Mon père, ce…

Par Maria Ferrari

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Les personnages et l'univers de Harry Potter appartiennent à J.K. Rowling.

Base : Tomes 1 à 4 de Harry Potter

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—Chapitre 16 – Jalousie—

« Filou », prononça Lucius sentencieusement.

Ici, aucun tableau pour acquiescer, le mur nu se déplace sans un bruit. L'humidité et la sobriété laissent ensuite place au luxe et au confort de la salle commune des Serpentard.

Lucius n'avait aucun doute concernant l'identité de l'inventeur du mot de passe annuel : Drago avait trouvé le moyen de mettre le nom de son fichu chat pour garder la maisonnée. Ceci rappela à Lucius que le précieux animal filial avait décidé dernièrement que le canapé en cuir était nettement plus agréable que son "arbre" pour se faire les griffes. Il avait de la chance d'avoir une bonne tête, sans ça il se serait déjà pris son pied quelque part.

Il pénétra dans la salle commune enterrée des Serpentard et la parcourut du regard. Ne trouvant son fils en ce lieu et nullement incommodé par les regards inquisiteurs des élèves intrigués de voir un adulte dans leur antre – surtout que celui-ci ne faisait même pas partie du corps enseignant –, il poursuivit son chemin tranquillement et descendit l'escalier menant au dortoir des garçons.

Il y trouva son fils. Drago était seul, enfoncé dans ses oreillers – il avait toujours aimé en avoir quelques-uns dans son lit, formant presque un cocon autour de lui. Il avait les genoux pliés, un livre ouvert appuyé sur eux. Son nez et ses sourcils étaient froncés, il essayait visiblement de comprendre ce qu'il lisait et y parvenait à grand-peine.

Lucius observa son fils. Celui-ci eut pendant une seconde un œil plus grand que l'autre, il fit ensuite une moue désabusée avant de secouer négativement la tête en allongeant ses jambes et en refermant le livre d'un claquement sec. Les yeux clos, la tête renversée au-dessus des oreillers, il poussa un profond soupir.

« Bonjour », le salua son père, choisissant cet instant pour faire connaître sa présence. Drago sursauta, son livre d'arithmancie en profita pour se dérober et choir sur le sol.

« Papa ?… Que fais-tu là ?

— Severus m'a donné le mot de passe. Je voulais te parler.

— De quoi ? » demanda Drago, mal à l'aise. Son père aurait-il eu connaissance du rendez-vous galant dont il avait convenu avec Potter durant l'après-midi ? Il ne pouvait voir cela d'un bon œil ; il n'avait jamais pu supporter le Gryffondor.

Il en était de même pour Drago du reste ; il se demandait bien ce qu'il lui avait pris d'accepter ce rendez-vous.

« Tu es au courant que le frère de Severus a été libéré il y a une semaine ?

— Oui ! Je l'ai même vu ! » s'exclama Drago, soulagé que son père ne soit pas en courant pour Potter – car s'il l'avait été, il aurait commencé par lui parler de ça –, et excité qu'il aborde le sujet. Julius Rogue avait animé les conversations durant toute la semaine ; les élèves avaient retrouvé des vieilles coupures de journaux relatant l'affaire qui l'avait mené en prison.

Soudainement, Severus Rogue était devenu beaucoup plus populaire. La nouvelle des maltraitances qu'il avait subies s'était répandue. Elle avait pour origine le professeur Chourave qui avait déclaré devant une classe qui parlaient un peu trop bruyamment du sujet en vogue que Julius – qui avait été un de ses élèves favoris – n'avait fait que sauver son frère des sales pattes de celui qui le battait.

A présent, tout le monde plaignait le pauvre Professeur Rogue, les filles le regardaient d'un air apitoyé et maternel – même celles de onze ans ! – et de nombreux Gryffondor lui pardonnaient sa partialité chronique, acceptant de bon cœur les points enlevés de façon juste ou injuste. Il avait tellement souffert !

Severus se serait aisément passé de cette soudaine popularité. Ce n'était même plus drôle d'ôter des points aux Gryffondor dans ces conditions ! Et puis, cela attirait l'attention sur lui… et sur Lucius. Les élèves cherchaient tous à approcher Celui-qui-a-tué-son-père comme ils se plaisaient à le nommer – Severus trouvait ce surnom douteux. Comme Julius passait la quasi-totalité de son temps près de son frère – il était venu à plusieurs reprises durant la semaine dans son cachot, ne supportant pas de ne pas être avec lui alors qu'une vingtaine d'élèves en avait le droit –, et que son amant était souvent avec lui, les élèves, qui jusque-là n'avaient pas accordé d'attention à la présence de plus en plus régulière de Lucius Malefoy sous leur toit, allaient finir par suspecter quelque chose.

