CHAPITRE 2 : IMPUTATIONS
Du
voyage en train, Mei Ling ne garda qu'un souvenir brumeux. Bercée
par le mouvement du train, elle s'endormit et somnola durant les deux
heures que durait le trajet. Dans un état de demi-conscience,
son esprit passait paresseusement d'une idée à l'autre.
La clinique... Liquid... Ocelot... Quelle erreur ç'avait été
de le laisser filer après l'incident de Big Shell. Snake et
Otacon avaient jugé que la liste des noms des Patriotes valait
bien plus que le fanatique des revolvers. Lourde erreur. A
présent, ils repartaient presque à zéro. A
zéro...La jeune fille fut réveillée
par l'annonce d'arrivée du chef de gare. Une fois descendue
avec son maigre bagage, elle activa le codec qu'elle s'était
fait implanter quelques mois plus tôt. Cet appareil constituait
une grande fierté pour elle. Elle et Otacon avaient travaillé
dessus des mois durant afin de créer un système de
nano-machines aussi simple d'utilisation que celles de l'armée
mais totalement différent au niveau du système
d'exploitation et de traitement des données. Il ne fallait pas
laisser la moindre faille aux Patriotes.
- Snake, tu me reçois
?
- Cinq sur cinq.
- Je viens d'arriver. Le
voyage s'est déroulé sans problèmes. Je vous
recontacterai dès que j'aurais réussi à me
renseigner à la clinque.
- Tu sais comment t'y
prendre ?
- Ne t'inquiète pas
pour moi. A bientôt Snake !
Comparée aux vastes
perspectives de Manhattan, Lyon n'avait rien de très
impressionnant. Cependant, le tracé de ses rues se révéla
si tortueux que la jeune fille fut plusieurs fois contrainte de
demander sa route, bénissant sa formation qui l'avait
astreinte à apprendre six langues vivantes. L'établissement
qu'elle recherchait se trouvait en réalité un peu en
dehors de la ville, à quelques pas à peine du centre
nerveux industriel de Lyon.
- Drôle d'endroit
pour un établissement sanitaire...
Un taxi
la mena à destination. La clinique Antoine Limousin était
une gigantesque bâtisse blanche qui semblait avoir été
construite la semaine précédente. Le parking renfermait
un nombre impressionnant de cabriolets et de Mercedes. La réputation
de l'endroit ne faisait aucun doute. Sans perdre un instant,
l'analyste se dirigea vers l'accueil où une infirmière
toute en jambes l'accueillit.
- Bonjour. Je m'appelle Maria Nakimura et je suis journaliste au Herald
Tribune.
Mei Ling
fit glisser un rectangle plastifié sur le comptoir. Au fil des
années, elle avait constitué pour Snake et Otacon une
impressionnante collection de faux papiers et, par acquis de
conscience, s'en était munie de quelques uns également.
Elle n'avait pas eu tort, finalement. L'hôtesse examina la
carte avec attention avant d'adresser à la jeune fille un
sourire aussi chaleureux que le professionnalisme le lui permettait.
-Que puis-je faire pour
vous mademoiselle ?
- Je travaille actuellement
sur les greffes et les transplantations de membres. J'ai cru
comprendre que cette clinique est de renommée mondiale dans ce
domaine. J'avoue ne pas m'être fait annoncer, mais j'ai profité
d'un voyage en Europe pour venir ici.
L'infirmière
réfléchit quelques instants avant de se saisir d'un
téléphone.
- Docteur Tirot ? J'ai ici
une journaliste du Herald Tribune. Non non, ce n'est pas une
plaisanterie. Elle mène une reportage sur les greffes et...
Vous êtes sûr ? Oui. Oui absolument. Merci docteur.
La femme se retourna vers
Mei Ling.
- Vous avez de la chance.
L'un de nos chirurgiens s'apprête à partir en congé
et il accepte de répondre à vos questions avant de
quitter la clinique. Prenez l'ascenseur jusqu'au second, son cabinet
est indiqué. Docteur Tirot.
