UNE NUIT : DUCKY

Gibbs et Ducky aidèrent le prisonnier à se relever et à se rasseoir sur sa chaise. Gibbs alla lui chercher un verre d'eau, puis laissa le médecin seul avec son patient. Il ne ferma pas la porte et Ducky savait parfaitement qu'il attendait de l'autre côté.

"Je suis le docteur Mallard" se présenta t'il. "Que vous est-il arrivé ? "

"J'ai glissé" répondit-il d'un ton neutre.

Le médecin lui jeta un regard suspicieux, mais il ne préférait pas savoir ce qui c'était réellement passé. Il avait eu le message de Tony juste au moment où il allait rentrer chez lui. Il ne lui avait rien demandé, et en voyant les têtes des trois agents, il avait compris que la nuit devait être longue. Il mit ses gants et vérifia que le sang avait fini de couler, avant de lui faire lever la tête. Il positionna ses mains autour du nez, tâta doucement mais n'y décela rien de cassé.

"Vous avez eu de la chance dans votre chute. La douleur devrait disparaître dans les prochaines heures, mais si vous voulez quelques choses… "

"Non, je vous en remercie, je pense que vous comprenez que je préfère avoir toute ma tête. "

"Oui, bien sûr. Il se peut que votre nez reste gonflé quelques jours. Si la douleur persistait ou que vous souffriez d'autre saignement de nez, il faudra consulter" expliqua Ducky, en rangeant ses affaires.

"Ne vous inquiétez pas. Je risque d'être le centre de beaucoup d'attention dans les jours à venir."

Ducky regarda l'homme en face de lui par-dessus ses lunettes. Quelque chose dans sa voix l'intrigua, comme s'il était fier de tout ça.

"Ne soyez pas si surpris docteur. On a du vous expliquer qui j'étais" ils se dévisagèrent.

"Je sais qui vous êtes. Ce qui m'étonne c'est que vous ne paraissiez pas plus contrarié que ça d'avoir été arrêté."

"J'avoue que tout cela me déplaît mais que puis-je y faire. J'ai commis une erreur il y sept, j'en paye le prix aujourd'hui. "

Ducky n'était pas sûr qu'il parlait du fait d'avoir assassiné deux femmes ou d'avoir laissé une trace derrière lui. Il en avait fini avec lui, il allait enfin pouvoir rentrer chez lui et prendre du repos. Sans cette affaire il aurait eu sa soirée pour lui, cela faisait une éternité qu'il n'en avait pas eu, à boire un whisky douze ans d'âge dans son fauteuil préféré, à lire ses revues médicales qui s'empilaient dans son bureau faute de temps, le tout en écoutant Mozart.

"Oui, vous en payez le prix" répéta le médecin, distraitement.

"Vous n'avez pas l'air convaincu pour autant" lui fit remarquer le détenu, après avoir bu une gorgée d'eau.

"Je ne suis pas sûr qu'on puisse réellement payer pour ce que vous avez fait… d'ailleurs je ne suis même pas sûr que nous parlons exactement de la même chose" répondit honnêtement le ME.

L'homme inclina légèrement la tête tout en gardant son regard fixé sur le vieux médecin. "Je comprends."

Ducky haussa les sourcilles. Il ne pensait pas que cet homme puisse comprendre, ou du moins il avait envie de croire qu'il ne pouvait pas comprendre.

"Vous pensez que parce que je suis un assassin, je suis incapable de ressentir des émotions, de ne pas compatir ?" demanda t'il, comme s'il avait saisi les réflexions intimes du médecin.

"Non, vous êtes humain donc à même de ressentir des émotions… C'est peut être cela qui me gêne, que vous soyez comme moi."

"Nous sommes semblables, effectivement. C'est ce qui explique la fascination de la plupart des gens pour la violence. Notre civilisation la bannit, pour que nous puissions nous différencier de l'animal, mais nous avons tout simplement oublié que nous sommes nous-même des animaux."

"Nous sommes peut-être encore des animaux au fond de nous, mais cela ne permet pas de vous excuser. Contrairement aux animaux nous avons une âme. Vous avez tué en sachant que cela était mal et proscrit."

"Et vous, en tant que médecin, n'avez-vous jamais voulu abréger les souffrances d'un malade en lui donnant la mort ? En sachant que cela était mal et proscrit, pour reprendre vos mots."

Les deux hommes se jaugèrent du regard, chacun tentant de deviner les pensées de l'autre, sans y parvenir. Ducky attrapa sa sacoche pour mettre fin à ce duel silencieux et stérile.

"Vous partez déjà ?"

"J'en ai fini avec vous. Je vais laisser un mot pour les policiers new-yorkais."

"C'est dommage. Je trouvais enfin quelqu'un qui n'allait pas me rabâcher pour la énième fois les mêmes choses, me demander si j'ai tué Shirley" fit-il d'une voix faussement implorante.

Ducky hésita. Il jeta un regard vers la porte, puis vers l'homme. Peut-être arriverait-il à lui faire dire quelque chose, n'importe quoi, pourvu que cela puisse les conduire à une inculpation. Puis Gibbs était juste à côté. Ducky soupira, il redressa la chaise que Kate avait fait tomber.

