Mon père, ce…
Par Maria Ferrari
———
Les personnages et l'univers de Harry Potter appartiennent à J.K. Rowling.
Base : Tomes 1 à 4 de Harry Potter
———
—Chapitre 4 – Questions—
Lucius observa la porte pendant de longues minutes. Son amant l'avait passée assez précipitamment quelques instants auparavant. Il était songeur. Son désir était assouvi, mais il avait l'impression – même si Severus y avait pris du plaisir, ce qui n'avait d'ailleurs rien de probant étant donné le peu d'expérience qu'il semblait avoir en la matière – d'avoir bâclé son "travail" ce qui l'ennuyait profondément.
Il décida de passer outre cette désagréable impression. Il valait mieux songer à la question qui le rongeait depuis deux mois : que ressentait-il exactement pour Severus ? Si ce qui venait de se passer lui suffisait, c'était uniquement sexuel et l'affaire était réglée. Cependant, ça n'était pas le cas, il n'était pas satisfait. Il ne restait donc que deux solutions :
La première, c'était uniquement sexuel, mais il était perfectionniste et le fait d'avoir expédié si vite leurs étreintes lui laissait un goût d'inachevé.
La seconde, il était… amoureux ?
Lucius avait toujours été un peu méfiant envers ce qu'il ne connaissait pas. Il n'avait encore jamais fait l'expérience de l'Amour. Il était d'autant plus méfiant qu'il ignorait si cet amour était ou non réciproque ; tout en sachant que si les sentiments de Severus étaient identiques aux siens, cela l'engagerait pour… la vie ?
Le blond fut effrayé par cette perspective qui avait un côté beaucoup trop définitif à son goût. Il se leva, s'habilla et partit.
-
Dès qu'il fut sorti de l'enceinte de Poudlard, il transplana directement jusqu'à son domicile et se laissa tomber dans un profond fauteuil en cuir.
Etait-ce possible que de ne pas avoir suffisamment soigné ce rapport soit à l'origine de cette amertume dans la bouche ? Il lui était déjà arrivé à deux reprises d'avoir l'impression d'être négligeant en accomplissant l'acte amoureux.
Il y avait eu une fois où il avait trop bu pour faire correctement l'amour et pas assez pour ne pas s'en rendre compte et oublier ce souvenir déshonorant.
Et une autre fois, comme aujourd'hui, où il s'était montré trop pressé. Cela lui avait énormément déplu car il avait senti que son partenaire n'avait pas eu un orgasme digne de ce nom. Cependant, ce n'était pas le cas aujourd'hui, Severus avait pris du plaisir, beaucoup de plaisir, il pouvait donc s'estimer satisfait de sa besogne.
C'était donc autre chose.
Tendre. Il avait prévu d'être tendre, il avait envie d'être tendre, mais ne l'avait pas été autant qu'il aurait dû.
C'était une piste.
Une autre piste : il y avait de fortes chances qu'il soit le premier homme dans la vie de Severus. Une première fois mérite plus d'égards.
Sans compter qu'il devait avoir un peu mal à un certain endroit de sa personne en ce moment même. C'était peut-être cela qui lui laissait ce goût indéfinissable dans la bouche.
Non, attendez, cela revenait à dire qu'il se souciait de lui… et non pas seulement du plaisir qu'il lui apportait (seule chose qui l'importait en temps normal, avec son propre plaisir évidemment). Ce qui signifiait qu'avec Severus, c'était différent.
Soudainement, il s'en voulut à mort de ne pas avoir été tendre comme il l'avait prévu. Il ressentait autre chose qu'un simple désir pour lui, il était forcé de l'admettre.
Même si c'était difficile.
-
Une autre pensée lui vint à l'esprit : sans doute avait-il envie de se "caser". Il avait quarante-trois ans, son subconscient lui soufflait peut-être qu'il était temps pour lui de se trouver un homme bien avec qui il pourrait filer une vie tranquille et heureuse.
Toujours ce côté définitif qui, s'il ne paraissait pas déplaire à son inconscient, gênait profondément son "conscient".