La jeune fille remercia son
interlocutrice d'un signe de tête et se rendit à l'étage
indiqué. Un homme d'âge mur, légèrement
bedonnant, l'attendait dans le bureau indiqué. Il se leva à
son arrivée.
- Mademoiselle...
- Nakimura. C'est un plaisir
de vous rencontrer, Docteur Tirot.
- Moi de même. On m'a
dit que vous meniez une enquête sur les greffes...
- Tout à fait. Et ce
serait un véritable privilège d'avoir l'avis d'un
spécialiste travaillant dans cette clinique. Me permettez-vous
d'enregistrer notre échange ?
- Bien entendu.
L'asiatique posa un petit
appareil gris sur le bureau.
- Que désirez-vous
savoir ?
- Nous allons commencer par
des questions très classiques. Comment se passe un processus
de greffe, très exactement ?
- Eh bien nous avons à
l'hôpital une liste de donneurs d'organes et de gens en attente
de dons. Si l'un des donneurs d'organes décède, nous
prélevons les parties de son corps encore utilisables qui
pourraient servir à nos patients en attente.
- Je vois. Et admettons que
deux personnes aient besoin d'une jambe gauche ou d'un bras droit.
Laquelle aura priorité ?
- Cela dépend. En
général, les premiers arrivés sont les premiers
traités, sauf cas exceptionnels.
- Comme ?
L'homme eut un geste vague.
- Je ne sais pas... En fait,
ça ne m'est jamais arrivé. Mais de temps à
autres...
Il se tut. Visiblement, le
sujet le mettait mal à l'aise.
- Bien. Et en ce qui
concerne vos donneurs, de quelle façon les sélectionnez-vous
?
L'entretien se poursuivit
pendant près d'une demi-heure. Le docteur Tirot s'était
détendu et accueillait les questions avec sérénité.
Il finit par se lever de son fauteuil.
- Pour finir, je pourrais
peut-être vous montrer comment se déroule une opération
?
- En ai-je le droit ?
- Eh bien... Vous ne pourrez pas
prendre de photos, bien entendu, et nous resterons derrière
une baie vitrée. Mais cela vous aidera à comprendre de
quoi je parle exactement.
- Je vous suis.
Le chirurgien conduisit Mei Ling dans une enfilade de couloirs blancs. L'endroit lui
rappelait vaguement les bâtiments de Foxhound. Elle réprima
un petit frisson et hâta le pas. Son guide poussa une dernière
double porte et indiqua un large panneau de verre à son
invité.
- Voilà. Mes
collègues sont en train de procéder à une greffe
de main en ce moment même.
La jeune fille colla son nez
au carreau et promena son regard sur la salle devant elle. Un groupe
de trois personnes s'activait autour d'une jeune femme endormie.
- Cette patiente a opté
pour une anesthésie générale, bien que maintenant, on puisse... Mademoiselle ? Vous allez bien ?
Mei Ling titubait à
présent légèrement. Son visage avait pris une
teinte grisâtre. S'appuyant contre le mur, elle esquissa un
faible sourire.
- Rien de grave. Je n'ai pas
l'habitude d'assister à ce genre de spectacle, j'avoue que
c'est assez impressionnant.
Le médecin prit un
air désolé.
- Oh, veuillez m'excuser !
On s'habitue tellement à cela dans ma profession vous
comprenez...
- Oui... Oui...
Mei Ling se redressa.
- Ca va mieux. En tout cas
merci de votre collaboration docteur.
- Mais je vous en prie. Vous
êtes sûre que vous allez pouvoir retrouver la sortie
toute seule ?
- Ne vous inquiétez
pas pour moi. Soyez sûr que nous vous ferons parvenir l'article
avant de le publier afin que vous puissiez vérifier si nous
n'avons pas mal interprété vos propos.
- Mille mercis mademoiselle.
Bon voyage de retour.
