Mon père, ce…

Par Maria Ferrari

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Les personnages et l'univers de Harry Potter appartiennent à J.K. Rowling.

Base : Tomes 1 à 4 de Harry Potter

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—Chapitre 15 – Bébé—

Le brouillard était au rendez-vous en ce samedi matin ; un groupe de trois silhouettes se détacha de l'ombre du château.

« Tu parles d'un printemps ! On n'y voit goutte ! se plaignit Hermione.

— Changement de cap ! Vils Serpentard en vue ! » murmura Ron à son oreille. Ils bifurquèrent légèrement, Harry continua tout droit.

« Harry ! » l'appela Ron. L'interpellé ne parut pas entendre ; il continua son chemin vers les "vils Serpentard" susmentionnés.

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La brume conférait à Drago Malefoy une aura de mystère. Harry adorait ses cheveux, surtout la mèche retenue derrière son oreille, laissant visible la boucle argentée en forme de serpent. Plus que tout autre, Drago avait conscience de l'importance de l'image qu'il renvoyait aux autres.

Crabbe et Goyle l'accompagnaient.

« Envoie-les promener, Drago. Envoie-les promener », supplia silencieusement Harry. Comme s'il avait entendu sa supplique, Vincent informa Drago qu'il devait rentrer : il avait un devoir à faire et il gelait ici. Gregory hésita alors entre rester avec Drago et accompagner son ami ; il opta pour la seconde solution, lui aussi avait un devoir à faire.

Braves petits, se réjouit Harry. Ils lui laissaient le champ libre.

« Bonjour Drago.

— Potter », répondit laconiquement l'intéressé avec un bref mouvement de la tête en guise de salutation. Il avait noté que le Gryffondor l'avait nommé, contrairement à l'habitude, par son prénom. Cela ne lui disait rien qui vaille.

« Tout va comme tu veux ?

— Oui… à part que tu te trouves à moins d'un mètre de moi », répondit Drago. Il ne comprenait pas l'attitude de Potter… ou il avait peur de comprendre. Les propos étranges tenus par le Gryffondor lorsqu'il les avait surpris, lui et son rouquin d'ami, chargées de dizaines de livres l'autre jour lui revinrent en mémoire et trouvèrent un drôle d'écho.

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Ron aussi avait peur de comprendre. Quant à Hermione, absente du dernier épisode de la grande saga Harry/Drago, elle ne comprenait absolument rien ; ce qui l'agaçait évidemment : elle avait horreur de ne pas comprendre.

« Harry, viens ! » cria Ron, voulant ramener Harry à la raison et éviter une catastrophe.

Mais Harry n'écoutait pas, il s'encourageait intérieurement. « Tu es un Gryffondor, tu es courageux, tu es audacieux. De plus, devenir le petit ami de son ennemi doit être quelque chose de très intense. C'est forcément un amour puissant, éternel, indestructible », pensait-il.

« ça te dirait de sortir avec moi ? demanda-t-il soudainement.

— ça y est ! Nous sommes entrés dans la quatrième dimension ! » s'exclama Hermione en souvenir d'une vieille série télé. Malefoy resta bouche bée. Ron ne prononça pas un mot, il en était bien incapable : il avait le souffle coupé. Hermione se tourna vers lui – s'étonnant de son silence devant ce qui venait de se produire et qui ne pouvait que provoquer une réaction virulente chez son ami – et se rendit vite compte du problème. « Respire Ron ! lui intima-t-elle tout en commençant à le secouer.

— Il a pas pu dire ça ! éclata Ron avant même de reprendre son souffle. T'as pas pu dire ça ! répéta-t-il à l'adresse de son ami. Malefoy, c'est Malefoy ! Alors, d'abord la porcelaine, et maintenant ça ? »

Harry sortit de son doux rêve, se rendant soudainement compte de l'énormité de ce qu'il venait de faire. Il rougit et baissa la tête. Il ne savait plus où se mettre.

