CHAPITRE 11

« Le monde est en vérité empli de périls, et il y a en lui maints lieux sombres mais il y en a encore beaucoup de beaux, et quoique dans tous les pays l'amour se mêle maintenant d'affliction, il n'en devient peut-être que plus grand. » — JRR Tolkien


La fine neige annonçant l'hiver était devenue épaisse, la buée qui sortait des bouches gerçait les lèvres, et le lac s'était recouvert d'une couche de glace, emprisonnant ses occupant dans des profondeurs sans lumières.

Alors Harry trouvait du réconfort dans l'idée de quitter les pierres froides du château. Le premier jour des vacances d'hiver était arrivé, et avec lui leur départ pour Londres. Il avait rapidement été convenu qu'il n'était pas sûr pour les Weasley de retourner au Terrier, et leur mère avait vivement insisté auprès du Directeur de Poudlard pour que ses enfants passent leurs vacances auprès d'elle au 12, square Grimmaurd. L'invitation de Harry et Hermione allait de soi.

Harry avait hâte de revoir son parrain, de lui parler de vive-voix, et de passer du temps dans le quartier général de l'Ordre du Phénix, où il espérait en apprendre plus sur ses membres. Pour sécuriser leur voyage, il avait été convenu que lui et ses camarades ne quitteraient l'école qu'en fin d'après-midi, après que la majorité des élèves soient partis, afin que leur départ reste secret.

La dernière dizaine d'élèves restants allaient et venaient devant la Grande Salle, chargés de lourds bagages, pour la majorité enjoués de retrouver leurs familles. Compte tenu du climat actuel, le château allait être encore plus dépeuplé qu'à l'ordinaire en cette période. Un parfum de fête pouvait tout de même se faire sentir dans l'atmosphère, mais Harry savait que certains partaient de l'école le cœur lourd.

Draco et lui s'étaient dit au revoir la veille, dans leur salle abandonnée, et leur étreinte avait été tâchée de tristesse et de crainte pour l'avenir. Il était parti au petit matin.

Harry releva les yeux de son livre et observa ses amis discuter calmement autour de la table des Gryffondor garnie de décorations fabriquées par les elfes de maison. Dans la Grande Salle, les élèves étaient quelques-uns à jouer aux échecs, à bouquiner ou à se raconter les derniers potins. Hermione, Ron, Ginny, Fred et George, eux, parlaient à voix basse des informations qu'ils avaient pu glaner sur les actions de l'Ordre.

Ils n'étaient plus des enfants.

« T'as fais ta valise ? » demanda Hermione en captant son attention. Harry savait qu'elle était triste de ne pas voir ses parents, mais qu'elle était tout de même enthousiaste à l'idée de ne pas être seule à Noël.

« Hm », répondit Harry, une boule dans la gorge.

Hermione fronça les sourcils et lâcha la main de Ron qu'elle tenait sous la table pour se rapprocher de Harry.

« Tout va bien ? »

Il hocha la tête, mais ne dû pas paraître très convainquant. La jeune femme regarda autour d'eux. La Grande Salle se vidait peu à peu et était uniquement éclairée par la douce lueur des multiples bougies flottant dans les airs. Ils étaient plus tranquilles qu'ils ne l'avaient été ces derniers mois.

« Je sais que ça ne va pas… Tout le monde le sait. Entre Voldemort, tes cours de potions », Harry vu qu'elle plissa les yeux en disant ce mot « tes cauchemars… Mais on est là Harry. »

Pour appuyer son propos, elle lui prit les mains entres les siennes et le regarda droit dans les yeux. Elle était belle avec ses cheveux libres et ses doux yeux noisette.

« Je suis là. »

Touché, plus qu'il ne l'aurait pensé, Harry tira délicatement sur la main de son amie pour la prendre dans ses bras. Derrière elle, Ron lui offrit un tendre sourire. Celui-ci n'avait posé aucune question sur son sommeil agité et son comportement étrange des derniers jours.

Et Harry, le visage à moitié caché par les cheveux et les couches moelleuses des pulls tricotés d'Hermione, se sentait chanceux d'avoir de tels amis.

« Vous êtes prêts ? leur glissa McGonagall en passant devant eux.

— Oui Madame. »

— Alors allons, quand la potion est tirée, il faut la boire. »

Le plan était simple : Harry, Ron et Hermione devaient se retrouver dans le placard à balais du Hall du château, à côté de la Grande Salle, pour se cacher sous la cape d'invisibilité et filer dans le parc en direction de la sortie. Les jumeaux et Ginny devaient quant à eux faire exploser un petit artifice et être réprimandés par leur professeure, ce qui servirait d'excuse pour une prétendue retenue à la cabane de Hagrid, mais se dirigeront peu après plus loin, aux portes du parc, où Nymphadora Tonks les attendraient tous avec leurs valises.

A ce moment, tout ce petit monde devrait prendre leur Portoloin en dehors de l'enceinte sécurisée de l'école.

BOUM !

« WEASLEY ! POUR QUI VOUS PRENEZ VOUS ? » cria McGonagall en feignant à la perfection l'outrage devant l'artifice aux formes vulgaires qu'avaient actionné les trois rouquins.

« Ne croyez pas que vous pouvez faire fi des règles juste parce que vous êtes en vacances, une bonne retenue vous remettra le cerveau à l'endroit ! »

Les jumeaux protestèrent pour la forme, et Ginny gloussa en observant le joli… coquillage formé par les petites explosions.

« Et vous, déguerpissez dans votre dortoir ! » ordonna t-elle au trio d'or.

Sans se faire prier – elle jouait bien – les trois amis marchèrent d'un pas rapide et amusé jusqu'au placard à balais, où ils s'enfermèrent discrètement.

« Où tu as mise ta cape ?

— Tu ne veux pas savoir 'Mione. »

Serrés dans cet espace étroit, ils rirent quand ils entendirent McGonagall rouspéter contre les autres élèves qui courraient dans le couloir vers la sortie, suivie de près par leur professeure.

« Tiens, dit Harry en ayant réussi à sortir sa cape de son pantalon et à la déplier.

— Mets-toi au milieu. » plaisanta Ron en plaçant son bras sur son crâne, le dépassant d'une tête et demi.

Harry lui fit une grimace moqueuse mais obéit quand même, puisqu'il était le plus chétif des trois. Il se demandait parfois si ses parents étaient petits aussi ou si sa taille était due à son alimentation rationnée chez les Dursley.

« Hominium revelio. Personne derrière la porte. C'est bon, on y va ! » lança Hermione, les entraînant derrière elle.

Les trois sorciers se tirent serrés. Même si la cape était extensible — dans une certaine limite —, ils ne tenaient pas à laisser apercevoir une jambe.

« Aïe !

— Désolé… » chuchota Ron qui lui avait marché sur le pied en descendant les marches de l'entrée du château.

Harry marcha un moment avec difficulté, et les autres ralentirent le pas. A travers la cape translucide, ils restaient aux aguets et se tenaient près à réagir au moindre problème, baguette à la main. La fraîcheur de l'air était mordante. Ils trottinèrent ainsi quelques minutes, le temps d'atteindre l'immense portail en fer forgé orné du blason du château. Derrière la barrière se tenait une femme aux courts cheveux violets et aux vêtements extravagants. Ils étaient à bon port.

