2. Où l'on fait la connaissance de Rudolf :

De deux choses l'une : ou Severus se faisait vieux, ou son rhume le faisait fonctionner au ralenti. Il espérait ardemment que c'était la deuxième, ou les gens n'allaient pas tarder à l'appeler le vieux Severus, ou pire, ce Bon Vieux Severus.

Son plan pour répandre la joie de Noël parmi ses collègues avait été appliqué à la moindre opportunité. Flitwick avait été le premier choix, bien sûr. Il était de la taille d'un elfe, avait des oreilles franchement elfiques, et ses compétences dans le domaine des charmes l'auraient rendu inestimable.

Mais ça n'allait pas se faire. Flitwick aurait adoré pouvoir l'aider, mais il avait malheureusement fait des réservations pour ses vacances l'après-midi même, et attendait le hibou qui lui apporterait ses tickets d'un instant à l'autre. Severus soupçonnait Flitwick d'avoir menti, mais il n'avait pas de preuve. Si Flitwick n'avait pas dit la vérité, ce le serait bientôt : cinq minutes après leur petite discussion, il avait du se précipiter dans la première agence de voyage pour sorciers accessible par la poudre de cheminette, pour réserver un séjour à N'importe où sauf Poudlard.

Il espérait qu'il en reviendrait avec l'estomac à l'envers, des coups de soleil, des engelures, ou une maladie autochtone (rayez les mentions inutiles, plusieurs choix possibles).

Minerva au moins avait accepté de retoucher le costume de Père Noël, afin que ses jambes soient décemment couvertes, même si elle ne s'était pas privée de marmonner qu'elle ne le faisait que pour les pauvres petits enfants qu'elle ne voulait pas voir traumatisés à la vue de ses chevilles. Il avait toujours l'air d'un gland dans le costume, mais au moins ce n'était plus un gland aux chevilles à l'air.

Cependant, elle s'était montrée intraitable au sujet de toute autre aide, disant qu'elle avait bien assez à faire à Poudlard pour s'occuper.

Elle tirait au flanc.

« Minerva, » dit-il. « ce n'est pas comme si le travail de directeur était difficile, même pendant les cours. Alors je ne crois pas que votre travail de Directrice Remplaçante soit si prenant. »

« Vous n'êtes pas le seul à vous être fait avoir par Albus, » répliqua t'elle amèrement. « Il m'a laissé la gestion de tout le trimestre écoulé et de la plus grande partie du trimestre à venir, y compris la compilation des statistiques des examens. J'en ai pour un bon mois de travail, vous savez. »

« Ce n'est rien comparé à l'idée de devoir me déguiser comme ça, pour parader dans le pays dans ce froid glacial, pour distribuer des cadeaux aux enfants. »

« Ce n'est pas si moche que ça, Severus. Ce n'est pas comme si vous deviez rencontrer les enfants. Ils seront tous au lit, à prétendre qu'ils dorment. »

Severus se ragaillardit à cette pensée. Il n'y avait pas réfléchi plus avant. Mais la mission du Père Noël était bel et bien d'entrer et sortir des maisons sans être vu, alors les chances que quelqu'un l'aperçoive étaient minces, et si jamais quelqu'un le voyait, ce serait tout à fait dans son droit de lui lancer un sort d'Oubliettte, sans que personne ne puisse lui reprocher d'avoir été méchant et cruel. C'était dans la caractéristique du boulot.

Et il restait toujours des enseignants qu'il n'avait pas approchés. La nouvelle s'était répandue, et ses camarades enseignants étaient miraculeusement injoignables. Ne restaient que Binns, joyeusement conscient qu'il ne risquait rien, et Trelawney.

A ce point, il était suffisamment désespéré pour envisager de demander son aide à Trelawney.

