Chapitre 4 : Dans le silence complice de la nuit :

Quand Livia s'élança de la haute fenêtre, la lune fut la seule à être témoin de la métamorphose de la jeune fille en une grande chauve-souris qui s'éloigna en direction du paisible village de Prés au Lard de son vol feutré, ombre parmi les ombres de la nuit.
Le jour pointait presque derrière les collines, teintant l'azur de rose tendre, lorsque le petit démon ailé regagna Poudlard, reprenant forme humaine sur le sol de pierre de sa chambre.
Livia retint son souffle quant Ange, l'une de ses camarades de chambre et excellente amie, s'agita en marmonnant dans son sommeil. Sans faire le moindre bruit, l'adolescente se faufila dans la salle de bain. Dans le miroir, une créature au teint rosé – signe de sa tuerie – et aux dents ainsi que son menton maculé de sang, la dévisageait, les yeux étincelants d'un éclat irréel. Sortant de son décolleté une amphore dont la taille n'excédait pas les trois centimètres, où un liquide ambré dégageait une douce chaleur, tel une braise échappée du feu, Livia l'éleva lentement à hauteur de son visage. La détachant de sa fine chaîne d'or, elle avala son contenu d'une seule traite – à peine une gorgée – et soupira.
Sitôt eut-elle bu le mystérieux breuvage que ses deux canines, jusque là effilées et tranchantes, reprirent une taille normale et son teint, sa pâleur accoutumée – quoique presque trop blanc pour être naturel.

Livia se laissa glisser ensuite dans un bain chaud, lavant son corps sculptural des souillures du démon nocturne sommeillant en elle depuis près de deux mois. Retenant sa respiration, elle s'immergea entièrement dans l'eau parfumée pendant quelques secondes, savourant ce contact brûlant qui l'enveloppait tout entière, la faisant frissonner de bien être.
Elle s'habilla ensuite, ne se pressant pas. Soudain elle se figea, frappée d'horreur, devant la glace. Ce n'était pas son image qui la glaçait tout entière d'une panique folle tant elle était semblable à n'importe quelle mortelle, seulement, elle venait d'apercevoir l'amphore vide qui se balançait au bout de sa chaîne comme pour la narguer.
-Non… Non… Pas ça… souffla t'elle d'une voix tremblante, à peine audible, recueillant au creux de sa main l'objet inanimé.
D'habitude, son contenu se renouvelait magiquement aussitôt consommé. C'était celui qui l'avait faite vampire qui la lui avait donnée.
-Remplie toi… supplia t'elle inutilement, sa voix devenant de plus en plus faible à cause de la boule qui lui obstruait la gorge. Je ne veux pas vivre dans les ténèbres, je veux rester dans la lumière. Je ne suis pas prête, pas encore… S'il te plait…
Prenant une soudaine et profonde inspiration, elle releva la tête, secouant son désespoir, mue par un violent désir de tenir encore, de rester parmi ceux qu'elle aimait. Une seule personne au monde pouvait encore la sauver de l'obscurité qui la cernait, menaçant de l'engloutir dans ses mortels filets.

Livia sortit à pas de loup de la tour des Gryffondors. Il était près de six heures du matin quant elle fut devant les portes de la Grande Salle. Elle ferma les yeux, concentrant son ouïe surdéveloppée avec la dernière énergie de celle qui se sait condamnée, balayant tout le château à la recherche du moindre bruit de pas. Elle laissa échapper un cri de joie lorsque sa quête aboutie et courue éperdument dans cette direction, si vite qu'aucun œil humain n'aurait pu la voir, distinguant seulement une longue traînée colorée ou une brusque rafale de vent.

