Le crime était presque parfait

Kélo était étalé sur la table du petit déjeuner, entre un bol de chocolat chaud avec du caramel dedans et une tartine de beurre salé.

Ses yeux étaient révulsés, et des petites touffes de poil jaune étaient éparpillées un peu partout autour de lui, laissant sur son corps frêle des marques rosées, endroits où la peau était mise à nue.

Sakura ressentit un choc faire vibrer son corps lorsqu'elle l'aperçu.

…Des mèches de poil jaune avaient atterri dans son chocolat.

En soupirant, elle alla vider son bol dans l'évier. Puis elle fronça les sourcils. Il y avait quelque chose qui ne collait pas.

De l'évier, elle posa à nouveau son regard sur la table du petit déjeuner. Un regard méfiant. Elle pouvait apercevoir le petit monticule jaunâtre qu'était Kélo dépasser de derrière une brique de lait vide et renversée.

Ce qui clochait, c'est qu'elle n'était pour rien en ce qui concernait l'état actuel de sa peluche.

…On lui avait abîmé son Jouet !

Elle se mordilla pensivement les lèvres en passant son bol sous l'eau chaude.

On avait abîmé son Jouet. On allait le payer. Elle seule avait le droit de bousiller Kélo.

Elle rangea violemment son bol dans un placard. L'enquête était ouverte.


Sakura planta son regard dans les pupilles sombres de Lionel. Le jeune garçon détourna les yeux, signe évident de sa culpabilité.

« Pourquoi t'es-tu permis de tuer Kélo sans mon autorisation ? » grinça la fillette.

« Qu'est-ce qui te fais dire que j'ai tué Kélo ? » répliqua Lionel en continuant de détourner le regard.

« Tu détournes le regard ! »

« Evidemment, tu braques ta lampe de bureau en plein dans ma figure ! »

« …Où étais-tu à l'heure du meurtre ? »

« C'est à dire ? A quelle heure ? »

Sakura se gratta le sommet du crâne.

« J'en sais rien. …Avant le petit-déjeuner, ce matin, ça te va ? »

« …Ouais. Je… dormais. »

Sakura garda un visage impassible et gribouilla un petit lit sur son carnet avant de rayer le nom de Lionel de sa liste de suspects.


Typhanie la fixa, interloquée.

« Ah bon ? Kélo est mort ? »

Il était évident qu'elle faisait semblant d'être surprise. Elle était donc coupable.

« Oui, Kélo est mort ! Et c'est toi qui l'as tué ! Avoue ! »

« …Oh ! Tu as Barbie Princesse de l'Espace ! Moi qui n'arrête pas de tanner Maman pour qu'elle me l'achète ! » s'exclama la fillette en avisant une étagère surchargée de poupées toutes de rose habillées.

« Ouais, t'as vu, elle est bien, hein ! Euh… Hem, tu fais exprès de changer de sujet, hein ! Qu'est-ce que tu as fais ce matin avant le petit-déjeuner ? »

« J'ai joué avec ma Barbie Tireuse d'Elite. »

Sakura hocha la tête. Typhanie était donc définitivement hors de cause. Elle dessina une Barbie et un énorme fusil-mitrailleur avant de rayer le nom de son amie.


La fillette s'agrippa au bureau de son frère, essayant d'attirer l'attention de celui-ci. Difficile, il était penché avec obstination sur ce qui semblait être un cahier de maths.

« Tu veux pas que je te parles, hein ? C'est parce que t'as tué Kélo, Hein ? Dis-moi ce que tu as fait avant de prendre ton petit-déjeuner ! »

Le jeune homme se tourna lentement vers elle. Dans ses yeux, une lueur sourde de sombre menace. Sakura recula. Il continua de la regarder. Elle fit demi-tour et s'enfuit précipitamment, claquant la porte de la chambre de son frère derrière elle.

Elle s'adossa au mur du couloir, soupirant. Puis, sortant son petit carnet, elle s'empressa de gribouiller quelques formules mathématiques et de rayer le nom de son frère. Par pure précaution.


Mathieu était en train de déguster une énorme boule de glace à la banane parsemée de pépites de chocolat lorsque Sakura déboula dans son champ de vision, s'installant en face de lui.

« Mathieu, pourquoi as-tu tué Kél- oh, de la glace à la banane, j'en veux ! »

Et la fillette, en pleine extase alimentaire, se précipita vers le frigo.

…Qui ne contenait plus de glace à la banane.

Horrifiée, elle se tourna vers le jeune homme.

Mathieu lui fit un grand sourire et lui tendis sa coupe.

« Tiens, je te la donne, si tu veux. Moi j'irais en acheter en rentrant chez moi. »

Sakura, ravie, lui fit un gigantesque sourire aux dents brillantes, pris la glace et alla dans le jardin s'asseoir sur la balançoire pour déguster le fruit de sa requête.

