Reviewer's corner : Alors, d'abord un grand merci au peu de gens qui suivent cette histoire, loooool… (gros câlins) :

Fanny : Bon, ben voilà la suite. Par contre, comme il faut bien que j'avance un peu, je vais passer en mode plus narratif, donc j'ai bien peur que le style en prenne un coup, désolée…

Shani : D'accord, t'as le droit de m'assassiner, non seulement je vous laisse dans un moment pareil, mais en plus, je vous y laisse encore…Je reviendrai aux bishous dans leur ascenseur seulement après avoir réglé leur compte à Kou et Doku, désolée… Donc, encore une partie après ça, et retour à l'ascenseur…(oui, ça s'appelle une chronologie de goéland)

Mellyna : Ravie que leurs fringues t'aient plu, on en reparlera quand ils reviendront…Bon, ben voilà la suite…Retour sur Kou…

Je poste cette partie en espérant que ça me forcera à finir sa deuxième moitié…Mais c'est dur à écrire les retrouvailles (boude).

« Mirrors of his Memories »

Part 1 : Hostis meis

« Nul ne connaissait le lieu de sa naissance, ni l'endroit où il vivait. Mais tous ceux qui le voyaient sentaient que ce jeune homme, possédant le physique d'un esclave et les traits d'un prince, n'était qu'un passant qui ne tarderait pas à disparaître… »

Mishima, Confession d'un masque.

20h 04min (Tour HOTO)

Une fois encore, le regard de Kougaiji glissa sur les lettres dorées.

HOTO.

Headquarters of Oriental Trades' Organisation.

C'est une plaisanterie…

La seule ressemblance avec le lieu qu'il avait autrefois connu résidait dans le fait qu'il s'agissait encore une fois d'une tour. Sauf qu'ici il faisait clair. Même si cela faisait un moment que la nuit était tombée. Mais une chose ne changeait pas…Il détestait l'endroit. D'instinct…Il n'aurait pas su expliquer pourquoi. Ou peut-être…Cette foule affairée autour de lui…Elle avait quelque chose d'oppressant, de paralysant, tandis que chacun se frôlait sans se voir (dieu merci sans le voir aussi, ou du moins sans lui prêter attention…). Dans ce gigantesque hall, Kougaiji eut très vite besoin d'espace. Ce serait tellement simple. Il lui suffirait d'ôter ses pendants d'oreilles. Révéler ses véritables traits. Il les imaginait déjà en train de crier d'horreur et fuir dans une panique indescriptible. Après tout, on avait plus l'habitude de croiser des youkai. Les mortels ne se souvenaient même plus qu'ils aient pu exister un jour, fouler la même terre qu'eux… La pensée amena un sourire sinistre sur ses lèvres fines.

Il n'était pas à sa place ici…Qu'est-ce qu'il faisait là ?

Oh, pas grand-chose. Juste que tu remettes en branle le destin…

Qu'est-ce qu'il pouvait bien y faire, lui ? C'est pas comme s'il avait envie de les revoir, Eux. Le sanzo-ikkou

oOoOoOo

Tenkai quelques heures (seulement ?) plus tôt…

« Oh, pas grand-chose. Juste que tu remettes en branle le destin… »Mais le ton brillant et vibrant d'une discrète satisfaction, avait vite laissé place à une intonation voilée d'une émotion indéfinissable, presque songeuse…Peut-être triste, ou lasse… Kougaiji avait du mal à se souvenir. Il avait même du mal à se rappeler ce que lui-même ressentait à cet instant. Tout semblait si soudain. Et au-delà de la confusion, son esprit était seulement absorbé dans des espoirs qu'il avait pourtant tout lieu de soupçonner d'être vains. Mais auxquels il ne pouvait que se raccrocher… Que lui importait les discours de la déesse alors !

« Les hommes changent… Comme s'ils avaient perdu quelque chose de… vital… » avait-elle ajouté, ses paupières dissimulant un instant ses grands yeux noirs. Un vague geste de la main essaya de suppléer aux mots qui lui manquaient et auxquels son interlocuteur prêtaient à peine attention.

