Chapitre 2 : Un regard si troublant

Le lendemain de son arrivée au château, Livia déjeunait seule dans la Grande Salle, profitant d'un peu de calme et de solitude. Elle s'était levée à six heures dans ce but, contrariant toutes ses habitudes passées, un irrésistible besoin de s'éloigner de ceux qu'elle aimait troublant son cœur. Elle désirait méditer sur sa soirée de la veille avant d'affronter la journée.

Hier soir, comme à chaque rentrée, la cérémonie de répartition avait eut lieu. Célia avait été envoyée à Gryffondor comme Livia s'en doutait. Le directeur avait fait son discours et James et Sirius avaient plaisanté tout le repas sous l'œil calme de Remus tandis que Peter riait bêtement aux facéties des deux adolescents. Comme à chaque rentrée, Livia était restée à discuter avec le petit groupe dans la Salle Commune jusqu'à tard dans la nuit. Mais dans ce scénario déjà maintes fois répété, un imprévu avait surgit.

Livia se trouvait sur le canapé faisant face à la cheminée et se préparait à monter se coucher après le départ de ses amis quand Remus était silencieusement revenu s'asseoir près d'elle. Il n'y avait plus qu'eux dans la pénombre de la pièce.
-Ca ne va pas, Remus ? avait demandé Livia, alarmée par la tristesse dans le regard du jeune homme.
-Si… Si mais… j'ai besoin de te parler et nous ne sommes jamais seuls…
Son air était las mais très tendre, quelque part dans ses prunelles, un feu couvait comme une braise sortie de l'âtre.
-Que se passe t'il ?
Cette situation et le regard de son ami la mettaient mal à l'aise, sentant que quelque chose clochait dans le comportement du personnage doux et discret qui était habituellement en sa compagnie.
-Et bien, j'ai l'impression que tu m'évite depuis que nous sommes arrivés dans le train. Tu tourne ton regard partout ailleurs sauf sur moi, tu fais mine de ne pas entendre ce que je te dis… et cela me peine profondément.
Livia se mordit la lèvre, ne trouvant pas le courage de démentir cela. Oui, elle l'évitait.
-Pour ne rien te cacher, je te trouve changée, très changée en deux mois. Tu es très étrange avec nous ou avec moi tout du moins… poursuivit l'adolescent.
Il n'était pas préparé à la brusque explosion qui s'empara de son interlocutrice sitôt eut-il prononcé ces mots.
-Ce ne sont pas tes affaires ! Tu n'as pas à me juger ! cria t'elle, se levant.
Son visage si aimable à l'accoutumée sembla se déformer sous la colère, devenant laid et presque difforme mais avant que le loup-garou puisse être sûr que ce changement n'était pas dû à un effet de lumière, Livia se tenait, face à lui, plus petite et terrifiée qu'il ne l'avait jamais vu. Elle passa en tremblant sa main sur son visage et reprit place à côté de Remus.
-E-excuse moi… bégaya t'elle, sous le choc. Je suis un peu fatiguée en ce moment, ce n'est rien.
Remus ne pouvait pas se défaire de l'impression que la brusque transformation de sa compagne lui avait laissée. Il avait sentit le loup en lui bondir, avec l'envie de tuer la jeune fille, non pas pour se nourrir mais contrôlé par une sorte d'instinct féroce. Il frissonna, au bord de la nausée et la considéra, ses yeux réduits à deux fentes. Livia se tortilla nerveusement sous ce regard scrutateur cependant le jeune homme parut abandonner l'idée de lui faire subir un interrogatoire pour se repencher sur son premier débat.
-Est-ce que le fait que je sois un loup-garou te rebute vis à vis de moi ? demanda t'il soudain.
-Non ; affirma simplement Livia.
Elle savait son secret depuis quelques années maintenant et ne comprenait – ou ne voulait pas comprendre – pourquoi il lui posait tout à coup cette question.
-Tu sais, quant je t'ai vu aujourd'hui, je t'ai trouvé très, très belle. Pas plus que d'habitude, en fait, mais différemment. Je crois que c'est ce qui m'a décidé à venir te parler ; continua t'il en rougissant.
-…
-Livia, écoute, je voulais te le dire depuis longtemps mais je me trouvais toujours de bonnes excuses pour ne pas le faire mais j'ai eu peur que maintenant ce soit trop tard. Je t'aime, sincèrement, et je voudrais savoir si tu ressens, toi aussi, quelque chose pour moi.
-…
Livia, choquée ne s'attendant pas à cela – ou du moins, ne voulant s'y attendre – ouvrit puis referma la bouche sans parvenir à proféré un son. Son cœur cognait à grands coups douloureux dans sa poitrine.
-Tu n'es pas obligée de me répondre maintenant, tu peux réfléchir ; s'empressa de rajouter le loup-garou.
-Ou-oui… Je… Oui, j'y réfléchirais… balbutia t'elle, recouvrant l'usage de la parole.
-Merci ; souffla t'il avant de se lever et de monter dans son dortoir, ne voulant pas l'importuner plus longtemps, craignant qu'elle ne change d'avis et ne le repousse.
Après cet aveu, Livia n'avait pas put trouver le sommeil mais cela n'avait pas été vain, elle savait sa réponse même si celle-ci devait lui causer plus de tourments encore qu'elle n'en avait déjà.