« Sortir où ? » demanda Drago d'un ton neutre, se remettant de sa surprise et prenant une figure blasée. Il aurait répondu immédiatement, un "non" sec et définitif serait sorti, mais après réflexion, pourquoi ne pas accepter ? Surtout que ça avait l'air de déplaire à Weasley.

Harry fut secoué d'un frisson de bonheur devant cette réponse inattendue, il s'exhorta à parler calmement et posément.

« Nous serions dans le monde Moldu, je t'aurais proposé un cinéma. Mais là, je ne peux que te proposer une sortie aux Trois Balais.

— Il ne te viendrait pas à l'idée de me proposer un cadre plus… chic ? Ou en tout cas un peu plus intime. Je veux dire : je n'ai aucune envie que des élèves de Poudlard constatent que je suis attablé avec Harry Potter. Disons… samedi dans deux semaines… à seize heures… au Noble Renard… je te conseille de venir les poches pleines d'or et d'arriver à l'heure. Et attention : c'est juste un essai, une tentative, juste pour voir de quoi tu es capable. N'aie pas la prétention de me croire acquis parce que tu as obtenu un rendez-vous. Ne va pas te mettre à hurler sur tous les toits que tu sors avec le sublime Drago Malefoy, ajouta-t-il, le menton levé.

— Je me demande s'il ne vaudrait pas mieux être sourd que d'entendre ça », en conclut Ron.

~oOo~

Assis à son bureau, bûchant sur un sujet d'examen de métamorphose, Severus butait sur une phrase de Gregory Goyle. Outre cette "habitude" de truffer ses dissertations de fautes d'orthographe, Goyle avait la manie d'oublier des mots, ce qui rendait certaines de ses phrases totalement incompréhensibles.

Si le parchemin avait été celui d'un Gryffondor, il se serait empressé de le rendre en disant qu'il ne fallait pas compter sur lui pour corriger ce torchon. Cependant, il s'agissait d'un Serpentard. En plus, Severus sentait qu'il avait fait de réels efforts, qu'il avait beaucoup travaillé son sujet. Et s'il le lui avait donné à corriger, c'était pour ne pas se couvrir de ridicule devant McGonagall. Et moins il y avait de Serpentard à se couvrir de ridicule devant un professeur Gryffondor, mieux Severus se portait.

Bon, qu'avait-il bien pu vouloir dire ?

« Lucius, tu peux venir m'aider ? » quémanda-t-il alors qu'il sentait que plusieurs centaines de ses neurones menaçaient de s'éteindre prématurément.

Le susnommé, installé sur une chaise qu'il avait transformée en un fauteuil confortable, ou plutôt écroulé dessus – de manière aristocratique toutefois –, lisait un livre scolaire d'arithmancie dans le but de se rappeler en quoi consistait cette matière – c'est ahurissant la vitesse à laquelle on oubliait ce qu'on apprenait durant ses études –, de prouver à son fils qu'elle n'était pas si dure que ça – il aurait dû prendre le temps de le faire avant – et qu'il se devait d'avoir de meilleures notes. Surtout qu'il ne comprenait pas pourquoi il réussissait si bien les exercices qu'il faisait en dehors des cours, et pas ses devoirs surveillés, et se demandait s'il n'y avait pas là combine bancale de la part de son fils.

Cela n'avait rien de déshonorant, c'était juste une option, pas une matière essentielle, ni pour les examens, ni pour la vie. Et c'était malin, cela permettait d'avoir de bonnes notes pour certains devoirs. Par contre, dès que Drago ne pouvait faire fonctionner sa petite technique, il avait des résultats médiocres. Il fallait qu'il progresse en cette matière… ou que sa combine cesse de boiter… ou qu'il continue à se contenter de ces résultats – ce qu'il avait très bien réussi jusque-là, mais Lucius ne pouvait le tolérer plus longtemps.

