UNE NUIT : KATE

Kate regarda la porte ce refermer derrière Gibbs. Elle feuilleta rapidement quelques pages du dossier qu'elle avait pris avec elle.

"Nous n'avons pas encore eu la chance de vraiment parler ensemble. La première fois, c'est votre patron qui a surtout posé les questions et la deuxième fois, le contexte n'était pas favorable à une discussion. Cela ne doit pas faire longtemps que vous faites ce travail, n'est ce pas ?"

Kate ne savait pas quoi répondre. Elle n'était pas du genre à se laisser intimider, mais elle n'était pas Gibbs, elle n'avait pas cette capacité à se détacher totalement de l'enquête qui le rendait presque inhumain. Ni Tony, qui avait tendance à tout tourner en dérision, comme si rien n'avait d'importance. L'homme qui était en face d'elle la révulsait, il avait tué deux femmes sans montrer le moindre remord, et il avait aussi assassiné Shirley Kilpatrick malgré ses démentis. Quand elle le regardait, elle avait en tête le corps pâle et sans vie de Shirley sur la table d'autopsie. Elle savait aussi qu'elle ne pouvait laisser ses sentiments et ses jugements interférer dans son travail. Elle l'avait déjà fait et cela lui avait coûté cher. Elle se décida enfin à lever les yeux de sa lecture.

"Je ne suis pas là pour parler de moi, mais de vous."

"Je me demande ce que vous faisiez avant… pas dans la police, courir après des petits voleurs à la tire ou des délits de fuite, c'est pas votre genre, trop terre à terre. Il vous faut quelque chose de plus constructif, un plus grand défi pour montrer de quoi vous êtes capable. Je suis sûr que vous avez de quoi faire au NCIS."

"Pourquoi ce besoin de savoir avec qui vous parlez ? De tenter de percer leurs moindres secrets ?" demanda Kate.

"Vous avez des secrets ?"

"Comme tout le monde" laissa t'elle échapper.

"Vous avez sûrement raison. Dites moi qu'elle sont les miens."

"C'est plutôt à vous de me livrer vos secrets."

"Mais c'est vous la profileur ici."

Kate ne put s'empêcher de faire un léger mouvement de surprise de la tête.

"C'est la façon dont vous posez vos questions. Vous n'êtes pas directe, contrairement à votre supérieur ou votre coéquipier. Ils veulent juste savoir si j'ai tué Shirley Kilpatrick, à la rigueur si j'ai un mobil. Ils ne cherchent pas vraiment le pourquoi du comment, vous si."

"Vous êtes plutôt doué, mais cela ne suffit pas à m'impressionner."

"Je sais. Il vous en faut plus pour vous impressionner" rétorqua t'il, avec un petit sourire en coin.

"Je vous l'ai déjà dit, nous ne sommes pas là pour parler de moi. Quels étaient vos liens avec Shirley ?"

"Mes liens avec cette pauvre Shirley ? Nous étions juste amis, est-ce si difficile à comprendre ? Un homme et une femme ne peuvent-ils pas être juste amis, sans tout rapporter au sexe ? Je peux vous retourner la question, quels sont vos liens avec l'agent Gibbs ou DiNozzo ?"

"Il n'y a rien entre moi et les agents Gibbs ou DiNozzo."

"Je pourrais vous répondre que je n'y crois pas. La façon dont vous regardez parfois l'agent Gibbs, ou dont vous répondez à l'agent DiNozzo peuvent me laisser supposer que vos liens sont plus que professionnels… et pourtant je sais qu'il n'y a rien entre ces deux hommes et vous."

Kate le dévisagea. Elle perçut un éclat froid dans ses yeux. Elle n'aima pas la façon dont il la regardait. Elle sentit un frisson le long de son dos. Ce type lui donnait la chaire de poule.

"Aucun des deux n'est vraiment votre style… Ai-je raison ?"

"Mais Shirley Kilpatrick était le votre, par contre?" renchérit Kate, sans prêter attention à sa dernière remarque.

Il laissa échapper un petit rire, tout en rejetant sa tête en arrière. "Et que savez-vous sur mon genre de femme ?"

"Les deux femmes que vous avez tuées à New York, ressemblaient un peu à Shirley. Pas physiquement, mais toutes les trois étaient des battantes, elles réussissaient, contrairement à vous."

"Ho ! Donc je les aurais tuées car elles me renvoyaient mes propres échecs ? Moi qui croyait que c'était toujours la faute d'une mère possessive ou d'une enfance difficile" se moqua t'il.

"D'une certaine façon…"

"Mais je ne connaissais pas mes victimes" coupa t'il.

"Moi je pense que si" le contredit Kate, d'une voix autoritaire.

Pour la première fois il parut légèrement déstabilisé, mais il retrouva rapidement sa contenance. "Malheureusement, vous ne pourrez jamais prouver votre idée."