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Drago avait la plus grande peine à cacher son excitation. Un sourire avide recourbait ses lèvres et ses yeux brillaient. Enfin le fait que son père soit l'amant de son professeur allait lui servir à quelque chose ! Il allait avoir la primeur d'informations sur le ténébreux et silencieux Julius qu'il distillerait au compte-gouttes devant ses condisciples l'écoutant l'oreille tendue et les yeux écarquillés.

« Julius aime beaucoup son frère, dit Lucius.

— Beaucoup ?

— Trop », ajouta Lucius. Drago s'aperçut alors que son père tentait de cacher son agacement, ou plutôt, son exaspération. « Il est très possessif. »

Drago s'agita sur son lit, les sourcils baissés, à nouveau mal à l'aise.

« Pourquoi me parles-tu de ça ? demanda-t-il.

— Parce que j'ai besoin d'en parler à quelqu'un. Je ne sais pas comment Severus peut supporter cela. Je crois que retrouver son frère lui a fait tellement plaisir qu'il ne se rend pas vraiment compte de ce qui se passe.

— Julius Rogue était dans son cachot quand on a fait cours. Il ne lâchait pas le professeur des yeux, dit Drago, apportant de l'eau au moulin de son père. Il aime beaucoup son frère. Il ne l'a pas vu pendant des années. Ça a dû être très pénible.

— Ce n'est pas son emprisonnement qui lui a fait le plus mal, c'est qu'on lui "vole" son frère – je te cite ses propres termes.

— Il a été heureux de le retrouver, ça lui passera quand il aura compris que personne ne va venir lui voler une nouvelle fois. »

Lucius regarda son fils dans les yeux, profondément.

« Hélas, je ne crois pas que cela fonctionne ainsi. Je n'ai pas utilisé le bon terme tout à l'heure, Julius n'est pas possessif, il est obsédé par son frère. Et ça ne date pas d'hier ! Julius a toujours eu des dons télépathiques impressionnants, mais ses dons paraissent exacerbés dès qu'il s'agit de Severus. Il ressent ce qui lui arrive au moment où ça lui arrive. Si Severus a mal, Julius sait exactement à quel endroit. »

D'un point de vue commérage, Drago trouvait cette information extrêmement intéressante.

« ça te pose problème ?

— ça ? Non. Il y a deux choses qui me posent problème : la première, Julius ne supporte pas d'être loin de son frère – je n'ai plus d'intimité avec Severus depuis qu'il est là –, la seconde, j'ai la très nette impression que Julius me considère comme un "voleur" potentiel.

— Il a peur que tu éloignes le Professeur Rogue de lui ? »

Lucius hocha la tête gravement.

« Tu verrais la façon dont il me regarde. Cela fait froid dans le dos. »

Drago commençait à regretter que son père soit venu se confier à lui. Il était toujours heureux qu'il lui témoigne de la confiance, ou d'entrer dans ses secrets. Cependant, là, il s'agissait de sa vie intime et d'un problème qu'il ne pouvait pas aider à résoudre.

« Enfin ! Ce n'est pas très grave ! reprit son père d'un ton moins morose. Je t'ai vu faire tout à l'heure. L'arithmancie n'a toujours pas l'air d'être ton fort. J'en ai parlé à Severus, il a l'air de s'y entendre dans cette matière, je crois qu'il serait d'accord pour t'aider, qu'en dis-tu ? »

Drago songea à son professeur d'arithmancie qui essayait vainement depuis déjà cinq ans de lui enseigner cette matière et perdait courage depuis quelques mois, à Pansy qui l'avait aidé un temps mais avait laissé tomber, à Syela, la petite troisième année, qui faisait ses exercices et tentait à chaque fois de lui expliquer pourquoi et comment elle était arrivée à ce résultat, à qui il avait réussi à faire croire qu'il ne faisait pas lui-même ses devoirs simplement par paresse et manque de temps – et puis, il fallait qu'il s'entraîne au Quidditch – et qu'il écoutait en faisant semblant de comprendre alors qu'en lui-même, plus elle parlait, plus il se sentait stupide.

Cela dit, il était à peu près certain qu'elle faisait semblant de le croire quand il prétendait être bon en arithmancie. Une jeune fille pleine de tact, c'était déroutant, il n'y était pas habitué avec Pansy.

« Pourquoi pas ? répondit Drago, se disant que Rogue – qui était un génie – réussirait sans doute là où beaucoup avait échoué.