« Eh beh, vous en avez mis du temps ! se plaignit Tonks. On voit votre buée à travers la cape, et vos pas dans la neige, c'est p'tet pas le moyen le plus discret que vous pouviez trouver…

— C'est pas nous qui avons décidé hein, râla Ron à travers le tissu.

— Mettez vous près de moi. Non non, restez sous la cape. Spero patronum. »

Un grand loup argenté sorti de sa baguette et elle se tourna vers lui, sa lumière bleutée dansant sur son jeune visage.

« Dis aux Weasley de se dépêcher de venir, les Abbot sont en avance et ne vont pas tarder à venir chercher leur fille, on doit filer avant.»

La créature éthérée réagit à son ton pressé et bondit en l'air jusqu'à la cabane de Hagrid, visible au loin.

« Accroupissez-vous et posez la main sur le journal, par terre. » Elle attendit que les élèves obéissent et poursuivit : « Si jamais il se passe quelque chose avant que les autres ne nous atteignent, fuyez sans poser de question. Le mot de passe est 'ancienne'. Harry, prend ça, tu en aura besoin », lui dit elle en lui tenant un petit bout de papier qu'il fourra négligemment dans sa poche. « Hermione, Ron, vous savez comment faire ensuite. »

Harry entendit ses amis émettre un petit son d'accord. Il n'était pas très volontaire pour abandonner qui que ce soit, mais il n'avait visiblement pas le choix.

Il aurait voulu poser de nombreuses questions à Tonks. Il ne l'avait aperçue pour la première fois qu'en début d'année à la gare de King's Cross, accompagnée d'autres Aurors. Il s'était attendu à des sorciers très sérieux, vêtus d'un uniforme tiré à quatre épingles comme les policiers Moldus. Mais Hermione lui avait appris que les Aurors étaient plus proches d'un mélange entre militaires et agents secrets, ce qui expliquait leurs tenues normales — pour des sorciers — et la diversité de leurs profils. Elle avait aussi ajouté qu'un grand nombre d'Aurors faisaient partie de l'Ordre du Phénix, et que Charlie et Bill Weasley avaient rejoint le groupe de Dumbledore. Harry se demanda s'ils avaient dû attendre leur majorité, eux aussi, pour être pris au sérieux.

Sortant de ses pensées, Harry tendait le doux tissu de la cape pour mieux observer les alentours. L'attente était longue.

Trop longue.

Ses pieds commençaient à s'engourdir dans la neige. Qu'est-ce que fichaient les autres ?

Hermione jeta un regard angoissé à Ron, qui avait les mâchoires serrées.

« Ça fait trop longtemps, il doit y avoir un problème. Partez, on vous rejoins plus tard », ordonna Tonks.

Harry ouvrit la bouche pour quémander un peu de temps supplémentaire, mais Ron crispa sa main sur la sienne, l'empêchant de lâcher le journal, et Hermione articula le mot de passe :

« Ancienne. »

Harry sentit soudain cette désagréable sensation qu'il commençait à trop connaître, comme s'il était tiré par son nombril à travers l'espace, et sa vision ne put bientôt plus suivre et comprendre le millier de couleurs et de formes qui apparaissent devant lui à un rythme effréné.

CRACK !

Il trébucha et finit à quatre pattes sur des pavés humides de neige balayée, l'envie de vomir le prenant au ventre. Il détestait tous les transports magiques.

« Vite », souffla Hermione.

Sans un instant pour se remettre, Harry fut remis sur pieds par la ferme poigne de Ron, et il suivit le mouvement de ses amis. Face à eux se déroulait une chaîne d'immeubles très anciens, couverts de moulures et visiblement très estimables. Ron et Hermione avaient l'air de parfaitement savoir où ils allaient, mais la confusion de Harry s'agrandit à mesure qu'il ne distinguait aucun numéro 12 entre le dixième et quatorzième édifice.

« L'appartement est protégé par un Fidelitas. Tu dois lire le mot du professeur Dumbledore pour pouvoir le voir. »

Sous le regard pressant d'Hermione, il fourra la main dans la poche de son pantalon et en défroissa le petit bout de papier d'où il reconnaissait l'élégante écriture du Directeur. Quand il releva la tête, deux immeubles semblaient se mouvoir et s'éloigner l'un de l'autre pour laisser place à une antique bâtisse à la façade marquée par le temps.

Bouche-bée, il marcha aux côtés de ses amis sous la lumière faiblarde d'un lampadaire victorien. Ils s'arrêtèrent une fois au porche et à peine eurent-il le temps de saisir le heurtoir en forme de main crispée que la porte s'ouvrit sur une Molly Weasley au visage fatigué qui les tira à l'intérieur.

La porte se referma en un claquement sec derrière Harry, et il relâcha le souffle qu'il n'avait pas conscience d'avoir contenu.

« Entrez vite, ne prenez pas froid. Ne fais pas de bruits Harry », les pressa t-elle en chuchotant, leur intimant de retirer leurs chaussures et de mettre les pantoufles qu'elle venait de conjurer. Leurs couleurs chatoyantes contrastaient étrangement avec la décoration auguste de l'entrée, mais l'avis de Harry ne valait pas grand chose en affaire de mode.

« Tonks nous a envoyé un message, les autres vont arriver, ils sont retenus chez Hagrid parce que des élèves jouent dans le parc.

— Merci Merlin », soupira Ron, immédiatement soulagé.

Les pieds bien au chaud, Harry fit quelques pas dans le couloir sombre de l'entrée, présentant des tapisseries datées et austères et un immense tableau recouvert d'un drap, puis vit à sa droite un salon bien plus chaleureux, peut-être parce que son parrain était assis dedans.

« Sirius ! » souffla Harry en courant vers l'homme en robe de chambre bleue. Il n'osa pas le prendre dans ses bras, encore effrayé par ses craintes de l'été. C'est Sirius qui finit son geste en l'enlaçant très fort.

« Tu m'as manqué gamin », murmura t-il dans son oreille.

Harry s'enivra de l'odeur d'eau de Cologne – et de chien mouillé – assez forte de son parrain, et le laissa lui emmêler les cheveux.

Il se détachèrent et Sirius l'observa de bas en haut comme pour vérifier à quel point il avait grandit. Visiblement satisfait, il sourit et s'éloigna d'un pas, une main sur son épaule.

Harry en profita pour balayer du regard l'étrange maison de son parrain.

Le salon était plutôt vaste, richement décoré de tableaux et de tentures mêlant vert émeraude, or, argent, et ébène. Deux armoires présentaient une collection éclectique d'objets appartenant à la famille, comme des vieux grimoires, une médaille de l'Ordre de Merlin, des bijoux et un médaillon au serpent serti de petites pierres, mais aussi des choses plus incongrues comme une bouteille en cristal remplie d'un liquide rouge que Harry espérait ne pas être du sang, ou encore des mues de reptiles qui glissaient de boîtes en argent délicatement ouvragées.