Il ne comprit pas un traître mot de la diatribe que lui servit Trelawney en réponse, mais le point essentiel semblait en être qu'elle ne lui donnerait même pas un pot pour pisser. Quelque chose en rapport avec le fait de collaborer à une institution qui répliquait la hiérarchie patriarcale de la société, au lieu de la remettre en cause, ce qui le fit cligner des yeux plusieurs fois pendant qu'il essayait de trier les mots pour en faire une phrase intelligible.

Trelawney n'avait pas seulement avalé un dictionnaire, elle s'était aussi acheté une conscience sociale.

« Vous voulez dire que vous voulez être le Père Noël ? » demanda t'il, trop heureux de pouvoir se débarrasser de toute l'affaire.

Malheureusement, Trelawney choisit d'interpréter sa surprise naturelle devant le fait que quelqu'un se porte volontaire pour un travail difficile comme une expression d'horreur à l'idée qu'une femme puisse accomplir un travail si pénible.

« Je veux être la Mère Noël, » dit-elle, en lançant un de ses doigts osseux sur son bras avec une vigueur inutile. « Je veux briser l'archétype et le transformer en un exemple de féminisme. Ce sont les femmes, après tout, qui ont le plus grand rôle dans l'éducation des enfants. Est-ce que vous avez idée de combien c'est insultant que ce soit une figure masculine qui apporte tous ces cadeaux, quand en réalité ce seront les femmes de la famille qui auront tout le boulot à Noël ? »

« Eh bien, quand vous m'en parlez de cette façon, je peux comprendre votre argument, » dit-il. « De toute évidence, le temps est venu de permettre à une femme de tenir ce rôle. Je crois d'ailleurs qu'à l'origine c'était un personnage féminin, » continua t'il, soudain inspiré. Il avait écouté –enfin, écouté était un grand mot, mais il avait été forcé de subir – les discours de Trelawney par le passé, et il savait exactement quels leviers actionner. « Après tout, si vous regardez le Père Noël avec attention, cette silhouette à l'estomac proéminent est clairement le relief d'une ancienne déesse de la fertilité, vous ne croyez pas ? Plus tard, les forces de la misogynie ont ajouté une barbe pour dissimuler la signification originelle de la silhouette. »

Il se demandait s'il n'y était pas allé un peu fort, mais apparemment non. Trelawney était rayonnante. « Vous avez écouté tout ce que je vous dis depuis si longtemps. Oh, Severus, je suis tellement touchée. »

Ne discute pas sur le sujet, surtout.

« Maintenant que nous avons eu cette petite conversation, Sybill, je me demande vraiment si j'ai le droit de remplir ce rôle. Je veux dire, Albus m'en a délégué la charge, mais ce serait tellement mal de perpétuer cette injustice. Je ne sais pas ce que je dois faire. » Il essaya de ressembler à quelqu'un qui était travaillé par sa conscience, mais s'arrêta quand il eu l'air de quelqu'un qui avait mal à l'estomac. Pour quelqu'un qui ne regarderait pas de trop près, ce serait suffisant.

« Humm, c'est un dilemme. Mais je crois que vous devriez écouter votre conscience. »

Severus regarda pensivement dans le vague. « Je n'ose espérer que vous me feriez la grande faveur, l'honneur de faire ça pour moi, Sybill ? » Comme si ce n'était pas ce qu'elle lui demandait depuis dix minutes.

« Severus, j'en serais enchantée, » répondit t'elle, lui donnant une tape sur la main en signe de remerciement.

« Splendide, » dit-il du ton jovial qu'Albus employait quand il avait réussi à convaincre quelqu'un de faire quelque chose pour lui. « Le traîneau et les cadeaux arrivent plus tard aujourd'hui, et je vous passerai la main à ce moment. Ce serait une bonne idée de faire un galop d'essai avec le traîneau. J'imagine qu'il n'est pas facile à manier. »

« J'imagine que vous pensez que je ne saurais pas le conduire ? » demanda t'elle, sur la défensive. « Qu'une simple femme ne saura pas se débrouiller avec un engin pareil. »