— Bien. Je lui dirai », dit Lucius. Il pensa immédiatement après à ce que signifiait ce qu'il venait de faire. Les moments intimes partagés avec Severus avaient été totalement inexistants cette semaine. Le fait que Severus donne des cours particuliers à son fils n'allaient-ils pas encore aggraver la situation ?

Cela dit, ça ne pouvait pas être pire. Julius était quasiment vingt quatre heures sur vingt quatre avec Severus… En fait, ça ne changeait absolument rien.

~oOo~

Drago passa une dernière fois le peigne dans ses cheveux, exposa son visage au ras du miroir afin d'examiner si aucune imperfection ne troublait son teint de porcelaine – il eut un sourire amusé à l'évocation de "l'insulte" de Potter. Il posa un doigt délicat sur son serpent d'argent et d'émeraude, rajustant sa position, et s'éloigna du miroir afin de profiter d'une vue d'ensemble.

Une moue satisfaite s'installa sur ses lèvres.

Il se mit sur la pointe des pieds afin de s'assurer que sa tenue était impeccable jusqu'à ses chaussures et la façon dont son pantalon tombait dessus. Après s'être toisé d'un œil parfaitement neutre, il décida que tout était parfait et qu'il ne pouvait donc faire mieux.

Quelle heure était-il ? Il regarda sa montre. Quinze heures trente. En partant maintenant et en marchant tranquillement, il devrait arriver avec dix bonnes minutes de retard… exactement ce qu'il souhaitait. Son père lui avait toujours dit qu'il ne fallait surtout pas mettre en pratique la phrase "La ponctualité est la politesse des rois" ; bien au contraire, selon Lucius Malefoy, il fallait se faire désirer.

A plus forte raison s'il s'agissait d'un rendez-vous galant.

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Harry, de peur d'arriver en retard – mais ne souhaitant pas arriver en avance –, s'était posté dès quinze heures trente à proximité du Noble Renard. Il faisait semblant de regarder les vêtements exposés dans une vitrine en écoutant distraitement Ron lui reprocher pour la centième fois ce rendez-vous qui était contre toutes les règles déontologiques, morales, éthiques, etc… Son discours pouvait se résumer ainsi : Un Gryffondor avec un Serpentard ? Malefoy en plus ? Il était tombé sur la tête ou quoi ?

« Harry, il faut que tu reprennes tes esprits. Ce que tu vas faire est… » Aucun mot suffisamment fort ne venant à l'esprit de Ron pour qualifier le fait de sortir avec un individu tel que Drago Malefoy, Serpentard de son état, et langue de vipère de surcroit, il préféra écourter sa phrase et enchaîner : « Tu peux encore reculer ! Pose-lui un lapin ! En plus, ça lui fichera la honte ! C'est pas une bonne idée, ça ? » proposa-t-il de façon réjouie.

Harry tourna un regard légèrement blessé vers son ami.

« Il est hors de question que je lui mette la honte… plus maintenant en tout cas.

— Alors ? Le Don Juan n'a pas changé d'avis ? » demanda Hermione en arrivant près d'eux. Elle tenait un flacon d'encre d'une main, un rouleau de parchemin neuf de l'autre. Ron avait toujours été atterré de constater la consommation d'encre et de parchemin qu'elle pouvait faire ; pourquoi ne pouvait-elle se contenter de rendre des devoirs d'une taille normale comme le faisaient tous les autres élèves, lui le premier ? Mais sa préoccupation du moment était loin de la qualité des devoirs que son amie rendait mais plutôt l'absence totale de qualités du prétendant de son autre ami.

« Non », répondit-il d'un ton résigné. Il ne savait plus quoi faire pour empêcher Harry d'aller plus loin dans cette histoire.

« Ron, tu dramatises. Ça peut faire un joli couple. »

Il tourna un visage scandalisé vers la jeune fille. Un joli couple ?

« Bon, j'ai compris : tout le monde est tombé sur la tête, il n'y a que moi qui sois lucide aujourd'hui. Harry, s'il te reste un semblant d'intelligence, tu nous rejoindras aux Trois Balais.

— Ron ! appela Harry comme celui-ci s'apprêtait à s'éloigner. Tu resteras mon ami même si…

— Tu sais bien que oui ! » assura Ron en levant les yeux au ciel. Comment Harry osait-il poser cette question ? « Tu viens Hermione ?

— Je te rejoins, répondit la jeune fille. Alors, reprit-elle à l'adresse d'Harry, tu n'as pas trop le trac ?

— J'ai peur qu'il ne vienne pas… En même temps, j'ai encore plus la trouille qu'il vienne. C'est bête, hein ? Qu'est-ce que je vais lui raconter ? »

L'adolescente haussa les épaules pour toute réponse.

