Reviewer's corner pour Essence 6 (pour la plupart, j'ai du répondre par mail, mais au cas où les réponses en intéresseraient d'autres…) :

Eleawin : encore merci pour avoir dit que l'histoire était bien menée, j'espère que ça va rester compréhensible ! Comme je te l'ai déjà dit, Hakuryu est bien Goujun. J'ai cherché encore un peu sur le web et apparemment, même si le dragon a survécu aux évènements de Gaiden, Minekura sensei aurait laissé entendre qu'il ne se souvenait pas de son incarnation passée (donc je suis peut-être pas tout à fait IC, mais je m'amuse mieux comme ça… sorry). Ho, et le retour du sanzo-ikkou et de leur ascenseur est prévu pour le prochain chapitre. Patience.

Cholera (tiens, un nom familier !)(grand sourire en relisant la review)Pareil et pourtant différent ! C'est tout à fait ça ! Je peux t'emprunter la phrase la prochaine fois que je change le résumé ? Pleeeease ? En tout cas, je suis tout à fait d'accord, pour Kou. Pauvre petit prince… (Ha, il a beaucoup aimé ta review… Enfin quelqu'un qui le comprend, a-t-il dit…) Mais je sais pas, je trouve que c'est un aspect qui va bien au presonnage.

Mellyna : Mdrrr ! Oui, je sais, la suite se fait souvent attendre sur cette fic. Ça va continuer j'en ai peur. Elle est un peu dure à écrire… Pour Nî, on verra bien ce qu'il a fait (ou pas) plus tard… Et puis je te rassure. Sanzo vise très mal. La preuve il a toujours pas réussi à tuer Goku ou Gojyo en plus d'un an de voyage. Donc même dans un ascenseur, à mon avis y'a pas trop de risques. Heu, je te quitte Sanzo me vise et je suis pas sûre qu'il m'aime autant que ses « serviteurs »… (Alors, Paris, c'était bien ?)

Shaniiiiiiii : Bon, ben voilà. Après les filles (et que tu le veuilles ou non, on saura ce qui est arrivé à Yaone. Mais pas tout de suite…), velà les mecs. Maintenant tu sais pourquoi je préfère hinter le yaoi que l'écrire. Parce que ça sort trop gnangnan sous ma plume de piaf… H.S. Mais où tu es ? J'ai plus de nouvelles depuis Méto ! (Tears) C'est l'année du bac qui te monopolise ? Bon, pour en revenir à nos moutons, oui, Zénon et les autres feront une apparition, je te le confirme encore. (Et oui, je continue à travailler sur Shame… Juré…)

Voc :

Hime : princesse

Iie : non

Masaka : impossible (grâce à l'akaitora qui étend mon vocabulaire à l'insu de son plein gré)

Namae wa (…) desu : Mon nom est…

Kuso (ici, K'so) : Merde.

Matte kudasai : attendez moi / attends moi

Disc. Toujours le même. Warning. Léger yaoï (vous emballez pas !). « Mirrors of his Memories »

Part 3 : Ignite.


« Mais ne t'approche pas trop :

Si tu poses les doigts

Au grand feu de sa peau

Tu délires, tu délires…



oOo Et l'homme grand au regard brun et franc, toujours présent à ses côtés… oOo

L'homme brun est plutôt grand. En comparaison, la pièce donne l'impression d'être minuscule. On se croirait presque dans une sorte d'aquarium, d'ailleurs. Les murs sont couverts de moniteurs, autant d'yeux qui scrutent tout ce qui peut se passer à cet étage de la tour. C'est drôle, il est celui qui surveille après avoir été si longtemps surveillé…Celui qui garde après avoir été si souvent gardé. Il a été enfermé pendant un long moment, après avoir tiré sur sa mère. Il a l'habitude des espaces confinés, ça ne le dérange plus. Ici, il se sent presque plus à l'abri que dehors, même s'il ne l'avouerait jamais. D'ailleurs il quitte rarement la tour. Il a même un logement de fonction quelques étages plus bas. C'est à peine plus grand que son bureau, mais quelle importance ?

