Disclaimer : Les gars sont pas à moi (et je crois pas qu'avoir un dragon qui ressemble à Hakuryu sur mon bureau compte non plus) ni maintenant, ni dans une autre vie…snif…

Un grand merci pour les merveilleux feedback du prologue à Shyriane, Flojirô, Mellyna et Nighty Sha !

Cette installation compte un peu pour du beurre, mais promis, l'histoire va avancer…un jour…

Warning : huge, huge, huge spoiler de Gaiden et vagues réminiscences de GS…

« Ou bien existe-t-il réellement une sombre Puissance, du nom de Hasard, qui, en despote criminel, se permet d'arrêter arbitrairement les oscillations qui en apparence, déterminent toute existence conformément aux lois éternelles de la nature ? »

E.T.A Hoffmann « Le chat Murr »

####################### Prélude : Petite Musique des Âmes ####

Le roi de la mer occidentale regarda le prince youkai disparaître dans un éclair de pure lumière. Ce dernier redescendait fouler le sol terrestre. Goujun avait beau savoir que c'était ce qui devait arriver depuis toujours, que Kougaiji n'aurait pas pu rester éternellement cet automate se mouvant avec seulement l'apparence de la vie, il ne savait que penser. Et il avait peur. Oh, cela l'affectait peu. La peur est un sentiment typiquement animal. Depuis bien longtemps ses congénères et lui avaient appris à l'ignorer. Il avait beau savoir ce qu'était la peur, elle ne représentait pour lui qu'un léger souffle courant sous sa peau. Cependant, il savait, en en reconnaissant la présence, qu'il s'avouait que quelque part il se passait quelque chose.

À la seconde même où le youkai de feu avait enfin rouvert les yeux, avait enfin posé son regard sur le monde, il l'avait senti. Quelque chose de grand. Quelque chose d'obscur. Quelque chose qui se réveillait, prenait comme une calme inspiration avant de se remettre en marche. Il entendit un sourd sifflement tandis que dans son esprit il sentait tout à coup quatre cordes distinctes se tendre brusquement. Violet, Vert, Rouge et Or s'agitèrent comme sous l'effet d'une légère brise. Cela recommençait.

D'ailleurs, quand le prince le lui avait demandé, il lui avait pratiquement dit qu'il fallait qu'il parte. Parfois le dragon ne se comprenait pas lui-même. Pour avoir vécu la même expérience, il savait avec acuité que le résultat d'une telle entreprise ne saurait que laisser un goût amer. Oui, lui aussi était descendu sur Terre. Avait abdiqué sa propre identité en une large mesure, puisqu'il s'agissait du prix à payer pour un tel voyage. Kougaiji le comprendrait tôt ou tard. Et qu'en avait-il retiré, lui, Goujun ? À part une peine lancinante que ceux de sa race n'était pas censés connaître et une amertume profonde qui le brûlait plus que n'importe quelle flamme ?

« Goujun… C'est bientôt le moment. » s'accorda à lui dire doucement Kanzeon bosatsu, rejoignant en cela à son insu l'intuition du dragon. La surprise dans son regard sombre de déesse n'avait pas été feinte quand le roi blanc l'avait rejointe dans ses appartements pour assister sans un mot au départ de Kougaiji. Mais penchée sur l'onde de son bassin divinatoire, elle avait bientôt oublié jusqu'à sa présence, absorbée dans la recherche des quatre âmes dont elle avait décidé de regarder s'entremêler à nouveau les destins. Elle ne se souvint de lui que lorsqu'elle les eut enfin retrouvés. Si proches sans le savoir les uns des autres. Les circonstances semblaient favorables. Cette fois…Cette fois enfin…

« Je ne veux pas savoir. » répondit Goujun d'une voix atone. C'était la première fois depuis des lustres qu'il lui répondait enfin. Elle en ressentit une certaine satisfaction. Cela ne dura pas. « En fait, je sais déjà. Ils ne se retrouvent jamais. » ajouta-t-il sur un ton final, après un moment.