Un léger bruit de pas la fit se retourner sur Rogue qui s'attablait. Il s'efforça de faire mine de ne pas l'avoir remarqué, avalant un croissant pour calmer l'appel bruyant de son estomac, tout en se dissimulant à moitié derrière un lourd grimoire mais ces yeux demeuraient fixes tandis qu'il contemplait le dos de Livia, recouvert de sa crinière d'or.
Celle-ci se reporta à son assiette, songeant tout de même que le Serpentard faisait vraiment des efforts en ce moment pour soigner son apparence.
-Peut être qu'il s'est trouvé une petite amie ; songea t'elle et elle s'amusa un moment à essayer de deviner la tête qu'elle pourrait avoir, se la dessinant mentalement.

Quand la Grande Salle commença à se remplir, elle quitta la table et décida d'aller marcher un peu dans le parc pour profiter du soleil qui commençait son ascension de la voûte céleste. La journée promettait d'être chaude. Livia inspira avec délice l'air encore frais, admirant le lac étincelant de reflets flamboyants sous la lumière de l'astre incandescent prenant peu à peu possession d'une immensité d'un bleu limpide. Toute à son éphémère tranquillité et sa paix intérieure, elle ne remarqua pas l'ombre furtive qui l'observait, dissimulée par un buisson.

Severus Rogue n'avait put s'empêcher de suivre la jeune fille, combien de fois l'avait-il fait en secret depuis deux ans ? pour pouvoir rêver de son corps et de ses lèvres encore un peu plus longtemps. En la voyant ainsi, il la trouva si magnifique qu'il en eut le souffle coupé. Ses longs cheveux s'embrasaient de reflets de feu dans la lumière croissante du petit matin, envoyant des éclats écarlates et or, tels des étincelles, autours de son corps fin et longiligne, dansant comme une liane dans la brise, sa peau irradiant de blancheur.
Le Serpentard déglutit, la gorge soudain sèche. S'asseyant à même le sol, dos à elle, il essaya de recouvrer son calme.
-Elle est une Gryffondor et une Sang de Bourbe ; tenta t'il vainement de se raisonner. Je n'ai aucune chance, elle me déteste…
Un air triste se peignit sur son visage quant il remonta sa manche gauche, découvrant sur son avant bras une marque noire, inscrite depuis peu dans sa chair pâle, à l'effigie d'un crâne de la bouche duquel se faufilais un serpent ; la Marque des Ténèbres. Le jeune Rogue soupira et ferma les yeux en la recouvrant de sa main, les circonstances de son apparition à jamais gravées dans son esprit pour le restant de ses jours.