« J'ai toute confiance en vous, Sybill, » dit-il d'un ton apaisant. « Toute confiance. C'est d'Albus dont je me méfie. Vous savez bien combien il est tête en l'air parfois. Il est bien du genre à avoir oublié quelque chose, et je ne pense pas que vous vouliez vous rendre compte quand vous serez à trois milles mètres que c'est le charme anti-chute. »

« Oh, » dit-elle, sa colère instantanément éteinte. « Vous avez raison, oui, un vol d'essai est probablement une bonne idée. »

« Je vous attends à trois heures, alors ? »

Sybill acquiesça. « Ca me donnera le temps de trouver quelque chose à me mettre. Autant faire les choses bien. »

« Absolument. »

Severus et Sybill se séparèrent dans les meilleurs termes. L'esprit de Trelawney était rempli de robes et de traîneaux, et d'excitation à l'idée de faire quelque chose de plus intéressant que de renifler de l'encens, quelque chose d'important, quelque chose de mémorable, qui prouverait au monde tout ce qu'elle pouvait lui apporter.

Severus se demandait s'il était trop tôt pour se réjouir.

Il avait besoin de voir Hagrid pour le prévenir du changement de plans.

Il n'avait pas été nécessaire de persuader Hagrid de participer, il avait sauté sur l'occasion. Il était intrigué à l'idée de s'occuper des rennes du Père Noël, même s'ils ne répondaient pas à ses critères habituels pour les animaux de compagnie : une belligérance à la limite de la folie homicide. « Ce Rudolf, il est censé être un peu spécial, y sait parler et tout. J'ai jamais eu l'occasion de parler avec un animal avant. Ca me donnera une chance de savoir comment y sont »

Severus avait été ravi que quelqu'un d'autre soit chargé de ramasser la merde, métaphoriquement ou non.

Severus frappa à la porte de la cabane de Hagrid, et attendit la réponse avec impatience. Il gelait hors du château – encore plus, en fait, que dans le château déjà glacial à cette époque de l'année – et il sautillait d'un pied sur l'autre dans une tentative de se tenir chaud.

« Oh, c'est vous, Professeur, » dit Hagrid en lui ouvrant la porte. « Entrez, je vous attendais. »

Severus s'avança avec précaution. Il n'était jamais entré dans la cabane avant, et après que ses narines aient été submergées par l'odeur la plus nauséabonde qui soit, il était déterminé à ce que ce soit sa dernière visite. « Mais qu'est-ce que ça sent ? »

« Ah. » Hagrid avait l'air mal à l'aise. « Eh ben, vous voyez, c'qui se passe, c'est qu'une paire de lutins s'est pointée ce matin avec le traîneau et tout. Y z'avaient l'air un peu hostiles, et y voulaient que quelqu'un signe pour la livraison. J'ai dit qu'y fallait vous attendre, Mais y z'étaient pressés alors j'ai signé. »

« Et qu'est-ce qui ne va pas ? » demanda t'il d'un ton résigné. « Il doit y avoir quelque chose qui va de travers, sinon vous n'auriez pas l'air de quelqu'un qui a perdu un dragon et retrouvé un lézard. »

« C'est Rudolf, Professeur. Vous devriez v'nir voir. M'a l'air un peu mal en point. »

« Je ne suis pas un putain de Sorcier-vétérinaire, Hagrid. Je ne saurais pas faire la différence entre la maladie de Carré et la gale. S'il y a quelque chose qui cloche avec la bête, je suis sûr que vous avez plus de chances de le soigner que moi. » Il inspira de nouveau. Il y avait des éléments familiers dans cette odeur, une fois qu'on s'était remis du premier assaut. Du souffre ? De la menthe ? Et de la poudre à canon ?

Oh, non. C'était le remède patenté d'Hagrid contre la gueule de bois, et Hagrid était frais et dispos, ce qui ne pouvait signifier qu'une chose.