Il décida d'en parler avec Narcissa – elle était de bon conseil et savait se montrer discrète – ; il se leva de son fauteuil pour partir à sa recherche, en espérant qu'elle serait dans le manoir, et se rendit dans l'aile lui étant réservée. En passant devant la porte de la chambre, il entendit des bruits familiers et rebroussa chemin en se disant que sa femme était sûrement trop occupée pour lui parler en ce moment ; il la verrait plus tard.
L'espace d'un instant, son esprit s'aventura sur l'identité du partenaire de son épouse. Etait-ce toujours le même homme qu'il voyait régulièrement dans le manoir depuis trois semaines et qu'il commençait à bien connaître ? Le subconscient de son épouse lui soufflerait-il lui aussi de se trouver un compagnon correct pour ses vieux jours ? Il sourit à cette idée.
~oOo~
Severus enfouit la tête dans les couvertures, dans une recherche inconsciente d'une quelconque odeur appartenant à Lucius. Ce désir devint conscient comme il restait inassouvi : il ne sentait rien. Il releva la tête, dépité. Ne restait-il donc aucune trace du passage de son amant dans cette chambre à part ses souvenirs ? Il se concentra et huma l'air. Il lui sembla vaguement sentir l'après-rasage que portait Lucius.
Peut-être n'était-ce qu'une idée qu'il se faisait car il voulait le sentir.
Rien qu'un souvenir.
Des souvenirs, il en avait déjà plein. Il ne voulait pas de souvenirs, il ne voulait plus de souvenirs, il voulait voir, sentir et toucher. Il voulait la peau de Lucius, il voulait ses mains, il voulait sa voix.
Des souvenirs, il n'en avait que trop.
Tous mauvais.
A quelques rares exceptions…
~oOo~
Il lisait tranquillement : il ne faisait de mal à personne. Il était assis à l'écart : il n'était dans le passage de personne. Il était assis par terre, n'occupait même pas un banc : il ne prenait la place de personne, n'empêchait personne de s'asseoir.
Ils s'approchèrent et s'assirent de chaque côté de lui. Severus releva les yeux, soudainement craintif. Qu'est-ce qu'ils lui voulaient ? Il ne leur avait rien demandé, rien fait, rien dit, rien pris.
« Qu'est-ce que tu lis ? demanda James Potter d'un ton faussement aimable.
— Tu apprends par cœur un manuel scolaire pour faire ton petit numéro au prochain cours ? » proposa Sirius Black.
Quel petit numéro ? De quoi parlait-il ? Il n'avait jamais fait de petit numéro. De même qu'il n'avait jamais appris un manuel par cœur. Il se contentait de les lire avec sérieux, retenant les choses qui lui semblaient importantes. Il était juste un étudiant appliqué. Il avait les capacités et l'envie de devenir un grand sorcier, c'était tout. Et il lui semblait que c'était un minimum.
« à moins que ce soit un de tes sales bouquins de magie noire », continua Sirius.
Severus se crispa. Il était intéressé par la magie noire – comme par toutes les formes de magie – et avait eu le malheur de le confier à quelqu'un – Remus Lupin –, il lui avait aussi dit qu'il l'avait un peu étudiée d'après quelques livres. Remus avait l'air gentil. Il avait beaucoup parlé avec lui. Il ne se souvenait plus comment avait démarré cette conversation. Il se souvenait surtout qu'il avait été content qu'un élève lui prête autant d'attention sans que ça ait l'air intéressé – lorsque des élèves venaient le voir, c'était toujours pour lui soutirer des renseignements sur les cours ou lui demander de leur prêter ses dissertations ; et de profiter ainsi de lui ne les empêchaient pas ensuite de se moquer ouvertement de son physique disgracieux ou du fait qu'il soit toujours tout seul.
Lupin avait cafté.
« Alors, c'est un livre de magie noire, n'est-ce pas ? » fit James Potter.
C'était un recueil de nouvelles que Severus avait emprunté à la bibliothèque. Il s'enferra dans son silence et tenta de paraître indifférent.