Le nez dans un lourd grimoire, Rogue montait tranquillement prendre son petit déjeuné. Tout à coup, quelque chose lui agrippa le bras et le traîna sans qu'il ne puisse résister, jusque dans une sorte de placard à balais. Le livre chût avec un bruit sourd sur le sol dallé.
Rogue reprit pied quand la porte se verrouilla avec un déclic et qu'il se retrouva face à une Livia à l'air bouleversé, seulement éclairée par la lumière de la baguette de la jeune fille. Il allait dire quelque chose mais elle le coupa.
- J'ai besoin de ton aide, Rogue.
-Laisse moi sortir de là ! gronda le Serpentard regardant les murs qui les enserraient de toute part avec une panique naissante.
-Non, j'ai besoin que tu…
-LAISSE MOI SORTIR, WILD ! la coupa t'il, sortant sa baguette, son souffle se faisant précipité.
-Tu ne comprends pas, c'est sérieux, je…
Mais Rogue ne l'écoutait pas. Il se tourna vers la porte, serrant sa baguette si fort que ses jointures étaient blanches. Il tremblait violemment, ses pupilles dilatées par la terreur qui l'envahissait tout entier.
-Alohomora ! … Alohomora !
La formule n'eut aucun effet.
-WILD ! OUVRE CETTE PORTE ! hurla t'il pris d'hystérie.
Avant que la jeune fille ait pu faire quoi que ce soit, la porte de bois vola en éclat sous l'effet du sort d'expulsion de Rogue. Emergeant du placard, il s'appuya au mur opposé, son cœur cognant comme un fou dans sa poitrine. Il essuya rageusement de sa manche quelques larmes échappées de ses yeux et se força à inspirer lentement à plusieurs reprises pour se calmer.
De son côté Livia achevait de réparer la malheureuse porte, son regard s'illuminant soudain alors qu'elle comprenait.
-Tu es claustrophobe… Je suis vraiment désolée, je ne savais pas… s'excusa t'elle, s'approchant doucement de lui et posant sa main sur son épaule dans un geste de réconfort empli de sollicitude.
Le jeune homme regarda tour à tour la main sur son épaule et la jeune fille avec un air un peu surpris. Livia parue s'apercevoir de ce contact et s'écarta, un peu honteuse.
-Je… Pouvons nous aller discuter… Dans un endroit calme…
Son compagnon hocha la tête, intrigué et l'entraîna dans une classe vide.
-Peux-tu aller pour moi dans la réserve ? l'interrogea t'elle brutalement.
-Pourquoi ? Tu as encore un devoir à faire ? railla Rogue, agacé par ces manières.
-Tu ne comprends pas, c'est sérieux !
-Si c'est pour me dire cela que tu m'as fait venir, j'aime autant m'en aller.
Il allait sortir quant elle le rattrapa vivement par le poignet
-Non, tu dois-m'…
-Impedimenta ! s'exclama t'il soudain, se sentant piégé.
Mais avant qu'il n'ait eut le temps de réaliser ce qui se passait, Livia avait esquivé le jet de lumière rouge et l'avait plaqué contre le mur, ses deux avant-bras fermement maintenus de part et d'autre de son visage avec une force surnaturelle, le faisant grimacer de douleur.
- Qu'est-ce que tu es ? souffla t'il, laissant la peur se deviner dans la noirceur de son regard.
- L'important n'est pas ce que je suis mais ce que je vais être si tu ne m'aide pas ! trancha t'elle d'une voix impatiente.
-Que me veux-tu ?
-Il me faut quelqu'un qui soit excellent en Potions et qui pourrait trouver pour moi ce qui m… euh…sauvera un ami.
Elle avait faillit laisser échapper son secret mais c'était reprise à temps.

Elle le libéra doucement de son étreinte, tremblante désormais. Seul un centimètre les séparait encore. Massant ses poignets endoloris, Rogue baissa sur elle le gouffre noir de ses prunelles, son cœur s'emballant. Elle avait l'air si fragile – bien qu'elle l'eut maintenu avec une force peu commune – et si terrifiée qu'il ne put résister à la sublime opale de ses yeux levés vers lui en une supplique muette.
-Que dois-je faire ? murmura t'il.
-Trouve une potion qui permette à un Vampire de survivre le jour comme un Mortel. Tout ce que je sais, c'est qu'elle est de couleur ambrée.
-Ca me dit quelque chose… Je suis sûr d'avoir déjà lu ça quelque part mais… je n'arrive pas à me souvenir où…
-Retrouve-la avant ce soir, je t'en prie. Prévient moi quant tu l'auras et prépare là, moi j'en serais incapable.
-Pourquoi me demandes-tu cela à moi ? s'enquit Rogue, soudain suspicieux, ses yeux se réduisant à deux fentes.
-Parce que personne ne doit savoir et que tu es réputé le meilleur de ce château en potions… Et puis peut-être aussi parce qu'avec toi je ne risque rien…
-Sauf si je dévoilais ta requête à tout le monde…
-Je prends le risque… Je veux croire que je peux avoir confiance en toi… ajouta t'elle très bas après un silence.
Rogue sentit son cœur effectuer un saut périlleux. Un trouble sans précédent l'envahissait tout à coup, le faisant rougir. Livia contemplait le sol dans le minuscule interstice qui les séparaient encore.
-Cela aura un prix… dit enfin le Serpentard avec un petit sourire en coin.
-Lequel ?
Elle avait relevé la tête et ses deux joyaux verts exprimaient l'incompréhension. Rogue souffla, avec dans la voix une tendresse infinie :
-Un baiser…