« Je veux bien, à condition que tu m'assures être bon en arithmancie et que tu sois capable de me décoder ce livre », proposa Lucius en agitant le bouquin en l'air. Il se leva pour aller se pencher sur le bureau. Severus se remémora la fois où durant sa première année, il avait aidé les septièmes années qu'étaient Lucius et son ami à résoudre un problème de cette matière : Lucius ne devait pas s'en souvenir pour lui demander s'il était bon. Il ne lui en voulait pas, c'était vieux ; même s'il avait été impressionné sur le coup, cela ne l'avait pas empêché d'oublier cette histoire. On ne peut tous accorder la même valeur à un souvenir donné.

Rogue indiqua du doigt la phrase à "traduire". Lucius la lut plusieurs fois et eut une moue dubitative.

« Tu ne vois pas non plus ? » demanda Rogue, déjà résigné. Un bruit empêcha Lucius de répondre ; Severus se tourna vers la fenêtre. Une grisaille opaque bouchait la vue, une chouette se tenait sur le rebord. Elle refit claquer son bec sur le carreau pour montrer son impatience ; Lucius – se trouvant debout – vint lui ouvrir. Il donna une caresse à l'oiseau et délia le message accroché à sa patte.

« Tiens », fit-il en le donnant à son amant. Severus déroula le message. Le peu de couleur de son visage disparut dès le début de sa lecture ; Lucius – qui narguait la chouette en approchant et éloignant un morceau de gâteau de son bec – s'en aperçut. Il arrêta ses mouvements, l'oiseau en profita pour saisir la nourriture et pincer ses doigts au passage ; Lucius fit la grimace et eut un geste menaçant envers le volatile.

« Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il en posant une main rassurante sur l'épaule de Severus – juste après avoir lancé un regard lourd de représailles futures à l'oiseau.

— ça y est… ça y est », fit Severus d'une voix murmurante. Lucius ne pouvait définir ce qu'il y avait dans ses yeux : terreur ou joie ? L'inquiétude le gagna.

« Quoi ?

— Ils vont le libérer… dans une semaine.

— Qui ?

— Mon frère. » Severus tendit le courrier d'un geste tremblant. Les larmes commençaient à inonder ses yeux, mais il souriait à présent. Lucius parcourut la lettre ; elle était couverte d'une écriture très mal assurée, comme celle d'un enfant ou d'une personne ayant perdu l'habitude d'écrire depuis très longtemps.

« severus bébé je t'aime trésor bébé petit frère je t'aime severus severus »

« C'est… flippant », jugea Lucius, mal à l'aise. Il regarda le papier joint au courrier : un document officiel attestant de la libération anticipée du dénommé Julius Rogue. « Vendredi prochain à dix heures, résuma-t-il.

— J'irai. Tu viendras avec moi », fit Severus. Cela ressemblait plus à un ordre qu'à une demande.

« Je t'accompagnerai », promit Lucius. Il ne dit rien de plus et entoura son amant de ses bras. Il était au courant de l'histoire. Julius Rogue était en septième année alors que Lucius était en troisième. Il était préfet en chef. Il avait des pouvoirs télépathiques étonnants. C'était durant cette année que le crime avait eu lieu.

Cela avait défrayé la chronique.

~oOo~

Il recommençait. Mais il n'allait pas le laisser s'en tirer comme ça. Pas cette fois. Il lui ferait payer. Il ne recommencerait plus.

Julius se leva sans faire de bruits. Seul un ronflement lancinant brisait le silence du dortoir.

Il passa sa cape par-dessus son pyjama et partit sur la pointe des pieds, réfrénant sa colère : il ne fallait surtout pas faire un seul bruit, s'il réveillait quelqu'un, celui-ci lui poserait des questions. Il n'avait pas le temps de s'expliquer. Il fallait agir, vite !

Il sortit de la maison et se glissa rapidement hors de Poudlard. Il courut le plus loin possible. Dès qu'il sentit qu'il n'était plus dans le champ des sortilèges protégeant l'école, il transplana.