Kate le savait bien. Elle n'avait rien pour le prouver, ils n'avaient déjà rien pour vraiment le rattacher au meurtre de Shirley, alors de là à prouver que tous ses crimes étaient prémédités. Mais elle ne se laissa pas abattre pour autant.

"Peut-être" fit elle. "Mais il y a sept ans, un meurtre est commis à New York. La police retrouve une trace d'ADN et en étudiant le crime elle arrive à le rattacher un autre homicide commis quelques semaines auparavant. Malheureusement, elle n'arrive pas à identifier l'ADN. Les inspecteurs doivent classer l'affaire. Puis il y a trois jours, ils reçoivent un appel d'un agent du NCIS qui veut en savoir plus sur ces deux affaires. Voila qu'après sept ans sans aucun indice, sans aucune nouvelle piste, on leur livre le meurtrier sur un plateau. Je suis sûre qu'ils ont déjà réétudié votre dossier. Vous pourrez en parler avec eux dans l'avion, à moins que vous n'avouiez le meurtre de Shirley." Kate marqua un blanc, puis reprit "peut-être que nous aussi, nous aurons un jour cette chance."

"Peut-être, mais une telle chance est plutôt rare." Il soupira, comme si toute cette conversation l'ennuyait. "Je préférais quand nous parlions de vous… d'une certaine façon, vous répondez au profil de mes victimes, si je vous écoute."

"D'une certaine façon" avoua Kate, sans sourciller.

"Et cela ne vous fait pas peur, de savoir que j'aurais pu vous étrangler ?" susurra t'il, en se penchant au-dessus de la table.

"Non" répondit-elle froidement. "Non, car c'est moi qui vous ai eu" continua t'elle, à voix basse, en se rapprochant de lui.

"Ho ! Vous devez être fière de vous… Vous avez arrêté le croque mitaine."

"Plus que vous ne pouvez l'imaginer" lui murmura t'elle à l'oreille.

"Vous savez quoi, je pense que c'est votre père que vous voulez impressionner. Je mettrais ma main au feu que vous n'avez que des sœurs, mais c'était vous la petite préférée de papa, le garçon qu'il aurait voulu. Il doit être sacrement fier de vous, son petit gars qui réussit dans un monde d'homme et qui met sous les verrous les grands méchants loups."

Kate voulut se reculer, mais il l'attrapa par les poignets. Elle tenta de se dégager, mais il la serait trop fort. Il avait un regard de prédateur. De nouveau elle sentit un frisson remonter le long de son dos, malgré la chaleur de la pièce. Elle eut peur, réellement peur. Pendant l'espace d'un instant elle sut ce qu'avait ressenti toutes les victimes de ce monstre avant leur mort. L'image de Shirley Kilpatrick à la morgue ce fit encore plus nette dans son esprit.

"Lâchez moi tout de suite !" ordonna t'elle, mais sa voix la trahit. Elle le vit à ses yeux.

"Je croyais que vous étiez une grande fille ? Je ne vois qu'une petite fille qui veut que son papa la défende. Je suis extrêmement déçu" se moqua t'il avec une petite moue.

Elle se leva brusquement en faisant tomber sa chaise. Elle essayait de se libérer, lorsque Tony rentra vivement dans la salle. Il se jeta sur le prisonnier et le ceintura à la taille. Surpris par l'attaque, il relâcha Kate. Tony le poussa contre le mur et le frappa violemment. L'homme glissa le long du mur, le nez en sang. Tony allait le relever en l'attrapant par le col.

"Ca suffit !" l'enjoignit Gibbs.

Tony ne paraissait pas calmé. Il jeta un regard noir sur l'homme à terre, et un autre à Gibbs.

"Va me chercher Ducky !" ajouta Gibbs, d'un ton qui n'attendait pas de répliques.

Tony parut réfléchir quelques secondes, puis capitula.

Kate s'était réfugiée prés de la porte, les bras croisés et serrés contre elle. Elle arrivait tout juste à contenir sa peur et sa colère.

"Pauvre petite fille apeurée qui a besoin d'être protégé !" nargua l'homme toujours à terre, en fixant son regard sur Kate.

Tony allait réagir, mais Gibbs l'en empêcha.

"Sors de là DiNozzo !"

Cette fois l'agent obéit aux ordres de son supérieur. Il passa devant Kate, il s'arrêta pour la dévisager.

"Je sais me défendre toute seule DiNozzo" marmonna t'elle.

Tony fut surpris par le ton et la réflexion de la jeune femme, mais il ne répondit pas et sortit.

Gibbs s'approcha de Kate sans quitter l'homme des yeux. "Ca va ?" lui demanda t'il. Il voulut poser sa main sur son épaule, mais elle se dégagea d'un haussement d'épaule et suivit Tony.

Gibbs foudroya du regard le suspect. Il était toujours assis par terre et souriait. Il paraissait s'amuser des derniers événements. Ils n'échangèrent aucun mot et attendirent le médecin dans un silence pesant.

"Tu as besoin de mes services ?" demanda Ducky, en observant simultanément les deux hommes.