« Fais voir ! » ordonna Sirius en lui arrachant des mains et en se levant. James suivit le mouvement.
« Hé ! s'écria Severus, se levant lui aussi.
— Alors, voyons ce que c'est… fit Sirius en feuilletant le livre.
— Rend-le moi ! C'est juste un recueil de nouvelles !
— ça, c'est toi qui le dis ! déclara James de son éternel ton suffisant.
— C'est vrai ! Il vient de la bibliothèque ! » argumenta Severus. Il tenta de reprendre son livre, mais Sirius lui montra son dos. Il tourna autour de lui, mais le Gryffondor reprit sa position initiale. Il le tournait en ridicule. « ça suffit, rend-le moi !
— D'accord, d'accord, je te le rends », lui dit Sirius en tendant le livre. Dès que Severus fut sur le point de le prendre, le Gryffondor l'écarta de lui et cria : « James, attrape ! » avant de le lancer à son compère. Le Serpentard alla vers James.
« Donne-le-moi ! » ordonna-t-il.
James le lança à Sirius. Severus alla vers Sirius qui le relança à James.
« Accio livre ! »
Le livre changea brusquement de direction et atterrit dans les mains d'un jeune homme blond. Un grand de septième année. Severus n'était qu'un petit de première année. Le jeune Serpentard s'en voulut de ne pas avoir pensé à la formule "Accio" – il savait parfaitement l'utiliser bien qu'elle ne soit pas au programme de première année – ; les deux autres l'énervaient tellement qu'il avait oublié d'utiliser la magie. Le septième année vint vers lui et lui déposa son livre dans les mains.
« Ne te laisse plus rien subtiliser… surtout par ces deux imbéciles », dit-il, le menton levé.
Severus se sentait tout petit et très bête mais content de tenir à nouveau son livre. Lucius Malefoy – car c'était lui – jeta un coup d'œil dédaigneux à Sirius, puis tourna la tête pour lancer un regard identique à James.
« ça va, ce n'est pas trop difficile d'embêter un gamin quand on est deux ? Si le courage des Gryffondor consiste en ça, même moi j'aurais eu les qualités requises pour faire partie de cette maison. A présent, voyons ce que valent deux premières années contre un septième année. »
Severus crut voir James Potter avaler sa salive avant d'articuler d'un air faussement dégagé : « On s'amuse juste. Il n'y a rien de grave, assura-t-il en haussant les épaules.
— Vous vous amusez à ses dépens. Et moi qui croyais que les Gryffondor avaient des amusements sains. Tsss… Faites un peu attention, les Serpentard vont finir par passer pour des anges à côté de vous, ou pire : pour des victimes. Cela m'ennuierait. Maintenant, éloignez-vous avant que je vous fasse subir un sort de ma composition.
— Tu n'oserais pas Malefoy ! lança Sirius. Tu as trop peur des conséquences !
— Es-tu si sûr de ça, jeune crétin ? » demanda Lucius, le regardant de haut.
Sirius n'aima pas le regard que lui lança le septième année. Il fut soulagé lorsqu'il entendit James : « Viens Sirius ! C'est malsain par ici : c'est plein de Serpentard ! »
Cette phrase était destinée à faire croire à Lucius et Severus qu'ils n'avaient absolument pas peur et partaient juste parce qu'ils en avaient assez de leurs présences, cependant la rapidité de leurs pas lorsqu'ils s'éloignèrent démentirent ces propos, ainsi que le coup d'œil craintif que jeta James pour vérifier qu'ils n'étaient pas suivis. Lucius les regarda partir, le menton levé et le nez légèrement froncé sur le côté droit. Dès qu'ils furent hors de sa vue, il se tourna vers Severus.
« Tu ne devrais pas te laisser faire, dit-il. Ces petits crétins sont moins doués que toi… et surtout moins intelligents. Tu n'aurais pas dû perdre ton calme et je n'aurais pas dû avoir besoin d'intervenir. Je t'ai observé, je suis sûr que tu sais utiliser Accio. Tu es capable de réaliser énormément d'enchantements. Qui plus est, je dirais qu'il y a des sorts que tu sais lancer dont je ne me doute même pas de l'existence. Je me trompe ?
