Mon père, ce…

Par Maria Ferrari

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Les personnages et l'univers de Harry Potter appartiennent à J.K. Rowling.

Base : Tomes 1 à 4 de Harry Potter

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—Chapitre 22 – Réception au Manoir (deuxième partie)—

Severus était assis sur un sofa, les coudes posés sur les genoux, les mains croisées, les yeux fixés au sol ; c'est dans cette attitude que Lucius le trouva en entrant.

« Severus, que se passe-t-il ? Pourquoi n'es-tu pas entré comme prévu ? lui demanda-t-il

— Je ne peux pas. Tout ce monde. J'ai… je… je ne peux pas.

— Ce n'est pas le moment de jouer les timides. Nous n'attendons plus que toi.

— J'aurais préféré quelque chose de plus intime. M'afficher devant toute cette foule…

— Je voulais que personne ne puisse plus jamais dire que nous nous cachions, que nous avions honte, c'est pour ça que j'ai tenu à agir ainsi. Si tu n'avais pas la même vision des choses, il fallait me le dire. C'est un peu tard pour changer d'avis maintenant, reprocha doucement Lucius.

— Pourtant, c'est ce que je fais. Il n'est pas question que j'entre.

— C'est une plaisanterie, j'espère ? demanda Lucius, estomaqué.

— Je plaisante très rarement, tu devrais le savoir. Va dire à Narcissa et à Ric que ce n'est pas la peine de nous attendre.

— Tu ne peux pas me faire ça !

— Au contraire, c'est la meilleure chose que je puisse faire pour toi. Il est encore temps de reculer, tu n'as pas encore dit mon nom, peu de gens sont au courant. »

Lucius blêmissait au fur et à mesure des paroles de son amant. Il détestait la tournure que prenait la situation et ce qu'impliquaient les propos de Severus.

« Qu'es-tu en train de me dire ? »

Sa voix était blanche. Son ventre lui faisait mal.

« Je suis en train de te dire que nous n'allons pas nous marier… et aussi que je veux que nous nous séparions. Voilà, c'est dit. »

Lucius se laissa tomber dans un fauteuil à cette terrible confirmation de ce qu'il avait cru deviner mais qu'il ne pouvait admettre. Severus se leva et lui tourna le dos, incapable de le regarder dans les yeux. Quelques minutes s'écoulèrent dans le silence.

« Comment peux-tu me faire un coup pareil ?

— Je suis désolé de te l'annoncer ainsi, j'ai conscience que ce n'est vraiment pas le bon moment…

— Je me fous du moment ! éclata Lucius en se dressant. Pour une fois, pour une fois que j'aime quelqu'un ! Je pourrais avoir n'importe qui ! Je pourrais mettre quatre vingt dix pour cent du globe hommes et femmes à mes pieds ! Et la seule personne au monde avec qui je me sentais bien, la seule personne dont j'étais amoureux ne veut plus de moi ?

— Il ne s'agit pas de ça », répondit Severus en lui faisant face, les yeux fuyants. Il se sentait tellement mal de ce qu'il avait fait, tellement mal de voir Lucius dans cet état-là, d'en être la cause.

« De quoi s'agit-il ? Dis-le-moi.

— Regarde-nous, Lucius. Tu ne crois pas qu'ils vont éclater de rire en nous voyant ensemble ?

— Tout le monde sait que je suis homosexuel. Pour la plupart des gens, ce n'est plus un problème aujourd'hui. Même mon grand-père a été capable de l'accepter.

— Je ne parle pas de ça. J'ai entendu le discours d'Esteban, votre divorce ressemble à une plaisanterie et notre mariage aura la même allure.

— J'ai laissé carte blanche à Esteban pour son texte sur le divorce, si j'en avais connu la teneur exacte, je lui aurais précisé de faire quelque chose de plus sobre. Par contre, je peux t'assurer que son texte pour notre mariage est parfaitement sérieux… c'est moi qui l'ai écrit.

— Cela n'est pas cela qui empêchera notre mariage de s'apparenter à une plaisanterie : regarde-nous, regarde-moi, tu as vu à quoi je ressemble ? Tu as vu à quoi tu ressembles ? Tu es beau, Lucius, désespérément beau ; moi, je suis laid, j'ai les cheveux gras et un nez qui me cache la moitié de la figure ! Que crois-tu que ces gens vont penser en nous voyant ? En voyant un couple aussi mal assorti ? Que crois-tu qu'ils vont penser de moi ce soir ? Que crois-tu qu'ils penseront à chaque fois qu'ils nous verront en couple ? Je vois déjà leurs sourires condescendants, j'entends ce qu'ils se diront quand ils seront rentrés chacun chez eux, j'entends leurs moqueries à mon sujet, leurs rires.