Depuis sa naissance, ses parents, descendants d'une prestigieuse lignée de Sang Pur, férus de Magie Noire et fervents partisans de Lord Voldemort, l'avaient promis au Mage Sombre. Enfant illégitime, né d'un mariage arrangé entre son père et sa propre sœur, il n'avait jamais eu droit à un peu d'amour. Mis à l'écart, enfermé dans sa chambre, forcé d'étudier très tôt la Magie, il n'avait jamais eu de relations avec le monde extérieur, ces seuls contacts humains se limitant à ses parents qui se détestaient cordialement. Petit à petit, son cœur s'était comme desséché et il avait finit par devenir un jeune garçon sauvage, associable et plongé dans la Magie Noire, peu apprécié par la plupart de ses camarades, même ceux de sa propre maison. Pourtant, tout au fond de lui-même, une étincelle d'espoir brûlait encore faiblement, palpitant comme un petit cœur faible, l'empêchant de sombrer dans le néant, le faisant tenir encore comme la dernière feuille d'un très vieil arbre par un jour de tempête. Cette étincelle, Livia l'avait, sans le savoir, ravivée et, dans le secret de l'âme inaccessible de Rogue, un grand feu brûlait maintenant. Recevoir la Marque des Ténèbres avait été la plus horrible expérience de sa vie et il avait failli abandonner sa lutte silencieuse cependant il avait tenu bon et traversé cette épreuve, pas pour lui mais pour celle qu'il aimait profondément.

Rogue laissa de nouveau ses pensées vagabonder, au grès de son humeur et il se souvint avec émotion de Livia, la jeune quatrième année qui l'avait sauvé sans le vouloir.

Lors de la cinquième année de Rogue, lui et la protégée de la bande des Maraudeurs se détestaient. Pour l'adolescent, Livia était tout ce qu'il n'avait pas la chance d'être : aimée de beaucoup, drôle, gentille, douée en cours sans être une élève modèle et, ce qui ne gâtait rien, plutôt mignonne. Jaloux, le Serpentard l'avait haïs dès leur première rencontre et elle le lui rendait bien. Seulement, le jour de l'épreuve des BUSES, James Potter et Sirius Black avaient franchi un cap de plus dans les tourments infligés à leur souffre douleur en titre.
Severus était passé à deux doigts de finir exposé nu devant presque toute l'école mais Livia était revenue à ce moment là de la bibliothèque. Comprenant la situation dans laquelle se trouvait son ennemi, elle n'avait pas rit comme il l'aurait pensé mais s'était jeté entre James et lui avec un air d'intense fureur.
-Je peux savoir à quoi tu joues ? avait-elle grondé.
-Je pensais dévoiler à la postérité le charmant postérieur de notre cher Servilo… et peut être plus que le postérieur ; avait ajouté James, découvrant ses dents avec une sorte de joie mauvaise.
-Hors de question. Cette fois tu vas trop loin, je ne te laisserais pas faire.
James avait hésité, voyant la baguette de son amie prête à lui jeter un sort en cas de désobéissance.
-Aller, écarte-toi Livia…
C'était plus une supplique qu'un ordre.
-Non.
-Tu vas me dire que tu es du côté de cet abruti aux cheveux gras ?
-Ne dis pas de bêtises, je le déteste mais là c'est exagéré. Fiche-lui la paix.
Ils s'étaient ensuite dévisagés mutuellement avec fougue mais Livia avait vaincu. James laissa retomber Rogue comme un petit tas de chiffon et tourna le dos à sa camarade, rentrant à grands pas vers le château, suivit par le reste de la bande des Maraudeurs puis tout l'attroupement se fractionna enfin. Quant il ne resta plus que Rogue, toujours emberlificoté dans sa robe et Livia, debout, les yeux lançant des éclairs dans la direction où son ami avait disparu, elle se retourna vers lui et, sans prononcer le moindre mot, le releva d'une main qu'il accepta et s'en fut vers le hall sans un regard en arrière.

Depuis ce jour, Rogue aimait en silence la jolie Gryffondor bien qu'elle et lui soit un peu comme un chien et un chat. Maintenant qu'il était un Mangemort, il se rendait de plus en plus compte qu'il ne pourrait jamais avoir une vie normale. Rouvrant les yeux, il admira la silhouette immobile de Livia et rentrant au château aussi discrètement qu'il en était sortit, juste un peu plus seul qu'auparavant, l'image lumineuse de celle qui le possédait gravée en lui au fer rouge.

