Chapitre 9 : « Quand les vivants s'en mêlent »
Wakka sortit quelque peu énervé de sa chambre et se dirigea vers le cockpit. Le père de Rikku était assis aux commandes, dirigeant le vaisseau l'esprit complètement ailleurs. Il pensait à sa fille. L'unique AlBhed femelle qui restait à sa connaissance. De point de vue génétique, le gène « des yeux en spirales » — caractéristiques premières des AlBhed — était récessif. À moins de chercher des moitiés AlBhed moitié Yevonite, il n'avait plus d'espoir pour la « race ». Spira était sauvée, Yuna était sauvée. Qu'est-ce qui avait poussé sa fille à se suicider ? Serait-ce à cause de ce gardien ? Ce gardien légendaire ? Celui qui avait protégé son beau-frère ? Il ne comprenait vraiment pas. Yuna avait parlé d'un possible chagrin d'amour. Rikku — sa Rikku — amoureuse de Sir Auron ? Non. Ce n'était que de l'attirance physique. Auron n'avait pas mauvais genre et respirait le respect, que ce fut venant de lui ou vers lui. C'était une aubaine qu'il eut rejoint les rangs de Yuna. Il avait une attitude si propre à lui qu'on n'y faisait pas attention à la longue. Discret et peu bavard. On ne pouvait pas dire autant de ce Tidus. Ce garçon avait du talent. Beaucoup de talent. Normal pour un héros rêvé par les priants désespérés. Au fond de lui, Cid savait qu'on le reverrait. Il n'avait pas pu disparaître comme cela. Il avait dû réapparaître à sa Zanarkan et il reviendra comme il était venu la première fois. C'était certain. Il reviendra pour Yuna.
Wakka se rapprocha du chef des AlBhed. Bien que son aversion envers ce peuple avait disparu depuis qu'il avait commencé à aimer Rikku, Wakka était toujours réticent à l'idée d'une totale cohabitation. Il préférait penser à un retour de Rikku qu'à une stupide histoire politique. Il n'allait pas la laisser entre les mains de ce moine guerrier. Il ne pouvait pas l'aimer. Ce type ne pensait qu'au pèlerinage. Qu'à la quête qui lui avait été confiée à savoir : protéger Yuna et Tidus. Tenir de telles promesses devait être compliqué. Surtout quand une des personnes à protéger était le summoner à sacrifier. Et l'autre personne une sorte de rêve éveillé. Pour cela, Auron était quelqu'un de noble, de merveilleux. Il connaissait la signification de l'amitié. Ce n'était pas une raison pour…
« Cid ! appela Wakka à quelque mètre de l'homme abattu. Heu… »
Wakka mit sa main droite derrière la tête, signe un peu de timidité. Le champion de Blitzball désirait retourner à Guadosalam, la cité des Guado et de l'Au-delà. Il était certain que les Guado connaissaient un moyen pour faire revenir Rikku. D'après Yuna, son âme était partie trop tôt, avant la fin de la cérémonie d'accompagnement. Peut-être que Rikku était maintenant un errant ? Peut-être qu'elle errait justement dans un tout autre monde ? Peut-être qu'elle était partie le rejoindre ? Et si le merveilleux Sir Auron se jouait d'elle ? Après tout, rien ne désignait une quelconque affection venant de lui pour l'AlBhed. Rien ne désignait une quelconque amitié entre eux deux. Ils savaient tout juste s'entendre au combat. Ce qui enrageait aussi Wakka c'était qu'en y réfléchissant bien, Rikku et Auron se complétaient très bien. Trop bien.Rapide, lent. Voleuse, guerrier ou plutôt épéiste. AlBhed, Yevonite. Vivante, errante. Fragile, résistant à tout. Douce, dur. Excitée comme une puce, stoïcisme aigu. Tous les contraires s'attiraient non ? C'était un loi de la physique ou de la chimie non ? Et lui ? Qu'avait-il à lui apporter exactement ? Un sens de l'humour ? Le sens de l'amitié et de la fidélité ? Une sécurité ? Plus il y réfléchissait, plus il se rendait compte qu'Auron était mieux que lui. Il aurait mieux fait de s'attacher à la belle Lulu. Au moins il aurait eu comme problème que les reproches sur le fait qu'il aimait celle qui aurait dû être la femme de son jeune frère. Il adorait Lulu c'était certain. C'était une superbe femme dans tout les sens du terme. Elle avait un sacré tempérament, était la plupart du temps en rogne contre tout le monde, était une magicienne de renom, que demander de plus ? Ce n'était pas la faute à cet idiot de Wakka s'il était amoureux de Rikku. Amoureux oui. Sans doute peut-être depuis le début sans qu'il s'en fût rendu compte. Il adorait rire avec elle, plaisanter, trouver un moyen de sauver Yuna. Non. Elle ne pouvait pas aimer le légendaire gardien. C'était impossible. Il n'y avait rien entre eux, même pas un moment de complicité comme il en avait eu avec l'AlBhed ! Ils s'entre-tuaient presque. Surtout à la plaine foudroyée. Est-ce que l'amour commençait vraiment par une dispute ? Bien que Yuna et Tidus ne s'étaient pas disputés la première fois qu'ils s'étaient vus. Il ne comprenait vraiment pas.