— Vous exagérez peut-être un peu. »
Lucius observa Severus, celui-ci avait les yeux fuyants.
« Pourquoi es-tu si timide ?
— Pardon ?
— Tu es intelligent et tu es un excellent sorcier. Tu n'as pas à être timide. Fais-toi respecter. »
~oOo~
Il lui avait donné un excellent conseil ce jour-là. Il avait mis du temps à réussir à le suivre ; d'ailleurs, il n'y était parvenu qu'après la fin de ses études à Poudlard. Aujourd'hui, il était respecté et même craint par ses élèves.
Lucius avait pris sa défense. Ce n'était pourtant pas le genre à se soucier de ce qui arrivait aux autres. Il avait malgré tout pris la peine de le défendre. Ressentait-il quelque chose pour lui à ce moment-là ? Certainement pas, il n'était qu'un gamin. Non, Lucius ne ressentait rien pour lui à cette époque. Il l'aimait bien, c'est tout. Quant à lui, Severus, il était admiratif devant ce grand si élégant et digne ; et Lucius était admiratif devant lui qui bien que jeune démontrait déjà un grand potentiel… non ?
~oOo~
Severus mettait la dernière touche à un devoir de métamorphoses dans la salle commune des Serpentard, écoutant sans en avoir l'air la conversation à voix basse de deux septième année qui se trouvaient juste à côté de lui. Lucius Malefoy et un de ses amis discutaient d'un problème d'arithmancie qu'ils ne parvenaient pas à résoudre. Severus ressentait une envie folle de se mêler à cette conversation qui ne le concernait pas. Peut-être saurait-il, lui, trouver la solution ?
Comme il s'ennuyait en cours, trouvant le niveau trop faible par rapport au sien, il avait pris de l'avance pour les années suivantes et s'était notamment demandé quelles options il choisirait en troisième année. Il avait donc commencé à étudier chacune d'entre elles pour voir lesquelles lui seraient le plus utile. Il avait beaucoup travaillé l'arithmancie, son esprit logique en redemandait. Il mourrait donc d'envie de voir s'il saurait résoudre ce problème que deux élèves plus vieux que lui ne parvenaient pas à solutionner. Toutefois il ne pouvait se permettre de se mêler de ça. Les deux septièmes pourraient mal prendre qu'il écoute leur discussion et lui dire de se mêler de ses affaires. Ou alors, il ne réussirait par à résoudre le problème et passerait pour un petit prétentieux qui croit tout savoir mais ne sait rien. Ou encore il pourrait réussir à le résoudre mais les deux élèves pourraient mal prendre qu'un petit première année réussisse là où eux avaient échoué.
Il y avait beaucoup plus d'arguments en faveur du "n'interviens pas" qu'en faveur du "interviens", cependant Severus avait beaucoup trop envie de montrer sa science à des grands pour se retenir – surtout lorsque l'un d'eux était celui qui l'avait secouru contre les deux Gryffondor. Il posa donc son devoir de métamorphoses, se leva et tapota, gêné, l'épaule de Lucius Malefoy.
« Qu'y a-t-il ? lança Lucius d'un ton peu amène.
— Je… j'ai entendu votre conversation – parce que j'étais juste à côté, je n'écoutais pas ! – ; est-ce que je pourrais essayer de regarder le problème ?
— C'est de l'arithmancie. C'est compliqué à mort. Tu ne vas rien comprendre, objecta l'ami de Lucius.
— Laisse-le faire. Si ça le tente… » accorda Lucius en lui tendant la feuille où figuraient les données du problème. Severus regarda le grand blond. Celui-ci le toisait sans sourire, l'air extrêmement sérieux, attendant sa démonstration. Severus reporta son attention sur la feuille. Il lut plusieurs fois l'énoncé, posa la feuille sur la table, emprunta une plume et un papier et commença à résoudre le problème consciencieusement. Les deux septièmes années se regardèrent, Lucius dubitatif, son ami amusé. Au bout d'un quart d'heure, Severus releva la tête et tendit le papier à Lucius qui le prit et le lut attentivement.