Son dictaphone toujours à
la main, la jeune fille adressa un petit salut au chirurgien et sorti
d'un pas lent de la clinique. Elle quitta l'endroit à pied.
Elle n'avait pas fait cent mètres qu'une voiture grise déboula
dans le virage devant elle et pila à sa hauteur. La vitre du
conducteur s'ouvrit.
- Monte !
Mei Ling n'hésita pas
un instant.
- Je ne savais pas que tu me
rejoindrais si vite.
- Otacon a insisté.
Il était sûr que tu trouverais quelque chose.
- Et il a eu raison.
Mei Ling agita son
dictaphone sous le nez de Snake.
- Des photos de tout ce que
j'ai pu explorer dans le bâtiment, intérieur et
extérieur.
- Des soupçons ?
- Eh bien d'abord, j'ai
remarqué les caméras de surveillance.
- Qu'ont-elles de spécial
?
- Il y en a beaucoup. Trop.
Un hôpital est censé disposé d'un système
de sécurité perfectionné, ne serait-ce que pour
la prise en charge des patients, mais là, je ne peux pas
croire que ce soit le cas. Ces appareils sont des modèles tout
ce qu'il y a de plus récent. Et on en trouve un tout les cinq
mètres.
- Autre chose ?
- Oh oui, un petit détail.
Je me suis fait passer pour une journaliste et un docteur est
gentiment tombé dans le panneau. Il m'a emmené dans une
salle d'opérations pour que je vois comment les greffes se
déroulent.
- Et alors ?
- Alors l'un des toubibs en
train d'opérer n'était autre que notre chère
amie Naomi Hunter.
Snake revivait. Depuis
combien de temps n'avait-il pas ressenti cette poussée
d'adrénaline lui parcourir les veines, le sang battre
sourdement à ses tempes, tandis que tout son corps devenait
une flèche projetée par un archer expert, sûre de
toucher sa cible ?
A son poignet, sa montre
luisait doucement, indiquant très précisément
une heure quatre. Il était parfaitement dans les temps. Filant
le long de la route nationale, il ne tarda pas à apercevoir
l'arrière de la clinique Antoine Limousin. Les photos que Mei
Ling avaient prises, couplés à ses propres clichés
de l'extérieur du bâtiment avaient permis au radar
intégré dans ses nanos-machines de constituer un plan
assez précis des lieux. Assez précis pour se rendre
compte que le seul endroit par lequel il pourrait se glisser était
une grille d'évacuation de vapeur, qui donnait sur une
lingerie sans aucun doute. Alors qu'il s'approchait un peu plus de la
grille, le mercenaire distingua plusieurs silhouettes armées
de lampes torches. Des gardes privés visiblement. De là
où il était, Snake en dénombrait quatre. C'était
trop, beaucoup trop pour une clinique normale.
- Beaucoup trop...
D'un
geste, il décrocha les jumelles qu'il portait à la
ceinture et les braqua sur les sentinelles.
- Au moins une dizaine de
sentinelles, et armées avec plus que des flingues
d'ordonnance, je peux le jurer.
Il
fut tenté d'avertir Otacon ou Mei Ling puis se ravisa. Même
si les nano-machines qu'il utilisait avait peu de chances de se faire
pirater, mieux valait ne les employer qu'en cas de nécessité.
C'est donc en solitaire que Snake se coula, ombre parmi les ombres,
vers la grille de l'hôpital. Arrivé à une
dizaine de mètres de la barrière, il s'immobilisa à
nouveau. Le mouvement des gardes le rassura. S'ils étaient
lourdement équipés, ils ne semblaient cependant pas
particulièrement agressifs. Ces types étaient des
gardes privés rémunérés, rien à
voir avec les armadas de terroristes surentraînés avec
lesquels Snake avait déjà eu à faire. Il
s'accroupit, les yeux braqués sur les quelques gardes qu'il
avait dans son champ de vision. Les hommes discutaient entre eux,
cherchant visiblement à tromper l'ennui. Au bout d'une dizaine
de minutes, l'un d'entre eux porta la main à son côté.