« J'espère que tu l'as écouté quand il t'a dit de venir les poches pleines d'or. Tu verrais le prix d'un simple thé ! » s'exclama-t-elle en s'approchant des tarifs. Elle pouffa de rire et tourna un regard taquin vers lui. « Tu prends des risques en voulant te mettre avec Malefoy. C'est un enfant qui a été pourri gâté par son pôpa et sa môman. Il a des goûts de luxe et est habitué à ce qu'on cède à tous ses caprices. Tu vas souffrir mon pauvre Harry… et je ne parle même pas de ton coffre à Gringotts !

— Tu sais que tes arguments sont beaucoup plus dissuasifs que ceux de Ron ?

— J'imagine. Ron ne sait que répéter « Mais c'est impossible ! » dès que quelque chose va de travers dans son petit univers ; il ne faut pas t'en inquiéter, il ne fait pas ça parce que tu es homo, mais juste parce que le blondinet après qui tu soupires lui a toujours porté sur les nerfs. Sérieusement, si tu es attiré par Drago, il faut foncer ; si tu renonces avant même de tenter quoique ce soit avec lui, tu risques de le regretter toute ta vie en te disant « Est-ce que je ne suis pas passé à côté du grand amour ? » En plus, je suis sûre que Drago est quelqu'un de très sympathique quand on le connaît… peut-être même est-il affectueux. »

Harry lui sourit ; il n'était pas convaincu que son amie soit parfaitement honnête en lui disant cela, mais il lui était reconnaissant de ses encouragements.

« Il va bientôt être seize heures. J'y vais. Souhaite-moi bonne chance.

— Merde.

— Pardon ?

Bonne chance », traduisit Hermione en levant les yeux au ciel. Fallait-il qu'Harry ait été coupé du monde chez les Dursley pour ne pas connaître cet encouragement typiquement Moldu. Sur ce, elle tourna les talons et partit rejoindre Ron aux Trois Balais ; il devait commencer à s'impatienter.

~oOo~

Harry s'installa à une table. Un serveur trentenaire très élégant – plus qu'il ne le serait jamais – s'avança d'un pas feutré vers lui.

« J'attends quelqu'un. Il ne va pas tarder », expliqua Harry d'un ton un peu trop ému pour le congédier.

L'attente commença. Harry se sentait désespérément seul et déplacé dans ce salon de thé. Une question le hantait : viendra, viendra pas ?

~oOo~

Seize heures dix. Pile ce qu'il avait prévu. Juste assez de retard mais pas trop.

Drago repéra Harry dès son entrée et avança d'un pas nonchalant et sûr de lui jusqu'à la table occupée par le jeune homme qui, venant de décider que Malefoy ne viendrait pas, se voyait contredit et ne savait pas s'il devait en être soulagé ou terrorisé.

Harry hésita : devait-il se lever ou pas ? Et s'il se levait, devait-il lui tirer sa chaise ? Ou l'aider à retirer sa cape ? Tout à sa réflexion, Harry se leva alors que Drago finissait de s'installer. Il se rassit aussitôt, rouge de confusion, et se traita intérieurement de tous les noms.

« Bonjour », fit Drago en posant un coude sur la table et en lui destinant un sourire aguicheur.

Bonjour… il aurait dû être le premier à dire bonjour !

Crétin ! Crétin ! Crétin !

« Bonjour », répondit-il avec un temps de retard. Drago secoua la tête, amusé et moqueur.

« On commande ? proposa-t-il.

— Heu… oui, répondit Harry avant de lever un doigt et de dire « Serveur ? » d'une voix si basse et mal assurée que Drago se mordit l'intérieur des joues pour ne pas éclater de rire.

— Mademoiselle ! » appela Drago d'une voix claire et décidée. Une jeune fille de vingt ans aussi élégante que son collègue s'avança vers eux ; Harry observa alors la façon dont était vêtu Drago, le trouva très à son avantage et regretta de ne pas s'être mis lui aussi sur son trente-et-un.

Il aurait peut-être dû écouter Ron.

~oOo~

ça aurait pu être pire.

Oui, il aurait pu se faire une tâche, se lever brusquement, s'accrocher dans un pied de table et se fracasser sur le sol en emportant avec lui la nappe et tout ce qu'il y avait dessus. Il aurait aussi pu bafouiller encore plus, ou se mettre à bégayer, et plein d'autres choses encore plus honteuses.

Vu sous cet angle-là, le rendez-vous ne s'était pas si mal passé.