Elle ne se déroba pas quant il attira son visage d'une main douce et déposa la fine ligne de ses lèvres pâles sur le bouton écarlate de sa bouche. Glissant ses doigts dans l'or éclatant des cheveux de la belle adolescente il la pressa contre lui, enserrant possessivement sa taille, approfondissant le baiser qui se fit plus tumultueux. Le cœur du jeune homme explosa en un véritable feu d'artifice quant il sentit qu'elle lui répondait, timidement au début, puis de plus en plus passionnément.
Elle ne faisait rien pour l'arrêter, l'encourageant même à poursuivre, entrouvrant ses lèvres sous les siennes, les effleurant de sa langue.
Leurs souffles entremêlés étaient devenus précipités et furieux, comme une brusque tempête.
-Arrête cela ! ordonna une voix dans la tête de Livia. Tu aimes Remus !
-Pourquoi ? C'est si doux…
-Ca suffit !
-Je voudrais rester ainsi pour toujours, dans ses bras…
- C'est ton pire ennemi !
-Et alors ?
-Arrête, tu perds la raison !
-Non… Je crois que je la retrouve seulement maintenant…
-Tu ne peux pas l'aimer !
- L'aimer ? Oui… Je crois que je n'avais pas encore compris jusqu'à aujourd'hui…
-Tu es folle ! Arrête ! Il fait ça pour t'embêter et tu tombes dans le panneau !
-Peut-être que oui, peut être que non… Qui ne le saura jamais…
-Pauvre idiote ! Quant il saura ce que tu es…
-Et si… il m'acceptait telle que je suis désormais ? Si il se souvenait de sa cinquième année ?
- C'est un Serpentard !
-Certes, mais quelle importance ?
-Il te vendra ! Tu seras détruite !
-Je crois que non… Je crois que… En fait… Je l'ai…
-ARRÊTE ! hurla la voix.
Ce fut comme si soudain les lèvres de Rogue la brûlaient et elle fit un bond en arrière, le souffle court. Son cerveau avait pris le pas sur son cœur. Son compagnon eut un instant l'air fou de douleur par cette soudaine dérobade mais il recouvra en un instant son air froid habituel.
-Bien, je vais t'aider. Je chercherais cette potion.
Il était sur le pas de la porte quant la voix de Livia s'éleva dans son dos. Elle ne le regardait pas, refusant de lui dévoiler les larmes étincelantes qui coulaient sur ses joues, sa voix était prise comme si elle était soudain enrhumée.
-Tu demande un baiser à chaque fille qui a besoin l'aide ?
Il pivota lentement et l'observa un instant sans dire un mot, la petite quatrième année qui lui avait un jour tendu la main sembla passer devant ses yeux en riant, ses longs cheveux dansant dans son sillage.
-Tu es la seule dont je voulais capturer le joli petit papillon écarlate.
Il s'en fût sur ces derniers mots, la laissant seule et perdue.

Livia le regarda partir avec une impression où se mêlaient confusément la joie, du chagrin et de la crainte. Ce baiser avait ouvert en elle une porte ignorée, illuminant de soleil son âme meurtrie.
Pourtant, une violente culpabilité lui nouait les entrailles. Elle s'était laissée embrasser par Rogue après avoir repoussé Remus quelques heures plus tôt. Elle ne savait plus quoi penser.
Elle aimait le loup-garou depuis qu'elle le connaissait mais elle appréciait le baiser du pire ennemi des Maraudeurs.
-Je dois arrêter de penser à Remus. Il appartient au passé. Un vampire et un loup-garou ne peuvent être ensemble sous peine de s'entre tuer un jour où l'autre. Je dois être forte…

Dehors, le soleil achevait de se lever, brisant de ses rayons de feu les ténèbres complices de la nuit qui abritaient tant de secret et dans laquelle fleurissaient les démons.