— Severus, tu n'es plus étudiant à Poudlard et le monde n'est pas rempli de Maraudeurs.

— Si, il l'est. Le monde est rempli de gens qui passent leur temps à juger, critiquer et se moquer des autres. J'en fais même partie à l'occasion. Plus par esprit de revanche que par goût, cela dit.

— Admettons qu'il le soit ! Qu'en avons-nous à faire de ce que les autres pensent ? Tu ne vas pas te complaire dans le malheur sous prétexte que les autres ont décidé que tu n'avais pas le droit d'être heureux.

— Il est facile pour toi de dire ce genre de choses. Tu es riche et beau, tu es la réussite incarnée. Tu peux te permettre d'effacer d'un revers de main les éventuelles moqueries dont tu pourrais faire l'objet. Moi…

— Severus, m'aimes-tu ? » interrompit Lucius en lui attrapant la manche. Severus le regarda dans les yeux, surpris.

« Bien sûr, qui ne t'aimerait pas à part un demeuré ?

— Le monde doit être peuplé de demeurés alors.

— C'est une certitude. Il n'y a qu'à voir les élèves que j'ai en potions. »

Ils eurent tous deux un sourire fugace, Severus fit même entendre un semblant de rire. Lucius lui posa les mains sur les épaules.

« Récapitulons, tu veux bien ? Tu m'aimes, je t'aime. Pourtant, tu veux que nous nous séparions car tu penses que les gens vont se moquer de toi si nous restons ensemble et que nous avouons notre relation, c'est bien cela ? »

Severus resta silencieux ; sa décision présentée ainsi, il se faisait l'effet d'être un lâche. Il préférait sa version qui consistait à s'effacer pour épargner à Lucius l'humiliation d'être marié avec lui, cela lui semblait plus glorieux.

« Donc, nous allons être condamnés à vivre seul chacun de notre côté, à souffrir d'être séparés juste à cause de cela, poursuivait Lucius. Severus, penses-tu sincèrement que la souffrance que tu ressentiras aux moqueries des crétins sera plus douloureuse que celle que tu ressentirais à vivre loin de moi, celle que tu ressentirais à me faire souffrir ? Si tu penses que oui, c'est que je t'ai surestimé et que nous n'avons plus rien à nous dire. Si tu penses que non, rejoins-moi devant Esteban et faisons ce que nous avons prévu de faire. »

Lucius ne laissa pas le temps à Severus de protester et tourna les talons.

~oOo~

« Revoilà ton père, Drago, s'exclama Pansy. Il est seul », ajouta-t-elle dans une grimace.

Drago se mordit la lèvre, ce n'était pas bon signe. Il vit son père glisser quelques mots à sa mère et à Ric. L'attente recommençait ; c'était toujours Rogue qu'on attendait. Drago, pourtant d'un naturel peu porté sur la superstition, se prit à croiser les doigts.

Severus entra alors, pâle et gauche – ce qui était quelque peu perturbant pour ses anciens élèves –, et s'installa aux côtés de Lucius. Le public, bruyant depuis l'entrée ratée de tout à l'heure, se tut soudainement. Les visages exprimaient à nouveau l'incompréhension la plus totale. Drago se sentit respirer.

Faisant fi de son étonnement et preuve d'esprit – une fois n'est pas coutume –, Crabbe, en écho de ses commentaires sur l'homosexualité de Lucius Malefoy et le fait que tout le monde le savait, se tourna vers Hermione : « Et ça, t'étais au courant aussi ? » La jeune fille ne put que secouer la tête négativement, incapable d'articuler un mot. Pansy eut un sourire – il lui était toujours distrayant de voir sa Miss Je-sais-tout préférée avec le sifflet coupé – et adressa un clin d'œil connivent à Drago.

De son côté, Harry n'en menait pas large. C'était Rogue l'amant de Lucius Malefoy ? Le professeur qui le détestait, lui, Harry Potter, par-dessus tout ? Voilà qui ne manquerait pas d'améliorer ses relations avec le père de Drago, pensait-il ironiquement. Pourquoi fallait-il toujours que son existence se détériore d'un côté quand elle s'améliorait de l'autre ? Ne pourrait-il au moins une fois dans sa vie pleinement profiter du bonheur qui lui était offert sans que des problèmes de toutes sortes ne viennent le contrecarrer ?