« C'est comme s'ils manquaient… d'âme… simplement… La flamme de leurs sentiments brûle à peine, comme s'ils avaient oublié ce que c'était… » avait ajouté une autre voix, masculine. C'était la première fois que Kougaiji faisait réellement attention à l'autre dieu. Le serviteur du bodhisattva. Le prince décida de se concentrer sur son environnement immédiat, d'ignorer pour l'instant les voix du passé qui tambourinaient sous son crâne. Il poussa un long soupir. Il ne s'intéressait pas à l'état du monde. Seules quelques personnes comptaient. Il en avait toujours été ainsi.

« Et concrètement, qu'attendez-vous de moi ? »

Il était de retour, le regard prédateur de la déesse. Et cette étrange lueur d'avidité dans ses yeux. Ce désir qu'elle même avait du mal à dissimuler. Elle voulait quelque chose, et elle pensait qu'il était celui qui pourrait le lui donner. Kougaiji avait déjà connu cette situation. Il se fit soudain la réflexion que la divinité n'était pas si différente de Gyokumen. La seule chose dont il était sûr, c'est que, quoi qu'il arrive, cette fois, il ne laisserait ses êtres chers être les victimes des ambitions de personne. Il irait sur Terre, certes. Puisqu'on lui en offrait l'opportunité.

« Je veux leur réunion sur terre. » lâcha-t-elle soudain.

« À qui ? »

Elle eut un mouvement d'irritation. À qui d'autre pouvait-elle penser ?

« Au sanzo-ikkou. Qu'ils ne forment plus qu'un à nouveau. »

Le regard d'améthyste soutenait le sien sans ciller.

« Ils ne me sont rien, mais si c'est ce que vous voulez… Vous vous rendez quand même compte qu'ils ont été mes ennemis (en quelque sorte), et que si je me trouvais amené à choisir entre eux et les miens… » Il n'acheva pas sa phrase. Un instant, un éclair nacré sembla éclairer le visage du dernier des youkai. Kanzeon bosatsu se rendit compte qu'il s'était agi d'un bref sourire qui n'était pas sans recéler une once de menace. Le premier sourire qu'elle lui connaissait depuis…si longtemps. Un sourire froid qui n'allait pas au Kougaiji dont elle se souvenait, songea-elle.

Ils se comprenaient très bien, se rendit-elle soudain compte. Peut-être qu'ils étaient plus semblables qu'elle ne l'aurait jamais cru. Tout comme elle, le prince youkai allait faire ce qu'il fallait pour retrouver les siens. Tous les coups étaient permis. Elle saurait bientôt si elle avait choisi le bon pion, la clef idoine, pour arriver à ses fins…Le bodhisattva eut soudain un gloussement. Les prochaines heures s'annonçaient palpitantes.

#### Les nuits de ses ennemis ####

Toujours négligemment affalé et à moitié nu sur la table de conférence rutilante, l'homme porta une cigarette à sa bouche. Son regard appréciateur ne quittait plus son amante, laquelle prenait un malin plaisir à l'ignorer superbement maintenant qu'elle avait obtenu de lui tout ce qu'elle désirait (pour ce soir). Chacun de ses gestes était envoûtant, le changement qui se produisait en elle juste sous ses yeux tout simplement stupéfiant. Elle se rhabillait. Il y prenait presque davantage de plaisir qu'à l'effeuillage endiablé qui avait précédé leurs ébats. Un à un, les pans de tissus aux couleurs froides la couvraient dans un bruissement, enterrait son amante enflammée sous les traits non moins avenants de la femme à l'ambition sans borne et la détermination glacée qui possédait la tour entière…Gyokumen, la « reine » Gyokumen comme l'appelaient depuis quelques années tous les médias.