« Faites-moi voir ce putain de renne, Hagrid. »

Les animaux avaient été soigneusement installés dans un enclos ajouté à la hâte à côté de la cabane. Un mur de pierre, haut jusqu'à la taille, des murs en branches et torchis, et un toit de chaume rudimentaire.

Dans un coin se tenaient sept rennes, museau à museau, et en pleine conversation. De temps à autre ils jetaient un regard vers l'autre renne qui se tenait dans un splendide isolement dans le coin opposé, appuyé contre le mur, et l'air effectivement mal en point.

« Eh bien, au moins on sait pourquoi il a toujours le nez rouge, » dit Severus avec dégoût. « Il est ivre. »

« Qui qu't'appelles ivre ? » chuinta le renne. « Chuis parfaitement sobre, ch'te f'rais dire. J'ai p'têt pris un verre ou deux avant de commenmen… de commenmen… de débuter, mais c'est juste contre le froid. Chuis pas défait, ch'te f'rais dire. »

« Oui. Et je parie que tu arrêtes quand tu veux, » se moqua Severus. « On me l'a déjà faite, celle là. »

« Tu m'traite de menteur ? » demanda Rudolf, soudain agressif. « J'te casse la tête si tu dis ça, j'te casse la tête. »

« Faudrait d'abord que tu arrêtes de te tenir au mur. Tu ne me fais pas peur. »

Rudolf entama une série de pas maladroits vers Severus, et se rendit compte que certaines de ses pattes ne coopéraient pas pleinement. Il regarda vers elles. « Z'avez vu ça, » dit-il. « J'ai huit pattes. Cha peut pas être bon. Y'a quequ'chose qui va pas. A l'aide. » Il fit une dernière tentative désespérée pour réorganiser ses pieds, échoua totalement, fit un pas en avant avec les pattes qui n'existaient pas, pencha vers l'avant, s'écroula au sol en un tas désordonné, et se mit à ronfler comme un stentor.

Les autres rennes secouèrent la tête en condamnation, et tournèrent le dos à leur camarade au sol. D'après leur regard désapprobateurs, Severus en déduisit que ces rennes-là étaient des femelles. Il avait vu le même regard dans les yeux de Minerva après la dernière fête du personnel. Mais ce n'était pas suffisant pour qu'il éprouve de la compassion pour Rudolf. Severus s'était peut-être saoulé de façon dégoûtante pendant cette fête, mais au moins il savait qu'il n'avait rien à faire le lendemain, personne ne comptait sur lui pour qu'il distribue des cadeaux à des milliers d'enfants.

Il résista difficilement à l'envie de donner des coups de pieds au pitoyable animal. « Jetez lui un seau d'eau dessus, et voyez si vous arrivez à lui faire avaler un peu de votre mixture. Voyons si on peut faire qu'il soit vaguement sobre avant cet après-midi. Sybill a besoin de prendre le traîneau pour un vol d'essai, et je veux qu'il soit conscient et capable de compter ses pattes. »

Il laissa Hagrid à son sort, et disparut dans les donjons à la recherche d'une potion contre les maux de crâne et de cinq minutes de paix.

Au moins, ça ne pourrait pas aller plus mal.

Il n'aurait vraiment pas du tenter sa chance avec des pensées pareilles. Bien sur que ça pouvait être pire, ça le fut.

Sybill avait travaillé son costume. Sybill avait des idées bien arrêtées sur ce que devait porter une Mère Noël, des idées très claires. Pas de costume rouge pour elle, et pas non plus de longues robes de bon goût, non, elle avait choisi de porter une tenue de moldue, avec une jupe tellement raccourcie qu'il avait failli ne pas la voir. Il croyait savoir qu'on appelait ça une mini-jupe, et le nom était bien porté.

Il ne voyait pas comment elle pouvait porter ce genre de choses tout en dénonçant la tendance des hommes à ne voir les femmes que comme des objets sexuels, mais il devait admettre qu'il était agréablement surpris à la vue de ses jambes.