Et puis, après cinq bonnes minutes de silence entrecoupé de tentatives d'amorces de conversation sur la météo, Drago avait pris les choses et la discussion en main – peut-être par pitié, mais peu importait –, Harry avait alors commencé à se détendre ; quand ils s'étaient quittés, il était même parfaitement à l'aise et connaissait un peu mieux le jeune homme blond.

Il avait été tenté de l'embrasser… et l'avait fait ! Le Serpentard lui en avait laissé l'occasion : ils marchaient tous les deux, Drago s'était arrêté, avait jeté un coup d'œil aux alentours – il n'y avait personne – et avait dit qu'il avait quelques courses à faire. Harry lui avait dit au revoir ; à sa surprise, Drago n'avait pas bougé. Le Gryffondor avait vite compris qu'il attendait de voir s'il oserait l'embrasser.

Il avait osé.

Certes, ce n'était pas un vrai baiser… en fait, il l'avait embrassé à moitié sur les lèvres et à moitié sur la joue (ne sachant pas ce qui était le mieux pour dire au revoir à un garçon de la haute lors d'un premier rendez-vous). Drago avait ri de sa gaucherie, ceci étant, ça n'avait pas eu l'air de lui déplaire ; et ce rire avait sonné plutôt agréablement aux oreilles d'Harry.

Réflexion faite, ce rendez-vous s'était très bien passé.

~oOo~

Il n'aurait jamais cru penser ça un jour mais… Potter était émouvant ; c'était amusant de le voir bredouiller des phrases incompréhensibles le nez dans son thé. Drago avait bien fait de jouer à domicile, sur son terrain, et d'obliger Potter à s'aventurer en territoire inconnu ; cela lui avait donné un avantage certain. Et la tête de Potter quand il avait regardé l'addition ! Certes, après l'instant de stupéfaction causé par l'émoi de voir le prix que coûtaient deux thés parfumés et une assiette de petits gâteaux, il avait allongé l'or sans sourciller ; pour ça, rien à redire.

Qu'est-ce qu'il avait bien pu penser de l'endroit ? C'était le plus chic de tout Pré-au-Lard ; cependant, il ne faisait pas très "jeune". Sans compter que prendre un thé en mangeant des gâteaux correspondrait plus à McGonagall qu'à un élève à la pointe de la mode, mais il adorait le thé et les petits gâteaux… de plus, allez savoir s'il n'était pas au contraire en avance sur son temps ?

De toute façon, il fallait bien le dire, l'avantage d'avoir choisi ce lieu était qu'aucun élève n'avait pu être témoin de la scène. Cela, c'était vital. S'il entretenait une relation durable avec Potter – ne croyez pas que ça soit du domaine du probable, il faut tout prévoir, même l'impossible ! –, cela se saurait et il ferait avec. En attendant, il préférait que cela reste le plus secret possible.

Après tout, il n'avait fait ça que pour embêter Weasley !

Le baiser avait été agréable tout de même. Puis, il était mignon : moitié sur la joue, moitié sur les lèvres. Hésitant et conquérant. Chaste et intime.

Il accorderait un deuxième rendez-vous à Potter.

~oOo~

« Drago, suis un peu. Ce que tu as écrit n'a aucune logique, relis l'énoncé, et rappelle-toi ce que je t'ai répété au moins cinq fois depuis un quart d'heure. »

Il n'aurait jamais dû accéder à la requête de Lucius, ou alors pas sans un quelconque dédommagement. Faire rentrer quelques bases d'arithmancie dans la tête du fils de son amant lui paraissait plus difficile que de survivre à une chute de trois cent mètres. Cela dit, il aurait dû s'en douter : quand Lucius lui avait demandé de lui rafraîchir la mémoire sur l'arithmancie – afin, avait-il dit, de faire passer l'information à Drago –, ses yeux s'étaient écarquillés dès les premières phrases du professeur de potion.

Severus comprenait mieux pourquoi Lucius avait été impressionné lors de sa première année quand il avait résolu son exercice à sa place ; l'arithmancie ne devait manifestement pas être son point fort. Il voulait que son fils ait des bonnes notes, mais Severus n'était plus très sûr que Lucius lui-même ait eu d'excellents résultats dans cette matière.

Les Malefoy, père et fils, était apparemment aussi doués l'un que l'autre. Un vrai don se perpétuant de père en fils !

Inutile d'en parler à Lucius ou de le questionner sur ses résultats en arithmancie, il se vexerait et le bouderait.