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Pansy approcha dangereusement sa bouche de l'oreille de Drago ; l'air qu'elle arborait ne lui disait rien qui vaille.

« Alors, Drago, pas trop déçu que ton père soit amoureux de Rogue… et non de son fils ? lui murmura-t-elle.

— Tu ne vas pas remettre ça ? s'enquit l'intéressé d'un air méchant.

— Je disais juste ça pour te taquiner. J'y pense : c'est pour ça que tu as si bien gardé ce secret, ton pôpa d'amour et ton professeur préféré ensemble ! Je comprends que tu n'aies pas eu envie que cela se sache. Cela a dû te faire beaucoup de peine. »

Drago fronça les sourcils. Où voulait-elle en venir ?

« Je ne vois pas pourquoi.

— C'est une double trahison ! Tu es amoureux des deux et ils sont… »

Pansy se prit le contenu du verre de Punch de Drago en pleine figure. Les récents diplômés éclatèrent tous de rire.

« Je vais aller me refaire une beauté ! » s'exclama la jeune fille d'un air radieux, avant de partir aux toilettes. Ce n'était pas la première fois que ce genre d'accidents lui arrivait, elle y était accoutumée et avait appris depuis longtemps à les prendre avec le sourire.

« Elle est toujours comme ça ? » demanda Ron. Il avait l'air de compatir sincèrement au sort de Drago. Il y avait de quoi !

« Quasiment tout le temps. On s'habitue à force.

— J'aimerais pas être à ta… »

Ron s'interrompit ; Emily était en train de tirailler sur la veste de Drago.

« Tu vas l'abîmer ! s'écria ce dernier, terrifié à l'idée qu'une tenue aussi seyante puisse devenir importable dès sa première utilisation.

— C'est ton père qui m'a envoyée te chercher. Il faut que tu viennes. »

Drago s'exécuta et rejoignit ses deux parents et leurs futurs époux. Les deux mariages eurent alors lieu, sobres et solennels. Le jeune homme signa sur les deux actes en tant que témoin de ses parents, fier qu'on ait pensé à lui pour ce rôle… et heureux que les regards soient braqués sur lui le temps des signatures.

Ces formalités accomplies, la fête et le buffet prirent leurs droits.

~oOo~

Les musiciens étaient en place et jouaient quelque air de salon au piano et violons pendant que les invités discutaient et mangeait, en attendant de devenir l'attraction de la soirée lorsque les gens en auraient terminé avec le repas et voudraient danser un peu.

Severus se trouvait en grande conversation avec une femme d'une quarantaine d'années ; Lucius et Ana y participaient.

« La thérapie se passe bien ? demandait-il.

— Très bien. Il n'est plus agressif et il a pleinement accepté votre relation avec Lucius », répondit la femme ; il s'agissait de la thérapeute de Julius. Elle croqua un toast avant de se tourner vers Ana. « Nous avons entamé la deuxième phase de la thérapie, nous tentons de faire remonter tous les souvenirs enfouis à la surface : il sait à présent qui vous êtes.

— C'est vrai ? » s'exclama Ana, ravie.

La psychomage comprit à son ton qu'elle lui apprenait cette nouvelle et qu'elle n'avait donc pas discuté avec Julius, sinon elle s'en serait rendu compte d'elle-même.

« Vous n'avez pas été le voir ?

— Pas encore. Je vous avoue que j'ai un peu peur.

— Julius ? Pouvez-vous venir ? demanda le docteur en allant près du buffet où le frère de Severus se servait copieusement. Voici Ana. Vous m'avez parlée d'elle. Vous vous rappelez ?

— Bien sûr. Bonjour Ana, comment vas-tu ? Tu sais… je suis désolé de mon attitude le jour de ma sortie de prison, mais je ne me souvenais vraiment pas de toi, non que ton souvenir n'était pas intéressant, mais les circonstances…

— Ce n'est rien, c'est compréhensible, je ne t'en veux pas.

— Merci. » Julius sourit, hésita et lui prit la main. Elle tourna un sourire triomphant vers Lucius qui lui répondit de la même façon, très satisfait de la tournure des événements. Il regarda ensuite son beau-frère et leurs regards se croisèrent ; une lueur jalouse passa immédiatement dans les yeux de Julius qui se reprit aussitôt en souriant amicalement.