Et ce sourire glacial qu'elle lui décocha avant de quitter la salle… En réponse, un sourd râle de plaisir lui échappa sans qu'il le veuille…Une fois disparue, son lourd parfum s'attardait dans la pièce, capiteux. Un fantôme de sa présence. Le charme se relâcha et il poussa un profond soupir, presque de soulagement. Il s'étira avec précaution…Son dos lui faisait mal, constellé de griffures, comme toujours après une de leurs « séances de travail »… Un instant, il se demanda si des traces infimes de son propre sang(certes quasi invisible sur le vernis) étaient encore incrustées sous les ongles écarlates de Gyokumen, tout comme il portait sa marque à elle incrustée dans sa chair. Si toute la nuit elle allait porter une partie de lui, son odeur qui flotterait imperceptiblement autour d'elle comme un voile léger…L'idée lui plaisait…

Pouvoir, désir et possession. Et accessoirement distraction. Leur relation lui convenait très bien. Du moment que chacun obtiendrait ce qu'il attendait de leur « liaison », il jouirait d'une alliance sûre et non dénuée d'avantages…

En se rhabillant, son regard se leva vers l'œil noir et brillant de la caméra de surveillance qui surplombait la pièce, presque dissimulée derrière les rameaux verdoyants d'une plante d'intérieur. Cela ne le dérangeait pas particulièrement de savoir que leurs ébats avaient pu avoir des spectateurs, mais il avait bien l'intention de récupérer la cassette. Ne jamais se faire d'illusions : on sait jamais, peut-être qu'un jour, la bande pourrait s'avérer utile. Et en entendant, ça resterait un souvenir agréable…Son sourire s'élargit encore, autant qu'il était possible sans que sa cigarette juste allumée quitte ses lèvres :

« Et toi ? Ça t'as plu ? »

Le dernier spectateur de ces ébats amoureux, minuscule forme blanche dans un des grands sièges de cuir, ne répondit rien. Ses longues oreilles, retombant mollement en un barrage hypocrite devant deux billes de verre, dérobaient un regard peut-être désapprobateur. Le savant éclata d'un rire discordant tout en attrapant la peluche avec désinvolture et la calant contre son épaule avant d'abandonner la pièce à son tour.

oOoOoOo

20h 05min (Tour HOTO)

En une vaine tentative pour oublier l'agitation autour de lui, Kougaiji ferma un instant les paupières, se concentrant sur sa propre respiration, tombant instantanément dans une transe légère qui lui était aussi familière que les battements de son cœur. S'ouvrir à la magie était aussi simple pour lui qu'ouvrir les yeux pour le commun des mortels, peut-être même plus simple. Cela faisait trop partie de lui. Il la sentait pulser autour de lui, mais ne put réprimer un sentiment de malaise quand il s'aperçut à quel point ses perceptions étaient émoussées… La magie avait-elle à ce point disparu du monde ? Certes le bodhisattva avait fait allusion à un changement qui ne lui disait rien qui vaille, mais il n'avait pas vraiment écouté, trop absorbé dans les méandres de son propre esprit et de ses souvenirs retrouvés.

Ririn.

Comme la caresse d'une plume sur la peau… Il essaya de retenir ce contact éphémère comme le battement d'une aile. Le lien était ténu, mais tellement familier qu'il ne l'avait pas tout de suite remarqué. Ririn ? Elle était donc ici ? Il avait beau savoir que c'était impossible…Les morts n'ont pas d'aura. Il devait se tromper, ou peut-être qu'il ne s'agissait que d'une réminiscence troublante due à son récent éveil qui affectait ses sensations. Ou… Ce pour quoi il avait accepté de venir ici. Tu ne veux pas les retrouver ? avait dit la déesse.

Ririn. Tristesse. Profonde, bien trop profonde tristesse…

L'instinct fraternel prit le pas sur toute logique ou tout questionnement. La magie et ce désir viscéral d'atteindre sa sœur se conjuguèrent durant cette seconde. Peu lui importait que l'on surprenne sa silhouette en train de se volatiliser brusquement…Ceux qui purent vaguement le voir s'évaporer dans l'air du coin de l'œil, n'y prétêrent heureusement guère attention. Ils crurent simplement avoir rêvé. À la poursuite d'une impression ténue, il s'était simplement dissous dans l'air. Une profonde inspiration l'ancra de nouveau dans la réalité.