Il s'appelle Sha Jien. Il ne demande pas grand-chose et n'espère rien. Il sait depuis longtemps que c'est inutile d'en demander trop, on est rarement exaucé. Il est trop humble pour croire qu'il mérite autre chose, de toute façon. Il a quelques amis, ici. Et c'est autour d'eux qu'il regarde tourner sa vie. Peu importe qu'ils s'en rendent compte ou non. C'est une seconde nature, ce besoin de veiller sur quelqu'un. Ça a toujours fait partie de lui, et ce malgré des conséquences plus ou moins malheureuses.

Il n'a jamais pensé que ce serait mieux autrement. Même s'il sait que ce mieux existe. Il l'a vu en rêve. Mais il dort peu. Son service s'achève à minuit. Vers une heure, il s'endort. Sa dernière pensée avant de sombrer est l'espoir de ne pas se réveiller le lendemain matin. Toute la nuit, il court après un fantôme. L'aube venue, le réveil sonne. Et il ne se souvient plus. Mais il sait que c'était mieux. Comme si de rien n'était, il se lève. À midi, il s'installe dans son local vidéo, avec un signe amical à la personne dont il prend le relais. Il quitte rarement l'endroit, ce qui ne l'empêche pas de bavarder avec Yaone, se crêper le chignon avec l'autre standardiste, et de guetter les visites impromptues de Ririn. Sa routine est bien huilée.

Il a quelques amis, donc, mais son frère lui manque. Il ne l'a pas vu depuis des années. Il est censé le revoir ce soir et ne sait pas exactement encore qu'en penser, à part que…

« Y'en a un qui va m'entendre quand il va enfin se décider à arriver. »

Après les premières heures, ce soir-là, ses yeux glissent sur les écrans. Il a l'esprit un peu ailleurs, mais il a tellement l'habitude que même du coin de l'œil, le moindre mouvement insolite attirerait son attention. Il tourne et retourne entre ses doigts le gobelet de café qu'il vient de s'accorder. Il est déjà vide. Il n'en a pas proposé à Yaone et sa collègue, elles s'étaient déjà servies au distributeur du couloir, a-t-il vu sur un des écrans. À son retour d'une visite de contrôle sur une caméra défectueuse, il n'est même pas étonné de voir que la cassette de la salle de conférence a disparu. Mais il déteste l'idée que ce Nî s'introduise ici sans rendre de compte à personne. Il remplace la bobine avec un soupir.

Un carré gris au milieu des taches colorées des écrans accroche son regard. Une des images n'apparaît plus qu'en noir et blanc. Il tapote l'écran sans conviction, en proie à une légère irritation qui a sans doute plus à voir avec le retard de Gojyo qu'avec un simple problème technique. Il ne s'aperçoit que maintenant que la petite silhouette assise sur un des sièges du couloir est celle de Ririn-hime. Il sourit presque. Elle n'est pas seule, c'est bien. Cette gosse aurait besoin de davantage compagnie, il l'a toujours pensé. Mais ça ne l'empêche pas d'être vigilant, on ne sait jamais avec les inconnus. C'est ce que disait souvent sa mère. Même si elle parlait des maîtresses de son père.

Rouge.

Pendant un instant l'image saute et pour une seconde, pas plus, la couleur revient sur l'écran. Sha Jien retient son souffle. Rouge, la chevelure de cet inconnu qui parle avec Ririn. Il n'a connu qu'une personne avec une couleur de cheveu approchante. Un frisson court sur son flanc. Alors il se dit que c'est un frisson d'anticipation et avance son visage vers l'écran. Le jeune homme penche un instant le visage sur le côté pour murmurer quelque chose à l'oreille de la fillette. Pas de cicatrices sur la pommette. Ce n'est donc pas Gojyo. Sha Jien serre le poing. Son cœur se serre aussi… Ha. C'est peut-être ça. Jien suppose qu'il l'envie. C'est ce qu'il aurait voulu faire avec son frère. Être tout proche et lui parler. Comme cet étranger avec Ririn. Ne pas même être capable de reconnaître son frère s'il le voyait, après toutes ces années…Quelle pitié…Pourtant, malgré l'amertume, il ne peut détacher son regard de cet inconnu qui aurait pu être son frère.