"De quoi voulez-vous parler ? " demanda Ducky.

"Pourquoi la médecine légale ? Je croyais que tous les médecins voulaient sauver des vies ? "

Pourquoi la médecine légale ? A la place de cardiologue, pédiatre ou d'une autre spécialité. Il s'était souvent posé la question, et même encore aujourd'hui cela lui arrivait parfois face à un cadavre. Ne lui aurait-il pas été plus utile de son vivant ? Il soupira, il savait ce que c'était que de s'occuper de patients vivants. Il l'avait fait dans une autre vie, une vie bien loin maintenant.

"Les vivants ont besoin d'être soigné, et c'est gratifiant quand on y parvient. Pour les morts c'est différent, la médecine légale ne s'intéresse qu'à ceux qui sont décédés d'une mort violente ou bizarre. D'une certaine façon je me fais l'écho de leur dernière parole, celle qui permettra peut-être de leur rendre justice. Et puis elle permet d'apporter certaines réponses à ceux qui restent."

"Noble cause. Et que vous a dit Shirley ? "

"Je croyais que vous ne vouliez pas parler de Shirley ? " le reprit Ducky.

"C'est vrai, la mort de Shirley n'est pas un sujet dont j'ai envi de parler. Elle était si pleine de vie et de la savoir..." il avait l'air abattu puis il poursuivit d'une voix profonde "c'est un ami commun qui me l'a présentée. Elle venait d'être mutée et je crois qu'ils avaient été voisins ou à la même école, quelque chose comme ça. Il l'aidait à s'intégrer. Dès que je l'ai vu je me suis senti attiré par elle, pas physiquement. Nous avions des points communs, nous aimions les mêmes films, le même genre de musique… j'aimais Shirley, jamais je ne lui aurais fait de mal, jamais."

Ducky ne sut dire s'il jouait la comédie où s'il était réellement triste. Après tout, ils s'étaient peut-être trompés. Le doute s'installa dans son esprit. Cet homme en face de lui était certes un assassin, mais était-il forcement celui de Shirley Kilpatrick ? N'étaient-ils pas allés un peu vite après avoir identifié son ADN ? Il faisait office du suspect idéal, mais il n'était pas le premier, et un certain nombre c'était avéré innocent. L'avantage des morts sur les vivants, c'est qu'ils ne mentent plus, un point de plus pour la médecine légale, pensa t'il.

"On peut tuer par amour" remarqua t'il.

"Ce n'est pas mon cas. Je n'ai pas tué par amour. Puis Shirley et moi c'était une profonde amitié qui nous unissait."

Pourquoi avait-il accepté de parler avec cet homme ? Maintenant, il n'était plus sûr de son jugement. Ce n'était pas son travail de trouver les coupables, il ne faisait qu'aider en donnant le plus d'indication sur la mort et comment elle était survenue. Il regarda vers la porte, elle était ouverte, à tout moment il pouvait mettre fin à cet entretient, mais il n'y arrivait pas, quelque chose voulait qu'il reste, peut-être l'envie de savoir, de comprendre, de mettre un visage sur le mal ? Non, il secoua la tête, le mal n'a pas de visage, cela peut-être n'importe qui. Il avait participé à suffisamment d'enquêtes pour le savoir. Alors pourquoi ce doute ce soir ?

"Quelque chose ne va pas docteur Mallard ? "

"Hein !" répondit-il, reprenant, soudain, conscience d'où il était. "Non tout va bien. Je réfléchissais. "

"J'espère ne pas vous avoir interrompu dans une réflexion importante" s'excusa t'il.

"Rien de vraiment important" confirma t'il. Il perçut une étrange lueur dans les yeux du prisonnier. Il se demanda si celui-ci n'avait pas perçu son dilemme. Et si c'était voulu, s'il avait volontairement semé le trouble dans son esprit ? Ducky se sentit las de tout ça pour la première fois de sa vie et cela l'effraya. Il était confronté à la violence et à toute ses atrocités, mais pas aux vivants, pas à ceux qui la commettait. D'une certaine façon il se protégeait d'elle, il ne cherchait pas à la comprendre, à lui donner une cause. Il adorait son travail, c'était toute sa vie, mais cette nuit il se rendit compte qu'il lui permettait de se cacher.

Tony frappa légèrement à la porte. Ducky lui en fut reconnaissance et lui fit signe de rentrer.

"J'ai fini" déclara t'il en se levant.

Tony posa un morceau de pizza placé sur une serviette en papier sur la table. "Tout c'est bien passé ?" demanda t'il.

Ducky était quasiment à la porte. Il jeta un dernier regard sur l'homme qui commençait à mordre à pleines dents la pizza. "Oui, tout c'est bien passé" répondit-il d'une voix lointaine.

"Ca va Ducky ? " lui demanda Tony, un peu inquiet de l'attitude du légiste.

"Oui, tout va bien Tony. Je te laisse, j'ai quelques papiers à remplir." Il sortit en refermant doucement la porte.

Tony médita quelques secondes à l'attitude de Ducky, puis se re-concentra sur son travail.


N/A : merci à Ykyrya pour tes reviews.