Chapitre 7 : Les élans du cœur

D'un geste brusque de la main, Sakura envoya son réveil valser à l'autre bout de sa chambre.

Elle avait passé une nuit si tranquille. Pour la première fois, aucun cauchemar n'avait troublé sa nuit.

Les paupières lourdes, elle se rendormit.

Pas envie de quitter mon lit.

Pas envie de quitter la chaleur de ce nid.

La porte s'ouvrit brusquement.

- Sakura ! T'as vu l'heure ?

Mécontente, Sakura ramena les draps sur sa tête et ignora les cris de son amie. Mais Tomoyo, loin de reconnaître sa défaite, se mit à secouer Sakura comme un prunier avec un entêtement aussi fort que celui de Sakura qui refusait de se lever.

Décidément, elle ne serait jamais du matin.

- Tu veux bien me laisser cinq minutes ? maugréa Sakura.

- Tu veux que je me mette à sauter sur toi ? la menaça-t-elle. Regarde un peu ça !

Tomoyo lui colla sa montre devant les yeux. Un cri horrifié suivit.

A la hâte, Sakura écarta les draps, et sous le regard amusé de Tomoyo, elle s'engouffra dans la salle de bain.

- Pourquoi tu ne m'as pas réveillée plus tôt ?

- Je pensais que tu réitèrerais ton exploit d'hier. Allez, dépêche-toi au lieu m'accuser et de te chercher des excuses, rétorqua Tomoyo.

Shaolan retrouva sa famille dans la grande salle à manger. Eriol était déjà assis et bavardait avec Shefa, la plus tranquille des trois soeurs, selon les dires de leurs proches.

Shaolan s'installa aux côtés de sa mère.

- Tu n'as pas assez dormi, remarqua Futie. Une jeune fille hante-t-elle tes rêves, petit frère ?

- Je ne suis pas d'humeur à subir tes plaisanteries à deux balles, répliqua-t-il.

- C'est bien une fille ! déclara Falen.

- Et je crois qu'il est très atteint, renchérit Feimei.

- Quand est-ce que tu l'épouses ? demanda Falen.

- Je serai sa demoiselle d'honneur ! décréta Feimei.

- Méfiez-vous, conseilla Shefa. Il n'a pas la tête des beaux jours.

- De toute façon, dans cette famille, personne ne respecte ma vie privée ! s'écria-t-il en se relevant subitement. Je ne suis pas un prince pour que tous mes faits et gestes soient pronostiqués et commentés ! Je vais au lycée.

Il sortit de la salle à manger.

- Il n'a pas tenu cinq minutes.

- Il n'a pas répondu avec son insolence habituelle.

- Il n'a pas touché son petit déj.

- Il n'a pas taquiné Falen et Feimei.

- Il ne m'a pas souhaité le bonjour à moi sa mère.

- Bref, termina Eriol en se levant, vous aurez compris que Shaolan n'est pas dans son assiette. Bonne journée, ma tante.

- Bonne journée, Eriol. Tente de...

- Oui, je verrai ce qu'il a.

Eriol retrouva Shaolan dans la voiture qui les menait chaque matin au lycée.

Shaolan repensait au chant du fantôme. Il était certain que la colère du fantôme s'était intensifiée après qu'elle ait lu dans son coeur. Mais qu'est-ce qu'elle avait vu au juste ?

Son chant de quoi parlait-il ? D'un homme qui avait trahi son amour après avoir pris son corps. Elle l'avait sûrement assimilé à cet homme, et il la comprenait.

- Est-ce que tu me crois capable d'aimer sincèrement une fille ? demanda-t-il soudainement à Eriol, sortant ainsi de son mutisme.

- Franchement ?

- Sans trop m'égratigner.

- Et bien, non.

- Merci pour ta franchise !

- Attends la suite. Tomber amoureux, c'est à la portée de n'importe qui. Mais toi, tu adores dresser des barrières et des pièges autour de toi. A chaque fois qu'une fille t'ouvre son coeur, tu fuis aussitôt. Comment veux-tu aimer sincèrement si dès le départ tu penses à une relation brève ? C'est impossible car aimer et respecter, ça va de pair.

- C'est évident pour toi, mais pas pour moi ! Je ne sais pas... C'est si difficile de dire qu'on dépend d'une autre personne. Je n'ai pas envie de devenir faible. Je n'ai pas envie de perdre ma future place dans le conseil après avoir perdu les cartes de mon aïeul.

- Ton entrée au sein du conseil ne se fera pas avant une vingtaine d'année. Alors pourquoi tu y penses déjà ?

- Parce que je veux leur prouver que je ne suis pas aussi faible qu'ils le croient ! Leur prouver que ce n'est pas parce que j'ai perdu les cartes de Clow que je suis un magicien de cinquième ordre.

- Et tu crois que si tu t'attaches, tu ne le pourras pas ?