Et Sha Jien n'arrête toujours pas de regarder l'inconnu. Continue de se chercher des raisons. Il essaye encore de se convaincre que c'est parce qu'il s'inquiète pour Ririn. Même s'il sait qu'elle ne risque rien. Instinctivement. Sur l'écran, l'interlocuteur de la rouquine secoue doucement la tête, en un signe de dénégation. Jien croit entendre le cliquetis cristallin des pendants à ses oreilles. Pourtant, il sait que ses caméras ne transmettent qu'une image muette. Sha Jien regarde bouger les lèvres de l'inconnu. Et il sait que sa voix est grave. Légèrement rauque. Avec des intonations chaleureuses. Il le sait. Il n'a pas le temps de se demander comment.

La sonnerie stridente du téléphone tire abruptement Sha Jien de sa contemplation involontaire. La voix inquiète de Yaone altère le cours de ses pensées…

« Sha-san. (Jien tique. Il n'aime pas qu'on l'appelle comme son père.) Il y a un problème avec un des ascenseurs. (Jien se demande en quoi c'est son problème.) Quatre personnes sont coincées : le PC sécurité du hall a vérifié leurs écrans. Ils ont dit qu'il y a un avocat du cabinet des Trois Aspects qu'ils connaissent de vue, un jeune garçon, un homme brun…Et un type dégingandé aux cheveux rouges. »

Ho. C'est vrai. Yaone est vaguement au courant qu'il attend quelqu'un qui compte beaucoup pour lui.Quelqu'un avec des cheveux rouges…

En arrière plan, Sha Jien entend distinctement une autre voix féminine adressant à Yaone un complément d'informations.

« …La standardiste du 85 dit qu'ils sont coincés depuis deux bonnes heures, que de temps en temps, ils font un raffut du tonnerre et qu'il y a eu ce qui ressemblait à un coup feu. » Shiroyuki a l'air positivement amusée. « Faudrait quand même que quelqu'un se décide à les sortir de là, » note-t-elle avec une pointe de sarcasme.

L'anxiété forme comme une sphère glacée dans les entrailles de Sha Jien, il connaît trop le bruit des coups de feu. Et la conséquence d'une seule balle. Il a perdu sa mère et son frère comme ça. Il ne peut pas perdre encore son frère avant même de l'avoir retrouvé.

« La maintenance ? » demande-t-il, mortellement calme. Yaone a un soupir résigné.

« Ils finissent à 20 h. Pas de service de nuit pour cause de restrictions budgétaires. »

« Je m'en occupe. »

En se levant, il renverse presque son siège. Oublié l'inconnu. Oubliée la sensation de le connaître.

Il passe devant le bureau de Yaone sans lui accorder un sourire tant son angoisse l'absorbe tout entier. Il suit les différents couloirs sans vraiment les voir. Et ne sort de son brouillard intérieur qu'en apercevant…

« Ririn-hime ! »

…et Lui. Sha Jien entend à peine l'exclamation joyeuse que pousse à son tour la fillette, en le voyant. À cause des couleurs. Les couleurs changent tout. Elles le piègent. Le long manteau crème dont les pans effleurent le sol fait comme une tâche claire qui attire le regard sur la silhouette fière. Le blanc éclatant du col roulé souligne le teint mat d'une peau presque ambrée s'harmonisant avec le cuivre brûlant d'une longue chevelure. L'éclat discret du métal des pendants d'oreille n'a pour seul rival que la couleur choquante de ces yeux étonnamment clairs. En cet inconnu, il y a réellement quelque chose d'étranger, ou même d'étrange. Jien ne saurait expliquer pourquoi, il sait pourtant qu'il y a quelque chose de trompeur dans cette apparence. Peut-être à cause de l'aspect trop juvénile d'un visage qui abrite des prunelles sans âge. Sha Jien sait qu'il y a quelque chose derrière ce masque trop régulier.

« Namae wa Sha Jien desu. »

Sans s'en rendre compte, il fait offrande de son nom, comme s'il espérait que celui de l'autre sera la clef qui lui permettra de comprendre. Et l'homme brun se demande un instant quelle est cette mélancolie qui passe comme un nuage sur le regard violet. Pourquoi l'inconnu ne dit rien. Pourquoi ce silence lui fait mal à lui. Mais cela ne dure qu'une seconde, parce que…

« Jien ! T'as l'air inquiet… »

Il a un pauvre sourire, il ne pensait tout de même pas que cela se voyait autant. Il explique vaguement à Ririn, se prépare déjà à repartir, malgré une réticence qu'il ne s'explique pas, parce que le froid glacé de l'inquiétude balaye à nouveau la sensation de chaleur diffuse qui l'a saisi à la vue de l'étranger. Il s'éloigne déjà.