« ça me paraît bon, déclara-t-il, sincèrement étonné.
— Sérieux ? » demanda l'autre, soufflé.
Lucius secoua la tête, la moue pensive et vaguement admirative.
« Bien sûr que c'est bon ! s'exclama Severus.
— Honnêtement, je ne m'attendais pas à ce que tu y arrives. Tu… tu m'épates. »
Severus se sentit rougir jusqu'aux oreilles.
« Ce n'est rien. Une fois qu'on a parfaitement assimilé les données de base et qu'on suit la bonne logique, ça coule tout seul, expliqua-t-il en fixant le sol comme s'il avait peur que celui-ci se dérobe sous ses pieds.
— Fais voir », demanda l'autre en tendant la main vers Lucius. Après avoir pris le papier en main, il se mit à vérifier le travail de Severus.
« Je… je ne vous ai pas remercié pour ce que vous avez fait l'autre jour.
— L'autre jour ?
— Vous savez : Black et Potter.
— Les deux morveux, tu veux dire ? Je crois qu'en matière de remerciements, tu as fait ta part : tu viens de résoudre un devoir qui me prend le chou depuis quatre jours, je n'ai plus qu'à comprendre parfaitement comment tu es arrivé à la conclusion de ce problème et je serai débarrassé de cette fichue corvée. Nous sommes donc quittes.
— Vous êtes très gentil.
— Non, je ne suis pas gentil. Et je te serais reconnaissant de ne pas prétendre des choses pareilles. » Son compagnon, toujours plongé dans ses vérifications, émit un ricanement à cette dernière réflexion de Lucius. « De plus, il ne faut pas te sentir obliger de me vouvoyer, je ne m'offusquerai pas si tu me tutoies… Par contre, je serais très aise si les élèves des autres maisons se mettaient à me vouvoyer, ajouta-t-il.
— Mince alors ! s'exclama son ami.
— Quoi ?
— J'ai fait toutes les vérifications possibles, ça marche dans tous les sens. C'est vrai que c'est bon. En plus, je crois comprendre comment il a procédé.
— Parfait. Donne-le-moi que je l'étudie à mon tour. »
Les deux septièmes se désintéressèrent totalement de lui pour s'intéresser à ce qu'il avait fait. Il s'effaça, voyant que son heure de gloire était passée, satisfait tout de même de l'avoir eue.
~oOo~
Lucius l'avait trouvé épatant ce jour-là. Ce n'était pas un compliment en l'air. C'était sincère. Dans la bouche de Lucius Malefoy, un compliment sincère valait de l'or. Bien sûr, il avait surtout été content que son exercice soit fait et qu'il n'ait plus qu'à comprendre comment il avait été fait – au cas où le professeur lui aurait demandé des précisions quant à la marche qu'il avait suivie pour la résolution du problème –, mais tout de même, il avait été épaté, il n'avait pas cru une seconde que Severus réussirait, il avait cru que le jeune garçon avait surestimé ses capacités sur ce coup-là ; pourtant, il avait réussi et Lucius n'en était pas revenu.
Il se souvint de sa fierté lorsqu'il avait brandi la résolution de l'exercice. Il voulait montrer à Lucius à quel point il était intelligent du haut de ses onze ans, de quoi il était capable. Il voulait l'impressionner. Pourquoi le voulait-il ? Parce que c'était un grand ? Parce qu'il avait manifesté de l'intérêt, même bref, pour lui ? à moins que…
Etait-il amoureux à l'époque ?
Et l'était-il à présent ?
Il espéra à ce moment-là que quels que fussent ses sentiments à l'égard de Lucius, ils étaient partagés. S'il était amoureux, il valait mieux que Lucius le soit aussi car un coup comme celui-là pouvait être la goutte qui le ferait tomber dans la dépression. Il préféra donc ignorer ce qu'il ressentait pour le moment et attendre patiemment que Lucius se manifeste.