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Severus entendit ricaner derrière lui. Cela avait été une mauvaise idée de s'installer dans la grande salle ; mais entre Julius qui ne voulait pas le quitter une seconde, Lucius qui occupait une place invraisemblable à lui tout seul – s'abandonnant sensuellement et innocemment sur toute assise moelleuse passant à sa portée –, et Drago – digne portrait de son père – qui ne paraissait pas connaître une autre manière de s'asseoir, ses appartements étaient vite devenus très confinés.

Il jeta un œil en direction du ricanement.

Black.

Encore et toujours lui.

Severus se mit à ricaner lui aussi – intérieurement toutefois – en songeant aux paroles de Remus. A tous les coups, Black cherchait juste à attirer l'attention de la personne pour qui il souffrait d'un amour secret et impossible – c'est-à-dire lui-même, Severus Rogue, Maître es Potions –, et ceci de la façon la plus maladroite qui soit : en se moquant de lui. Technique digne d'un adolescent attardé et Gryffondor… donc, doublement attardé.

Gryffondor et attardé, pas de doute, cela correspondait bien à Black. Quant au reste, il serait temps qu'il cesse d'être un adolescent et se mette enfin à grandir !

Il était fatigant à la longue.

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Il n'y avait pas que Severus à avoir tourné son regard noir vers Sirius ; Julius le couvait d'un œil mauvais. Black ne s'en était pas rendu compte ; et même si cela avait été le cas, il n'aurait pu savoir ce qui passait dans la tête du grand frère : le télépathe analysait consciencieusement celui qui avait paru se moquer de son Trésor. Bien sûr, il ne pouvait voir tout en détail, il avait un don, certes, mais il était bien incapable de dire les choses précisément ; les gens eux-mêmes, bien souvent, ne sont pas capables de se décrire correctement.

Cependant, il voyait les éléments "forts" : la personnalité, les sentiments… et ce qu'il voyait dans le cas présent lui déplaisait profondément.

Il devait déjà supporter un blond aux longs cheveux qui n'avait de cesse de vouloir lui voler son frère ; et ce brun, là, cet homme aux yeux bleus que certains – en tout cas certaines – devaient trouver beau, avaient l'horrible prétention de désirer son Bébé ! Oui, il le désirait, il ne l'aimait même pas comme le faisait le blond ; non, c'était juste du désir, de l'abominable désir, pas un gramme d'amour comme ressentait le blond, non, juste une envie.

C'était pire que tout.

C'était plus qu'il n'en pouvait supporter.

Cependant, il devait rester calme, il ne devait pas se montrer violent, son Trésor serait triste s'il le faisait. Il revint fixer ses yeux obscurs sur la table, se concentrer sur les voix de son frère et de "Junior". Il était bien Junior, il ressentait un peu d'affection et une saine admiration pour Severus ; c'était bien, c'était très bien.

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« Les Malefoy ! ça veut imposer le respect, et c'est incapable d'additionner deux et deux », attaqua Sirius, constatant que son ricanement n'avait pas eu l'effet escompté.

Severus posa une main apaisante sur l'épaule de son "beau-fils" et lui fit signe de ne pas réagir, que ça ne valait pas le coup. Drago serra les lèvres, ces exercices auxquels il ne comprenait rien étaient déjà très déplaisants en soi, ce n'était aucunement la peine d'en rajouter en cherchant à le rabaisser.

Julius, lui, commençait à être plus qu'incommodé par le brun. Cela ne lui suffisait donc pas de brandir son désir à moins d'un mètre d'eux ? Il tenait en plus à être désagréable ?

« Pourquoi ne laisses-tu pas tomber la carrière d'enseignant, Rogue ? Tu ne t'es toujours pas rendu compte de ton incapacité à leur inculquer quoi que ce soit ? Tu es aussi bon pédagogue que je suis Mangemort. En plus, en ce moment, tes élèves t'aiment bien – penses-tu, le pauvre petit enfant maltraité ! –, mais ça passera vite, et tu redeviendras le prof détesté – car détestable – de tous les élèves, hormis évidemment les Serpentard que tu achètes à grands coups de points ajoutés ; il va sans dire que même les élèves de ta propre maison te détesteraient s'ils n'étaient pas corrompus. Cela dit, Serpentard corrompu… c'est un pléonasme ! »

Un intense sentiment d'autosatisfaction s'empara de Black. Il était très content de sa tirade qu'il trouvait très bien tournée. Il n'avait jusqu'ici pas eu l'occasion de se venger de ce que Rogue avait dit sur les Maraudeurs, c'était maintenant chose faite.

Severus, fort de la certitude que Black parlait dans l'unique but de le faire réagir – et qu'il ne lui ferait pas ce plaisir –, s'était fermement intimé l'ordre de ne pas lui répondre.