Le soulagement que Lucius ressentait depuis les consentements s'évanouit. Il n'était pas dupe ; Julius donnait le change à tout le monde, et sans doute faisait-il de réels efforts, mais au fond de lui, il restait le Julius obsédé par son frère, le Julius qui avait tué pour son frère, celui qui n'avait pensé qu'à lui pendant près de trente années, celui qui détestait Lucius car il le lui avait soi-disant volé.

Lucius souhaita de tout cœur que l'union d'Ana et de Julius redevienne très vite solide, et aussi qu'ils fassent un enfant afin de faire vraiment passer Severus au second plan dans la tête de Julius et ainsi calmer le jeu définitivement.

-

Lucius n'était pas le seul à intercepter des lueurs mauvaises ; Harry en recevait émises par Gregory Goyle… cependant, lui n'en comprenait pas la raison.

« Hermione, est-ce que tu peux me confirmer que Goyle me regarde méchamment ?

— Oui, je te le confirme. C'est bizarre d'ailleurs. Vincent et Pansy sont sympas avec nous depuis que tu es avec Drago ; Goyle, c'est exactement l'inverse, je le trouve plus hostile que jamais.

— Peut-être qu'il n'aime pas les homosexuels ? proposa Ron.

— Non, il n'est pas comme ça avec Drago. »

Harry décida d'en avoir le cœur net ; il avait beau être habitué à ce qu'on lui soit hostile, il aimait toujours en comprendre la raison. Il s'avança vers Goyle, la main tendue, amical.

« Je ne t'ai pas dit bonjour.

— C'est fait, à présent va-t-en, répondit sèchement Goyle.

— Ecoute, tu es l'ami de Drago et moi je suis son petit ami, alors…

— Tu me nargues en plus ? La seule chose qui m'empêche de te mettre mon poing dans la figure, c'est que Drago m'en voudrait, mais si tu joues à ce genre de jeu, tu peux être sûr que…

— Du calme, Greg. Il ne pensait pas à mal, intervint Crabbe.

— Ouais, c'est ça ! »

Goyle partit à grands pas, très fâché. Harry comprenait de moins en moins.

« Faut l'excuser, il est pas dans son assiette en ce moment.

— Qu'est-ce qu'il a contre moi au juste ?

— Il en pince pour Drago. »

Harry resta silencieux quelques instants.

« Lui ? s'exclama-t-il finalement, prêt à rire.

— Oui, lui, et c'est toi qui as Drago, ça lui fait mal. Alors, si par-dessus le marché tu te moques de lui, je peux te garantir que ça va barder », répliqua sévèrement Crabbe.

Harry réprima son rire. Il est vrai que ce n'était pas très charitable. Tout de même, Goyle n'avait quand même pas cru qu'il pourrait un jour être avec Drago ? C'était d'un ridicule ! Oui, c'était ridicule, et c'était surtout gênant. Drago avait-il prévu de rester ami avec ce gars qui était amoureux de lui ? Si la réponse était oui, Harry n'était pas sûr d'être capable de supporter cette situation. De toute manière, la réponse était sûrement non ; Goyle n'était qu'un lourdaud sans intérêt, un type qui avait juste servi de garde rapprochée à Drago durant toute sa scolarité.

Il chercha son tendre ami des yeux, l'avisa et se dirigea vers lui.

« Goyle me déteste, déclara-t-il.

— Je le sais, répondit Drago naturellement.

— Un de tes amis me déteste et ça ne te fait rien ?

— Que veux-tu que j'y fasse ? demanda Drago en haussant les épaules.

— Hé bien, je suis ton petit ami, alors, s'il ne peut pas me supporter, il faut lui dire d'aller se faire voir.

— Je connais Gregory depuis l'enfance. Je le connais depuis bien plus longtemps que toi. Tu n'as pas le droit de me demander de faire une chose pareille ! Que dirais-tu si je t'obligeais à rejeter Weasley ?

— Ron, ce n'est pas la même chose. C'est mon meilleur ami et il n'est pas amoureux de moi, lui ! Ton Goyle est jaloux de moi, c'est pour ça qu'il me déteste, parce qu'il voudrait être à ma place !

— Je le sais.

— Tu le sais et ça ne te fait rien ?

— Si, ça me fait quelque chose… ça me fait mal pour lui si tu veux tout savoir !

— Drago, c'est… malsain. »

Le blond fit face au brun.

« Greg m'a sauvé la vie l'année dernière, asséna-t-il.

— Pardon ?

