurs d'approfondir ma pensée concernant Almasea et comment les Tribuns ont réagi à la perte progressive de leurs pouvoirs.
Je me dis qu'ils ont des réactions très différentes : Sotha Sil, déjà, semblait très indépendant de ceux-ci donc peut-être que cela ne l'a même pas fait réagir et on sait que Vivec a atteint le CHIM donc il devrait travailler à l'atteindre depuis un moment et accéder donc à un « véritable » état divin.
Cela laisse Almalexia qui, toute guerrière qu'elle soit, devient plus dépendante de ses pouvoirs que les autres et donc qu'elle a très mal réagi quand ceux-ci ont commencé à s'éteindre. Sa situation est toute paradoxale : elle est devenue égoïste et cruelle alors qu'elle était celle considérée comme la plus bienveillante des Tribuns. Je l'imagine donc en lutte contre elle même, reconnaissant que la perte de ses pouvoirs la ronge et la rend folle avec de brefs instants de lucidité qui lui permettent de prendre des décisions qui lui semblent « sages » avant de complètement perdre l'esprit et de devenir la divinité manipulatrice et assoiffée de pouvoir que l'on rencontre dans Tribunal.
C'était quelque chose de très frustrants dans Morrowind : le peu qu'on en sache de Sotha Sil et Almalexia. Autant Vivec était très développé, autant Sotha Sil et Almalexia l'étaient moins – l'importance de l'un a probablement éclipsé les autres, je suppose ? Bon, depuis, ça a pas mal changé (surtout avec TESO, qui permet d'en savoir – beaucoup – plus sur Sotha Sil) mais un élément qui est toujours resté en partie négligé dans Morrowind, c'est comment les Tribuns, des Dieux Vivants, ont géré la perte de leurs pouvoirs. Le cas d'Almalexia et son changement radical m'intriguaient surtout et c'est une des principales raisons pour lesquelles je voulais écrire cette fanfiction – ainsi qu'un des premières thèmes que je voulais exploiter : un point de vue externe, celui d'une de Ses Mains…
