OoOoOoOoO
Sha Gojyo …
…en avait marre de s'excuser d'exister. C'était pourtant ce qu'il avait plus ou moins fait pendant la majeure partie de sa vie. Ça et se cacher en espérant éviter les mauvais coups. Ou simplement survivre. Il avait l'habitude. Il avait commencé très tôt. Enfant, déjà, sa belle-mère refusait de poser les yeux sur lui. Elle avait décrété dès le premier jour qu'il n'était pas son fils. Évidemment qu'il ne l'était pas ! Mais le fait est que le gamin n'avait pas d'autre mère dont il pourrait espérer la tendresse, alors bien sûr, ça faisait mal. Autant les jours d'indifférence glaciale que les jours où les coups tombaient. « Pardonne-moi ! » ne cessait-il de répéter. « Pardonne-moi ! ».
Pour arranger les choses, lui dont le sort laissait cette femme indifférente avait plutôt tendance à attirer les autres regards : cheveux rouges, yeux rouges. Enfant, on le considérait comme une bizarrerie. Sur son passage, regards en coin et messes basses étaient la règle. Et la femme qui était supposée l'élever, si elle ne daignait lui accorder un regard, n'en était pas sourde pour autant. Et le rappel constant de la trahison de son mari la rendait folle. Littéralement. Et les fous ont une manière très particulière d'éliminer les problèmes à la racine. Dans son esprit malade une question la taraudait…Est-ce que le sang de cet enfant serait aussi rouge que ses yeux ? Que ses cheveux ?
Par chance, elle ne le saurait jamais. Sha Jien avait mis la main sur une arme à feu et savait s'en servir. Le coup partit, et dans cet éclat de tonnerre, la vie de Sha Gojyo bascula. La femme n'était pas morte mais se comporta comme une démente à son réveil. On l'interna. Le fils aîné avait presque tué sa mère, l'arme était volée, alors pour un temps on « l'éloigna ». La vérité sort de la bouche des enfants, dit-on. On ne l'écouta pas. On ne crut jamais à la légitime défense. Restait le cadet, on le plaça. « Pardonne-moi…Pardonne-moi… » murmura-t-il avant qu'on ne le sépare de son frère aîné.
En grandissant, le rouge devint plus facile à porter cependant. Adolescent, dans le foyer, c'était plus simple, on le prenait juste pour un punk (ce qui n'arrangeait cependant guère les choses vu le capital de sympathie des punks, soit dit en passant…). Mais adulte…Il s'aperçut que les femmes aimaient cette couleur : des yeux rouges aussi brillants que des grenats, un regard capiteux aussi enivrant que le vin rouge…
Ce regard pourpre, il s'était juré de ne plus baisser devant personne. Tant bien que mal il s'était construit une vie, pas des plus honnêtes certes, mais il avait appris à se défendre, à se faire respecter…Et il ne voulait plus entendre parler de l'enfant qu'il avait été. Ça faisait toujours trop mal. Parce que certains soirs, il arrivait encore à Gojyo d'en vouloir à son frère d'avoir tiré sur la femme dont il aurait voulu être le fils. Et comme Jien méritait mieux que ça, il ne se le pardonnait pas. Et pendant longtemps il ne voulut même plus entendre parler de son frère. Jusqu'à un coup de téléphone, un jour. Ce n'était pas le premier pourtant, pourquoi ce jour-là fut-il différent ? Mystère. Ce matin-là, il tâtonna à la recherche du combiné hurlant (le Gojyo est un animal noctambule, pardonnez-lui d'être un peu brumeux aux premières heures du jour : c'est l'heure où il se couche…) et :
« Gojyo ? » appela la voix calme et grave. Il aurait dû raccrocher tout de suite. C'est ce qu'il faisait toujours. Mais pour la première fois, peut-être à cause de la brume alcoolisée dans laquelle il flottait encore, il répondit :
« Jien. »
Il écouta ce que son frère avait à dire, pour une fois. Il ne demandait pas grand'chose d'ailleurs. Juste le voir. Jien lui proposa un lieu. HOTO ?
« La tour qui ne dort jamais, hein ? L'endroit me tente moins que Las Vegas, quand même... Ok. Quand ? » répondit Sha Gojyo, bataillant d'une main avec son briquet dans l'obscurité d'une chambre aux rideaux tirés.