— C'était un peu avant que Tu-sais-qui débarque près de Poudlard. C'était un samedi, j'étais isolé à l'écart, j'attendais que mes amis arrivent ; ils devaient venir me retrouver. Un de tes camarades Gryffondor est passé. Il m'a interpellé pour me dire ce qu'il pensait de moi et de ceux de "ma race". A ce que j'ai cru comprendre, son frère aîné était à Sainte Mangouste à cause d'un Mangemort. Qu'est-ce que j'y pouvais ? Et puis, il était vivant, alors, j'estimais qu'il n'était pas plus à plaindre qu'un autre. Je me suis permis quelques propos… provocateurs. Comme il était déjà très remonté et que je n'avais rien fait pour le calmer – bien au contraire ! –, il m'a sauté dessus et s'est mis à me cogner. Il avait une force phénoménale. Et personne ne nous voyait. Gregory est arrivé. Il a volé à mon secours, s'est pris des coups à son tour, en a donné et a finalement réussi à faire fuir mon agresseur ; il m'a ensuite porté jusqu'à l'infirmerie. S'il n'était pas intervenu, je suis sûr que l'autre aurait fini par me tuer. J'ai passé trois nuits à l'infirmerie. J'ai demandé à Pomfresh et à Greg de ne rien dire – ils étaient tous les deux contre –, je n'ai pas porté plainte, je n'en ai surtout pas parlé à mon père. Je n'avais pas envie que cela se sache. J'ai eu… vraiment peur. »

Harry resta silencieux. Il avait cru comprendre que la vie des Serpentard n'était pas toujours rose du fait de leur accointances – réelles ou supposées, suivant les élèves – avec les Mangemorts et Voldemort, mais il n'y avait jamais vraiment réfléchi et il n'avait surtout jamais songé que Drago ait pu vivre quelque moment sombre à cause d'un Gryffondor.

« Crabbe et Goyle sont des amis de très longue date, c'est depuis les bancs de la petite école qu'on ne se quitte plus. Ils m'ont toujours protégé. A une époque, j'étais odieux avec eux – l'âge bête ! –, je savais que je leur étais supérieur sur bien des points et j'en profitais pour les rabaisser à la moindre occasion. ça m'est passé. Surtout que, si sur les qualités intellectuelles je les dépasse de loin, ils me rattrapent dès qu'il s'agit de force physique, d'aptitude au combat… ou de questions culinaires ! Ils m'ont rendu de nombreux services. Greg est amoureux de moi, c'est un peu contraignant vu les circonstances, mais il faut faire avec. Je fais avec. »

Harry baissa les yeux. Les deux gros lourdauds représentaient une part plus importante qu'il ne l'avait cru dans l'affectivité de Drago. Il se demandait presque si, lui, le petit ami, ne venait pas après.

« Tu es amoureux de lui ?

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Es-tu amoureux de Goyle ? »

Drago secoua la tête en levant les yeux au ciel.

« Harry, pour l'amour de Merlin, si j'étais amoureux de lui, je me serais mis avec lui pas avec toi !

— Es-tu amoureux de moi ? »

Le blond resta douloureusement muet ; cette question, à laquelle il ne s'était pas attendu, le prenait de court.

« Tu ne m'aimes pas ? Tu es juste avec moi pour t'amuser ? Histoire d'avoir un petit ami.

— Même réponse ! Si j'étais avec toi juste pour ça, je préférerais être avec Greg.

— Faux ! Goyle est ton ami et il est amoureux de toi, tu ne peux pas te permettre d'être avec lui juste pour le fun car tu pourrais lui briser le cœur. Et puis, je ne prétends pas être une gravure de mode, mais je suis certainement plus beau et plus présentable que lui !

— Tu vas m'énerver longtemps avec ça ? ça fait combien de temps qu'on est ensemble ? Un peu plus de deux mois, c'est tout ! Je ne sais pas si tu es au courant, mais la majorité des couples d'adolescents qui se forment sont destinés à se séparer sous peu de mois. Il n'y a pas d'amour en jeu là-dedans, juste des hormones ! D'ailleurs, étais-tu amoureux de Cho ? Non, c'était juste tes hormones qui te travaillaient. Pourquoi veux-tu absolument qu'il soit question d'amour ? Es-tu amoureux de moi, toi ?

— Oui ! » répondit abruptement Harry. Il se sentit aussitôt stupide. Pourquoi affirmer avec tant de violence son amour alors qu'il savait d'ores et déjà que celui-ci n'était pas réciproque et que, pour couronner le tout, il n'était même pas tout à fait sûr d'être amoureux. « Ton père va être content, remarqua-t-il tristement. Tu t'es lassé de moi.