L'oncle de Yuna tourna légèrement la tête vers Wakka, mais ne répondit pas. Ils étaient presque arrivés à Besaid. Wakka se rapprocha encore un peu, cherchant ses mots.
« Hum… heu… c'est possible de retourner à Guadosalem ? »
Cid resta silencieux un moment avant de rire nerveusement :
« Tu veux aller à cette pâle copie de l'Au-delà pour voir si ma fille est bien arrivée dans l'autre monde ainsi que lui demander pourquoi elle a fait ça ? »
Il avait vu juste. Wakka voulait juste la revoir, essayer de comprendre. Il savait que les AlBhed ne croyaient pas au système des Guado pour parler aux personnes envoyées. Pour eux, c'était juste des souvenirs. Des souvenirs qui prenaient forme. Mais était-ce plutôt pour se rassurer qu'il voulait la voir ? Lui demander si elle l'aimait vraiment. OhYevon, aide-moi. Il ne répondit pas tout de suite à Cid. Il cherchait une bonne raison pour y retourner.
« Yuna affirme que Rikku s'en est allée avant la fin de la cérémonie d'accompagnement. Il faut vérifier qu'elle est vraiment dans l'Au-delà. Sinon, peut-être qu'elle a besoin de nous… »
Cid émit un « hum » comme l'aurait fait Auron. Décidément, tout se rapportait à ce gardien. Wakka jaloux d'Auron ? C'était plus que probable. Il le respectait toujours, mais il avait aussi une certaine aversion pour lui, une aversion cachée. Oui c'était de la pure jalousie. Si Rikku l'aimait vraiment… Si Auron ne l'aimait pas en retour… Wakka pétera un plomb c'était certain.
« Fais croire ça à d'autres. Tu espères qu'elle soit errante.Peut être qu'elle l'est, mais je n'y crois pas autant que je ne crois pas en la porte vers l'Au-delà de ce village. Rikku est morte et elle ne reviendra pas. Même moi qui suis son père je n'espère pas qu'elle soit errante, car être errant ce n'est pas une vie. Une vie consacrée à une promesse, à un contrat, à un œuvre inachevée… Ce n'était pas une vie. Je suis sûr que Rikku est mieux là où elle est. Même si je préférais qu'elle soit avec les siens.
— Oncle Cid, Wakka a peut-être raison. »
Yuna venait de faire son entrée. Elle portait dans ses bras la poupée qu'avait faite sa cousine en l'honneur du légendaire gardien. Elle avait les yeux rougis et le visage légèrement rose. Elle semblait avoir pris dix ans en moins d'une journée. Les cheveux en batailles, sa robe plissée comme jamais, elle fixa son oncle et dit de sa fausse voix autoritaire, cette voix qu'elle utilisait pour essayer de donner un ordre :
« Je n'ai pas fini la cérémonie d'accompagnement. Rikku est partie très vite, trop vite. Je ne sais pas si son âme est arrivée dans l'Au-delà. Elle est peut-être prisonnière entre les deux mondes. Il faut aller voir les Guado. Eux seuls nous diront où elle se trouve. »
Yuna serra en peu plus la poupée contre elle, seule chose qui restait de sa cousine bien aimée — celle qui aurait donné sa vie pour elle. Elle s'en voulait de ne pas avoir su faire quelque chose pour elle. De n'avoir rien vu, de n'avoir pas compris à quel point elle pouvait être heureuse à l'extérieur et si malheureuse au fond d'elle. Se forcer à sourire disait Yuna. La vie n'était pas toujours belle. Sourire alors que tout était gris. Était-ce de l'hypocrisie ou un geste d'optimisme ? Rire au lieu de pleurer. Se battre au lieu de fuir. Aimer au lieu de haïr. Éclairer au lieu d'obscurcir. Aider au lieu d'abandonner. Prier au lieu de rêver ? Voler au lieu de tomber ? Donner au lieu de garder ?