Elle lui jeta un regard interloqué. Presque outrée qu'il puisse mettre en doute ses prévisions. Avait-il oublié l'omniscience des Dieux ? Puis elle se souvint que tempêter ne servait à rien (surtout devant un dragon) d'autant plus qu'il avait raison. Ils ne se retrouvaient jamais. S'ils se croisaient toujours, ils ne généraient jamais de liens. Le sanzo-ikkou n'était plus qu'un souvenir qu'elle chérissait. Dans la réalité, l'étincelle qu'aurait dû engendrer leurs rencontres ne se produisait jamais. Elle avait supposé que Kougaiji était peut-être la pièce manquante, que la flamme de sa propre substance contribuerait à initier le processus… Soudain, comme un nuage cache le soleil, la mélancolie voila ses beaux traits. Elle eut tout à coup l'air bien trop humain, constata Goujun avec un certain détachement, en son fort intérieur. Comme il l'avait dit, il ne voulait pas assister à ce qui allait se passer.

Alors le dragon s'éloigna. Quitta la pièce. S'engouffra dans les couloirs qui abritaient autrefois les baraquements de l'armée occidentale depuis longtemps dissoute, puisque les dieux n'étaient plus les bienvenus sur Terre. L'écho de ses pas rebondissant sur les murs à la peinture écaillée. Même l'immuabilité du Ciel commençait à se craqueler. Kanzeon bosatsu n'eut aucun geste pour le retenir. Elle se pencha à nouveau sur le présent qui flottait entre les lotus…

Violet, Vert, Rouge et Or. Goujun pouvait constamment les sentir, de toute façon. Comme au bord de son esprit. Présences intangibles. Sentiments plus ou moins distincts, étranges sans pour autant lui être étrangers, qui chatouillaient le bord de son esprit. Parfois venait la tentation absurde de se retourner pour les voir, tout simplement. Les regarder enfin en face, comme s'ils allaient se tenir là, juste derrière lui. Et comme des Eurydice joueuses, ces sensations se volatilisaient aussitôt dés qu'il essayait de se concentrer sur elles, pour revenir quelques minutes plus tard sans qu'il s'en rende vraiment compte.

Violet, Vert, Rouge et Or. Chacun ressemblait à la corde d'un même instrument de musique dont une extrémité serait enracinée en un endroit reculé, inexploré de sa propre âme. Chacun avec sa propre harmonie, sa propre mélodie. Sa propre couleur. Des tessitures chaudes dont il pouvait sentir la moindre vibration et cela malgré la distance qui séparait aujourd'hui le Ciel de la Terre…

Goujun s'était pris dans le filet de leurs vies sans le vouloir. Il y avait des milliers d'années de cela. Comme un papillon blanc dont les ailes auraient tout à coup absorbé leurs couleurs pour les faire siennes. Elles n'étaient même pas responsables de l'avoir capturé ainsi, ces quatre âmes… Et même, n'en avaient jamais eu conscience. Pour être légères, les chaînes dont elles l'avaient paré étaient pourtant solides. Curieux comme il en avait fallu peu pour le lier à elles pour l'éternité…Il était enchaîné par quatre simples fils de soie, se prenait-il souvent à penser. Violet, Vert, Rouge et Or.

Vert.

Tenpou gensui avait été le premier. Il avait accueilli le dieu guerrier dans ses bureaux (son antre, disaient alors certains), ce jour-là. Le kami était censé devenir un de ses officiers. Au premier regard, il aurait dû comprendre, se disait le dragon rétrospectivement. Mais en ce temps-là, il avait pris cette étrange sensation pour la simple exaltation d'avoir enfin trouvé un officier compétent, un être brillant. Quelqu'un qui serait à sa mesure et sur lequel il pourrait se reposer…Le regard vert du nouveau marshal avait beau se dissimuler derrière du verre, Goujun le sentait qui se posait, loin…Si loin devant lui... Il avait senti la volonté de mouvoir les montagnes qu'il recelait - peut-être même le Paradis lui-même si on lui en laissait l'occasion , soigneusement dissimulée sous les traits ce personnage à l'apparence anodine. Le poids d'un savoir que même la soi-disant omniscience dont se targuaient les dieux ne saurait entièrement expliquer. Goujun avait tout de suite su qu'il prendrait un plaisir intense à observer cet homme agir…Un lien invisible se créa dans le respect mutuel.

Rouge.