Un talkie-walkie visiblement. Il écouta quelques secondes
puis, d'un signe de la main, enjoignit deux de ses compagnons à
le suivre. Parfait. Plus qu'un.
Snake ne perdit pas un
instant. Dégainant le M-9 dont il ne se séparait jamais
en mission, il fonça vers le grillage. L'herbe étouffait
le bruit de ses pas. Tout se passa très vite. Sans interrompre
sa course, il tendit le bras. Un coup parti, sans bruit ou presque,
et le garde restant s'écroula lourdement à terre. Snake
avait déjà agrippé la clôture et se
hissait, souple comme un chat, de l'autre côté. Le fait
qu'il s'agisse d'une clinique avait dû dissuader les mystérieux
propriétaires de l'endroit d'électrifier le grillage.
Une fois de l'autre côté, le mercenaire jeta un coup
d'oeil à sa victime qui ronflait à présent comme
un bienheureux. L'homme jeta un coup d'oeil sur l'arme à sa
ceinture. Un Beretta. Peu impressionnant, mais efficace. Il n'était
cependant pas question d'embarquer le pistolet, il fallait à
tout prix éviter le grabuge. Après avoir dissimulé
le gardien dans un buisson proche, Snake reprit son avancée.
Dos au mur, il parvint à la grille qu'il recherchait.
- Etroit. Il va falloir
se faire tout petit.
Sans
perdre un instant, le mercenaire se saisit de son couteau suisse et
s'appliqua à dévisser les quatre boulons qui retenaient
la grille. D'un coup de pied, il fit ensuite sauter le tuyau qui y
était relié et se glissa par le conduit, non sans avoir
replacé la grille. Autant gagner le plus de temps
possible. L'ancien militaire entama sa descente, rendant grâce
à sa combinaison qui, en comprimant légèrement
ses muscles, lui faisait perdre quelques millimètres de masse
corporelle. La descente fut bien plus aisée qu'il ne l'avait
imaginée.
Comme il l'avait supposé,
Snake se trouvait à présent dans une vaste salle
remplie de machines à laver et de sèche-linges. En
cette heure tardive, les lieux étaient déserts, comme
le confirmait le radar. Seul le ronron bruyant des machines se
faisait entendre. Doucement, le mercenaire monta les marches qui
menaient au rez-de-chaussée. Quelques infirmières
circulaient encore, visiblement, mais elles étaient peu
nombreuses. Eviter leur allées et venues se révéla
un jeu d'enfant pour le mercenaire. Il lui fallu moins de quarante
secondes pour parvenir à l'étage supérieur.
- C'est maintenant que
l'on va commencer à s'amuser.
En
effet, les caméras de sécurité n'avaient été
disposées, d'après les clichés de Mei-Ling qu'à
partir du premier étage. Et vu l'environnement dans lequel il
évoluait, il était hors de question d'utiliser une
grenade pour désactiver les systèmes de surveillance.
Dieu merci le radar indiquait le champ d'action des appareils de
surveillance. Se faufilant entre les faisceaux, l'homme
progressa, de mètre en mètre, dans l'interminable
couloir blanc, s'abritant dans les coins de porte. Il avait presque
atteint le deuxième étage lorsque le claquement sec de
talons hauts sur du carrelage se fit entendre. Une infirmière
avait du être sonnée et elle se dirigeait droit vers
Snake. Si celui-ci neutralisait la femme d'une fléchette
tranquillisante, les caméras de surveillance s'en rendraient
immédiatement compte. Et, vu la disposition des lieux, il
serait immédiatement repéré si jamais il restait
là où il était.
- Pas le choix.
Le plus
silencieusement possible, l'aventurier tourna la poignée de la
porte contre laquelle il se tenait.
Fermée.
Snake
étouffa un juron. La chambre devait être inoccupée.