« Alors, » demanda t'elle en lissant nerveusement sa jupe. « Qu'est-ce que vous en pensez ? »

« Très joli, vraiment, très joli. » Il fit l'effort de regarder son visage en lui parlant, quelque peu perturbé par sa propre concupiscence.

« Vous ne pensez pas que ce soit un peu trop ? »

En fait, c'était surtout un peu pas assez. « Non, pas du tout. C'est un costume moderne pour une Mère Noël moderne. C'est un courant d'air frais. » …pour la cheminée. « Mais il faudra qu'on pense à ajouter des charmes de réchauffement au traîneau, pour être sûrs que vous ne preniez pas froid. »

Sybill se laissa réconforter, et accepta gracieusement le bras de Severus qui l'escorta jusqu'au terrain de Quidditch, où le traîneau était prêt. Il les attendait, les huit rennes attelés. Rudolf était presque vertical, même s'il penchait un peu vers la droite, et qu'il s'appuyait sur ses compagnons d'attelage.

Severus ne pouvait ressentir que de la sympathie pour le renne qui avait été placé derrière Rudolf et l'odeur méphitique qui émanait de son arrière-train.

Severus aida Sybill à prendre place dans le traîneau et, pendant qu'elle s'installait et se familiarisait avec les rênes, il rôda vers l'avant pour inspecter le leader souffrant. Il transpirait et il tremblait, tout en débitant à Hagrid sa rengaine ininterrompue.

« On peut pas m'traiter comme ça, j'vous f'rais savoir. Chuis la star. Ch'est moi la star, et pas eux. Y z'ont p'têt leur nom au générique, mais moi chuis dans l'titre. »

Severus le saisit fermement par l'oreille et siffla, « Et si tu ne te tais pas et que tu ne démarres pas à l'instant, tu es celui qui finira en sandwich à la viande. »

« T'oserais pas. »

« Il oserait, » intervint Hagrid. « Il a pas beaucoup de patience, le Professeur. Tout le monde le sait. Et quand y perd son calme, on peut jamais savoir ce qu'y va faire. L'est un peu salaud, en fait. »

« Merci beaucoup pour cette recommandation panégyrique, Hagrid. C'est toujours agréable de se savoir apprécié. »

« Hein ? »

« Peu importe. » Severus était content de voir que Rudolf avait l'air calmé, autant qu'il était possible pour un renne d'afficher un air plus compliqué que la simple colère. Il débitait une litanie quasi inaudible de grossièretés, même si ses grognements ne recevaient pas grand soutien de ses camarades.

« Bien, maintenant que ceci est réglé, j'imagine que personne n'a rien à ajouter ? » Il fixa les rennes un à un, comme s'ils étaient des élèves de première année à qui il donnait leurs devoirs. Aucune réponse ne se fit entendre. « Bien. » Il était bon de vérifier que ses vieux dons pour la communication fonctionnaient toujours.

Il leva la main, Sybill lui fit signe qu'elle était prête, et sa main s'abattit dans un mouvement brusque. « Go ! Go ! Go ! » cria-t'il.

La réaction fut décevante. Sybill abattit les rênes de la façon appropriée, mais rien ne se passa. Les rennes piétinèrent un peu et prirent un air embarrassé.

« C'est pas ça qu'on dit, » dit Rudolf d'un air supérieur.

Hagrid eut un hoquet et s'éloigna du traîneau.

« Ecoute, espèce d'assoiffé furieux. Si je dis go, tu y vas, parce que si tu ne démarres pas, le sandwich à la viande sera le cadet de tes soucis. Je pourrais commencer par une saucisse de renne, si tu vois ce que je veux dire… »

Rudolf loucha, il voyait ce que Severus voulait dire. « Bon, tout le monde, » annonça t'il. « Je compte jusqu'à trois. Un. Deux. Trois. »

Les rennes prirent leur élan et démarrèrent. Le traîneau fit un bond en avant, surprenant Sybill qui tomba en arrière, lâchant les rênes, et se cogna la tête sur l'arrière du traîneau avec un 'crack' audible.