OoOoOoOoO
Sha Gojyo en avait marre de s'excuser d'exister et se sentait prêt à revoir son frère. Il avait l'esprit plus clair qu'au matin. Il se fit présentable. Il ne savait pas exactement si c'était pour ne pas faire honte à son frère ou pour ne pas se faire honte à lui-même quand il se présenterait devant lui. Il avait troqué son long manteau de cuir noir élimé contre une veste de daim plus près du corps, sur une chemise claire au tissu légèrement froissé. Une de ses conquêtes d'un soir avait essayé de lui expliquer que c'était le summum du chic. Avoir l'air négligé. Mais seulement l'air. La sophistication qui essaye de se faire oublier. Hmph. Il n'était même pas sûr que ces types tirés à quatre épingles qui passent leur vie dans cette tour sachent faire la différence, de toute façon. Cette tour. La tour HOTO.
C'est là que Gojyo se dirigeait, grâce à cette vedette rapide qui faisait la navette sur les quelques kilomètres de baie qui séparaient la mégapole et la plate-forme de soutien. Son regard se planta sur l'édifice. 800 m de haut. 130 étages. 600 000 personnes grouillant dans cet endroit de jour comme de nuit (puisqu'après tout, la bourse est toujours ouverte quelque part), sans compter les visiteurs. Une ville verticale, un monde clos qui prétendait ne s'ouvrir que vers le ciel. Un doigt d'acier brillant qui reflétait l'eau de la mer…Le jour, la tour ressemblait à une corne brillante surgie des flots sans que la limite soit claire entre le métal et l'onde. De loin, certains voyageurs agglutinés aux bastingages de petits bateaux de touristes qui les emmenaient faire le tour de l'étrange endroit avaient parfois l'impression insolite que le bâtiment lui-même était constitué d'eau et d'écume, une illusion qui persistait presque jusqu'à l'accostage, jusqu'à ce qu'ils puissent distinguer le verre et le métal. Jien travaillait et habitait là-bas. Il faisait partie de l'équipe de sécurité. Sécurité, hein ? S'il s'agissait de n'importe quelle série B, réfléchit Gojyo, ils finiraient automatiquement en frères ennemis. Dieu merci, aucun de ses business actuels ne concernait la Tour.
Les « costards-cravates » qui constituaient la faune habituelle du lieu et faisaient le voyage sur la même liaison que Gojyo, lui avaient jeté un regard effaré lorsqu'il avait pénétré dans la cabine de l'embarcation qui abritait les voyageurs des éléments en cette soirée d'hiver. Il leur avait adressé son sourire le plus…insultant (et vaguement menaçant aussi). Aucun n'avait osé faire de commentaire. Sha Gojyo en avait marre de s'excuser d'exister…
Ce qui ne voulait pas dire qu'il allait supporter leur compagnie plus longtemps. Il abandonna sur la banquette le magazine qu'il avait feuilleté, pour rejoindre l'extérieur jusqu'à la fin du trajet. Il s'accouda au bastingage, oublieux du froid mordant et du vent, pour fixer la tour. Non, en fait il n'était pas seul dehors, s'aperçut-il. En contrebas, plus près de la proue, une autre silhouette solitaire accoudée à la rambarde, celle d'un homme brun vêtu de pâle, attira son regard. Des morceaux de papiers s'envolèrent. C'était cet homme qui déchirait quelque chose. Bizarre. Sha Gojyo regarda passer à une vitesse folle devant son visage les bouts de papiers tourbillonnant qui se perdaient ensuite dans le sillage du bateau. Sa main se tendit instinctivement et ses doigts effleurèrent un des morceaux une fraction de seconde. Puis son regard se reporta un instant sur la tour qui était sa destination, puis à nouveau sur la silhouette solitaire.
L'homme s'appelait Cho Hakkai.
OoOoOoOoO
Cho Hakkai…
…savait ce qu'il faisait. Il savait exactement où il allait. Qui il voulait trouver et pourquoi. Son regard était fixé sur l'imposante tour qui se dressait dans la baie, à cette heure aussi rouge que le soleil couchant. Entre ses mains, un bout de papier, les dernières paroles d'une morte. Debout, à la proue du navire rapide, le vent était violent, il dégageait son regard, sifflait dans ses oreilles. Le monde n'existait plus. Que ce chagrin qui le dévorait. Que la certitude de ce qu'il avait à faire. Personne n'aurait pu deviner. Son masque d'impassibilité était fermement en place. Calmement, soigneusement, il se mit à déchirer la feuille de papier.