Kenren taishou. Les choses avaient été plus graduelles. Pendant longtemps Goujun n'avait pas réalisé, alors même que son antipathie instinctive pour l'homme aurait dû l'alerter…Les dragons ne sont pas sujets aux émotions violentes. Peut-être l'essence de son être était-elle trop différente de celle de Tenpou gensui pour qu'il comprenne pleinement la séduction qui en émanait. Il avait vu le général éveiller l'intérêt du marshal et n'avait pas compris le délicat motif de contrepoint qui se formait déjà entre ces deux voix. Ce n'est que dans la pénombre d'une cellule humide qu'il réalisa à quel point ils étaient semblables… La même force chez Kenren taishou, mais différente…Une obstination qui broyait les obstacles devant elles : non pas qu'elle évitait les mauvais coups, l'état du général lacéré par le fouet en était la preuve, mais son essence, elle, était intacte, plus brillante que jamais. La certitude de celui qui agit en accord avec lui-même irradiait de son corps meurtri. Un lien invisible se créa dans cette incompréhension conflictuelle.

Plusieurs fois il lui avait semblé sentir différentes voix se mêler à l'entêtante mélopée que formait sa conscience du général et du marshal, comme un bourdonnement à peine audible à l'arrière de son crâne…Mais ces deux nouvelles lignes mélodiques, tortueuses et brillantes, s'écoulaient comme de l'eau, il ne pouvait les saisir aussi clairement.

Et puis ce jour fatal…

Or.

Son Goku. Le cri de l'itan retentit comme un cor puissant qui fit trembler tout son être. La créature dépourvue de son diadème fut ensuite mortellement silencieuse mais sa puissance même était tellement faramineuse qu'il n'en fallait guère plus pour la ressentir en tout lieu du Paradis. La libération d'un tel pouvoir avait comme figé son âme. Goujun avait eu du mal à s'en remettre alors même que la créature avait déjà perdu connaissance. Peut-être est-ce à cause de cet engourdissement profond que le marshal était arrivé si facilement à placer sa lame contre sa gorge, le prendre comme otage, tandis qu'apologie et détermination se mêlaient étrangement dans son regard vert…Et puis la fuite. Pour la première fois il lui sembla entendre distinctement quelques notes de cette mélodie qui chuchotait dans son esprit depuis quelques temps : une fugue sauvage et endiablée, il réalisait… Ils tachaient d'atteindre les quartiers du marshal. À un moment où un autre de leur trajet, il sentit le corps de l'itan inconscient que portait le général glisser contre sa propre épaule alors qu'ils se plaquaient tous contre un mur pour éviter les gardes lancés à leur recherche. Avec ses sens aiguisés de dragon, il entendit soudain le battement du cœur de l'enfant. Ce rythme, aussi erratique qu'il soit à cet instant, guidait maintenant leurs pas à tous…Un nouveau lien invisible se créa dans cette violence irrationnelle.

Violet.

Konzen Douji. La dernière pièce de ce puzzle étrange. Ils avaient enfin atteint la bibliothèque du marshal. Leur dernier retranchement. C'est au neveu du bodhitsattva qu'était revenue la tâche de lui lier les mains pendant que Tenpou gensui cherchait un moyen de s'occuper de l'itan et que Kenren taishou barricadait l'endroit. Le contact des longs doigts fins de Konzen Douji effleurant ses poignets alors qu'il enroulait les cordes autour de ses mains brûla le dragon comme une décharge d'énergie, mais c'est dans le regard du blond qu'il trouva la dernière révélation. Une calme résolution brilla soudain dans ces yeux violets tandis qu'il reprenait sans un mot (hormis ce nom, Goku, qu'il ne cessait de mrumurer de temps à autre) sa vigile auprès de l'enfant…En cet endroit des plus improbables, il sembla soudain irradier d'une sérénité immense alors qu'il englobait de son regard le groupe disparate d'individus ainsi réunis. Sans doute se souvenait-il de ce moment où marshal et général s'étaient dressés à ses côtés sur cette scène de carnage, pour protéger l'enfant qu'il veillait maintenant. Sans doute se souvenait-il du sentiment de parfaite rectitude des choses qu'il avait ressenti quand il avait pourtant laissé échapper leurs deux noms dans son saisissement. Un dernier lien invisible se créa dans cette harmonie irréelle…

Violet, Vert, Rouge et Or.