« Un coup de main ? »

Sha Jien se dit qu'il a mal entendu. Continue d'avancer. Il sait très bien que ça n'existe pas, les gens qui tendent la main à des inconnus. Pas ici. En tout cas, il n'en a jamais rencontré. D'ailleurs, quand son frère était petit, il a essayé de lui apprendre à ne compter que sur lui-même…Pourtant, son pas ralentit imperceptiblement. Il aurait tellement envie…de croire. 'Tu reviens vite, hein ?' chuchote Ririn derrière lui et, 'évidemment', lui répond le jeune homme. Et Sha Jien, quand il se retourne enfin, se dit que sa voix exactement telle qu'il se l'était imaginée. De même, le sourire de Ririn met du baume sur son cœur. Il en a presque honte, pourtant il rit. Il ne sait pas depuis combien de temps cela ne lui est pas arrivé. L'autre arrive à sa hauteur, et son tranquille émerveillement se transforme en mots.

« Je sais pas qui vous êtes, mais si vous arrivez à la faire sourire comme ça…Je sens qu'on va bien s'entendre. »

Jusqu'à ce jour, personne n'aurait décrit Sha Jien comme spontané. Quand il se permet un contact avec l'inconnu, il en est le premier surprit. Se demande pourquoi cela lui semble soudain tellement normal. L'autre pousse un soupir résigné et a à peine l'esquisse un sourire réservé. Il ne fait aucun geste pour se dégager du bras posé sur son épaule. Sha Jien pense que c'est très bien comme ça.

« Ja nee, Ririn-hime ! »

oOo

C'est la colonne vertébrale de la Tour HOTO et Jien y met rarement les pieds. Ce n'est pas son domaine. C'est un creux vertical, obscur et vertigineux. Son compagnon n'a pas l'air très impressionné, cependant. Un mince garde-fou, au-delà duquel la lueur fébrile des néons n'est que de peu d'aide, les sépare de l'abîme. Au centre, les câbles des différents ascenseurs forment une jungle d'acier. La cabine qui l'intéresse n'est pas bien loin, coincée en contrebas entre les deux étages. Un saut bien calculé par-dessus la rambarde et Jien sait qu'il pourra l'atteindre sans trop de difficulté. Il est doué de ses mains, il pourra peut-être réparer, si la panne vient de là. Jien se jette dans le vide sans une arrière-pensée. Il n'en a pas eu non plus, le jour où il a sauvé son frère…

« Attention. »

L'écho est étrange ici, il lui joue peut-être des tours. On pourrait presque croire que l'étranger était inquiet pour lui, se dit Jien en se redressant pour jeter par-dessus son épaule avec un petit sourire satisfait. Son saut était parfait. L'autre détourne le regard, comme pris en faute. Mais Jien retourne rapidement à ce qui le préoccupe. Il s'agenouille et, de son poing, frappe la plaque métallique qui forme le toit de la cabine. Aussitôt, il entend des voix indistinctes et quelques coups répondent aux siens. Au moins, il y a des survivants, pense-t-il avec dérision. Et puis soudain, une exclamation plus forte que les autres :

« Les enfoirés, il était temps qu'ils se souviennent qu'on existe ! »

La voix est plus grave, mais l'intonation est restée la même. Jien a un petit rire extatique. Cette fois, pas de doute, c'est bien son insolent de petit frère…C'est bon de sentir que ça, au moins, n'a pas changé.

« Gaki ! » Il ne peut s'empêcher de lâcher, peut-être assez fort pour être entendu. Il perçoit encore une exclamation étouffée à l'intérieur. Et quelqu'un qui appelle son nom…

« Tout à l'heure, » il crie au travers de la paroi de métal, essayant de se faire comprendre. « Dehors, quand tu seras dehors… »

Il veut se mettre au travail quand l'obscurité tombe sur lui. Il ne peut même plus voir ses mains. Autour de lui, tout est soudain noir. Les néons se sont éteints. Ce n'est pas normal. De plus, si les plombs ont sauté, Jien ne peut rien faire d'ici. À croire que le sort s'acharne contre lui. Il se laisse aller à un sentiment de frustration grandissant. Son poing, de nouveau, fait contact avec le métal.