Cid expira longuement, hochant la tête de gauche à droite. Il ne savait pas quoi faire. Mais si c'était la volonté de lady Yuna de vérifier que sa cousine est bien arrivée dans l'Au-delà que cela ne tienne. Il manœuvra le vaisseau pour se diriger vers le village des Guado. Il allait peut-être le regretter… ou peut être apprécié. Wakka se tourna vers Yuna, la main derrière la tête, regardant ses chaussures. Yuna se contenta de lui sourire et de serrer la poupée de Rikku contre son visage avant de laisser s'échapper une larme discrète.
Auron tendit la main à Rikku pour l'aider à se relever. Cette dernière accepta, mais se permit de glousser un peu en repensant aux chutes multiples qu'ils avaient eues dans l'eau. Une fois debout, l'Albhed hésita quelque seconde avant d'entourer de ses bras frêles les hanches de son gardien, posant sa tête sur son torse. Auron enlaça les épaules de Rikku, heureux pour une des rares fois de sa vie.
Arrivée au village des Guado, Yuna accompagnée par Wakka se dirigea immédiatement vers la porte de l'Au-delà. Lulu et Kimahri ne désiraient pas venir, car tous deux s'étaient faits — difficilement — à l'idée que Rikku était partie. La revoir ne ferait que rouvrir les plaies. Peut-être un autre jour… Yuna et Wakka entrèrent au portail…
« Hum ? »
Rikku leva la tête vers Auron. Ce dernier lui rendit son regard. Elle avait entendu un bruit… Non… Une voix… C'était celle de Wakka ! Elle jeta un œil à gauche et à droite, s'attendant à l'apercevoir. Mais pas de Wakka en vu. Le gardien ne semblait pas avoir entendu la voix. C'était sans doute l'imagination de la jeune fille. Ses amis lui manquaient, voilà tout. La voix se fit plus insistante. Rikku ne comprenait pas ses paroles. Encore la voix. Cette fois-ci Rikku était sûre que ce n'était pas son imagination.
« Elle ne semble pas répondre, fit Wakka déjà désespéré.
— Attends. Il lui faut peut-être du temps la première fois… rassura Yuna.
— Oui, mais Chappu…
— ATTENDS ET TAIS-TOI ! cria Yuna hors d'elle. »
Wakka fit deux pas de recul par rapport à l'ancien summoner. C'était une des rares fois où il ne fallait surtout pas embêter Yuna. Elle attendait elle aussi sa cousine. Elle attendait elle aussi des réponses.
« wooh wooh wooh ! fit Wakka. Pas la peine de t'énerver. Elle… »
Les furolucioles commencèrent à se rassembler devant eux.
Rikku eut un choc. Son corps sembla l'abandonner. Ses jambes perdant leur force, ses yeux perdant leur sens. Auron soutint la jeune fille de ses bras puissants, un air inquiet lui ravageait le visage. Des dizaines de furolucioles apparurent autour du corps de Rikku. Cette dernière n'entendait plus rien, ne voyait plus rien. Elle semblait flotter dans un vide total. Auron fut impuissant devant sa poupée s'en volant en furolucioles il ne savait où.
Rikku ouvrit doucement les yeux. Elle flottait à moitié transparente. Elle faillit s'évanouir en apercevant Yuna et Wakka devant elle. Elle ne connaissait pas l'endroit où elle se trouvait. Cela ressemblait un peu à la plaine, mais il semblait y avoir une sortie. Elle voulut dire quelque chose, mais aucun de ses muscles ne lui obéissait. Elle flottait juste devant ses deux amis.