Fous. Il les avait traités de fous. Ho, le dragon avait réalisé plus tard qu'ils en étaient sans doute déjà conscients eux-mêmes. Quatre contre le reste du Paradis. Deux seulement qui étaient réellement des guerriers. Et Goujun avait été certain qu'ils allaient mourir. Ils ne pouvaient pas espérer survivre. Il ne restait d'autre issue que ce suicide. Car toute résistance équivalait à un suicide, maintenant…Et la danse de ces quatre âmes commença ainsi, au moment où leur sang coula et que le carma posa sur eux ses yeux voraces...

Violet, Vert, Rouge et Or.

Lorsqu'ils étaient morts, toute mélodie s'était soudain tue dans son esprit. Mais la roue du Destin tourna, et sur Terre leurs âmes migrèrent. Le jour où Goujun ressentit leur présence à tous les quatre, en bas, il connut le choc de la réalisation. C'était la première fois qu'il prenait réellement conscience, dans leur réelle étendue, des liens infimes qui s'étaient créés au Ciel et que même la mort et le sang versé n'avaient pu trancher. Des sensations qui n'étaient pas siennes et qui pourtant faisaient soudain partie de lui. Et l'accord de leurs harmoniques à tous quatre était devenu parfait.

Violet, Vert, Rouge et Or.

Violet, Vert, Rouge. Ils s'entremêlaient sans limite en des entrelacs précieux, maintenant inextricablement liés les uns aux autres d'incarnation en incarnation, recouvrant l'âme du dragon un filet invisible et coloré… Même les intrigues d'un bodhisattva n'expliquaient pas à elles seules comment leurs âmes s'étaient un jour retrouvées en Togenkyô. Or. Un jour Violet avait retrouvé Or. Le voyage vers l'Ouest pouvait commencer.

Après leur mort cette fois-là, leur mort à tous puisque même l'itan n'était plus, Goujun n'avait eu aucun doute, ils étaient voués à se retrouver. Il avait entendu à nouveau cet accord parfait à l'instant même où le cadavre de l'enfant aux yeux d'or avait touché le sol. En tout cas pour une fraction de seconde. Car presque aussitôt les quatre fils se délitèrent… Cela coïncidait avec le moment où le bodhisattva avait ouvert la bouche. Le petit dragon blanc qu'il était alors avait ressenti un violent frisson arquer son long cou. Dans le cycle de réincarnation suivant, aucun lien ne se forma entre les quatre voyageurs. Ils se croisèrent sans se voir. Observateur attentif dans son coin de paradis, il en fut horrifié. Kanzeon fut en rage. Mais décida que la prochaine fois serait la bonne. Goujun le savait. Goujun le sentait. Évidemment, elle ne le fut pas.

Violet, Vert, Rouge et Or.

Et maintenant ces présences lui étaient aussi familières que les perceptions de ses propres sens. Vie après vie, leurs souffrances étaient devenues les siennes. Depuis des lustres, ceux de sa race – ou du moins le peu qu'il en restait – ne le regardaient plus que comme une créature corrompue par l'essence des hommes, un paria. Il puait l'humain, disaient-ils. Le Paradis qu'il partageait avec les dieux était réellement devenu son dernier refuge. Tous ses espoirs s'étaient éteints depuis longtemps, après de longs siècles à observer cette danse sans fin à quatre temps dont les figures compliquées faisait se croiser, se frôler, s'éviter pour se rejoindre et pourtant ne jamais se trouver Vert, Violet, Rouge et Or. Il ne comptait plus les rencontres ratées, les fractions de secondes où se croisant sans se voir chacun d'eux se languissait sans comprendre de quoi, ce qui donnait au dragon l'envie de hurler pour qu'ils ouvrent simplement les yeux… Quand ils ne s'entretuaient pas, bien sûr. Cela aussi s'était produit. Et toujours le dragon avait regardé sans détourner le regard. S'il avait eu un cœur à proprement parler, celui-ci se serait probablement brisé depuis bien longtemps. Alors c'est vrai, même en sachant qu'il était sur le point de se passer quelque chose, aujourd'hui, pour la première fois, il se surprenait à ne pas vouloir savoir.

##### fin de l'interlude####

à suivre…Chap 1 : Fated Souls…