Il avait eu son permis de transplaner seulement quelques jours auparavant. Il avait obtenu une permission exceptionnelle de sortie pour pouvoir le passer, plutôt que d'attendre les grandes vacances. Il ne pouvait pas attendre. En fait, il brûlait de savoir transplaner depuis longtemps pour pouvoir voler au secours de l'être le plus cher à ses yeux dès que son esprit lui criait qu'on lui faisait du mal, qu'il lui faisait du mal.

-

Il atterrit dans une cuisine. Son petit frère était là… et lui aussi. Comme il l'avait pressenti. Il le cognait. Il le cognait !

« Arrête ! » rugit Julius, laissant libre cours à sa rage. Surpris, l'homme s'arrêta.

« Quess-tu fous là, toi ?

Je viens t'empêcher de faire du mal à Severus ! » proclama-t-il, la figure tordue en une grimace, les yeux brûlants de colère. « Viens Bébé ! » ajouta-t-il, le visage adouci, à l'adresse de son frère. Severus se mit à ramper, le visage larmoyant, marqué par les coups.

« Rest'là, toi ! fit le père en l'attrapant par les cheveux.

— Laisse-le ! » hurla Julius avant de se jeter sur lui.

L'homme tomba au sol, Julius le frappa au visage de toutes ses forces, utilisant ses deux poings. Son père se dégagea et l'envoya valser contre un meuble. Il s'y cogna la tête et resta sonné quelques secondes. Son père vint se placer devant lui ; il se pencha.

« J'le frappe si j'veux », lui cracha son haleine avinée en plein visage. Il retourna à Severus et lui envoya sa main en plein visage. La force du coup fut telle que Severus s'assomma contre l'armoire sous l'impact du choc. Ce geste réveilla instantanément Julius, il lui donna la force pour se lever, saisir un couteau et…

~oOo~

« Quand je me suis réveillé, il y avait du sang partout.

— Il l'a égorgé. Il n'a eu que ce qu'il méritait, estima Lucius d'une voix froide.

— Et mon frère s'est retrouvé en prison. Il ne le méritait pas. Rien que pour cette raison, j'aurais préféré que cet homme reste en vie.

— Et continuer à prendre des coups ?

— Julius serait sorti de l'école à la fin de l'année. Il aurait trouvé un travail et m'aurait emmené loin de lui.

— Tu avais sept ans. Il ne pouvait pas t'enlever sans que cela fasse des remous.

— Ma mère n'était plus qu'une larve alcoolique rompue sous les coups, et mon père un ivrogne. Nous aurions plaidé notre cause. »

Lucius observa Severus du coin de l'œil, la naïveté n'avait jamais semblé faire partie des défauts de son amant ; il jugea inutile d'épiloguer sur ce qui aurait pu arriver si telle ou telle chose s'était passée différemment, il était de toute façon trop tard pour changer quoi que ce soit. Et peut-être n'était-ce pas si naïf de croire en la justice.

« Que s'est-il passé après ?

— Quand je me suis réveillé, mon frère me serrait dans ses bras. Il n'arrêtait pas de répéter que ce salaud ne me ferait plus jamais de mal, que tout irait bien à présent, qu'il allait m'emmener loin d'ici. Il se trompait : tout a été de mal en pis. Des gens du ministère ont débarqué ; des voisins les avaient prévenus. Apparemment, mon père avait oublié de mettre l'habituel sortilège de silence. Trop saoul pour ça sûrement. Mon frère s'est retrouvé arrêté, inculpé de meurtre, reconnu coupable et enfermé à Azkaban pour trente cinq ans. » Il tripota machinalement la lettre officielle. « Ils lui ont fait cadeau des cinq dernières années. Dans quel état vais-je le retrouver ? »

Lucius ne répondit rien, mais le courrier ne lui disait rien qui vaille. S'il se fiait à son contenu, Severus semblait être une obsession pour son frère. Rien de bien nouveau en somme : il avait tué pour lui.