Hagrid se saisit des rênes, empêchant le traîneau d'aller plus loin.

« Merde, » s'exclama Severus. « Si la vieille peau s'est fait mal, je me servirai de la tienne pour couvrir mes murs, et je ferai de tes bois l'ingrédient de base d'un aphrodisiaque de troisième zone. »

Sybill était inconsciente, et du sang s'échappait d'une mauvaise coupure à l'arrière de sa tête. Il tâta soigneusement son crâne, rassuré de ne sentir aucun endroit céder sous ses doigts. Pas de fracture. Il retira sa robe, et la cala sous sa tête pour la maintenir. « Je vais chercher Pomfresh, » dit-il à Hagrid. « Ca a l'air sérieux. Gardez un œil sur tout le monde. Et si elle se réveille, ne la laissez pas bouger. »

Severus acquit une vitesse respectable pour un homme d'âge moyen dont le seul sport était de terroriser les étudiants et de se sauver d'Albus. Il arriva à l'infirmerie en dix minutes pile, mais il ne put que haleter « Sybill. Terrain de Quidditch. Accident. Vite »

Pomfresh n'attendit pas la version longue, elle attrapa son kit de secours, et se précipita dehors en marmonnant sous cape contre Albus et son refus de supprimer ces saletés de barrières anti-apparition.

Severus se concentra sur le fait de retrouver son souffle, et en profita pour admirer les jolies loupiotes jaunes et violettes qui lui dansaient devant les yeux. Il était à peine remis, cherchant dans les tiroirs du bureau l'endroit où Poppy conservait son brandy à usage médical, quand Sybill fut amenée dans un brancard, protestant faiblement qu'elle allait bien et qu'elle pouvait marcher.

« Je suis juge en la matière, » dit Poppy sans aménité. « C'est moi la médicomage, ici. »

Sybill fut installée dans un lit, et des écrans furent dressés. Derrière, on pouvait entendre un assortiment de plaintes, grognements, et même un cri aigu et quelque peu indigné quand Poppy trouva un point particulièrement sensible.

Poppy refit surface une demi-heure plus tard, pour informer Severus que Sybill n'allait pas bien, qu'elle avait une commotion et qu'elle allait rester en observation pour quelques jours.

« Alors elle ne pourra pas jouer les Mère Noël ? »

« Non, elle ne pourra pas. Et je suis sûre que personne n'en est plus désolé qu'elle. Alors n'allez pas la faire culpabiliser, » dit fermement Poppy.

Severus n'avait aucune intention de faire un chose pareille, et il le lui fit savoir. Elle était peut-être une femme ennuyeuse à bien des égards, mais jamais il n'aurait voulu la voir sérieusement blessée. Ne serai-ce que parce qu'on l'en aurait blâmé, lui. D'autant plus que l'un de ses souvenirs préférés du temps où Potter était à Poudlard était le visage qu'il avait le jour où Sybill avait prédit sa mort.

« Vous pouvez la voir maintenant, » dit Poppy, en le poussant en direction du lit.

Sybill était assise dans son lit, avec un large bandage inutile autour de la tête. Elle était pâle, et ses mains tremblaient. « Je suis désolée, » dit-elle. « Je ne sais pas ce qui s'est passé. Poppy dit que je ne peux pas sortir du lit, et maintenant tout le monde va penser qu'une femme est incapable de conduire un traîneau, ou d'être le Père Noël, et ce sera de ma faute. »

Elle ne fondit pas en larmes, mais elle reniflait horriblement.