— Disons que tu as précipité les choses. Tu les précipites d'autant plus que je n'ai pas dit que j'en avais assez, j'ai juste dit que je n'étais pas amoureux. En fait, je ne me souviens même pas de l'avoir dit, tu l'as juste déduit de mon silence. Cela étant, ce n'est pas forcément une mauvaise déduction. Tu sais, Harry, il n'y a pas qu'entre les couples d'adolescents qu'il n'y a pas d'amour. Il y a une ribambelle de couples mariés dans ce cas. Quelquefois, il y en a eu, durant quelques temps. Parfois, c'est juste de la tendresse. Souvent, ce n'est plus qu'une habitude. En vérité, je crois que l'amour est rarement à l'origine des couples qui se forment. C'est juste de l'attirance mutuelle, pas de l'amour. C'est un bien grand mot, tu sais ?

— Drago, on n'est pas amoureux, mais on s'aime bien quand même, non ?

— Une amourette, ce n'est pas le grand amour, cela vaut cependant mieux que pas d'amour du tout. Je ne sais pas ce qu'il en est pour toi, mais moi, j'ai juste besoin d'affection.

— Et ton grand amour restera toujours ta mère… à moins que ce soit ton père, déclara le brun en écho des paroles de Pansy.

— Harry, si tu t'y mets aussi, c'est clair que tout est fini entre nous. »

Harry regarda Drago et s'autorisa un sourire. Non, cette union ne paraissait pas très solide. Peut-être s'achèverait-elle ce soir, dans une semaine, un mois, un an… allez savoir si ça ne pouvait pas durer quelques années ; peut-être même toute la vie malgré ce qu'ils venaient de se dire. Peut-être que d'avouer qu'ils n'étaient pas vraiment amoureux n'allait que fortifier leur relation en y apportant confiance et égalité.

Harry ne savait pas combien de temps cela durerait, mais il était sûr d'une chose : d'ici-là, il aurait pris son comptant de bonheur avec le sieur Drago Malefoy, si sûr de lui et tellement rempli de doute, si complexe et tellement simple, si méchant et tellement sympathique, si mignon… et tellement beau… craquant même… à croquer en fait.

Fort de cette certitude, Harry emmena son précieux petit ami dans un salon à l'écart et entreprit de le dévorer consciencieusement. Il fut vite interrompu par des miaulements outrés. Il se retourna prestement pour découvrir un jeune chat qui le reniflait de façon méfiante.

« Allons bon, d'où sort-il celui-là ?

— Tu t'étais réfugié là mon Fifi. » Harry ne lui avait jamais entendu prendre ce ton qu'il croyait réservé aux gamines ou aux mémères à chats ; il se retint de rire. Drago prit le chat dans ses bras. « Tu sais que c'est un chat jaloux ? Il n'aime pas qu'on lui vole son maître.

— Décidément, tu es mieux protégée que la reine d'Angleterre entre ton père, Goyle… et ton chat ! »

Comme pour confirmer ce que venait de dire Harry, le chaton lui adressa un miaulement féroce.

« Chut Fifi ! le réprimanda Drago. Monsieur Potter est un ami… pour l'instant », ajouta-t-il facétieusement.

Harry eut une moue cocasse.

« J'ai faim, on retourne dans la salle, je vais m'approvisionner au buffet », décida soudainement le blond.

Harry suivit son ami à contrecœur ; il aurait préféré rester seul avec lui et regrettait l'intrusion du chat qui avait interrompu leurs caresses. En se servant, il constata que Pansy devait raconter quelque chose de très drôle à Hermione et Millicent car elles étaient toutes les deux pliées de rire ; il commençait à connaître Pansy et pria pour ne pas être le sujet de cette franche rigolade. Préférant s'en assurer, il s'approcha d'elles discrètement.

« J'oubliais : il suce son pouce aussi, ajoutait alors Pansy.

— Non ? fit Millicent.

— Vous n'aviez jamais remarqué ? Dès qu'il est nerveux, hop ! Il porte son pouce à sa bouche. S'il pense qu'on peut le voir, il ne fait que le mordiller.

— C'est trop mignon ! s'exclama Hermione entre deux chips.