« Masaka ! K'soooooo. »

Un soupir, derrière lui. Un léger froissement de tissu. Le brun avait presque oublié qu'il n'était pas seul. Il en retient presque son souffle, tendu vers cette présence.

« Je vais arranger ça. Ne regarde pas, » dit la voix.

« Pourquoi ? Si je me retourne, vous allez disparaître ? Comme dans un conte ? » lui lance Jien dans un gloussement désabusé. Décidément, il fréquente trop Ririn. Elle déteint sur lui. Elle lui a raconté trop de fables, d'histoire et de légendes… Après un instant de silence, il y a enfin une réponse, un « Peut-être » à peine audible…

Et la lumière est. Pas la lumière crue et froide des néons. Une lueur inégale, mouvante. Mais puissante. Comme vivante. Et… chaude. Jien sent presque les vagues de chaleur qui irradient dans son dos. Et la tentation de jeter un regard par-dessus son épaule se fait encore plus forte. D'où vient cette flamme ? Peut-être, luia-t-il répondu, l'étranger. Allez savoir pourquoi, le brun se dit qu'il ne vaut mieux pas prendre le risque, alors. Avec un sourire vaguement amusé, il se met à travailler sur ce fichu mécanisme. Tâtonnant presque à la recherche d'un défaut. Ha, c'est là. Quelque chose sur le câble empêche le treuil de glisser… Il se sert du premier objet contondant qui lui vient à l'esprit. Il va le pêcher contre son flanc par l'ouverture de son uniforme. Une légère exclamation de surprise, derrière lui.

« C'est le flingue, qui vous gêne ? » demande Jien sans regarder en arrière, se mettant à utiliser l'item incriminé comme une sorte de masse pour décoincer le vérin grippé sur le câble. Lui aussi, il n'aime pas trop cet objet sombre. Il espère bien qu'il n'aura jamais à l'utiliser autrement que comme marteau, d'ailleurs. Ça lui paraît même bizarre, qu'on lui en ait confié un, connaissant son passé.

« Iie. Là d'où je viens, je connaissais un moine qui en portait un. »

« Fini, » lâche-t-il enfin, satisfait en entendant un craquement sonore. Un moine ? « Mais de quelle planète vous débarquez ? » Et sans y penser, il se retourne pour poser la question amusée. Mais aussitôt l'étrange lumière disparaît, et il lui semble que l'inconnu a reculé en hâte dans l'ombre comme pour se cacher. Le brun distingue à peine la tâche pâle du manteau. Jien n'y fait pas plus attention que ça et saute déjà, comme pressé de le rejoindre. Il se laisse un instant jouir de sa force, de sa détente, de la sensation grisante du vide en dessous…

Une fraction de seconde avant de s'apercevoir que son saut est trop court, il est justement en train de se dire amèrement qu'il avait été très judicieux d'avoir laissé l'autre éteindre la lumière avant d'avoir regagné la passerelle : il voit à peine la rambarde…Ses doigts l'effleurèrent. Vraiment trop court. Pas de prise, malgré un coup de rein désespéré. Panique et froid. Sensation de chute. Une vague qui enfle au creux de l'estomac et va devenir un cri dans la seconde. Et…

« Je te tiens, » dit la voix grave.

Il y a un instant de flottement. Suspendu dans le vide, pourtant, Jien ne peut pas se décider à faire un geste. Il n'éprouve même pas le besoin d'affermir sa propre prise sur le bras de l'autre. Curieusement, Jien le croit sur parole, cet étranger, quand il lui dit qu'il ne laissera pas tomber. Dans la pénombre, il distingue à peine le visage penché vers lui. Son regard scrute l'obscurité, cherchant les yeux de l'autre. Quelque chose de doux lui effleure alors le visage. Une longue mèche acajou, tombant par-dessus une épaule à peine tendue par l'effort. Il ne peut même pas la voir. Il en devine seulement la présence fantomatique contre sa pommette. Seule est tangible cette main. Réelle. Et… Jien a l'impression qu'il peut deviner le regard violet aussi, pas besoin de lumière. Comme s'il… s'en souvenait. C'est dans ce noir absolu que Sha Jien voit enfin qui se tient en face de lui.