Mais l'attribut le plus impressionnant de la pièce était une immense tapisserie dominant la quasi intégralité du mur nord.

« Assis-toi Harry », l'invita Sirius.

Trois canapés confortables encadraient le salon. Au plus proche de la porte était assis Alastor Maugrey. Depuis qu'il l'avait 'rencontré' l'année précédente, Harry faisait de son mieux pour éviter de s'attarder sur le visage déformé par les cicatrices du cinquantenaire. Le seul aspect normal de l'homme était son petit œil noir et perçant. L'autre, en revanche… Harry sentit un léger frisson le parcourir alors que l'immense œil bleu électrique avait cessé son agitation perpétuelle pour le détailler. Sur le deuxième canapé, aux pieds métalliques représentant des serpents — comme c'est original — était installée une femme blonde très élégante qu'il ne connaissait pas ; mais le dernier canapé était inoccupé.

Alors, fourbu, il s'y installa, dos à la grande tapisserie. Emmeline Vance, puisque c'était son nom, se présenta avec un fin sourire et Harry sentit la puissance de sa magie rien qu'au contact de sa poignée de main.

« Pourquoi il ne faut pas faire de bruit ? demanda Harry à Sirius alors que Ron et Hermione s'avachissaient à ses côtés.

— Il y a cette horrible peinture qui hurle dès qu'on parle trop fort. Dans les autres pièces ça va, mais il faut vraiment faire attention dans l'entrée » soupira Hermione en ramenant ses jambes par dessus les siennes. Elle tenait les mains de Ron, l'empêchant de se ronger les ongles.

« C'est le portrait de qui ? s'enquit Harry, curieux.

— De ma très chère mère, l'informa Sirius avec un ton acerbe, tu vas vite découvrir à quel point ma famille est charmante ! »

Au vu de la décoration très… serpentarde, il n'en doutait pas.

Le très reconnaissable Patronus félin de McGonagall surgit d'à travers les murs et la voix de sa maîtresse se fit entendre alors que Ron bondissait sur ses pieds.

« La voie est enfin libre, nous serons là dans quelques minutes », les rassura t-elle.

Le jeune Weasley soupira et se laissa tomber sur Hermione, la prenant dans ses bras.

« Merci Morgane !

— Eh, tu pèses ton poids ! protesta t-elle en riant, le soulagement perceptible dans sa voix.

— Parfait, je vais finir de préparer les chambres des enfants », annonça la matriarche Wealsey.

Harry vit du coin de l'œil que celle-ci était très tendue sous ses airs enjoués qui ne trompaient personne. La mort d'Arthur semblait lui avoir fait prendre dix ans. Elle quitta le salon en faisant craquer chaque lame de bois sous ses pas.

« Je t'accompagne Molly », dit Sirius en se lançant à sa suite après avoir une nouvelle fois passé sa main dans les cheveux décoiffés de Harry.

« Tout s'est déroulé sans encombre ? demanda Vance à Tonks qui passait l'entrée du salon.

— Oui, aucun problèm- et merde ! »

Elle trébucha sur le tapis élimé et se redressa rapidement en tentant de paraître digne, sous le rictus jugeant de Fol Œil.

Harry n'avait véritablement rencontré aucun des membres de l'Ordre. Habitaient-ils tous ici ? Ou étaient-ils là de temps en temps ? Remus avait parlé d'un Quartier Général, mais qu'est-ce que ça voulait vraiment dire ?

Il fut interrompit dans ses pensées par le son de la porte d'entrée qui s'ouvrit et se referma trop brusquement.

« TRAÎTRES, VERMINES, SOUILLEURS DE SANG, MAUDITS WEASLEY, SORTEZ DE MA MAISON ! »

Hermione poussa un long soupir en lançant un regard entendu à Harry.

Ah oui tout de même.

Les hurlements ne s'arrêtèrent pas tant que la porte séparant l'entrée et le couloir ne fut pas fermée. Puis de légers pas se déplacèrent jusqu'au salon et trois tignasses rousses apparurent, accompagnées de leur professeure de Métamorphose.

Ron quitta les genoux de sa petite amie et les Weasley se jetèrent les uns contre les autres dans une puissante étreinte.

« Hermione, pourquoi ne préviendrais-tu pas Molly que tout le monde est arrivé ? Et profites-en pour faire le tour du propriétaire à Harry, proposa Tonks en s'approchant d'eux.

— Bien sûr, acquiesça Hermione, tu viens Harry ? »

Il se leva et lissa les pans de sa cape, pleine de neige.

« Attends, donne-moi ça », murmura t-elle dans le couloir en lui prenant sa cape des mains pour l'étendre sur une des nombreux patères fixées au mur. Harry grimaça en voyant qu'elles avaient toutes la forme d'animaux effrayants.

Elle lui fit signe de la suivre dans les escaliers qui descendaient au sous-sol et Harry chuchota après qu'ils se soient suffisamment éloignés d'une collection de ce qui semblait être des têtes d'elfes de maison accrochées au mur.

« Dis-moi que c'est des fausses.

— De quoi ? Ah, ça… » elle déglutit en jetant un coup d'œil en arrière. « Ce sont les ancêtres des elfes de maisons de la famille Black... Ça te laisse imaginer quel genre de personnes a habité ici », grogna Hermione.

Ils passèrent devant une salle à manger où trônait une longue table pouvant contenir au moins vingt invités, mais son amie le conduisit en bas de petits escaliers qui desservaient une cuisine ancienne mais plutôt chaleureuse. Un feu brûlait dans l'âtre face à une petite table recouverte d'ustensiles.

« Voilà la cuisine. C'est là qu'ils discutent quand ils ne veulent pas qu'on les entende parler de l'Ordre. Le rez-de-chaussé et le sous-sol sont entièrement sécurisés maintenant, on a tout nettoyé pendant l'été…

— C'était dans quel état ? » osa demander Harry, mais la grimace d'Hermione répondit à sa place.

Elle lui montra également les toilettes situés derrière l'escalier et ils remontèrent jusqu'au premier étage.

« Là c'est la chambre que je partage avec Ginny, et là », continua t-elle en ouvrant une grande porte noire « c'est la salle de dessin. »

C'était une sorte de petit salon où étaient disposés plusieurs poufs et un pupitre, le tout illuminé par les lampadaires de la rue, à travers de larges et hautes fenêtres. Il aimait bien cette pièce. Le parquet sombre recouvert de tapis et de plaids lui donnait bien envie de dormir à même le sol tant ça avait l'air confortable. Grace aux cheminées présentes dans chaque pièces et presque toutes allumées, il faisait plutôt bon.

« Allez viens, il reste encore trois étages ! Et le grenier ! » s'extasia Hermione.

Harry n'était pas étonné par l'enthousiasme d'Hermione pour les vieilles bâtisses et son histoire. Il se laissa entraîner avec un doux sourire d'étage en étage, qui étaient tous construits sur un modèle similaire, même si certaines chambres étaient plus grandes que d'autres. Il avait été décidé qu'il partagerait une chambre au deuxième étage avec Ron, tandis que les jumeaux occuperaient celle du troisième.