Severus reconnut l'amertume de la déception. Il savait ce que ça faisait de vouloir le travail de Professeur de Défense contre les Forces du Mal, et de voir le poste aller à des fous, des loups-garous, des imposteurs. Il s'assit sur le bord du lit et lui tapota la main. « Ne soyez pas bête. Ce n'est pas votre faute. Ce renne sans cervelle était décidé à causer des problèmes. Et puis, il y a toujours l'année prochaine. »

« L'année prochaine ? »

« Je dirais qu'une fois qu'Albus aura goûté à la belle vie pendant les fêtes de Noël, on peut être sûr qu'il voudra de nouveau prendre des vacances l'année prochaine. Ce qui signifie qu'il aura de nouveau besoin de quelqu'un pour le remplacer comme Père Noël. » Il savait également comment fonctionnait le cerveau d'Albus, et il prenait note d'avoir un sérieux plan B en place d'ici le prochain Noël.

Sybill avait l'air un peu plus joyeuse. « Et vous me laisserez une autre chance ? »

« Bien sûr, Sybill. En fait, j'insiste pour le faire. »

« C'est vraiment gentil à vous, Severus. »

« Je sais. Mais ne le répétez à personne. »

Sybill eut un petit rire étouffé, ce qui attira l'attention de Poppy. Elle le mit à la porte de l'Infirmerie.

Retour à la case départ.

Il était peut-être revenu à la case départ, mais il avait une paire d'idées en place pour arriver à la deuxième case. La première question à régler était de savoir qui seraient ses petits lutins. Il ne voyait pas d'autre solution : ce seraient les Elfes de Maison.

Le bon côté des choses, c'est qu'ils étaient parfaits pour le rôles des elfes du Père Noël, vu qu'ils étaient en fait, des Elfes. Donc, pas besoin de déguisements. Et même s'ils ne brillaient pas par leur intelligence, il en avaient suffisamment pour le propos, et ils avaient tendance à faire ce qu'on leur ordonnait sans qu'on n'ait besoin de leur crier dessus.

Il y avait le petit détail de la Directive de Temps de Travail, mais il était sûr de pouvoir trouver un arrangement. De préférence, par la ruse plutôt qu'en allant au Ministère plaider son cas en personne auprès d'Hermione Granger. Il ne pensait pas qu'elle aurait le cœur de lui refuser l'utilisation des Elfes, pas s'il agissait en tant que Père Noël, mais il ne voulait vraiment pas que plus de personnes que strictement nécessaire ne soient au courant de ses activités.

Surtout des personnes qui risquaient de bavarder avec Potter, qui sans aucun doute rirait à se pisser dessus à l'idée de Rogue en costume rouge.

C'était un prix qu'il n'était pas prêt à payer.

Le tact, et la faim, lui suggérèrent que la conversation avec le Chef Elfe de Maison ait lieu dans les immenses cuisines voûtées de Poudlard. Il y avait quelque chose de sinistre dans ces cuisines, avec leurs grands chaudrons au contenu non identifiable qui bouillonnaient, créant d'énormes nuages de vapeur qui lui embrouillaient la vue.

Il ne pouvait pas se débarrasser de l'impression qu'ils le regardaient. Franchement, il en avait la chair de poule, et pourtant, il avait traîné dans des cimetières avec un Lord Maléfique, et il avait l'habitude de déjeuner chez les Malefoy.

« Qu'est-ce que Sprotty peut faire pour le Professeur, Monsieur ? »

Severus réfréna son cri de surprise, et l'instinct qui lui fit saisir sa baguette, et se retourna pour trouver un Elfe derrière lui. « J'aimerais parler au Chef Elfe, s'il te plait, Sprotty. »

Les gens auraient été surpris de savoir qu'il était toujours de la plus exquise politesse envers les Elfes de Maison, alors qu'il ne s'en donnait pas souvent la peine avec les humains. Son point de vue était le suivant : ce n'étaient pas des humains qui préparaient ses repas, nettoyaient ses quartiers ou faisaient sa lessive, c'étaient les Elfes de Maison. Il aurait suffi qu'un Elfe du genre de Dobby le prenne en grippe, et au mieux il pouvait espérer qu'il se contenterait de cracher dans ses repas, mais le pire pouvait impliquer le poison. Et personne ne soupçonnerait jamais un Elfe de Maison, pas vrai ? Un elfe de Maison était l'assassin parfait.