Un instant, il sait qui est cet « homme ». Un instant, seulement. Un éblouissant instant.

Ça brûle. Ses yeux brûlent. Le contact de sa peau brûle. La terrible sensation de chaleur irradie sous la peau, effleurant chaque nerf doucement ou douloureusement, je ne sais. Comme un frisson incandescent. Akai kaze. Comme un vent brûlant et rouge qui s'engouffre en moi, mon sang pulse. Et dans le carillon affolé de mon pouls à mes propres oreilles, il tinte sans relâche, métallique, obsédant. Il hurle, même.

C'est un nom.

Kou.

Ce qui est mien est tien. Mon corps dans le sien.

Ses griffes (quelles griffes ?) enfoncées dans mes reins.

Mon nom, (qui n'est pas mon nom) contre mon oreille, à peine murmuré.

Son souffle, au creux de mon cou, comme un soupir inachevé.

Ma sueur glacée, sur mon dos nu, se mariant à mon sang brûlant sur ses mains…

Sa longue chevelure, se perdant dans mes doigts (ou est-ce l'inverse ?), m'enchaîne à lui.

Mes lèvres, qui remplacent mes yeux aveuglés, suivent religieusement les contours de son visage et se posent enfin sur sa paupière close.

Son cœur qui bat la chamade dans sa poitrine, si fort que mon cœur - tout contre, tout contre lui - peut le sentir, le toucher et battre à l'unisson. A m'en briser les côtes.

Et je perds le contact.

Et j'oublie.

Et je sais juste que ce n'était pas assez. Que cela a été à moi.

Et que j'en veux plus. Que j'en ai faim.

Et que je connais le nom.

Kou.

A moins que cela ne soit que le son du sang furieux dans mes veines…

Kou. Kou. Kou…

« Je te tiens, » la voix répète. Et Kougaiji le hisse sans effort apparent par-dessus de la balustrade métallique. Inconscient de l'épiphanie qui vient de se produire dans l'esprit de Sha Jien, le prince ne se rend pas compte. Que son masque d'étranger est déjà en train de tomber en poussière…

oOo Mirror of my … oOo

Il est un youkai de flamme. Les ténèbres l'oppressent même s'il a toujours fait de son mieux pour ne pas le montrer. Ne pas laisser voir son trouble à chaque fois qu'il visitait sa mère dans son antre si sombre… Rasetsunyo était la lumière. La sceller dans la pierre avait été un sacrilège. Il déteste les ténèbres, donc, et ce n'est pas une consolation que d'avoir naturellement une vision meilleure que celle de certains animaux nocturnes. Pourtant, quand sans réfléchir il a porté sa main à ses pendants d'oreilles, ces parodies de limiters imposées par le bodhisattva, c'était pour aider l'homme brun que l'obscurité soudaine et inexpliquée avait l'air de tellement ulcérer. Ce n'est que sous sa véritable apparence qu'il est capable d'invoquer une flamme de poing. C'est un pouvoir qui coule dans son sang. Pas de la sorcellerie. Et quand il dit à celui qui n'est pas Doku de ne pas se retourner, il sait très bien qu'il se ment à lui-même. Le fol espoir de croire qu'il pourrait être reconnu par cet homme, s'il lui dévoilait sa véritable apparence, le trouble plus qu'il ne veut bien l'admettre. Parce que ça fait mal. Mais le petit prince a toujours su savamment réprimer ses émotions. Quand l'homme brun se retourne enfin, le youkai laisse mourir sa flamme et cherche refuge dans les ténèbres qu'il déteste.

Quand l'autre bondit pour le rejoindre, il sait avant lui la chute à venir. Le bruit infime de ce corps de mortel qui fend l'air est aussi révélateur, pour lui, que ce que lui montrent ses yeux de démon. Oubliée la prudence. Ses griffes ne se referment sur le bras de l'autre que de justesse. Le corps suspendu dans le vide ne pèse rien pour lui. Il a vite retrouvé la sécurité de la plate-forme. Seulement le mortel refuse d'abandonner son bras.