C'est au quatrième palier que les deux jeunes gens retrouvèrent Molly et Sirius, en pleine dispute animée.

« Non, aucun enfant ne fera ça !

— Harry et Hermione ont le droit de choisir ! Tu fais ce que tu veux des tiens, mais tu ne leur rends pas service. Après ce qu'il s'est passé tu ne peux raisonnablement pas prendre le risque de-

Ne. finis. pas. cette phrase, Sirius. N'ose même pas », siffla t-elle à travers l'embrasure de la porte de ce qui semblait être une très grande chambre aux murs recouverts de bannières de Gryffondor. De la paille semblait voleter sur le sol.

Hermione se mordit la lèvre et recula en silence de quelques pas, pour mieux revenir en claquant des pieds avec un peu plus de force que nécessaire. Les adultes sortirent en croyant les entendre monter les escaliers et Molly leur offrit un visage faussement enjoué alors que Sirius croisait les bras.

« Les autres sont arrivés, tout va bien », les informa Hermione avec un sourire embarrassé.

Molly la remercia et en profita pour descendre loin de Sirius. Celui-ci se tourna vers les deux adolescents et plissa les yeux.

« Vous avez entendu je suppose ? soupira t-il. N'en parlez à personne, j'essaie de faire passer l'idée auprès que Dumbledore, je sais qu'il me soutiendra.

— Mais toutes les pièces sont prises ! s'enquit Hermione, qui avait l'air d'avoir compris de quoi il retournait.

— Pas le grenier » répondit Sirius avec un geste du doigt vers le plafond. « J'ai installé Buck dans ma chambre en attendant que Charlie vienne le chercher, c'est pour ça qu'elle est en colère… Enfin, ne parlons pas de ça ! Comment tu trouves la maison Harry ?

— Immense ! »

Sirius rit de son rire si proche d'un aboiement.

« Si j'avais su que j'aurais dû me terrer ici, j'aurais brûlé la maison, plaisanta t-il. Mais c'est vrai qu'une fois propre et vide de tout membre de la famille… C'est convenable. »

Harry repensa à la révélation de Draco à propos de Sirius. Il s'imagina lui-même devoir retourner chez les Dursley, une fois adulte. Il frissonna.

« Mais, personne d'autre n'habite ici ? demanda Harry.

— Non. La maison ne se transmet qu'aux héritiers mâles, quand il y en a, et il ne reste que moi. » Une ombre passa sur son visage. « J'ai banni de la maison tous les membres de la famille. Enfin presque. » dit-il avec un sourire.

Hermione s'éclipsa pour les laisser se retrouver. Ils discutèrent longtemps. Harry apprit que seul Sirius résidait à plein temps ici. Mais Remus avait sa chambre attitrée à côté de celle de son ami.

« Je me demande si je ne vais pas déplacer Buck dans la chambre de ma mère, en attendant Charlie, ça la fera suer », lui révéla t-il avec un air goguenard.

Harry était plutôt effrayé que rieur, que pouvait bien faire un hippogriffe dans une chambre de toute façon ?

« C'est provisoire ne t'inquiètes pas. Et puis je pense que c'est impossible, elle y a placé tellement de maléfices… Tu tiendras compagnie à Buck quand tu auras le temps ? Il commence un peu à devenir fou à force de ne pas sortir… Il ne faut pas rester enfermé ici. »

Harry sentit son cœur se serrer en voyant les yeux humides de son parrain.

« Allez, rejoignons les autres ! » s'exclama t-il en s'élançant vers l'escalier, cachant son visage à Harry.

Il le suivit jusqu'en bas en silence.


Quelques heures plus tard, il était enfin allongé, emmitouflé dans des couvertures épaisses et des oreillers bien remplumés. Ron était à ses côtés, ronflant déjà comme un loir.

Ses yeux étaient lourds, mais une pointe d'anxiété ne quittait pas sa poitrine.

Il tentait de remonter un peu plus son bouclier mental pour calmer ses pensées, mais l'image des yeux inquiets de Draco s'imposait à son esprit. Harry ne pouvait pas supporter de ne pas savoir comment les vacances allaient se dérouler pour lui. Est-ce que Voldermort allait passer son temps au Manoir Malfoy, rôdant autour de son amant pour lui faire prendre la Marque ? Est-ce que Snape allait pouvoir le protéger ?

Il avait cru comprendre que Snape, en tant que membre de l'Ordre, devrait parfois être présent au 12, square Grimmaurd. Peut-être pourrait-il lui soutirer quelques informations sur son amant.

Harry se retourna encore, faisant grogner Ron dans son sommeil. Il laissa ses yeux habitués à la pénombre observer ses longs doigts parsemés de tâche de rousseur, agrippés au pull en laine brodé d'un A. Avec tristesse, Harry se força à fermer les yeux.

Quand il les rouvrit, une désagréable odeur de transpiration âcre lui emplissait les narines serpentines du corps qu'il s'était créé, après tant d'années sous une apparence fantomatique. L'origine de cette odeur venait du jeune homme debout qui se cachait derrière sa mère.

Le tissu de sa riche tenue bleue nuit enveloppant ses coudes glissa de la longue table de la salle de réception alors qu'il s'adossa au fauteuil. Se redressant de sa haute stature, Harry observa de ses yeux vermillon le rejeton Malfoy.

A sa droite, une femme brune au visage émacié, le détacha de sa mère. Elle le poussait à avancer vers lui, lui tenant la nuque d'une main possessive.

Il était jeune et semblait impressionné.

« Approche, Draco… » siffla t-il en caressant les écailles froides de Nagini, ondulant sur ses genoux.

Droit, mais tremblant, le jeune Malfoy se libéra doucement de l'emprise de sa tante et n'avança plus. Son père, excédé, fit claquer sa canne sur le sol en marbre.

Draco releva la tête mais ne put rencontrer le regard de son père, caché derrière son masque d'argent. La remontrance paternelle amena quelques rires, mais Draco faisait fit des moqueries des autres Mangemorts assis à la table.

Le jeune homme était trop à son aise, malgré son angoisse palpable. Ça ne lui plaisait pas.

« Ne me fais pas attendre. »

Un carnassier sourire ourla ses lèvres en voyant le blond se résoudre à se présenter devant lui. La servilité des Malfoy lui allait bien.

Harry s'amusait toujours de voir à quel point les sang-purs étaient si prompt à obéir. Tout noble a besoin d'un Roi.

« Draco… j'ai beaucoup entendu parler de toi », commença t-il à susurrer alors que l'adolescent venait d'arriver à sa hauteur. « On m'a dit que tu étais un des meilleurs élèves de ta promotion. J'ai suivi ton apprentissage de près.

Merci Monsieur. »

Il n'avait pas dit 'maître'. Harry claqua sa langue.

« Approche encore un peu. »

L'adolescent dégluti et remonta la table de quelques pas, les yeux vissés sur ses bottines. Harry tendit le bras et lui releva sans douceur le menton de sa main glaciale.