Etre seul au monde, c'est un sentiment effrayant. Il l'avait très bien connu durant ses jeunes années. D'abord, il n'avait même pas de nom. Celui qu'il portait, on le lui avait donné au hasard, et sans doute il avait été écrit dans un registre par une personne qui n'avait jamais posé les yeux sur lui. Cho Hakkai. Kannan lui avait redonné un nom. Enfin presque. Quand ils avaient été séparés, elle-même avait été trop petite pour se souvenir de guère plus que le prénom de son frère. Pendant un temps assez bref, il avait donc été Cho Gonou. À la mort de Kannan, il ne sentait plus le droit de le porter. Il redevint Cho Hakkai aussitôt.
Aussi loin qu'il se souvienne, il en avait toujours rêvé, des liens du sang… Il n'était pas naïf au point d'idéaliser les relations familiales comme nombre d'autres orphelins. Il se rendait bien compte de toutes les hypocrisies, les non dits, les haines intestines qui pouvaient entacher l'icône brillante de la famille. Les liens du sang ne signifiaient pas forcément l'amour, ni même la compréhension… Mais il y avait quelque chose de rassurant à penser que quelqu'un, quelque part dans ce monde trop grand, partageait quelque chose d'aussi aléatoire qu'un nom ou un trait génétique, créant une relation ténue, un lien reconnu ne serait-ce que socialement. Une apparence de proximité pour s'ancrer en cette terre…Certes il avait vécu sans pendant longtemps…Une vie terne. Jusqu'à ce qu'il voie cette fragile silhouette sur le pas de sa porte. Elle avait enfin réussi à le retrouver. Les deux regards verts se croisèrent, et Kannan sut qu'elle ne s'était pas trompée. Hakkai posa le regard sur elle, et devina simplement qu'il n'était plus seul. Sans lui demander son nom, il l'invita à entrer.
La conscience de sa propre existence ; elle lui avait rendu cela. La conscience de lui-même et ce miroir à double tranchant que constituaient les yeux des autres posés sur lui. Le regard qui chosifie. Le regard qui tue. Enfant, il ne savait souvent plus s'il était lui-même un fantôme qui observait les autres ou si tous les êtres autour de lui, qui passaient sans le voir, en étaient eux même. Il était tellement pesant, et toujours tellement présent, ce sentiment. S'il venait à disparaître, tout à coup, comme ça, pfft ! Qui s'en soucierait ? Qui le remarquerait ? Personne, il le savait. Personne, jusqu'à Kannan.
Une impression de vide qui l'avait poursuivi toute sa vie, même s'il n'avait jamais su lui donner un nom. Après tout, les choses qui font le plus peur, celles qui glacent le sang et l'âme, celles qui menacent votre propre existence… Ce sont souvent celles qui n'ont pas de nom, n'est-ce pas ? Mais avec Kannan, du jour où il avait posé les yeux sur elle, il avait découvert quelque chose de différent. Le regard qui vous rend vivant. Le regard qui vous rend beau. Bien sûr, il avait toujours su que cette nuance existait. Tout comme intellectuellement, il savait aussi que le bonheur existait, même s'il ne l'avait jamais « vu ». C'était la première fois, au travers de ces yeux-là,qu'il comprenait vraiment. Qu'il ressentait. Il avait eu un sourire quand il avait réalisé. Kannan avait alors posé sur lui un regard interrogateur. Mais il ne lui avait pas expliqué.
Quelque part, il avait toujours eu peur qu'elle apprenne à quel point elle était précieuse. Il avait peur de l'étouffer de cette soif d'elle qu'il sentait en lui. Mais il avait compris : Kannan était sa philosophie. Mieux. Kannan était sa religion. Ils étaient comme les deux moitiés d'un même être. Pire que des jumeaux. Deux moitiés d'un hermaphrodite, que l'on viendrait juste de scinder. Qu'est-ce qui n'allait pas chez eux ? Ils ne supportaient pas d'être séparés, instinctivement ils recherchaient le moindre contact physique. Même leur appartement leur semblait trop grand : ils se retrouvaient toujours invariablement dans la même pièce. Pourtant, légalement il n'existait aucune preuve qu'ils étaient frère et sœur, tout avait brûlé avait-elle expliqué, elle avait même de la chance de l'avoir trouvé. Le feu avait détruit toutes les traces, tous les secrets de leur passé. Officiellement, ils n'étaient que des inconnus. C'était presque comique : de ce fait, il ne serait même pas agi d'un inceste s'il s'étaient unis comme des amants ! Il n'avait jamais osé la toucher comme ça. Trop peur de la briser. Elle ne s'était même jamais douté qu'il ait pu y penser. Et maintenant.. Elle ne saurait jamais comme elle avait compté.