« Mais qui es-tu ? »

La question surprend la créature, elle a fusé tellement vite. Le youkai espère que ce n'est pas la peur qui fait légèrement vibrer cette voix. L'obscurité est trop épaisse, presque étouffante. Un simple mortel ne peut avoir distingué ses traits. C'est impossible. Et lui crier son nom n'aidera pas l'humain à le reconnaître, alors à quoi bon ? Kougaiji n'écoute pas les mots qui continuent de s'écouler de la bouche de Sha Jien, presque suppliants. Il remarque cependant le tutoiement. Il ne s'explique pas réellement ce changement, mais qu'importe. Il ne s'explique pas non plus pourquoi la question est devenue soudain si pressante. L'incongruité de sa réponse réduit un instant l'humain au silence.

« J'ai perdu mes pendants d'oreilles. »

Kougaiji se revoit à peine les lâcher avant de se précipiter vers le garde fou. Il avait déjà rattrapé ce Jien avant d'entendre le cliquetis du métal qui touchait le sol… D'après le son, ils devaient se trouver… là. Le youkai se détache de la poigne que la surprise a rendue sans force. Il se penche, et quelques secondes ses doigts n'effleurent que la poussière.

« Hey. Tu y vois dans le noir ? »

Toujours pas de réponse. Kougaiji n'en voit pas l'intérêt. Il se contente de replacer les bijoux à ses lobes. Il sent déjà presque ses traits en train de brouiller pour retrouver une apparence inoffensive. Mais en même temps, il se sent mal… Quelque chose lui dit que ce n'est pas normal, mais c'est une question qu'il ne se donne pas le temps d'approfondir, le sentiment d'urgence est trop puissant…Il n'a pas le choix, il ne peut simplement pas laisser l'humain voir son vrai visage. Mais…

Confiné. Paralysé. C'est comme se sentir prisonnier d'une toile d'araignée. Tout à coup ses mouvements perdent de leur vivacité. Pas seulement son corps. Mais aussi ses perceptions. Brouillées. Engourdies. Diminuées.

Un instant terrifiant, il se sent comme scellé de nouveau. Faible et sans défense comme il ne l'a jamais été. Mais dans un corps qui n'est pas le sien, un corps de mortel. Comme si le youkai en lui avait tout à coup disparu de la surface de la terre. Pire, de son âme.

Il y aura un prix.

Les mots résonnent tout à coup clairement dans sa tête…

Il a vaguement conscience que ses jambes ont cédé sous lui. Il n'entend pas la plainte qui s'échappe de ses lèvres. Ses propres bras enserrent son corps, comme s'il s'agissait de son dernier espoir de ne pas tomber en morceaux…

Il y aura un prix.

Oui, il se souvient. Qui lui avait dit cela ? Ce n'est pas la voix du bodhisattva…

Et à qui sont les mains inquiètes, sur son corps, sur son visage ?

« Ne me touche pas, » s'exclame-t-il violemment. Sans entendre comme sa voix est rauque, comme brisée. Sha Jien tressaille violemment, à cet instant. Comme si ces mots avaient réellement pu le frapper.

IL Y AURA UN PRIX !

Mais une autre voix se superposa à ces mots. Kougaiji ne comprit pas ce qu'elle disait. Tout se confondait dans son esprit…

Il se souvenait, quelque part, très loin, de ces mains, de cette voix…

Il n'abandonnait pas, obstiné, tellement obstiné, Dokugakuji…Toujours été.

Son corps décida à la place de sa tête de se laisser enfin aller au contact. Tellement familier. Tellement… naturel.

La voix dans sa tête se tut brusquement. Peut-être parce que quel que soit ce prix à payer, il n'avait plus d'importance.