« Regarde-moi. »

La tempête faisait rage dans les yeux du jeune homme, et Harry perçu ses principales pensées : il se croyait chez lui. Il ne voulait pas d'un intrus dans sa demeure. Il n'attendait que son départ.

Cette insubordination était normale, étant donnée sa jeunesse… Mais elle méritait d'être corrigée, avant qu'elle n'empire.

Il fit courir sur sa baguette ses doigts semblables à de grandes araignées blafardes.

« Veux-tu me servir, Draco ? » demanda Harry d'une voix traînante.

Le jeune homme eu la stupidité d'hésiter.

« Endoloris. »

Sa voix résonna dans la pièce au plafond vertigineux. Draco n'eut que le temps d'un écho pour se figer d'horreur avant de tomber à genoux, le corps parcouru de soubresauts.

« Oui.., parvient-il à souffler.

Oui qui ?

A…arrêtez ! » supplia t-il.

Ses yeux se réduisirent à deux fentes, tant l'agacement commençait à le gagner. Il pencha sa tête sur le côté et un petit rictus se figea sur sa bouche. Sa baguette continuait de saisir le jeune Malfoy de douleur.

« Maître, Draco ne connaît pas encore l'usage », intervint une voix grave.

Il cessa le sort en reportant son attention sur son potionniste au teint cireux, assis à deux chaises de lui, à côté de ce répugnant mais très utile Greyback.

« Je le lui apprend. »

Le professeur aussi allait nécessiter une correction. Plus tard.

« Oui qui, Draco ? » demanda t-il une dernière fois, sans quitter des yeux le Mangemort.

Draco essuya de sa manche la salive qui avait coulé sur son menton, et tourna la tête avec quelques tics nerveux en direction de son père, qui ne lui accorda aucun regard. Alors il observa son parrain, qui lui intima d'obéir.

Soumets-toi, lui intima t-il d'une voix résonnant dans son esprit.

Devant son silence, la patience de Harry mourut.

« Endoloris ! »

« Harry ! Harry réveille-toi !

— Là, il ouvre les yeux Mione ! »

Grimaçant, les oreilles dévastées par les cris – ceux de Malfoy ou ceux de ses amis ? – Harry se détacha de sa vision avec difficulté.

« Là, là, assis-toi. »

Harry tremblait à l'agonie. Ses mains étaient parcourues de spasmes et il sentait un liquide chaud et poisseux couler de sa cicatrice. Dans la faible luminosité de la pièce, il pouvait voir que sa paume était couverte de sang.

« Mes… mes lunettes… » pria t-il.

Il distingua la silhouette de Ron se dépêcher de les lui attraper et de les lui poser sur l'arcade du nez.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? murmura t-il d'une voix enrouée.

— C'est à toi de nous le dire ! Tu t'es mis à convulser dans ton sommeil, et Ron m'a dit que ce n'était pas la première fois ! »

Hermione, vêtue d'un pyjama Moldu duveteux, avait le visage rouge et les yeux inquiets. Harry tourna son regard vers Ron avec l'impression d'avoir été trahi. Celui-ci leva les mains en signe de protestation.

« C'est vrai vieux ! Je croyais que tu faisais juste des cauchemars, mais là c'était autre chose ! Tu ne te réveillais pas, j'ai dû aller chercher Hermione.

— Et les autres ? » murmura Harry, honteux.

Ses deux amis le rassurèrent à ce sujet : personne n'avait été réveillé. Harry se massa les tempes en déglutissant, étalant encore un peu plus le sang sur sa peau.

« Je… je ne peux pas vous en parler.

— Tu parles maintenant ou je mets tout le monde au courant. Je suis sérieuse Harry », le menaça Hermione.

Alors son secret s'arrêtait là… Il avait tenu un certain moment, Snape ne pourrait pas lui en vouloir. Il poussa un faible soupir, toujours parcouru de spasmes incontrôlables, et entoura ses genoux contre sa poitrine. Son attention se perdit dans la chambre à laquelle il n'avait pas eu le temps de s'habituer. Le seul tableau accroché aux murs était vide. Seules des braises de la cheminée empêchait la pièce d'être plongée dans le noir.

« Je… » commença t-il. Mais il ne savait par quoi commencer.
Depuis quand leur cachait-il autant de choses ? La vitesse à laquelle il s'y était habitué l'effrayait.

Ron posa sa main sur son épaule.

« J'ai des visions.

— Comment ça ? » demanda son ami, sans comprendre.

Mais Hermione, elle, comprenait très bien. Elle n'était pas nommée la plus brillante sorcière de sa génération sans raison, et avait déjà émis de petits doutes quant à ses 'cours de rattrapage en potion' qu'il était sensé avoir avec Snape. Sa petite main hâlée chercha la sienne et ne la lâcha plus. Puisant de la force dans ce contact, Harry ferma les yeux et laissa les mots trouver seuls le chemin de sa voix.

« J'ai des visions de Voldemort. On ne sait pas pourquoi, mais nos esprits sont liés et je peux lire dans le sien, avoua t-il, son visage résolument tourné vers le foyer mourant de la cheminée.

— On ? » s'enquit Ron.

Ah. Encore une information qu'il n'avait pas envie de donner…

« Snape me donne des cours d'occlumancie. Pour essayer de garder Voldemort loin de ma tête. »

Ron lâcha un couinement choqué et ne pris pas le temps de digérer la nouvelle.

« Tu… tu nous as caché ça ? Tout ça ? Et tu comptais attendre combien de temps avant de nous le dire ?

— Ron, calme-toi-

— Non je me calme pas ! Entre amis on est sensé se dire les choses, pas mentir encore et encore alors qu'on lui a tendu des perches mille fois ! »

Les yeux de Harry s'humidifièrent, mais ils ravala ses larmes en serrant la mâchoire.

« Bien sûr, on doit tout se dire… C'est pour ça que vous avez été très transparents sur votre amitié, à tous les deux, hein ? »

Hermione eu la décence de paraître gênée.

« Ah non, tu commence pas avec ça, s'agaça Ron, si on ne t'as rien dit c'est parce que t'es tellement soupe au lait qu'on ne peut rien te dire sans que tu piques une crise !

— Ron, s'il te plaît », Le coupa Hermione avec un long soupir.

Harry glissa un regard moqueur sur les deux tourteraux, qui ne purent s'empêcher de glousser d'embarras. Un petit silence plana, mais aucun des trois ne faisait le moindre geste pour s'éloigner. Harry reposa son menton sur ses genoux, ses doigts toujours entrelacés par ceux d'Hermione, pendant que Ron s'occupait les mains en tripatouillant ses chaussettes usées.

« Harry, dis-moi qu'au moins Dumbledore est au courant ?

— Que vous vous bécotez dans la Salle Commune quand tout le monde dort ?

— Harry… » gronda le rouquin.

Ses lèvres se tordirent en une grimace éloquente et Hermione roula les yeux au ciel.