Drago rongeait son frein. Il commençait à avoir de la peine à retenir des larmes de rage : l'arithmancie, les moqueries, les insultes envers son professeur, et à présent envers lui et ses condisciples. Comment Rogue voulait-il qu'il garde son calme dans ces conditions ?

Julius était abasourdi.

"Pauvre petit enfant maltraité"

Il avait dit ça… à son frère… sur un ton ironique et méprisant.

N'y tenant plus, il se leva d'un bond, agrippa Sirius par le col et l'envoya violemment contre le mur.

« Julius, arrête ! cria Severus. Il n'en vaut pas la peine ! »

Mais Julius n'entendait pas, il tenait toujours Sirius par le col et le fixait d'un regard meurtrier.

« Jamais ! Tu entends ? Jamais tu ne dis du mal de Severus. Severus est cent fois mieux que toi. Tu n'es qu'une merde comparée à lui. D'ailleurs, tu n'es qu'une merde. Et ce que tu penses de lui, attention, j'ai bien dit ce que tu penses de lui… tu oublies ! Tu oublies ! Severus, ce n'est pas pour toi. C'est trop beau, trop bien pour toi. Alors, tu oublies. »

Severus réalisa à cet instant que Remus lui avait dit l'exacte vérité : Sirius était amoureux de lui – ou quelque chose d'approchant – et Julius l'avait ressenti au plus profond de son être.

« Laisse tomber. C'est un moins que rien. Il y a belle lurette que je ne me préoccupe plus de lui et de ce qu'il raconte », mentit Severus dans l'espoir de calmer son frère.

Sirius ne revenait pas des propos qu'avait tenus Julius.

« Je peux savoir de quoi tu parles au juste ? Rogue ? Trop bien pour moi ? Et puis quoi encore ? D'ailleurs, qu'est-ce qui te fait croire que je pourrais le voir autrement que comme un sale cafard servile et pleurnichard aux cheveux graisseux ! »

Le poing de Julius partit ; le nez de Sirius éclata.

Après une grimace devant la gerbe de sang, Drago s'autorisa un sourire goguenard et satisfait. Bien fait pour lui !

Severus, de son côté, ne voyait que la moitié vide du verre et commençait à paniquer.

« Julius, tu vas t'attirer des ennuis. Arrête ! »

Sans se préoccuper du sang qui dégoulinait de son nez, Sirius sortit prestement sa baguette. Julius, lui, n'en avait plus depuis sa condamnation et n'avait pas eu le droit d'en racheter une autre. Il eut simplement l'air étonné quand Sirius pointa son "arme" sur lui.

« Valdingus ! » rugit Black. Julius fut projeté en l'air, fit quelques pirouettes et alla frapper le mur du fond.

« Julius ! »

Severus hésita entre venger son frère ou aller voir comment il se portait. Drago l'aida à choisir en brandissant à son tour sa baguette d'un air déterminé et vindicatif. Puisqu'il s'en chargeait… Severus se précipita vers Julius.

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« Boccaclos ! » cria Drago. Les lèvres de Sirius parurent fondre et se mêler ; bientôt, sa bouche fut hermétiquement fermée. « Tetaclak ! » ajouta le blond, profitant de son avantage ; Sirius ne pouvait parler et ne pouvait donc annuler le sort qu'il lui avait lancé. Le pauvre se mit à se gifler frénétiquement des deux mains sans rien pouvoir faire pour s'en empêcher ; le ridicule de cette situation était plus rude à endurer que la douleur. Les deux frères Rogue se rapprochèrent pour profiter du spectacle ; Severus avait remis sur pied Julius en l'espace de trois formules, il ne portait plus aucune trace de sa rencontre brutale avec le mur.

« Voilà qui lui convient parfaitement, apprécia le maître des potions avec un sourire satisfait.

— Pas mal ce sort, n'est-ce pas ? C'est mon père qui me l'a appris, expliqua fièrement Drago.

— Qu'est-ce qui se passe ici ? » demanda Remus en entrant dans la grande salle. Il avait été attiré par le tumulte et était accouru pour prévenir – ou interrompre – ce qu'il croyait être une bagarre entre élèves. « Sirius ! Qu'est-ce que tu… qu'est-ce qu'ils t'ont… Finite Incantatem ! » cria-t-il finalement en sortant sa baguette. Sirius arrêta de se frapper et ses lèvres se décollèrent.

« Merci. »

Sirius était soulagé et empli de gratitude à l'égard de son ami, puis la gratitude fit place au désir de vengeance après l'affront subi et il se tourna vers les trois compères qui lui avaient infligé cette humiliation.