Dans un instant soudain de calme absolu, le youkai la sentit, elle était là… La flamme de son pouvoir, très profondément enfouie. Il avait presque failli la perdre. Mais elle était toujours là. Il était sauf. Et il n'était pas seul…

Kougaiji connaissait cette présence. Ses yeux s'ouvrirent dans le noir. Il était conscient des bras qui le soutenaient, de la voix qui déversait autour de lui des phrases saccadées par l'inquiétude qui le berçaient presque. Cela avait été toujours si facile de faire taire Dokugakuji et ses soucis…Un geste qu'il avait accompli tant de fois sans même y penser. Qu'il accomplit une fois encore sans même réfléchir. Il posa ses lèvres sur les siennes. À peine un effleurement…En réponse, il ne s'était pas attendu à une telle voracité…Une faim. Une recherche. Comment Kougaiji aurait-il pu deviner que Sha Jien chassait sur ses lèvres le goût léger d'un souvenir qui n'était même pas le sien ? Le youkai se servit de ses mains pour explorer ce visage qu'il connaissait si bien. Son doigt effleura l'arête impérieuse du nez. L'absence d'une marque bleue sur la peau était impossible à noter dans le noir qui les enveloppait. Cela pourrait être si facile de…faire comme si. Son pouce traça doucement l'arc du front. S'attarda sur le lobe arrondi, tellement humain d'une oreille. Humain. Pas youkai.

Un bourdonnement sourd se fit entendre. Et un claquement sec, au-dessus de leurs têtes, dans les néons. L'électricité était juste revenue. La lumière froide leur brûla les yeux. Reléguant à l'inexistence ce qui venait de se passer, tout comme l'obscurité défunte.

« Gomen, » dit simplement le youkai en se relevant. Il vit des milliers de questions danser dans le regard brun du mortel…Mais un nouveau bruit se fit entendre. C'était la machinerie des ascenseurs. Aussitôt, Sha Jien, ramené à la réalité, fit mine de rejoindre le couloir :

« Je dois… » Son frère était sans doute là, juste dehors. Pourtant il s'arrêta. Le youkai lui tournait le dos. « Matte kudasai, » souffla-t-il en direction de la silhouette vêtue de blanc.

Il fallut un instant au youkai pour réaliser que c'était à lui que l'on parlait. Il réprima un sursaut de surprise. Il n'est pas sûr de comprendre la requête. Alors peut-être que s'il faisait comme s'il n'entendait pas, l'autre abandonnerait. Mais il sentit une présence derrière lui, et une main qui s'abattait sur son épaule.

« Je dois voir mon frère, mais je reviendrai. Kou. Attends-moi. »

Et Kou sentit son souffle mourir dans sa gorge. Parce que ce nom – son nom - ne pouvait pas avoir franchi les lèvres du mortel. L'étreinte sur son épaule se relâcha après une dernière pression insistante. Le brun s'éloigna. Kougaiji porta sa main à son front.

Abandonne tout espoir. C'est fini maintenant. Abandonne tout espoir d'essayer de les quitter, d'essayer de partir, d'essayer d'oublier.

Yaone. Elle souffre.

Ririn. Elle t'appelle oni-chan.

Doku (ou non, peu importe). Il sait ton nom.

Ils t'enchaînent à cet endroit.

Quelques secondes plus tard, Kougaiji suivit le vigile et observa de loin Sha Jien aller à la rencontre de ces gens qui émergeaient de l'ascenseur. Il fut à peine étonné quand il reconnut les personnes qui accompagnaient le frère de Sha Jien. Il lui parut même étrange de penser qu'on aurait pu avoir besoin de son intervention pour les réunir. Mais quand au loin ses yeux croisèrent ceux de Son Goku, il ne put s'empêcher de détourner le regard. Le groupe se sépara pourtant vite. Sha Jien entraîna son frère dans son sillage, non sans un dernier regard vers le prince.

« Dokugakuji ? » souffla Kougaiji une fois encore, à peine plus haut qu'un murmure. La voix étrangement altérée par l'émotion.

Quand la silhouette de haute taille disparut tout à coup à un tournant, il ne se sentit pas seul, curieusement. Il avait quelqu'un à attendre désormais.

« C'est qui, Doku-quelque-chose ? » Une petite main se glissa dans la sienne. Le visage malicieux de Ririn se leva vers le sien.

« Personne, » répondit le prince.

Il réalisa que c'était vrai. Ici, Dokugakuji n'était personne. Il se devait d'être prudent et de s'en souvenir.

… Sans me méfier,

Je l'ai serré(e) très fort.

Aujourd'hui encore

J'en ai les yeux qui brûlent,

Qui brûlent… »

F. Cabrel

oOoOoOo

À suivre.

Prochain chapitre : « En apesanteur » (sanzo-ikkou, le retour )