« Merlin… Que le professeur Snape t'ai demandé de ne pas nous le dire, je le comprends tout à fait. Que tu ai décidé d'obéir, je ne le comprends absolument pas. Mais le cacher au professeur Dumbledore ? Ne me dis pas que c'est parce qu'il t'as fait rester chez ta tante cet été. Tu ne lui cacherais pas quelque chose d'aussi grave pour une raison aussi ridicule ? »

Harry serra très fort ses genoux contre lui et ses dents entre elles. Elle ne savait pas de quoi elle parlait. Elle ne savait pas ce que ça voulait dire 'rester chez sa tante'.

Tais-toi.

Oh, elle savait bien qu'ils n'étaient pas tendres, les Dursley. Tout le monde voyait qu'il revenait amaigri à chaque rentrée. Mais est-ce qu'elle savait combien de jours il pouvait passer sans manger s'il ne lavait pas assez vite la vaisselle, s'il ne rempotait pas assez bien les plantes, s'il n'était pas assez obséquieux avec Dudley ?

La ferme.

Sa lettre d'admission avait été envoyé au Placard sous l'escalier, mais il n'en avait jamais parlé à ses amis. Onze ans il avait vécu là. Dans son petit placard. Est-ce qu'il leur avait dit qu'il y avait des barreaux à ses fenêtres depuis que les frères Weasley étaient venu le chercher avec la Ford Anglia ?

Entre ses dents qui maltraitait ses joues, un désagréable goût métallique le ramena aux souvenirs de toutes les gifles et coups qu'il-

Ça suffit maintenant, stop !

Il occluda comme il le put, convoquant derrière ses paupières les ronces acérées du labyrinthe.

C'est Ron qui brisa le silence, après s'être détourné pour s'asseoir au bord du lit, la tête entre les mains. Sa voix était calme.

« Comment c'est possible ? Que tu sois dans ses pensées ?

— Je ne sais pas, souffla Harry en haussant les épaules.

— Et qu'est-ce que tu as vu ? Ce soir, je veux dire, continua Ron.

Harry laissa sa tête basculer en arrière et se cogner doucement contre le bois sculpté de la tête de lit. Il rouvrit les yeux pour empêcher l'image de Draco d'envahir son esprit. Son bouclier n'était pas suffisamment fort pour maintenir autant d'émotions.

Ce n'est qu'une vision, tu ne lui as rien fait, ce n'est pas toi.

« Plus tard, s'il te plaît, ajouta t-il d'une voix si brisée que ses amis n'insistèrent pas.

— Et avant ? Qu'est-ce que tu vois d'habitude ? » osa demander Hermione.

Il laissa échapper un petit ricanement amère.

« A ton avis ? Les Mangemorts ne font pas du tricot. Quand j'ai de la chance, c'est juste des petits moments que vit Voldemort, sans importance. Mais le plus souvent, c'est des attaques. Ils sont fous. Ils font du mal à tous ceux qui ne sont pas avec eux. Ils agressent, ils torturent, ils… ils violent, ils tuent… ça ne leur fait rien. Ils n'hésitent jamais.

— Oh Merlin Harry, c'est affreux…

— J'ai vu… »

Harry croisa le regard de Ron qui avait tourné sa tête dans sa direction. Devait-il lui dire ?

Au point où j'en suis.

« J'ai vu l'attaque du Terrier. J'ai couru dans les couloirs dès que j'ai pu sortir de la vision pour alerter Snape. C'est à ce moment-là que tout à commencé. »

Ron encaissa le choc, hochant lentement la tête sans détourner les yeux.

« Tu… tu as vu ce qu'il s'est passé ?

— Oui. Snape avait averti l'Ordre avant mon réveil, il était déjà au courant. Je n'ai pas été d'une grande aide… »

Mais il n'admit pas qu'il avait été Voldemort. Il n'admit pas qu'il avait trouvé une forme de réconfort auprès de Snape. Et il ne leur dit pas un mot sur sa relation avec Draco. Un seul Serpentard était suffisant. Il n'allait pas non plus leur faire subir une crise cardiaque.

« Harry. Pourquoi tu ne nous as rien dit ? » demanda Hermione en lui posant une main réconfortante sur sa cuisse recouverte du drap humide de sueur.

Le jeune homme gratta de ses ongles le sang séché qui salissait ses doigts.

« J'avais peur que vous me voyiez comme… une bête de foire.

— Jamais Harry. Jamais. » Insista Hermione en le fixant farouchement. « Tu sais… ce n'est pas si étonnant, si on racole ça à tout ce qui t'es arrivé. Tu es lié à Voldemort. Tu as survécu à son sortilège de mort, tu parles le Fourchelangue, il t'as possédé en deuxième année, il est obsédé par toi… et maintenant qu'il est revenu à la vie vos esprits sont connectés. Je pense qu'il y a une raison qui lie toutes ces choses étranges ensembles. »

Harry déglutit. Elle comprenait trop de choses, et trop vite.

« Peu importe », trancha Ron, qui semblait avoir pris une décision. « On finira par trouver une solution. Tu es mon meilleur ami, alors maintenant tu arrête de nous cacher des trucs aussi important et tu nous fais confiance, et on résoudra les choses, ensemble, comme on l'a toujours fait. »

La loyauté sincère qu'il perçu dans sa voix ému profondément Harry.

Les trois amis se complurent dans un silence devenu confortable. Il était très tard, la nuit était froide, alors Hermione n'eut pas le courage de se lever pour retourner dans sa chambre, et ils s'endormirent les uns contre les autres, Ron et Hermione lovés à ses côtés. Il n'était plus dérangé. Non, maintenant il avait trouvé sa place et savait que ses amis ne l'oubliaient par pour autant.

Ses paupières étaient lourdes, il sentait le sommeil le gagner, rassuré par leurs respirations légères et leur chaleur.

Il leur faisait confiance.

Et pourtant, Harry s'endormit avec comme dernière pensée la prière que Draco allait bien.


Le lointain bruit de l'argenterie sur les assiettes berçait Harry. Il avait quitté la table de la cuisine en premier, souhaitant profiter de quelques minutes de solitude avant l'après-midi. Avachit dans un canapé du salon, il laissait flotter ses pensées, mordillant distraitement ses ongles.

Soudain, la désagréable sensation d'être observé lui glaça le sang.

Il tourna la tête vers les tableaux, mais aucun de ceux du salon n'était des portraits, uniquement des natures mortes. Mais une paire d'yeux luisaient dans l'obscurité du couloir.

Harry contrôla son sursaut et détailla ce qui semblait être un elfe de maison. Il nota qu'il n'était vêtu que d'un simple pagne crasseux. Il était chauve, comme tous les elfes de maison, mais les innombrables rides qui tiraient son visage et son cou le laissait imaginer son grand âge. De ses immenses oreilles sortaient des touffes de poils gris, et ses longs doigts noueux s'accrochaient à l'embrasure de la porte. Contrairement à Dobby, aucun sourire n'égayait son physique.

« Fils de traître, fils de Sang de Bourbe, quelle honte… oh ma pauvre maîtresse, mais que peut faire ce pauvre Kreattur ? »

L'elfe détourna le regard et s'avança dans la pièce, prétendant balayer le sol, et se perdit dans des murmures incompréhensibles.