Un couloir aussi spacieux que désert… Le passage d'un brouhaha diffus au silence absolu engendra un soulagement presque physique. Plus haut, bien plus haut dans la tour, lui disait son instinct… La lueur maladive des néons luttait contre l'obscurité qui semblait presque vouloir s'écouler des larges baies vitrées qui s'ouvraient tout le long d'un des murs : les nuages assombrissaient le ciel bas d'hiver, voilant les étoiles. Mais pas de Ririn. Seulement l'écho de pas se rapprochant dans le lointain. Des pas qui n'étaient pas ceux de sa sœur, il en était quasiment sûr… Mais il se dirigea à leur rencontre, néanmoins.

Petit à petit, la silhouette longiligne se révéla à lui. Les longues jambes à peine dissimulées par une jupe fendue, la taille fine, le décolleté plongeant, et surtout, les pâles mèches aux reflets bleutés qui encadraient des traits délicats, mais néanmoins glacés, sculptés dans le plus pur albâtre…et des lèvres finement ourlées de la couleur du sang. Le visage était celui d'une mortelle, mais son regard d'inhumaine, lui, restait indubitablement le même…

Gyokumen.

Ne pas baisser le regard. Ne rien laisser paraître. Il sentit le léger courant d'air quand elle le frôla presque en le croisant. Ne pas se retourner. Fixer le vide, droit devant lui. Ne pas laisser sa haine exploser sous le coup de cette rencontre inattendue. Ne pas…la tuer, cette femme qui ne faisait peut-être que porter des traits honnis. Kougaiji ne se rendit pas compte de la lueur sauvage qui avait fait flamboyer son regard d'améthyste, de la fureur presque palpable irradiant de sa personne, qui fit pourtant battre plus vite son cœur dans sa poitrine…

Quant à cette femme, pour la première fois depuis des années, elle ressentit de la peur. Comme si tout ce qu'elle avait mis tant d'années à bâtir, ce pouvoir dont elle s'était acquis la jouissance au prix de tant d'efforts était soudain en péril. C'était impossible, elle était certaine qu'elle n'en avait laissé aucun survivre… Les enfants de Gyumao…Illégitimes ou légitimes, elle était sûre qu'il n'en restait pas un. Hormis sa Ririn.

Et pourtant… La ressemblance n'était pas frappante au premier abord, mais quelque chose dans ce regard violet…Qui était-il cet inconnu ? Ce soudain éclair de haine qui avait dansé dans ses yeux clairs et que ne pouvaient complètement dissimuler ces traits hiératiques aussi juvéniles qu'indéchiffrables…Cela ne dura guère que quelques secondes. Sans même sans rendre compte elle s'était retournée sur son passage, suivant du regard la silhouette vêtue de blanc, les trois longues mèches écarlates ondulant sur le dos droit au rythme nonchalant de ses pas…Mais son monde était soudain ébranlé. Elle n'était plus en sécurité. Alors tout danger devait être éradiqué. Elle n'avait fait que quelques enjambées depuis qu'elle avait dépassé l'inconnu. Gyokumen planifiait déjà sa mort…

Le youkai n'arrêta de marcher que quand le bruit de pas eut à nouveau disparu. Elle était déjà loin quand Kougaiji se retourna enfin, essayant de calmer ce sentiment de menace irraisonné qui coulait dans ses veines et tendait son corps comme un arc. C'était tellement logique pourtant : il poursuivait les réincarnations des êtres chers, comment avait-il pu penser ne jamais croiser ceux qu'il avait haïs ? Des souvenirs de sombre mémoire fondirent sur lui sans crier gare…

Absorbé dans ses pensées, il ne vit pas arriver dans son dos une autre personne que Gyokumen n'avait précédée en fait que de peu. Le youkai s'était immobilisé, fixant le couloir vide derrière lui, la tête légèrement penchée et quelques mèches d'acajou effleurant amoureusement ses hautes pommettes, inconscient du regard scrutateur qui le fixait, et se faisait déjà prédateur.