— Bien sûr, tout ça doit rester entre nous : Drago m'en voudrait à mort s'il savait que j'ai raconté tous ces trucs sur lui, alors il vaut mieux que ça reste en petit comité. »

Ce n'était donc pas de lui qu'il s'agissait, mais de Drago. Il le regarda du coin de l'œil en train de se servir au buffet. Ainsi, il suçait son pouce… mais c'est qu'il était plein de surprises ! Il se demanda si sa relation avec Drago durerait suffisamment longtemps pour découvrir tous ses petits secrets honteux. Il s'approcha de lui, l'agrippa par la taille et lui mordilla le cou.

« Si mon père découvre un horrible suçon violet défigurant mon joli cou blanc, c'est clair qu'il va te tuer, prévint Drago d'un ton neutre. D'ailleurs, évite de faire ce genre de choses en public ; mon père va m'en vouloir de m'exhiber ainsi avec le Survivant, mon arrière-grand-père va faire une jaunisse, et je ne te parle même pas du regard outré que me jette la vieille qui est à dix mètres en face de moi. »

Harry se força à s'arrêter.

« Tu as remarqué ? glissa Drago.

— Quoi ?

— Pansy et Hermione.

— Qu'est-ce qu'elles ont ?

— Elles sont très proches.

— Oui, c'est bien, elles sont devenues bonnes copines. »

Drago eut un sourire amusé : Harry était d'un naïf !

« Je me suis demandé il y a quelques temps pourquoi Pansy n'avait jamais couru qu'après moi.

— Parce que tu étais le meilleur parti possible.

— Pansy a toujours su que j'étais homosexuel, elle le savait avant que je m'en rende compte moi-même, elle savait qu'elle n'avait aucune chance ; c'est pour cela qu'elle me draguait moi et pas un autre.

— Je ne te suis pas là. Généralement, quand on cherche à séduire quelqu'un, c'est qu'on espère avoir sa chance. »

Les Serpentard étaient d'un bizarre tout de même. Harry se demandait comment le Choixpeau avait pu un instant vouloir le mettre dans cette maison.

« En me draguant ouvertement, elle montrait à tout le monde qu'elle convoitait un garçon tout en sachant au fond d'elle-même qu'il n'y avait aucun risque pour qu'on finisse ensemble, expliquait Drago, puisque son ami ne semblait pas avoir la vivacité d'esprit suffisante. A cela il faut ajouter que ton amie Hermione n'est pas réputée pour courir après les garçons auxquels elle ne semble même pas accorder d'intérêt ; j'ai cru pendant longtemps qu'elle leur préférait les livres, peut-être que finalement, ces livres n'étaient qu'une couverture – si j'ose m'exprimer ainsi. Je te parie tout ce que tu veux, y compris sur le plan… intime, que d'ici peu, Pansy et Hermione seront un peu plus que des bonnes copines. »

Harry resta coi quelques secondes, comprenant enfin le raisonnement de Drago, il éclata ensuite d'un rire joyeux.

La vie était décidément pleine de surprises.

~oOo~

Dumbledore aperçut Severus qui avait réussi à se débarrasser d'un groupe d'invités – toujours aussi misanthrope ! Le pauvre allait à présent devoir supporter son directeur et beau-père, pensa-t-il joyeusement en se dirigeant vers lui d'un pas rendu un peu hésitant par les quelques verres déjà ingérés.

« Je ne peux pas vous décrire à quel point je suis content, annonça-t-il, irradiant de bonne humeur.

— Ce n'est pas tous les jours qu'on marie son fils unique, remarqua Severus, un rien sarcastique.

— Oui, à ce propos, étant donné que Lucius est mon fils naturel et que je vous considère comme mon fils, je me demande si tout ceci n'est pas un peu incestueux », raisonna Dumbledore.

Severus secoua la tête en levant les yeux au ciel.

« Ah, Papa, tu es là ! » s'exclama Lucius, un grand sourire aux lèvres. Dumbledore se tourna ; sur son visage se lisait l'ahurissement. Papa ?

Vindegral se tenait à côté de Lucius, il était suffoqué, sûrement d'avoir entendu son fils appeler Dumbledore "Papa". Albus ne chercha pas plus loin l'explication à cette soudaine familiarité, le blond l'avait appelé ainsi uniquement pour faire enrager son grand-père. Peu importait la raison, c'était toujours bon à prendre… et la tête de Vindegral valait son pesant de sorbet citron.

« Cette maison était plus saine quand aucun Gryffondor ne la fréquentait, déclara l'aïeul avant de s'éloigner.

— Que se passe-t-il ? » s'enquit Severus. Il se demandait ce qu'avait pu dire ou faire Vindegral pour que son petit-fils en vienne à de telles extrémités.