« Il avait des amis ? Il faudrait peut-être les prévenir.

— Je ne connaissais pas ses amis, hormis Ana. C'était sa petite amie. »

~oOo~

La pluie battait les pavés, formant des flaques et des rigoles. Lucius, calé entre Severus et une femme brune, tenait fermement sa canne en l'air ; à son bout, un parapluie se déployait.

« Quel temps ! Dire qu'il serait si facile pour moi de jeter un sortilège de ciel bleu !

— Les sortilèges concernant la météo sont réglementés par le ministère. Ils attirent l'attention et modifient l'équilibre planétaire. Tu t'attirerais des ennuis.

— Quelle importance ? Ils seront bien vite résolus. Et pour ce qui est de l'équilibre planétaire, nos "amis Moldus" se débrouillent très bien pour le ruiner.

— Raison de plus pour ne pas en ajouter. »

Lucius continua à marcher en silence en se disant que son amant n'avait sans doute pas tort, mais qu'il avait horreur de ne pas avoir le dernier mot ; par-dessus tout, il avait horreur de patauger, ce qu'ils faisaient tous depuis le début de cette "joyeuse promenade". Dire qu'il aurait pu être confortablement installé dans un des profonds fauteuils en cuir dont regorgeait son manoir, devant la cheminée, les pieds au sec, un livre à la main… s'il avait besoin d'une preuve pour être convaincu qu'il aimait Severus, il en était en ce moment même l'acteur.

« Nous y voilà », fit la femme brune. Severus s'arrêta brusquement, Lucius fit de même. La prison d'Azkaban n'était déjà pas l'endroit le plus gai sur terre par beau temps, les trombes de l'averse la rendaient encore plus sinistre qu'elle ne l'était déjà. Lucius aurait décidément cent fois préféré être ailleurs que si près de l'endroit où il avait par deux fois failli finir ses jours. Il oublia ses propres angoisses et se pencha sur celles, probables, de son amant.

« ça va aller ? » demanda-t-il.

Severus prit une profonde inspiration.

« Oui, j'ai juste le trac. Et… j'ai peur… j'ai peur de l'état dans lequel je risque de le trouver.

— Les détraqueurs ne sont plus dans cette prison depuis quelques mois. Il a eu le temps de reprendre du poil de la bête.

— Avant ça, il a subi leur présence pendant près de trente ans, intervint la femme brune d'une voix atone.

— Ana ! Severus angoisse déjà assez », reprocha Lucius à mi-voix dans l'oreille de l'ancienne petite amie de Julius.

La pluie fut la seule à se faire entendre dans les secondes qui suivirent, Lucius ressentit le besoin de rompre le silence.

« Allez ! Courage ! Il va sortir… d'ici moins de cinq minutes », dit-il après avoir jeté un coup d'œil à sa montre.

Trois minutes plus tard, la porte s'ouvrit. Severus retint son souffle, Ana se mordit la lèvre, Lucius serra plus fort le pommeau de sa "canne-parapluie".

La première chose qui choqua Severus quand il vit son frère fut sa barbe et ses cheveux gris. Il éclata brusquement en sanglots, ne s'y attendant pas lui-même. Lucius sursauta et le regarda sans comprendre, c'était la première fois qu'il était témoin d'une telle réaction chez Severus.

L'ancien détenu s'avançait vers eux. Il leva la tête et ouvrit grands les yeux en reconnaissant Severus. Il marcha vers lui, la lèvre tremblante, et le prit dans ses bras.

« Severus, Bébé, je t'aime, souffla-t-il.

— Moi aussi », répondit Severus, entre ses larmes. Cela faisait tellement longtemps qu'il attendait ce moment. Julius avait changé, sa barbe avait poussé, il avait des cheveux gris, mais c'était toujours le même. A première vue, il n'était ni fou, ni dépressif.