Et les pas se rapprochaient. En désespoir de cause, il sortit
de l'une de ses poches une petite pièce de plastique de forme
étrange et l'introduisit dans la serrure. Otacon lui avait
présenté cet appareil au point quelques semaines
auparavant.
"L'ébauche
d'un passe-partout universel. Pour le moment, j'estime que ça
peut ouvrir environ quarante-cinq pour cent des portes à
serrure mécanique existant dans ce monde."
- Si cette lourde n'est
pas dans tes quarante-cinq pour cent Otacon, tu vas m'entendre...
L'infirmière
devait à peine se trouver à dix mètres à
présent.
Il y eut
un léger cliquetis et la porte s'ouvrit. Snake bondit à
l'intérieur de la pièce et referma en toute hâte.
Son coeur n'avait pas manqué un battement durant toute la
durée de l'opération. Dehors, le cliquetis des talons
gagna en volume puis s'éloigna progressivement.
Mais un
bruit subsistait.
Un bruit
heurté et saccadé, mais sans aucun doute humain. Un
bruit de respiration.
- Quelqu'un. Il y a
quelqu'un.
La main
sur le M-9, Snake fit quelque pas dans la chambre. Ses yeux
commençaient à s'habituer à l'obscurité.
- Dans le lit
Pourquoi
la personne ne parlait-elle pas ? Et surtout, pourquoi la porte
avait-elle été fermée à clé ? Dans
toutes les cliniques, les chambres occupées restaient ouvertes
afin que l'on puisse y pénétrer facilement en cas
d'urgence. Son intuition hurlait à Snake qu'il avait mis le
doit sur quelque chose d'important. Dévoré de
curiosité, le mercenaire s'approcha du lit. Un chuchotement
s'éleva.
- Qu'est-ce qu'il y a encore ? Qu'est-ce que vous voulez ?
- Moins
fort.
La voix
de Snake était un murmure. Malgré cela, l'autorité
naturelle de l'homme y perçait, et son mystérieux
interlocuteur se tut.
- Qui
êtes-vous ?
- Et
vous ?
- Je
suis ici pour enquêter sur cet endroit.
- Vous
ne faites pas partie de la police nationale. Votre accent... Vous
êtes anglais ?
- Ca n'a
pas d'importance. Qu'est-ce qui se passe ici ?
- Je ne
sais pas. On m'a emmené ici depuis... une semaine peut-être.
Les journaux ont du en parler.
La voix
était pâteuse, presque inexpressive. On avait du droguer
le "malade". Snake activa la lampe torche de son couteau
suisse. Il promena le mince faisceau blanc sur un visage terrorisé,
aux pupilles dilatées. Mais la frayeur n'en n'était
sûrement pas la seule cause. Le visage n'était pas
inconnu au mercenaire. Effectivement, les journaux en avaient parlé.
- Kevin
Ivart. Le nouveau général de l'Armée de l'Air.
C'est bien vous ?
-Oui...
Oui je crois.
- Pourquoi vous ont-ils amené ici ?
- Aucune
idée. Je dors... beaucoup.
Continuant
son inspection du militaire, Snake remarqua que la main gauche de
l'homme était marquée de différents signes qui
semblaient avoir été inscrits récemment.
- Vous
vous souvenez de qui vous a fait ça ?
- Un
docteur. Une jeune femme, très jolie.
- Assez
jeune ? Le teint mat ?
- Oui...
oui... Elle parlait anglais aussi, je crois...
- Naomi. Elle serait donc
à la solde des Patriotes, de Liquid ou je ne sais qui d'autre
?
L'aventurier
se redressa, un doigt sur les lèvres.
- Je
vais repartir. Surtout, ne parlez à personne de ma visite,
c'est ma seule chance de vous sortir de là.
Ivart se
redressa sur un coude. Une partie de sa lucidité semblait lui
être revenue.