Ni Jieny contempla la silhouette pâle illuminée par le halo presque brumeux des néons. Il comprenait tout à coup bien mieux les instincts pervers qu'il avait jusqu'alors seulement observé avec un intérêt aussi distant qu'amusé chez Hyakugan et son fils…Quel merveilleux jouet il ferait, se prit-il à penser…Il se laissa aller à contempler la forme élancée non comme un être vivant mais comme un objet précieux excitant la convoitise…Sa main se resserra convulsivement sur la peluche. Oui. Un nouveau jouet…Quelle perspective alléchante…D'ailleurs sa vie devenait un peu monotone ces temps-ci. Il touchait presque au terme de ses recherches et bientôt il aurait besoin de trouver quelque chose d'autre pour combler le vide qui semblait menacer de l'étouffer chaque fois qu'il se trouvait privé de l'exaltation du but à atteindre. Ou qu'il ne pouvait canaliser les forces de ses incroyables ressources intellectuelles… Saurait-il comme par magie subtiliser au monde cet admirable spécimen ?

Et… « Ho, oui…que je ne tarderai pas à faire disparaître. » murmura-t-il confidentiellement à l'oreille du lapin en peluche calé contre son épaule, couvant toujours du regard sa toute nouvelle obsession… Parce qu'après tout, personne n'avait jamais dit que les cobayes ne pouvaient pas aussi être là pour séduire les yeux, n'est-ce pas ? Ça y était, il était près à le toucher, et l'autre n'avait toujours pas remarqué sa présence…

« Qui êtes-vous ? » s'enquit-il mielleusement en saisissant Kougaiji par le bras, sa main refermant sans le savoir sur une marque étrange en forme de code barre dissimulée sous le tissu du long manteau blanc…

Durant un centième de seconde, le prince crut que la voix appartenait à un souvenir au contour seulement un peu plus vif que ceux qui tourbillonnaient dans son esprit et seule la pression sur son bras le ramena soudain à lui…Il ne fut pas long à réaliser qui se tenait si près de lui…La répulsion le fit presque bondir.

« Ne me touchez pas ! » Son bras s'arracha avec une telle violence à ce contact que l'homme en blouse en perdit l'équilibre, se retrouvant projeté brutalement contre un des murs, le souffle coupé par l'impact…Son corps retomba au sol en glissant contre la paroi, tandis qu'il essayait désespérément de respirer. S'appuyant péniblement sur un coude, il tenta même vaguement de se redresser.

« Vous aussi… » souffla le jeune homme à la chevelure flamboyante en le regardant de haut, le dominant comme un ange furieux soudain sorti d'une fresque, le regard fixe et implacable.

Nî ne voyait pas ce qu'il pouvait bien vouloir dire par là, mais la haine brûlante sous les mots, ça il le comprenait. La promesse de mort dans les iris pâles, s'il osait même une fois seulement encore s'approcher de lui, ça aussi était bien trop clair… Malgré la terreur que pouvait inspirer un tel regard, il ne pouvait quitter l'autre des yeux…

Pourtant, le départ de cet étrange visiteur (parce que le savant était sûr de n'avoir jamais vu dans les parages) ressemblait presque à un repli lorsqu'il tourna tout à coup les talons et disparut au tournant le proche. Et curieusement, la seule pensée qui courait dans l'esprit de Nî Jieny à ce moment était : « Il n'est pas humain… » et c'était une certitude absolue…L'incertitude douloureuse de ses os, alors qu'il ne s'était agi que d'un simple geste de défense montrait une force simplement ahurissante qui se dissimulait dans ce corps mince. Une fois Kougaiji parti, son rire discordant et réjoui retentit soudain, se répercutant dans le couloir… Il finirait bien par tout savoir…

oOoOoOo

Kougaiji avait l'impression d'être en train de fuir, et il se haïssait pour ça…Seulement il y avait des visages qu'il n'était pas encore prêt à affronter. Lorsque ses souvenirs lui avaient été rendus, au Paradis, ils étaient revenus sans même un semblant d'ordre, avec une intensité destructrice pour sa psyché, mêlant impitoyablement passé et présent. Les évènements qu'il avait fait de son mieux pour oublier et ceux dont le souvenir lui était plus cher que la vie. Tous assaillaient sa mémoire sans repos, et le moindre stimulus en réveillait des centaines.