Wakka écarquilla les yeux en remarquant les marques de la God hand de Rikku. Elle ne s'était pas ratée. Elle ne s'était pas du tout ratée… Yuna joignit ses mains, la poupée à l'effigie de Sir Auron soutenue par son bras gauche. Rikku aurait voulu hurler en voyant sa cousine avec sa poupée. Comment l'avait-elle eu ? Au vaisseau ? Pourquoi cette poupée l'avait-elle accompagnée dans l'Au-delà ? Et si elle avait cette poupée dans l'Au-delà, où était-elle maintenant ?
« Rikku, je suis… tellement désolée… commença Yuna. »
Désolée ? Pourquoi ?
« J'aurais voulu t'aider. j'aurais voulu tellement… t'aider. Pourquoi nous as tu abandonnés ? »
Non. c'était faux. Elle les avait pas abandonnés. NON.
« Je… c'est vraiment à cause de Sir Auron tout cela ? Que tu es partie ? »
Auron ? Alors, elle avait compris. Ils avaient compris ? Lulu, kimahri, pourquoi ils n'étaient pas là eux aussi ? Elle voulait leur répondre, mais elle ne pouvait pas bouger, même pas pleurer, juste observer.
« Elle n'a pas l'aire causante… murmura Wakka. Rikku, sache que… bon… si tu l'aimes vraiment… »
Que se passait-il avec Wakka ? Rikku se sentait de plus en plus perdue.
« Partons. Elle est… elle est bien dans l'au-delà, dit Wakka en se tournant vers Yuna. »
Celle-ci acquiesça, adressa un dernier sourire à sa cousine et se dirigea vers la sortie. Rikku se sentit horriblement impuissante. Elle aurait voulu leur expliquer, les rassurer. Elle aurait voulu leur dire que tout allait bien. Qu'elle l'aimait plus que tout, qu'elle les aimait plus que tout aussi. Malheureusement dès qu'Yuna et Wakka eurent quitté le portail, le corps de Rikku s'évapora de nouveau en lumière.
« Tu aurais dû essayer de le lui dire… murmura Yuna.
— Non. Elle avait l'aire heureuse. Et tant mieux.
— Ça t'aurait soulagé. »
Wakka jeta un œil a Yuna celle-ci se tourna aussi vers lui. Elle était la seule à connaître les véritables sentiments de Wakka. Elle désapprouvait le fait que Wakka se jouait de Lulu. Lulu méritait quelqu'un de bien et Wakka était un bon parti. Yuna ne pouvait pas laisser ses amis comme cela. Rikku était bien. Tidus devait être bien lui aussi. Sir Auron… lui aussi. Wakka soupira :
« Adieu, Rikku. »
Rikku se sentit de nouveau voler. Ses pieds tombèrent lourdement sur le sol. Elle perdit l'équilibre et roula quelques instants sur le sol. Elle se retrouva face à terre. Elle s'appuya sur ses bras pour se relever. Elle se rendit compte alors de quelque chose : elle n'était plus dans une plaine désertique. C'était une étendue de fleur de toutes sortes : des bleus, des jaunes, des rouges, des roses… La jeune fille se mit en position assise et regarda autour d'elle. Elle ne trouva que la même étendue à l'infini, mais cette fois-ci de fleurs et d'herbes fraîches. Était-ce un autre côté de l'Au-delà ? Où était Auron ?
L'Albhed entendit un bruit derrière elle. Elle sursauta. Ce n'était pas Auron. Elle se releva dans un bond et fit volte-face. Elle étouffa un hurlement de stupeur. Juste en face d'elle, la chose qui l'avait attaquée dans l'eau, la chose qui lui avait perdre la poupée. Elle ne possédait plus son arme. Elle ne savait pas si elle pouvait de nouveau utiliser la magie. Elle ne le craignait pas. Non. Elle ne craignait pas l'âme de Bahamut purgateur !
Elle avait été surprise de le voir dans l'eau. Elle ne savait pas qu'une telle chimère pouvait nager. Elle ne réfléchit pas. Elle se mit en position de combat. Il pouvait rien lui arriver de toute manière. Elle entendit un autre pas derrière elle. Elle fit volte-face de nouveau. Elle eut juste le temps d'apercevoir l'âme de Shiva purgateur lui envoyer son overdrive. Rikku vola dans les airs, sentit son corps se recouvrir de glace. La dernière pensée qu'elle ait eu avant de se retrouver complètement enfermée dans de la glace était pour Auron. Gardien du cœur, gardien de son bonheur. Il allait venir la sauver. c'était certain… Mais seul face à deux chimères…