« Il m'ennuyait à propos de Drago fricotant avec "Le Survivant", que c'était une honte, comment pouvais-je donc permettre ça, etc… j'ai beau lui expliquer que je n'approuve pas cette relation mais qu'il n'est pas question que j'influe sur les choix de Drago – en tout cas ceux de cet ordre –, il continue à m'en tenir responsable – et il trouve idiot que je refuse d'intervenir. J'oubliais, il veut que je fasse un autre enfant. »

Severus sursauta.

« Pardon ?

— Il dit que Drago a des goûts douteux, et que si j'ai hélas choisi un homme, j'ai cependant eu le bon goût de prendre un Serpentard.

— Quel rapport avec un autre enfant ?

— Il préfère que je fasse un autre enfant pour ne pas continuer sur la lignée défectueuse que donnerait Drago s'il l'obligeait lui à avoir un enfant – une personne qui aime un Gryffondor, te rends-tu compte ? –, sans doute ne se rappelle-il pas que je suis moi-même le fils naturel d'un Gryffondor, je lui ai donc rappelé. Cela dit, avant que je le fasse et vers la fin de son argumentation, il s'est souvenu qu'il avait une fille hétérosexuelle en pleine possession de ses moyens et avec un homme à portée de main.

— Certaines de tes sœurs ont des enfants, pourquoi ne regarde-t-il pas de ce côté ?

— Mes sœurs sont toutes parties à l'étranger, il a l'impression que ces descendants-là ne seront pas véritablement anglais.

— Et il demanderait à ta mère et à son ami russe ?

— Oui, l'important pour lui, c'est que les enfants vivent en Angleterre et soient élevés en gentlemen anglais. » Il se tourna vers Dumbledore. « Veuillez-nous excuser, Albus », s'excusa-t-il avec un sourire en prenant Severus par la taille. Ils s'éloignèrent, Lucius commença à murmurer : « Qu'il demande à ma mère ne nous empêche pas nous aussi de faire un enfant…

— Tu ne te sens pas bien ?

— Aujourd'hui, on peut créer un bébé uniquement à partir de deux hommes en fabriquant magiquement un ovule à partir de l'ADN de l'un et en prenant un spermatozoïde de l'autre. Ils font l'inverse avec les femmes, tu le savais ça ? Moi, je l'ai appris récemment.

— Le ministère n'aime pas ces manipulations qu'il juge totalement contraires à la nature mais n'a trouvé aucune parade juridique pour les empêcher pour l'instant, et il y a des gens haut placés qui sont pour ce système et qui font donc barrage contre une loi éventuelle pour interdire cette pratique, déclara Severus qui paraissait bien informé.

— Quoiqu'il en soit, le fait de discuter avec mon grand-père m'a amené à me poser la question suivante : que donnerait un mélange de nous deux ? Pour moi, la réponse ne peut être que la perfection personnifiée et il serait dommage de priver le monde de cette merveille, non ?

— Tu te rends compte de tout ce que cela implique ?

— Je me rends surtout compte que si nous nous décidons rapidement, Drago pourra jouer les baby-sitters et cela le détournera de Potter, déclara Lucius, revenant déjà sur ce qu'il venait de dire à propos des choix de Drago et du fait qu'il ne souhaitait pas intervenir.

— Cet enfant n'est même pas conçu que tu penses déjà à profiter de lui, jugea Severus d'un air désabusé.

— Profiter de lui ! Le mot est bien grand. Si Drago s'occupe de lui aussi bien que de son chat, ce bébé pourra s'estimer le plus chanceux de tous ! »

Severus n'avait pas l'air autrement convaincu.

« Cela ne te tente pas de voir le résultat de nos deux sangs mêlés ? »

Il haussa les épaules. Il est vrai que cela serait assez curieux à voir, et en tant que scientifique, participer à cette expérience pourrait être intéressant. Cependant, on ne pouvait faire un enfant pour ces raisons… et il n'était pas sûr qu'être père lui fasse envie.

« Il faut que j'y réfléchisse. »

Lucius approuva de la tête ; il parcourut l'assemblée du regard.

« Tu ne trouves pas qu'il y a beaucoup trop de monde ici ?

— C'est ce que je t'ai dit tout à l'heure ; quelque chose de plus intime aurait été préférable.

— A propos d'intimité, nous l'avons toujours fait chez toi et jamais chez moi, il est temps de changer cet ordre des choses. »

Là-dessus, les deux jeunes mariés s'éclipsèrent discrètement, abandonnant leurs invités à leur sort.

—Fin—