Au bout d'un moment, il s'arrêta de marcher. Son reflet dans les larges panneaux vitrés donnant sur le dehors capta son regard. Trop humain. Il ne reconnaissait que ses yeux en fait. Sa main se posa sur le verre glacé. Puis, sous le coup d'une impulsion subite, il y pressa aussi son front. Il ferma les yeux. Comme pour fuir ce monde où il n'avait plus sa place. La vérité, c'est qu'il ne s'était pas attendu à ça. Le sentiment d'évidence avait très vite disparu. Cette certitude absurde qu'il avait eu de retrouver ceux à qui il tenait, et qu'à partir de là, tout irait bien. Il n'avait jamais été naïf. Comment avait-il pu se leurrer à ce point ? Peut-être à cause de la souffrance. L'absence des siens lui faisait mal. Trop mal.

Il entendit les pas venir de loin. Son souffle se prit dans sa gorge. Il le reconnaissait. Tellement…familier. Le même pas qui avait toujours résonné derrière lui quand il avait arpenté la forteresse où il avait passé toute sa vie. Kougaiji refusa d'ouvrir les yeux. D'abandonner le contact glacé de la vitre contre sa peau. Il était conscient de l'approche de l'homme, il sut exactement quand il le dépassa pour continuer sa route dans le long corridor. Kougaiji compta encore dix pas avant d'ouvrir les yeux. Dix autres avant de réellement se redresser et tourner son visage vers la silhouette qui s'éloignait.

Comme hypnotisé, il se mit à le suivre, cet homme de grande taille aux courts cheveux noirs…L'esprit vide, il avançait. Un instant, un autre souvenir se présenta. Étrangement, c'était la voix du dragon…Parce que la silhouette était tellement familière, et pourtant…

« Comme la même mélodie sur un instrument de musique différent… »

Oui, c'était tout à fait ça, songea Kougaiji.

La plus longue conversation qu'il ait eue avec le dragon, avant son départ. Rien qu'un instant, ils s'étaient retrouvés seuls. Le regard scrutateur du reptile posé sur lui. Kougaiji le sentait dans son dos tandis qu'il observait son propre reflet dans un grand miroir. Il ne s'habituerait décidément jamais à cette apparence humaine, pensait-il alors en effleurant ses pendants d'oreilles.

« Qu'est ce ça vous a fait de les retrouver ? » C'est ce qu'il avait demandé, sans même s'en rendre compte. Pas besoin de s'expliquer davantage, le roi blanc avait très bien compris de quoi il parlait. Avec surprise, il avait écouté la réponse du dragon. L'étrange accent mélancolique si surprenant chez une telle créature. Et son avertissement.

« Il y aura des moments étranges : un geste, une inflexion de voix, un sourire, un regard… Une fraction de seconde, vous serez incapable de faire la différence. Ce sont ces moments-là qu'il faut craindre. »

Kougaiji aurait pu parler. Il aurait pu appeler. L'homme n'était pas si loin.

L'espoir fait vivre à ce qu'on dit.

Mais on oublie souvent de dire autre chose…

Parfois, l'espoir fait mal.

« Dokugakuji. » souffla-t-il, à peine plus haut qu'un murmure.

Kougaiji se tut aussitôt. Il n'avait pas espéré être entendu. Il avait eu simplement envie de retrouver le goût de ces syllabes. Et il continua à suivre celui qui avait été comme son ombre pendant plus de six ans, il y a de cela cinq millénaires. Il se faisait l'effet d'un fantôme du passé revenu pour hanter les vivants…Il suffit que la silhouette de haute taille disparaisse tout à coup à un tournant pour que le sentiment de sa solitude le submerge à nouveau.