- Je ne
suis pas le seul à avoir été enlevé. Ils
parlent d'autres personnes, quand ils viennent ici. Je ne sais pas ce
qui se trame, mais ça n'est pas beau. Et ce n'est pas le fait
d'une bande de dingue, croyez-moi mon vieux.
- Comment ça ?
- Je
suis général. On ne rentre pas chez moi comme ça.
Et pourtant, je me suis fait droguer et amener ici. Il n'y a que des
gens proches de moi qui auraient pu réussir ce coup-là.
Et si ce n'est pas ma famille, ce sont forcément des
collègues.
Snake
hocha la tête.
- Pour
le moment restez ici. Je vous garantis qu'on vous sortira de là.
Avant de
tourner les talons, Snake prit quelques photos d'Ivart. Si les choses
tournaient mal, les clichés permettraient au moins de faire
tomber la clinique. Après s'être assuré que tout
danger était écarté, il regagna le couloir et
monta au second.
Otacon
se passa une main dans les cheveux, les ébouriffant encore un
peu plus. Snake se refusait toujours à passer une
communication. Seule Mei Ling lui avait donné des
renseignements sur ce qu'elle avait pu découvrir et lui avait
envoyé les photos de la clinique par e-mail. C'est sur ces
maigres données que l'informaticien travaillait. Déterminer
qui exactement se cachait derrière tout ça. La greffe
du bras de Liquid n'était sûrement pas l'oeuvre des
Patriotes. Non. C'était du côté de Liquid
lui-même qu'il fallait creuser... Mais par où commencer
?
Un
mouvement derrière lui le fit se retourner. Jack était
entré dans le salon, agitant son double des clés devant
lui.
- Il n'y
a plus de café, fit-il simplement.
- Je
sais. Ca commence à manquer d'ailleurs. Tu vas en chercher ?
- Oui.
La supérette de la rue d'Odessa reste ouverte presque toute la
nuit.
- Génial. On va encore boire du jus de chaussette pendant une
semaine.
Jack
haussa les épaules avant de se diriger vers la porte d'entrée
tandis qu'Otacon retournait à son travail. Il resta quelques
instants à pianoter sur son clavier, méditant sur leur
étrange colocataire. Sur beaucoup de points, Jack lui faisait
songer à un adolescent attardé qui aurait refusé
de quitter le nid familial. Rien à voir avec ce jeune homme
déterminé que Snake avait laissé derrière
lui après l'incident de Big Shell. Ce qui c'était
passé, Otacon ne pouvait que le supputer. Toujours est-il que
la réaction de Snake avait été étonnante.
Il n'avait pas demandé un seul mot d'explication à
Raiden lorsque celui-ci s'était présenté dans
leurs quartiers généraux, enfermé dans un
mutisme total. Il avait demandé au jeune homme si celui-ci
désirait rester chez eux. Et depuis... Depuis Jack vivait une
vie de reclus, passant ses journées à lire,
sortant rarement, mais toujours prêt à aider dans les
tâches quotidiennes. Toute évocation du passé,
par contre, le plongeait dans un silence affolé dont il avait
le plus grand mal à ressortir.
Et maintenant cette affaire
qui prenait de l'ampleur avec l'arrivée de Mei Ling...
Otacon s'étira
bruyamment. C'était sa vie depuis quelques années à
présent. Celle d'un paria, jamais sûr du lendemain, et
exposé à la souffrance plus souvent qu'à son
tour. Mais il l'avait choisit, et contrairement à Jack, il
assumerait jusqu'au bout.
Reprenant les éléments
dont il disposait depuis le début, Hal décida de
laisser tomber les recherches par logiciel de traitement d'images et
tenta de faire appel à la simple logique. Qu'est-ce qui avait
pu se produire entre Liquid et Ocelot ? A quoi correspondait cette
réapparition de Naomi ? Et surtout, comment ces éléments
se combinaient-ils avec l'organisation des Patriotes ?