« Heu… bonjour ? tenta Harry, qui fut coupé dans son élan par l'arrivée de Sirius.

Ne t'approche pas de lui, ordonna Sirius, agacé. File, je t'ai déjà dit que je ne voulais pas te voir pendant la journée ! »

Harry tressaillit en même temps que l'elfe. Il n'aimait pas le ton de Sirius, pas du tout.

« Bien sûr maître, Kreattur ne vit que pour servir cette noble maison… sale petit vaurien qui a brisé le cœur de sa mère, ajouta t-il d'une voix traînante.

— Ma mère n'avait pas de cœur », répondit sèchement l'homme qui semblait contenir ses paroles. « Ne me fais pas me répéter. »

Alors que le dit Kreattur quittait la pièce en se prosternant de façon dramatique sur le sol, Sirius passa une main ses cheveux, embarrassé.

« Désolé Harry, je ne voulais pas t'infliger la présence de ce… enfin, tu as rencontré Kreattur, l'elfe de ma famille ! s'exclama t-il avec une fausse joie, rejoignant son filleul dans le salon.

— Il n'a pas l'air très heureux d'être ici, pourquoi ne pas le libérer ? suggéra Harry.

— Oh, si tu savais comme j'en ai envie. Mais c'est impossible, il sait trop de choses sur ce qui se passe entre ces murs. Il est magiquement lié à l'héritier de la maison, mais c'est à ma cousine que va sa réelle loyauté, Bellatrix… »

Sirius s'approcha de la très ancienne tapisserie que Harry avait entraperçu plus tôt. Il passa sa main sur les lettres brodées inscrites en bas de l'œuvre : La Noble et Très Ancienne Maison des Black.

« Toujours pur… » murmura Sirius avec un rictus.

Harry se leva pour observer de plus près la tapisserie. Le temps et le manque d'entretien l'avait décolorée par endroits, et certains coins avaient été rongés par des nuisibles. Mais un majestueux arbre généalogique étendait ses branches si loin qu'il semblait à Harry qu'elle datait du Moyen Âge.

« Tiens, voilà ma mère, et ça c'était moi. »

Sirius tapota de l'index l'extrémité d'une branche où un nom semblait être dissimulé derrière un trou aux rebords arrondis ressemblant à une brûlure de cigarette. En y regardant de plus prêt, l'arbre était constellé de ces petites brûlures.

« Elle n'a pas fait ça joliment. Elle m'a effacé, comme ça, le jour où je suis parti. »

Harry, grâce à Draco, savait très bien que Sirius avait quitté sa famille, mais sa curiosité le poussa à en savoir plus.

« Pourquoi tu t'es enfuis ?

— J'en avais assez. Mes parents étaient complètement endoctrinés par ces histoires de Sang-Pur, ils pensaient qu'avoir une famille aussi ancienne accordait des droits quasi-royaux, qu'il fallait renverser le ministère et créer une hiérarchie de pouvoir basée sur le Sang… Complètement givrés. Et mon frère était d'accord avec eux, au début. »

Il faisait suivre son doigt sur les différents noms à mesure qu'il parlait.

« Il s'est engagé comme Mangemort. C'est à ce moment là que je suis parti. Mais ils ont tous vite déchantés quand ils ont compris ce que Voldemort voulait vraiment. Se donner les pleins pouvoirs c'est une chose, mais le meurtre de masse… un petit trop barbare pour mes parents qui n'aimaient pas se salir les mains.

— Ton frère est un Mangemort ?

— Était », rectifia t-il en pointant la date de décès d'un certain Regulus Black. « Il n'a pas tenu longtemps et a refusé de faire ce que Voldemort lui demandait. Mais on ne quitte pas le Seigneur des Ténèbres comme ça... »

Harry déglutit et laissa son regard se balader sur les ramifications complexes de l'arbre. Les fils d'ors s'entremêlaient souvent.

« Mais, il y a Malfoy ! s'exclama Harry.

— Bien sûr. Toutes les familles de Sang-Purs sont mêlées entre elles. Pour pouvoir préserver les lignées… c'est pour ça que toute leur idéologie est absurde. Nous ne sommes pas assez nombreux pour survivre. »

Il réalisa avec surprise qu'il voyait en effet plusieurs noms qu'il connaissait bien : Crabbe, Bulstrode, Flint, McMillan, et même Londubat et Weasley !

« Ils ont très vite arrêté d'inscrire le nom des Wealsey, qui n'ont jamais caché leur amitié pour les Moldus. Tiens il y aussi les parents de Molly, Ignatus Prewett et Lucrecia Black. »

Leur descendance, trois enfants, était réduite à trois petites brûlures. Avec surprise, Harry reconnu son propre nom de famille plus loin et pointa du doigt la lignée qui semblait éteinte.

« Ils ont arrêté de noter les Potter après Charlus, leur opinion était trop progressiste pour conserver l'honneur d'apparaître sur cet arbre. Et vu les relations entre les parents de James et les miens… c'est eux qui m'ont accueilli, à seize ans, comme leur deuxième fils. J'ai toujours eu une place auprès d'eux. Tes grands-parents étaient des gens biens Harry. »

Sirius, perdu dans ses souvenirs, passa son bras autour des épaules de son filleul, les yeux brillants.

« Ouais… une sacrée famille, hein. » siffla t-il avec amertume en fixant le nom de son père, Orion Black.

Des rires se firent entendre en provenance de la cuisine, et Sirius lâcha Harry après une amicale pression sur son bras. Ils se sourirent sans que le jeune homme ne trouve les mots pour réconforter son parrain. Brisant ce moment de complicité, le reste de la maisonnée débaroula dans le salon en continuant ce qui semblait être un vif débat sur le dernier match entre l'équipe nationale d'Angleterre et les Enchanteurs de Tchamba. Ils les rejoignirent avec plaisir.


« Ginny, passe-moi la guirlande bleue ! »

La jeune fille rousse lança la ficelle bariolée sur la tête de son amie en riant.

Harry avait mal aux zygomatiques à force de sourire. Il était tard, le souper serait bientôt prêt, et il était assis à même le sol dans le salon du rez-de-chaussé avec la majorité des occupants du 12, Square Grimmaurd. Concentré sur sa boule de noël sur laquelle il tentait de coller des paillettes et des grelots, il senti à peine la présence de son parrain s'asseoir à ses côtés.

« Alors, il avance ce sapin ? » demanda Sirius d'une voix douce.

Harry releva la tête de sa décoration.

« Ouaip, on va peut-être manquer de boules et de suspensions, par contre », répondit-il en désignant l'immense sapin trônant contre le mur. Hermione avait proposé pour rire de le placer devant la tapisserie des Black, mais Sirius avait refusé et préféré le bout de mur à gauche de la porte.

« Je suis sûr que vous trouverez une solution, vous pourrez vous entraîner à la métamorphose, comme ça ! » plaisanta l'homme avec son habituel rire-aboiement.

L'arbre était haut de près de deux mètres cinquante, et de la neige enchantée saupoudrait ses branches touffues sans jamais fondre. Molly avait assuré qu'un bon sapin devait toucher le plafond, et les volumes de l'appartement étaient impressionnants.