Et à la vérité, on est jamais près à rentrer chez soi un soir pour s'apercevoir que l'on a tout perdu. Mais Cho Hakkai savait ce qu'il faisait.
OoOoOoOoO
20h 00min (Tour HOTO)
Cho Hakkai posa le pied sur l'embarcadère et se dirigea sans hésiter vers l'entrée et le vaste hall. Le soir tombait, l'obscurité régnait, la tour brillait. Il échangea quelques mots avec l'un des employés installé au vaste comptoir d'accueil qui le dirigea vers une des files d'ascenseurs menant aux différents niveaux, plus ou moins rapides et directs vers les étages élevés. Il se planta devant l'un d'eux.
Les ascenceurs étaient le cœur de cette tour et occupaient le noyeau de celle-ci. Des artères dont les flux de circulation d'une complexité extrême étaient la vie même de l'endroit. Tellement alambiqués que Genjo Sanzo ne pouvait s'empêcher de pester contre l'absurdité qui voulait qu'il soit obligé de redescendre jusqu'au rez-de-chaussée pour prendre celui qui menait en express à l'étage de son client. Le seul bon côté, c'est qu'il avait réussi à semer son importun visiteur au premier ascenseur…
Deux personnes semblaient attendre comme lui. Un énergumène dégingandé aux longs cheveux rouges. Décidément on laissait rentrer n'importe qui, ici. Ce dernier lui renvoya un regard qui ne flanchait pas, un rien goguenard, le détaillant de haut en bas ostensiblement (cette tête-là lui disait sans doute quelque chose…). L'avocat eut la désagréable impression d'être jaugé. Instinctivement, sa main se dissimula sous les pans de sa veste sombre aux fines rayures violettes et se referma sur la crosse de son arme. Il réprima à grand peine son envie d'agiter son flingue sous le nez de l'autre (et plus si « affinités »).
« Il arrive. » énonça un voix calme et agréablement modulée, mettant fin à…À quoi, en fait ? Genjo Sanzo jeta un regard à l'autre homme. Lui au moins, dans son costume de lin clair, détonait moins dans la place. Il avait sans doute parlé plus pour lui-même qu'à leur intention, son regard d'un vert comme l'avocat n'en avait jamais vu, fixé droit sur le zéro clignotant d'un cadran. En tout cas, c'était vrai, l'ascenseur était là et les portes s'ouvraient. L'un après l'autre ils pénétrèrent dans l'étroite cabine.
Et c'était parti pour le jeu de l'étrange sociabilité : l'indifférence courtoise (enfin, courtoise dans le meilleur des cas). Quelques individus coincés entre quatre murs pour un bref intervalle de temps et sans doute destinés à ne jamais se revoir. Un mauvais moment à passer, rien d'autre. C'est sans doute ce que pensait l'homme blond au costume sombre, le premier entré dans la cabine, en dépliant son journal et se dissimulant derrière les grandes feuilles, décidant de ne plus prêter aucune attention à aucun des deux autres. C'était une tactique qui avait fait ses preuves et dont Genjo Sanzo ne manquait jamais de faire usage. C'était toujours quelques minutes de tranquillité de gagnées. Un des deux effleura son journal de l'épaule en entrant. L'avocat étouffa un grognement, il devinait qui. Puis un discret « Summimasen… » interrompit à peine ses pensées, et il se dit que c'était sûrement « yeux-verts » : dans un coin de son champs visuel, une main sortant d'une manche claire se tendit vers les boutons juste à côté de lui.
« Attendez ! » retentit soudain le cri affolé.
Son Goku, au loin dans le hall, venait juste de repérer son soleil (ou du moins le journal de celui-ci…). Frémissement des feuilles de papiers, et léger bruissement derrière qui ressemblait fort à un soupir irrité. Manifestement le blond connaissait le retardataire. Encore plus manifestement, il n'avait aucune intention de l'aider à attraper ce départ. L'homme aux cheveux rouges, lui, avait par contre l'air de trouver le spectacle de cette course frénétique amusant, et avec un petit rire lança un vague encouragement, tandis que la petite silhouette se précipitait toujours vers eux, bousculant son monde pour les atteindre. En fait, Sha Gojyo se tourna même vers le panneau de commande pour empêcher la fermeture de la porte, mais seulement pour s'apercevoir que la silhouette du blond lui faisait obstacle, intentionnellement, il avait presque l'impression. Mais qui pourrait dire puisque le type restait obstinément tapi derrière son mur de papier… Il était maintenant évident que l'adolescent arriverait trop tard, les portes se refermaient déjà. Tant pis.