S'il se manifestait…
~oOo~
Lucius accueillit l'amant de Narcissa d'un hochement de tête, le nouvel arrivant dans le salon répondit à son salut tout aussi sobrement. Narcissa suivait.
« Ah, tu es là !… Ta mère est passée. »
Sobrement, Lucius leva un sourcil interrogateur.
« Elle voulait te féliciter pour ta nouvelle performance dans l'art de berner la justice.
— C'est tout ? »
Narcissa leva les yeux, pensive.
« Il me semble que oui… Ta sœur l'accompagnait.
— Laquelle ? demanda Lucius.
— La plus jeune, je crois. Sonia ?
— Sania… Oui, c'est la plus jeune. »
La porte donnant sur le couloir s'entrouvrit plus largement, un chat noir passa le seuil.
« Elle se porte bien ?
— Ma foi, les deux avaient l'air de bien se porter.
— Cela fait longtemps que j'ai eu de ses nouvelles.
— De ta mère ?
— Non, de Sania. Moins j'ai de nouvelles de ma mère, mieux je me porte. »
Assis sur son séant, le chat contemplait les personnes présentes.
« Elle a pourtant l'air gentil.
— Un : pour moi, la gentillesse n'est pas un critère pour juger les gens ; deux : ma mère n'est absolument pas gentille.
— Un problème avec ta mère, Lucius ? demanda l'homme.
— Un problème ?… On va appeler ça comme ça, Ric, fit Lucius en posant par terre le chat qui venait de sauter sur ses genoux.
— Elle a l'air d'avoir beaucoup d'affection pour toi », souligna Ric.
Le chat ne s'en laissa pas conter et remonta immédiatement sur les genoux de Lucius qui le regarda en grimaçant et le laissa s'installer confortablement, sachant que le félidé ne lâcherait pas le morceau et qu'il ne pouvait se permettre de lui faire du mal s'il ne voulait pas que son fils le déteste.
« L'affection ne fait pas tout. Surtout dans mon cas.
— ça… » fit Narcissa en roulant les yeux.
Soudainement, Lucius n'eut plus du tout envie de parler de ses problèmes amoureux avec sa femme.
« Va-t-elle revenir ?
— Ta mère ou Sania ? »
Après quatre tours sur lui-même, le chat sembla avoir trouvé une position adéquate et posa sa tête sur la cuisse de Lucius après un dernier étirement.
« Sania.
— Normalement demain… cependant, j'aime autant te prévenir que sa mère l'accompagnera toujours. »
Lucius fit la grimace. Il aurait pu parler du cas qui le préoccupait avec sa sœur, toutefois il n'avait pas envie de voir sa mère et encore moins de la mettre au courant de sa vie intime. Il ne la voyait que lorsqu'il ne réussissait pas à l'éviter, et ce depuis qu'il était majeur. Tout le monde lui rapportait qu'elle souffrait beaucoup de ce traitement, mais pour Lucius, ce n'était qu'un juste retour des choses : elle aurait dû faire plus attention à lui dans sa jeunesse.
« Tes parents sont divorcés ? » demanda Ric.
Lucius et Narcissa le regardèrent comme s'il débarquait d'une autre planète.
« Quoi ? J'ai dit une bêtise ?
— Pourquoi demandes-tu ça ? questionna Lucius d'un ton curieux.
— Je me disais que peut-être tu en voulais à ta mère parce que tes parents se sont séparés et que tu la considérais comme étant la fautive. »
Lucius ricana.
« Je ne sais même pas qui est mon père.
— Ah ?
— Oui, et je suis le seul parmi tous les enfants de ma mère à ne pas connaître ce privilège.
— Je ne te suis pas là.
— Tu n'as jamais entendu parler de Cristina Malefoy ? » intervint Narcissa, amusée par cette conversation.
Ric haussa les épaules, signifiant son ignorance.