« Bonjour Julius », fit Ana, se retenant d'aller se jeter sur lui.

L'intéressé, les bras posés sur les épaules de son frère, accorda un regard à celle qui avait été sa petite amie. Il fronça les sourcils.

« On se connaît ? » demanda-t-il. Ana cessa de respirer pendant quelques secondes, le regard perdu. Que pouvait-il lui arriver de pire que Julius ne se souvenant pas d'elle ? Elle l'avait attendu toutes ces années. N'allez pas croire qu'elle était restée vierge ; mais elle n'avait pas eu d'enfants, ne s'était pas mariée, ne s'était liée avec aucun des hommes qu'elle avait rencontrés. Elle l'avait attendu. Elle l'aimait.

Et lui ne la reconnaissait pas.

« C'est moi… Ana ! » s'exclama-t-elle d'un ton oscillant entre désespoir et rire nerveux.

Ce prénom ne sembla pas plus éveiller les souvenirs de Julius ; le ton ne parut pas même l'émouvoir.

« Et qui es-tu, toi ? » demanda-t-il, soudainement agressif après avoir surpris un geste tendre de Lucius envers son amant : il lui avait caressé le dos brièvement. Lucius ne se laissa pas décontenancer :

« Lucius Malefoy, j'étais en troisième année à Serpentard quand tu… enfin… quand tu étais en dernière année.

— Serpentard ? » Ce mot paraissait lui évoquer un souvenir lointain.

« L'une des quatre maisons de Poudlard ! » s'exclama Lucius, soudainement alarmé. Serait-il possible qu'il ait perdu la majeure partie de ses souvenirs ?

« Poudlard… oui… oui, je connais… c'est les murs… les murs qui m'ont retenu loin de Bébé… qui m'ont empêché de le protéger. »

Un frisson d'effroi parcourut Lucius.

« Je n'ai pensé qu'à toi, Sev… mon bébé… si tu savais comme je t'aime… tu sais, il y avait des détraqueurs là-dedans… j'ai pensé à toi tout le temps… pour ne pas t'oublier… car ils effacent tous les bons souvenirs… je ne voulais pas t'oublier, alors, j'ai protégé ton souvenir. Tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes, tout le temps, je me suis répété comme je t'aimais… je me suis rappelé ton image. J'essayais de toujours garder ton sourire en tête. Cela a été très dur ! Souvent, les détraqueurs étaient trop près, je le voyais en train de te frapper, je les voyais en train de m'arracher à toi et de m'emmener dans cet endroit – ils n'avaient pas le droit : c'était moi ton père, c'était moi ta mère – mais je chassais ces images-là, je gardais celles de mon Bébé en train de me sourire, je gardais ta voix dans mon cœur. Ils pouvaient pas t'enlever à moi, pas ton souvenir, jamais ! Ils ne pouvaient pas te retirer de ma mémoire. Il n'y a qu'une seule chose au monde qui compte pour moi, Bébé, c'est toi. C'est grâce à toi que j'ai survécu dans cet endroit. C'est le désir de te revoir qui m'a empêché de devenir fou. » Julius serra à nouveau Severus dans ses bras. « Je t'aime tellement. »

Severus était tellement à sa joie et à ses sanglots qu'il ne semblait pas se rendre compte de ce qu'impliquaient les paroles de son frère.

Ana, elle, était effondrée : Julius s'était tellement appliqué à ne pas oublier son frère, qu'il l'avait oubliée elle. Ils avaient fait des tas de projets ensemble. Bien sûr, dans chacun de ces projets, le petit frère était omniprésent ; à cette époque, Severus était déjà une obsession pour Julius. C'était compréhensible, il le savait maltraité par son père et était impuissant face à ça puisqu'il était à Poudlard, loin de lui. Il avait envie de le sortir de là. A présent, son obsession allait au-delà de l'imaginable. Ana avait vu dans ses yeux, plus encore que par ses paroles, qu'il n'y avait plus que Severus qui existait désormais pour lui. Son regard était éteint quand il l'avait regardée, pointu quand il avait regardé Lucius et qu'il avait surpris le temps d'un geste la relation qui les unissait lui et Severus ; mais lorsque ses yeux se posaient sur son frère, ils s'allumaient et se mettaient à brûler d'un feu incandescent.