C'était un petit drame minuscule, mais pourtant il rappela à Cho Hakkai qu'il se trouvait encore parmi les vivants. Sans réellement se rendre compte de ce qu'il faisait, il se pencha légèrement en avant, main tendue. Ses longs doigts se déployèrent entre les deux battants qui se rejoignaient, interceptant l'invisible faisceau qui reliait les deux cellules de sécurité. Quelqu'un derrière lui lacha un « attention ! » un peu inquiet, sans doute l'homme aux cheveux rouges. C'est vrai que cela avait été un peu juste. Les portes ne manquèrent ses doigts que de peu, mais se figèrent un instant et finalement se rouvrirent.
Son Goku fit irruption dans l'espace réduit, un peu pantelant mais un grand sourire aux lèvres. Cho Hakkai recula pour lui laisser un peu d'espace, croisant brièvement dans son mouvement le regard rouge. L'autre homme arborait un vague sourire en coin hésitant entre reproche et approbation. Il se sentit curieusement sourire en retour, tout en écoutant distraitement les remerciements excités de leur jeune ami qui sans transition se mit à agonir de reproches le blond qui continuait , évidemment, de ne lui prêter aucune attention. Les portes se refermèrent cette fois pour de bon sur les quatre silhouettes, et en quelques secondes le silence se fit à nouveau, chacun retombant dans son mutisme tandis que les étages défilaient.
S'adossant avec nonchalance contre le miroir qui tapissait le fond, une main dans sa poche, Sha Gojyo observait distraitement ses compagnons de voyage. Le blond s'abritait toujours derrière son bouclier d'imprimerie. Le gamin sautillait presque d'une jambe sur l'autre, peut-être mal à l'aise dans cet espace exigu où il n'était pas libre de ses mouvements. Celui aux yeux verts semblait absorbé dans ses pensées, une certaine résolution semblant donner un éclat métallique à son regard vert derrière les lunettes à fine monture, et tout à coup il semblait lointain, très différent de l'homme avec qui il venait d'échanger un sourire presque amical. Pour une raison inconnue, cela l'attrista. En fait, Sha Gojyo ne pouvait pas deviner que Cho Hakkai se rappelait qu'il était venu en ce lieu pour tuer…
20h 03min (Tour HOTO)
Les portes de verres s'ouvrirent sur une silhouette élancée qui s'engouffra dans la tour avant de stopper net sous la gigantesque plaque de marbre ornant le vaste hall. Trois longues mèches couleur de flamme cessèrent leur doux balancement dans son dos pour retomber mollement contre le tissu crème d'un long manteau dont les pans ressemblaient encore à des ailes d'anges quelques fractions de secondes auparavant, à cause du vent. Kougaiji dégagea quelques mèches rebelles de son front avec un long doigt fin avant de poser les yeux sur les immenses lettres dorées. Ça y était. Il était dans la place. De retour (enfin, presque). Gravé dans la pierre, on lisait : HOTO.
20h 03min 2s (Tenkai)
Le mouvement brusque de la déesse de la Merci attira le regard de Jiroushin de l'autre bout de la terrasse écrasée de lumière. Kanzeon bosatsu s'était soudain penchée vers l'onde miroitante, une étincelle d'excitation brillant distinctement dans ses grands yeux noirs. Un sourire avide ourlait ses lèvres. Son serviteur s'approcha en hâte pour regarder par-dessus son épaule d'albâtre…
« C'est maintenant que tout change… »
Impatience et anticipation se lisaient dans son intonation. Dés le moment où Kougaiji avait posé un pied en ce lieu, il était dit que le carma pourrait reprendre son cours. Ceux qui étaient destinés allaient enfin se croiser, et cette fois…
20h 03min 4s (Tour HOTO)
Une brève embardée fit tressaillir les quatre occupants de la cabine d'ascenseur. Qui stoppa. Sans raison. Pour la première fois, le blond leva réellement les yeux de son journal pour regarder ses compagnons. Cet arrêt ne lui disait rien de bon.
« Ch' ! »
20h 03min 4s (Tenkai)
…ils allaient se retrouver.
Dans un couloir désert, un dragon blanc se figea. Porta une main hésitante à son front pâle, les sourcils vaguement froncés. Il se retourna comme s'il s'attendait à trouver quelqu'un derrière lui. Il entendait de la musique. Violet, Vert, Rouge et Or. Son profond soupir se perdit dans l'immensité des couloirs vides.
###### à suivre #######
Chapitre 2 : « Mirrors of his Memories »