Alors la prudence, sinon la paranoïa, le rendait poli.

« Oui, votre Votre Professorité. Tout de suite. Sprotty est si content de pouvoir aider le Professeur. S'il veut bien suivre Sprotty, Sprotty va le guider vers le Chef Elfe. »

Et jamais il ne pouvait se débarrasser de l'impression qu'ils se moquaient de lui quand ils parlaient comme ça. Il savait reconnaître un sarcasme quand il en entendait un.

Le Chef Elfes était identique à tous les autres Elfes aux yeux de Severus. Les dieux seuls savaient comment il pouvaient savoir qui était qui, et qui était de quel sexe ; l'odeur, probablement. Il chassa cette pensée avant qu'elle ne puisse mener plus loin.

« Bonjour, euh… Spigott, c'est ça ? »

« Spigott est si content que le Professeur se souvienne de son nom. »

« Oui, eh bien, le Professeur est content que Spigott soit content. » C'est un jeu qui peut se jouer à deux, mon vieux. Il aurait juré avoir vu l'Elfe grimacer. « Voilà, Spigott, le Professeur a un petit problème et il a pensé que Spigott et les autres Elfes de Maison pourraient l'aider. On a demandé au Professeur de faire quelque chose de vraiment important pour le réveillon de Noël, et il ne peut pas le faire tout seul. »

« Spigott se demande pourquoi les autres Professeurs ne veulent pas aider Sa Professorité. »

« Je crois que c'est parce que c'est une bande de bâtards égoïstes, en fait, » dit Severus avec amertume. « Ce qui me laisse dans le pétrin, et je me demandais si vous vouliez envisager de m'aider. »

« Vous n'ordonne pas à Spigott d'aider ? »

« Non, 'vous' n'ordonne pas, » confirma t'il, plus concerné par le fond de la question que par la grammaire. « En fait, je crois que seul Albus peut vous ordonner de faire quoi que ce soit, non ? »

Spigott avait un air hautain. Il le prit comme un oui.

« Alors, je me demandais s'il serait possible qu'on parvienne à une sorte d'arrangement ? »

« On est des Elfes. On aime bien aider si on peut, » répondit Spigott.

« Ce dont j'ai besoin, c'est de quelques Elfes pour la veille de Noël. Il faut emballer les cadeaux, les charger sur le traîneau, et dans l'idéal j'aurais besoin qu'un Elfe m'accompagne sur le traîneau pour m'aider à distribuer les cadeaux. »

Une fois, Severus avait abîmé son matériel de Potions, et il avait du aller le faire réparer. Le sorcier avait regardé les morceaux de métal fondu et avait lentement inspiré entre ses dents ; et il avait su que ça allait lui coûter cher. Spigott avait la même expression sur le visage.

« Que voulez-vous ? » demanda t'il, sachant que Spigott menait la danse.

Et Spigott le lui dit. Il voulait qu'Hermione Granger arrête de s'intéresser au bien-être des Elfes de Maison, parce que son comportement devenait problématique. Si elle s'obstinait à répéter combien les Elfes de Maison étaient intelligents, ils finiraient par avoir des ennuis, et leur bonne planque allait être révélée. Ils seraient peut-être mis dehors, forcés de se débrouiller seuls, et ils n'aimeraient pas ça du tout.

Rien de difficile, donc.

Severus promit de faire de son mieux, et il se sentit très mal à l'aise à l'idée de ce qui se passerait s'ils décidaient que son mieux n'était pas suffisant. Des chemises roses ? Des sous-vêtements gris ? Trop d'amidon ? Il pouvaient faire de sa vie un enfer s'ils le voulaient, et ils ne se priveraient sûrement pas.

Mais comment diable stopper Mademoiselle Granger une fois qu'elle s'était mise une idée dans le crâne ?