Lucius aussi l'avait remarqué, mais préférait se dire que ça lui passerait et qu'au bout de quelques temps, Julius reprendrait le cours de sa vie sans être obsédé à chaque seconde par son frère et qu'il l'aimerait d'une manière plus… convenable et surtout moins passionnelle.

« Nous y allons ? demanda-t-il. Severus, reviens sous le parapluie, tu vas être trempé. Julius, je te fais un peu de place ?

— C'est bon la pluie », assura Julius en offrant son visage à l'eau tombée du ciel. Lucius l'observa un instant et se dit que lui aussi sans doute aimerait recevoir cette offrande du ciel s'il avait passé autant de temps derrière des barreaux. On se satisfait de si peu de choses quand on a été privé de tout.

~oOo~

Une vapeur chaleureuse s'échappait de la tasse de thé. émerveillé, Julius regardait ce phénomène se produire. De temps en temps, il relevait les yeux pour les poser, ravis, sur Severus assis à côté de lui.

Lucius, se trouvant à côté de la porte, tendit la main vers la poignée après avoir entendu frapper.

« Professeur Chugern, salua-t-il.

— Bonjour Lucius, répondit-elle. Tu l'as vu ? » ajouta-t-elle à voix basse. Lucius lui répondit par un geste discret de la main : il lui montra l'endroit où étaient attablés les deux frères.

« Ana a préféré partir. Elle était trop démoralisée, murmura-t-il.

— Il a pourtant l'air en forme, jugea Agatha.

— Je pense que vous trouverez par vous-même la raison de sa déprime. Allez-le voir. »

Agatha se dirigea vers l'ancien prisonnier.

« Bonjour Professeur, les cours se sont bien passés ? demanda Severus.

— Oui, très bien – tu sais, tu peux m'appeler Agatha maintenant, c'est d'ailleurs valable pour Lucius aussi. Si tu as besoin que je te remplace aussi au cours de la semaine prochaine, je le ferai avec grand plaisir.

— Vous me remplacez cet après-midi ?

— Bien sûr, comme prévu ! » s'exclama Agatha. Elle se tourna vers l'autre Rogue. « Bonjour Julius, cela me fait plaisir de te revoir. »

Julius, rasé et les cheveux fraîchement coupés, leva des yeux interrogatifs sur son ancien professeur. Il la regarda longuement, Agatha se sentait plus mal à l'aise à chaque seconde de silence qui s'écoulait et commençait à entrevoir la raison du départ d'Ana.

Severus attendait avant d'intervenir, il espérait que Julius n'aurait pas besoin de son aide pour la reconnaître. De plus, il craignait que même en lui disant qui elle était, cela ne dise rien à son frère.

« Vous m'avez donné la permission de sortie ! C'est vous qui m'avez donné la permission de sortie pour que je puisse passer mon permis de transplanage, dit finalement Julius.

— C'est exact. Julius, te souviens-tu de mon nom ? demanda Agatha, les sourcils froncés.

— Non. En toute franchise, non.

— Je m'appelle Agatha Chugern. J'ai été ton professeur de potion et la directrice de la maison Serpentard pendant tout le temps où tu as été à Poudlard. Te souviens-tu de Poudlard ?

— Oui… c'est les murs », fit Julius. Agatha fronça les sourcils, Severus la pria d'un mouvement de tête de ne pas continuer. « Je ne me souviens de rien… à part Trésor et ce qui touche à lui », dit Julius en prenant amoureusement la main de son frère.

Lucius fit la grimace.