Le jeune homme consulta
plusieurs moteurs de recherches et, peu à peu, une idée
commença à émerger en lui. Se connectant à
un site Internet officieux, il consulta les archives de différents
journaux, anciens et récents. Quelque chose ne tournait pas
rond. Ces articles, le rapport Shadow Moses... Un jeu de
faux-semblants à plusieurs dimensions. L'informaticien sentit
un frisson lui parcourir l'échine. Il était en train de
comprendre. Il fallait contacter Snake et Mei Ling immédiatement.
Un léger coup à
la porte. Maugréant, Otacon se détourna de son écran.
La serrure devait encore être coincée.
- J'arrive.
... Bonne nuit, beau
gosse.
Jack adressa un petit signe
de tête au commerçant qui, même après
plusieurs mois, refusait toujours avec obstination de lui donner du
"monsieur" ou tout simplement "Jack". C'était
plutôt amusant. D'un pas léger, le jeune homme regagna
l'immeuble. Seuls quelques bars de nuit émettaient une douce
lueur à présent. Il serait bien entré boire un
verre. Ecouter de la musique, ou tout simplement les conversations
des habitués... Non, s'il n'était même pas
capable de faire une course en moins d'une heure, il n'était
vraiment plus bon à rien.
- C'est un peu le cas,
non ?
Raiden
serra le poing et accéléra sa marche. Ne pas penser,
surtout ne pas penser. Garder les yeux rivés au bitume sombre
qui défilait à chaque pas. Ce n'est qu'arrivé à
quelques pas de son logis que le jeune homme stoppa net sa marche, en
voyant deux hommes, encadrant un troisième, visiblement
incapable de tenir sur ses jambes. L'un de ses deux compagnons
maugréait que c'était bien de Franck de boire comme ça
et de se mettre minable, et que ça allait encore crier demain
au bureau s'il arrivait au travail dans cet état. Ce à
quoi l'autre répéta que c'était la dernière
fois qu'il le remorquait chez lui.
Les
muscles de Raiden réagirent avant son cerveau. Il tourna les
talons et s'éloigna de quelques pas, se dissimulant sur le
perron d'une porte. Quelques mois plus tôt, il aurait réagi
totalement différemment. Deux uppercuts auraient envoyés
les hommes au pays des songes.
Mais là,
il laissa Otacon se faire enlever sous ses yeux.
Les deux
hommes disparurent au bout de la rue. Ce n'est qu'alors que Jack,
très lentement, pénétra dans son immeuble et, le
coeur battant à tout rompre, regagna l'appartement de Snake.
Rien ou presque n'avait changé depuis son départ.
Otacon n'était plus là, pas plus que son ordinateur.
Rien d'autre. L'endroit n'avait absolument pas été
fouillé.
- Ils en avaient après
nous... Après eux ?
Oui.
Après eux. Raiden était bien placé pour savoir
que son corps ne comportait à présent plus de
nano-machines.
- N'y pense pas.
Personne
n'avait de raison de soupçonner qu'il avait trouvé
refuge ici.
- Refuge.
C'est à
ce moment là que quelque chose se produisit. On avait touché
à son refuge. A cet endroit où il avait découvert
Paul Auster, l'art de la Renaissance Italienne, le cinéma
autre qu'américain et la cuisine. On avait touché à
ces gens qui l'avaient accueilli. Jack se rua dans sa chambre. Sur sa
table de nuit, reposait une petite seringue scellée. Les
nano-machines d'Otacon et Mei Ling. Snake les lui avait remises
quelques semaines auparavant.
- Pour quand tu seras
prêt.
Le jeune
homme saisit la seringue dans son emballage, et la contempla quelques
instants.
Puis, il
la reposa et saisit son téléphone portable, sur lequel
il composa un code à vingt chiffres.
- Snake,
fit-il d'une voix posée, de cette voix qui ne variait jamais,
qui était la sienne depuis plusieurs mois, c'est Jack. Otacon
a été enlevé. J'ignore par qui.