Miss Wild, pouvez vous me dire quelles sont les propriétés de la Mandragore ?
-Euh… hésita Livia. La Mandragore sert à… euh…
-Et bien Miss ? insista le professeur d'une voix menaçante.
-Je ne sais pas Monsieur.
-Parfois je me demande si je parle bien anglais quand je vous demande de réviser pendant les vacances. Visiblement, vous n'alliez pas vous donner la peine d'ouvrir votre manuel…
-Je l'ai ouvert ! riposta t'elle.
-Dans ce cas, m'écrire cinquante centimètres de parchemin sur ce sujet ne devra vous poser aucun problème ?
Livia gratifia son professeur de Potion, Mr Evane, d'un regard furibond mais répondit tout de même :
-Oui, Monsieur.

Quand le cours pris fin, une demi-heure plus tard, Livia fut la première à sortir. Jetant pêle-mêle ses affaires dans son sac, elle déboula dans le couloir à grands pas rageurs, manquant de rentrer dans James qui attendait pour son cours en compagnie de Sirius, Peter et Remus.
-Ola, doucement ! Tu es bien pressée !
- S'cuse moi, je suis un peu énervée…
-Je vois ça ! Que t'arrive t'il ?
- J'ai eu des devoirs supplémentaires de potion.
James éclata de rire devant l'air enragé de la jeune fille.
-Ce n'est pas drôle ! se hérissa t'elle.
Entre deux crises de fou rire, imité par le reste des Maraudeurs, il parvint à articuler :
-Tu devrais voir ta tête ! Avec tes cheveux en bataille et tes yeux qui lancent des éclairs ! C'est trop drôle !
Bientôt l'hilarité la gagna à son tour, la pliant presque en deux. Elle s'essuya les yeux du plat de la main, essouflée.
-Merci James, ça fait du bien.
-A ton service !
-Au fait, ne m'attendez pas après les cours, j'irais directement à la bibliothèque.
-On se verra plus tard ; lui lança Sirius tandis qu'elle s'éloignait sous les yeux plus ou moins bienveillants de la classe de septième année à Gryffondor et de Serpentard qui attendaient leur cours commun de potions.
-Eh ! Livia ! Tu ne me dis plus bonjour ! l'arrêta une voix amusée.
La jeune fille se retourna, souriante.
-Excuse-moi Lily, je ne t'avais pas vue.
Les deux filles se firent la bise, heureuses de se retrouver. Lily adorait Livia depuis que cette dernière était venue en aide à Rogue lors de sa cinquième année et elles étaient devenues bonnes amies et confidentes, ce qui n'était pas pour déplaire à James, toujours aussi amoureux de la belle rousse volcanique et qui espérait toujours que Livia intercède en sa faveur.

La journée fut calme et, lorsque les cours furent finis, la plupart des élèves préférèrent profiter du soleil plutôt que de travailler. La bibliothèque était presque déserte quant Livia s'y installa, seuls quelques septième année étaient plongés dans leur travail, ne lui apportant aucune attention.
Livia se posta sur une table isolée, coincée entre deux étagères débordantes de livres en tout genre. Sortant de son sac une plume et un parchemin, elle rédigea en belles lettres le titre de son devoir avant de commencer à feuilleter son livre de cours – « L'art ancestral des Potions » – à la recherche d'informations sur la Mandragore.
Plongée dans son travail, elle ne remarqua même pas que quelqu'un s'installait en face d'elle, aussi eut-elle un sursaut quant un doigt pointa sa dernière phrase.
-La Mandragore n'entre pas dans la préparation du philtre de régénération, mais dans l'antidote à la pétrification.
Relevant la tête, elle se retrouva nez à nez avec Rogue qui l'observait avec nonchalance et un détachement inhabituel.
-Ah ? Euh… Merci… bredouilla t'elle, ne sachant comment réagir à ce brusque changement d'attitude.
Son regard encre de chine dardé sur elle était plus que troublant.