Harry plongea à nouveau sa main dans le sachet de poudre dorée.

« Dis, Sirius ? Tu sais quand Remus rentrera de mission ? » demanda t-il d'une petite voix.

Son parrain se mordit les lèvres.

« Pas de si tôt. Pas avant le printemps en tout cas. Les négociations avec les loups-garous sont compliquées, et il doit convaincre le plus de clans possible.

— Il en existe beaucoup ? » s'enquit Hermione qui secouait sa baguette vers une guirlande, l'étirant de nombreux centimètres. La restriction de l'usage de la magie chez les sorciers de premier cycle n'atteignait pas les protections de la maison.

« Ça, personne ne le sait vraiment. En Grande-Bretagne, il doit y avoir une dizaine de meutes. Ce qui donne une centaine de loups environ. »

Ron et Ginny devinrent blêmes, et Sirius les titilla en ajoutant des détails destinés à leur faire peur.

Les lèvres de Harry se pincèrent et il réprima un soupir. Remus lui manquait. En tant que professeur, mais aussi en tant que figure presque familiale : lui aussi était un maraudeur.

« Mais ce n'est pas de ça dont je voulais vous parler. Dumbledore doit passer avant le dîner, et je vais discuter avec lui pour essayer de le convaincre à propos de… » il chuchota pour être sûr de ne pas être entendu de Molly Weasley « à propos des entraînements. »

Les jeunes gens étaient déterminés et impatients.

D'après ce que Harry avait comprit, l'hiver au Quartier Général de l'Ordre était bien plus agréable que l'été que ces amis avaient passés ici à récurer la totalité de la maison et y faire disparaître doxys et épouvantards cachés dans les murs. Cependant, ils se retrouvaient assez désœuvrés. Hermione avait tenu à ce qu'ils finissent tous leurs devoirs, et à part la décoration, ils n'avaient rien à faire et n'avaient absolument pas le droit de sortir de l'immeuble.

Ses amis commençaient à avoir du mal à supporter l'enfermement, mais Harry trouvait ça bien plus vivable que son placard ou tout un été dans sa chambre fermée à clef de l'extérieur. Alors il ne se plaignait pas.

La mère de Sirius fut subitement réveillée par l'ouverture de la porte d'entrée.

« VOUS ! Vermine, traître, c'est vous qui devriez être à Nurmengard ! Quittez cette mai- » hurla t-elle avant d'être coupée par un mouvement de baguette agacé du directeur de Poudlard.

« Il faudrait penser à retirer cette peinture, Sirius. » pensa t-il à voix haute alors qu'il entrait dans le salon.

— Entrez, Albus » le pressa Molly en faisant voler sa cape violette jusqu'au porte-manteau. Dumbledore la remercia et retira également son long chapeau pointu de la même couleur. Le velours de ses robes ondulait par dessus ses hautes jambes et le blanc de sa barbe renvoyait la lueur orangée du feu de cheminée. Il semblait éviter soigneusement Harry du regard.

« Du thé ? s'enquit Fol Œil d'un ton bourru.

— Avec plaisir Alastor. Je ne resterai pas longtemps néanmoins. Nous devons simplement discuter de certaines choses. »

Il s'installa dans un des canapés, et les activités festives cessèrent.

« Joli sapin », commenta t-il, ses yeux brillant malicieusement derrière ses lunettes en demi-lune.

« Les enfants, siffla Molly Weasley, allez dans vos chambres.

— Chère mère, ne crois-tu pas qu'à quatre mois de la majorité-, commença Fred.

— il serait temps de nous considérer comme des adultes ? » compléta George.

La main dressée de Dumbledore interrompit la dispute.

« Laissez Molly, ce dont nous avons à parler les concerne. »

La matriarche s'apprêtait à répliquer, mais un regard autoritaire de Dumbledore et un raclement de gorge du maître des lieux lui coupa la parole.

« Bien. Tout d'abord, des nouvelles de l'extérieur : Voldemort a fait libérer des Mangemorts d'Azkaban. Il a également enrôlé de nouveaux jeunes. Ses partisans sont de plus en plus nombreux, et s'ils ne sont pas plus dévoués à sa cause, ils sont néanmoins effrayés et tenus par des engagements familiaux », annonça t-il d'une voix grave.

La gorge de Harry se serra.

« Personne n'est en réelle sécurité, mais les enfants des sorciers qui sont actifs dans cette guerre le sont encore moins. Molly, je sais que vous souhaitez les préserver, mais-

— Ce sont mes enfants, Albus !

— Ils seront impliqués, à un moment où un autre.

— Pas sans mon accord », affirma t-elle, les bras croisés sur sa poitrine.

Appuyé par son jumeau, Fred s'interposa entre le calme du Directeur et la sourde colère de sa mère.

« Les Mangemorts n'attendront pas ta permission avant d'essayer de nous tuer tu sais. »

Ses mots cyniques claquèrent dans l'air et le visage de Molly Weasley devint blanc.

« Il a raison Molly, vous le savez très bien. Vous pourriez subir une nouvelle attaque, il faut qu'ils soient préparés. »

Harry entendit très bien les mots non prononcés. 'Il faut qu'ils survivent'.

Les larmes aux yeux, la veuve se leva.

« Faîtes ce que vous voulez », souffla t-elle avant de disparaître à l'étage.

Sirius se rassit à côté de Harry.

« Elle a peur, elle fait de son mieux pour vous protéger, expliqua t-il aux enfants Weasley.

— Eh bien elle s'y prend mal », siffla George.

Ginny résistait visiblement à l'envie de rejoindre sa mère. Ron quant à lui, fixait Dumbledore avec avidité.

« Nous avons pris la décision, Sirius, Alastor, et moi-même, d'aménager le grenier en salle d'entraînement. Sirius vous prodiguera des cours, et les Aurors de passages souhaitant vous offrir un peu de leur expertise seront les bienvenus. Nous pensons qu'une heure par jour d'entraînement sera largement suffisant. Ces cours ne sont bien sûr pas obligatoires, vous êtes en vacances après tout », concéda t-il avec un fin sourire.

Les adolescents se regardèrent, satisfaits. Ils allaient enfin pouvoir faire quelque chose d'utile dans cette maudite maison !

« Qu'est-ce qui sera différent des cours de combat qu'on a à Poudlard ? » demanda Ginny.

Dumbledore croisa les jambes sous le drapé de son épaisse robe et posa sa tasse de thé vide sur la table basse avant de répondre.

« La fréquence, tout d'abord. La méthode, et bien sûr le fait que des Aurors seront vos professeurs. Ils vous dispenseront, j'en suis sûr, de précieux conseils qu'un simple professeur ne saurait vous offrir. »

Sa modestie convainc personne. Harry se demandait ce que ce serait, d'avoir Dumbledore comme entraîneur… ils n'avaient certainement pas le niveau.

« Bien, c'est entendu alors », conclu t-il.

Avant qu'il ne parte, Harry chercha une nouvelle fois à croiser le regard du Directeur, sans succès. Sa poitrine se serra de chagrin et d'incompréhension.