« Et moi qui croyais que sa réputation dépassait la voie lactée ! Ma mère a huit enfants : sept filles et un garçon – moi, je suis aussi le cadet –, nous sommes tous de pères différents. Tu n'as jamais entendu parler de cela ? « L'unique héritière des Malefoy couche avec tous les hommes qu'elle rencontre ! » Mon grand-père a failli avoir un infarctus quand il a appris que sa fille unique était enceinte alors qu'elle n'était pas mariée et qu'elle lui a annoncé que, de toute façon, elle n'avait aucunement l'intention de passer sa vie avec le père de son enfant.
— Il parait que ça a fait un sacré scandale à l'époque, ajouta Narcissa.
— Ensuite, elle a eu les autres enfants, moi en dernier. Toutes mes sœurs connaissent leur père, moi non.
— Elle ne sait pas qui c'est ? demanda Ric d'un ton posé.
— Oh si, elle le sait ; néanmoins, et pour une raison que j'ignore, elle n'a jamais voulu me le dire.
— C'est pour ça que tu lui en veux ?
— Non, ce n'est pas pour ça… en fait, si, je lui en veux aussi pour ça. Mais ce n'est pas pour ça que je l'évite soigneusement.
— Quelle est la vraie raison ?
— Je n'aime pas en parler. Si tu veux bien, nous allons en rester là. »
Ric hocha la tête doucement.
« Vous aviez l'air de me regarder comme si j'étais un extraterrestre car je n'étais pas au courant de ça. Cependant, cela s'est passé il y a longtemps.
— Cette chère Cristina fait toujours scandale aujourd'hui.
— Mon grand-père dit que c'est le mouton noir de la famille.
— ça, c'est parce qu'il refuse de croire aux ragots qui te prétendent homosexuel, objecta Narcissa, un rien moqueuse.
— Si on devait croire toutes les billevesées que colportent les concierges », répondit Lucius sur le même ton.
Ric avait les yeux écarquillés. Quelque chose lui échappait.
« Vous êtes en train de me rouler dans la farine, dit-il finalement. Lucius, si tu as sept sœurs toutes plus âgées que toi, ta mère ne doit plus être de la première jeunesse.
— Je serais incapable de te dire son âge précisément, elle l'a toujours caché soigneusement – par coquetterie. Ce que je peux te dire, c'est que j'ai quarante-trois ans et que ma sœur aînée a vingt-deux ans de plus que moi.
— Elle aurait plus de quatre-vingt ans ? C'est impossible ! s'exclama Ric. C'est une femme très jeune que j'ai vu. Je ne lui ai donné soixante ans que lorsque j'ai compris que c'était ta mère. Et ça a été dur à digérer car j'aurais juré qu'elle en avait trente de moins.
— Elle a toujours sur soigner son apparence.
— En tout cas, c'est une femme très séduisante. Quatre vingt ans. J'ai peine à le croire.
— Au minimum quatre-vingt ans. Surtout que dans ce cas de figure, cela signifierait qu'elle a eu ma sœur à quinze ans, et donc qu'elle était enceinte à quatorze. Or, je crois qu'elle était plus vieille que ça car le scandale aurait été encore plus grand si cela avait été le cas. »
Lucius enleva le chat de ses genoux pour se lever – avec peine, le félin ne se laissait pas faire et s'accrochait de ses griffes dans le tissu du pantalon.
« Est-ce que tu vas éviter ta mère demain ? demanda Narcissa.
— J'aurais aimé voir Sania, dit Lucius dans une légère moue.
— J'ai l'impression que l'un ne va pas sans l'autre dans le cas présent.
— Je vais devoir faire un effort alors.
— J'ai une question Lucius, intervint Ric. Est-ce que tes autres sœurs sont aussi belles que celle que j'ai vue ?
— Je peux savoir en quoi cela t'intéresse ? » gronda Narcissa, le ton très mauvais.
Lucius dissimula un sourire et se retira, le chat sur les talons – il croyait sans doute qu'il sortait pour aller remplir sa gamelle.