Remus regarda chacune des personnes présentes : Malefoy ne portait pas trace d'une seule égratignure, Rogue non plus, son frère non plus. Sirius, quant à lui, avait le nez cassé et du sang sur le visage. De là à en conclure qu'ils étaient à trois contre un et que Sirius n'avait agressé personne, il n'y avait qu'un pas… sans compter qu'il pouvait témoigner que son ami avait été victime de deux sorts… au moins !

L'amour qui couvait en Remus ne pouvait tolérer ça. Julius regarda le lycanthrope, les sourcils haussés par l'incompréhension ; ce type ressentait de l'amour pour ça ?

« Pourquoi l'avez-vous attaqué ? » demanda Lupin, tentant de préserver son calme. Il était très rarement agressif, mais la situation telle qu'elle se présentait ne l'aidait en rien à conserver son sang froid.

« Ce moins que rien a insulté Bébé », répondit Julius, ce qui provoqua immédiatement le rire de Black. Le grand frère se rua aussitôt sur lui.

Mi-figue, mi-raisin, Drago regarda Sirius et Julius se battre comme des chiffonniers. Il se tourna vers Severus.

« Il faudra demander à votre frère de cesser de vous appeler… par ce genre de petits noms. Je veux dire : pour votre image, c'est mieux.

— Je sais, Drago. »

L'expression de Severus était neutre à présent. Il avait compris qu'il ne pourrait pas calmer son frère ; et comme Drago avait eu le réflexe de donner un coup de pied dans la baguette de Sirius pour que celui-ci ne puisse l'attraper – et ne l'ayant pas, il ne pouvait pas même la ramener d'un simple Accio –, il avait l'esprit tranquille quant à la fin de leur bagarre.

Remus, de son côté, ne paraissait pas vouloir se résoudre à les laisser se battre et il tentait de s'interposer entre les deux opposants qui se martelaient de coups de poing. Il abandonna vite cette stratégie infructueuse et sortit sa baguette.

« Separazione, dit-il. Separazione !, répéta-t-il. Separazione ! », éructa-t-il. Rien à faire. Il ne parvenait pas à lancer de sort de manière assez puissante pour les séparer : ils avaient trop envie de se cogner dessus.

En désespoir de cause, Remus se tourna vers Severus qui regardait le combat à peu près sereinement.

« ça t'amuse ? » demanda-t-il d'un ton mauvais.

Severus lâcha le combat des yeux pour les tourner vers Lupin.

« Qu'est-ce qui est censé m'amuser ? demanda-t-il d'un ton indifférent.

— De voir Sirius se faire taper dessus. Ton frère est un malade… un malade ! »

Severus se mordit la lèvre.

« Je te conseille de ne pas tenir de tels propos, murmura-t-il, la voix menaçante.

— Pourquoi ? C'est la stricte vérité. C'est un malade. Je ne sais pas comment il était avant Azkaban, mais c'est clair qu'à présent, il est complètement détraqué.

— Et ton amour de Sirius, Azkaban te l'a rendu comment ? Moi, personnellement, je n'ai vu aucune différence entre avant et après. C'est toujours le même gamin débile et inconscient.

— La ferme ! Je te défends de parler de lui ainsi !

— Et moi, je te défends d'insulter mon frère. »

Remus leva les yeux au ciel et secoua la tête. Severus était un être raisonnable d'ordinaire, il était mesquin, mauvais, sarcastique, aigri, mais il était raisonnable, comment ne pouvait-il pas se rendre compte de ce qui se passait ?

« Je ne fais que dire des vérités que tu refuses de regarder en face. Tu trouves ça normal qu'il t'appelle "Bébé" et qu'il te suive partout.

— Je… je lui ai manqué », assura Severus, un peu pris au dépourvu. Oui, c'est vrai que c'était étrange. Cependant, il lui avait terriblement manqué. C'était donc compréhensible.

« Ton frère est complètement et irrémédiablement cinglé. »

Remus vit surgir un bâton de bois juste sous ses yeux.

« Rageus », murmura Severus. Remus plaqua ses deux mains sur sa bouche. Il s'éloigna, gémissant. Des larmes perlèrent au coin de ses yeux.

« C'est un endoloris limité aux dents ? demanda Drago, souhaitant s'instruire.

— En quelque sorte », répondit froidement Rogue, deux yeux méprisants plantés sur Lupin.

Les effets du sortilège s'atténuèrent peu à peu. Remus sortit sa baguette et la pointa vers Severus, plus pour se défendre que pour attaquer ; Severus fit de même de son côté. Drago fit la moue, il pressentait que cette histoire n'allait pas tarder à devenir beaucoup moins amusante.