Puis, une fois la crème glacée et les pépites de chocolat bien calées au creux de son estomac, elle ouvrit son carnet, dessina une coupe de glace entourée de petit cœurs pour résumer le résultat de son enquête, et raya le nom de Mathieu de la liste des suspects.


Son père repassait des cravates.

Elle s'approcha avec prudence, décidant qu'un fer à repasser pouvait être une arme terrifiante.

« Papa… »

« Une minute, ma petite puce, je suis occupé… »

Il posa le fer à quelques centimètres du nez de Sakura pour plier une cravate.

« Qu'est-ce que tu voulais, mon petit trésor ? »

« Heu… »

Sakura lorgna sur la surface grise et fumante de l'objet posé devant elle.

« Est-cequesétoiquatuéKélo… » marmonna la fillette.

« Pardon ? Qu'est-ce que tu as dit, je n'ai pas compris, excuse-moi… »

Un sourire de douce gentillesse aux lèvres, il se pencha vers la fillette pour pouvoir entendre sa réponse.

Dans le champ de vision de Sakura, le visage de son père s'acolla au fer à repasser duquel s'échappaient des fumerolles blanches et bouillantes.

« …Il faudra penser à racheter de la glace à la banane, y'en a plus… »

« D'accord, pas de problème ! » s'écria gentiment son père en se relevant et se remettant à repasser ses cravates.

Sakura sortit de la buanderie et dessina un petit fer à repasser sur son carnet avant de rayer le nom de son père.


« C'est toi qui a tué Kélo, n'est-ce pas ? »

« … »

« Qu'est-ce que tu faisais ce matin avant le petit déjeuner ? »

« … »

« Mmmmh… Tu as de la chance de pouvoir te défendre avec autant de virulence, toi… » murmura la petite fille en s'éloignant du portrait de sa mère et en dessinant une petite pierre tombale avant de rayer le nom de sa chère petite mamounette.


Et bien voilà. Elle avait rayé les noms de tous ceux susceptibles d'avoir massacré Kélo à sa place.

Elle se gratta le sommet du crâne en soupirant et en lorgnant son carnet.

Si elle devait en croire le résultat de son enquête, au point ou elle en était arrivé, la personne qui avait tué son Kélo était une Barbie qui, s'étant levée du pied gauche et n'ayant pas pu manger de glace à la banane, avait forcé Kélo à faire des maths jusqu'à ce qu'il en meure d'épuisement, puis l'avait repassé pour arracher des morceaux de sa fourrure, avant de l'achever avec un fusil mitrailleur et de lui fabriquer une jolie petite pierre tombale.

Elle était en train de se demander si elle ne devrait pas mettre toutes ses Barbies et celles de Typhanie sous les verrous lorsque Kélo se pencha par dessus son épaule pour dévisager son carnet.

« Dis, Pitchoune, c'est quoi, tout ces petits dessins ? Tu as décidé de devenir artiste ? »

« Non, c'est juste que je cherche ton assassin. Tu n'aurais une idée de qui ça pourrait bien être ? »

« …Mais Pitchoune, je suis vivant… »

« Ça je m'en fiche, je veux savoir qui t'a abîmé sans mon autorisation. »

« ...Tu parles de ce matin ? Mais ça c'est rien, Pitchoune, c'est juste que je venais de remarquer qu'il restait du milk-shake à la framboise dans le mixer, alors je me suis penché pour en goûter un peu, mais j'ai glissé, je suis tombé, le choc a mis le mixer en route, je suis resté dedans pendant de très longues et douloureuses minutes, ton père est arrivé, il a arrêté le mixer, il m'a sortit de là, il m'a passé sous l'eau pour me nettoyer, il a voulu me monter pour me ranger dans ta chambre, mais le téléphone s'est mis à sonner, alors il m'a posé sur la table du petit-déjeuner. Et j'ai piqué un petit somme. »

Sakura le fixa, radieuse.

« …Pourquoi tu me regardes comme ça, Pitchoune ? »

De grandes étincelles de bonheur s'allumèrent dans les yeux de la fillette.

« Dans le mixer ! » s'écria t-elle. « Super idée ! »

Et elle saisit la peluche avant que cette dernière n'ait eut le temps de prendre ses mesures de sécurité, à savoir s'éloigner de plusieurs kilomètres, et se précipita vers la cuisine.


Mmmh… Je suis totalement incapable de me souvenir du nom du frère de cette chère Saku… Ce qui fait que pour moi il est devenu officiellement « le grand frère »…

C'est affligeant…

...Mais qu'est-ce que je raconte, moi...