- Pour être fort, mon âme, mon coeur et mon esprit ne doivent faire qu'un. Si je laisse mon coeur me diriger, je ne saurais pas réagir le moment venu.

- Et tu n'as jamais pensé que l'amour pouvait rendre plus fort ?

- C'est des foutaises ! Un truc qu'on voit dans les séries, les dessins animés et les livres pour femmes en mal d'amour. Non, l'amour c'est une source de tracas, c'est tout !

Il garda le silence durant le reste du trajet.

Ils arrivèrent en même temps que Kyo.

- C'est pas croyable de voir à quel point on est synchro dans tout ce qu'on fait !

- Ouais, marmonna Shaolan en passant les grilles de l'école.

- Lui, il a un problème.

- Il se prend la tête sur sa future nomination au sein du conseil.

- Alors que tout le monde se tracasse sur les examens d'entrée à la fac, lui il pense à une place qu'il n'intègrera que dans une vingtaine d'années et encore je suis gentil. T'as vu la moyenne d'âge des sages ? Ils ont dans la cinquantaine.

- Le problème, ce n'est pas cette place. Au fond, il s'en fout. En fait, il ne digère toujours pas la perte des cartes.

- A sa place, j'aurais aussi la haine. Une étrangère qui me vole l'héritage de ma famille, je serai grave vénère.

- Oui, mais c'est pas en étant rancunier qu'il prouvera quoique se soit.

- Bon, pourquoi se prendre la tête avec ce con de Shaolan ? Y'a le cours d'Onizuka qui nous attend !

- J'espère qu'il ne dira rien au Chauve à propos de notre présence dans l'école.

- Onizuka n'est pas une balance. Il ne dira rien à personne.

L'oreille collée contre la porte le proviseur adjoint écoutait.

Ses espoirs de remettre Onizuka sur le droit de chemin avaient été un échec. Ce suppôt de Satan ne verrait jamais la lumière de Bouddha. Et savoir qu'une vingtaine de pauvres agneaux écoutaient le discours pécheur de ce diable, ne le rassurait pas. Il fallait agir mais avant toute chose mesurer l'ampleur des dégâts. Il fallait trouver les failles du diable pour le détruire.

Bouddha, viens en aide à ton serviteur qui est obligé d'agir aussi indignement pour apporter ta lumière à la Chine.

Le nouveau costume de Onizuka reçut le succès escompté. Passant entre les rangs, il fit admirer son tuba et ses palmes.

- Vous comptez aller à la mer, m'sieur ?

- Oui, je vais chercher ma sirène !

- Ca n'existe pas les sirènes !

- Ca existe mais y'a que les beaux mecs pour les voir, n'est-ce pas Li ?

Shaolan n'écoutait pas. Son regard était rivé sur le dos de Sakura. Sa main le démangeait. Il aurait tant voulu saisir une de ses mèches.

« Oh, Shaolan ! Prends-moi dans tes bras. Embrasse- moi, caresse-moi et emmène ta fleur de cerisier au septième ciel ! »

Sursautant, Shaolan tomba à la renverse.

Les rires envahirent la salle de classe.

Il leva les yeux et vit Onizuka qui riait aussi.

- Et ben, dit Onizuka, notre Sakura fais un sacré effet à notre Shaolan.

Sakura n'était plus une cerise, ni une tomate, ni une écrivisse, non elle était devenue aussi rouge feu qu'une lave en fusion. Ne sachant où se mettre, elle plongea son visage entre ses bras croisés sur sa table.

- Bon ! C'est pas tout ça mais j'ai une info que je dois vous faire parvenir. Comme vous pouvez vous en doutez, pour souhaiter la bienvenue aux nouveaux élèves, l'école organise une fête ou plutôt un championnat opposant les classes dans différents sports. Et je crois que j'ai pas besoin de vous dire que je veux la victoire à tout prix !

- On va tout rafler, m'sieur !

- J'en suis certain parce que vous avez le Great Teacher avec vous ! Je suis le meilleur !

- Le meilleur pour la déconnade, oui, murmura Shaolan en se rasseyant sur sa chaise.

Onizuka bomba le torse et gloussa de satisfaction.

- Et en plus, si je gagne mon pari contre le sale prof de la terminale A, je vais pouvoir me taper mlle Yin… le rêve ! Avec ses seins, digne de ceux de Pamela, elle me fait penser à une de mes anciennes élèves. Oh, la jeunesse ! Ces corps en pleine croissance qui sont étouffés dans des vêtements trop petit pour des formes si généreuses…

Une grimace perverse tordit son visage.

- Fantasmer sur ses élèves… Mais vous êtes un vrai sadique !

- Rien que le fait de fantasmer sur un fantôme ça fait de lui un danger public, nota Shaolan.

- A propos, Li, où est cette clé que tu m'as promise ?

- Celle des vestiaires de l'équipe féminine de volley ?

- Le jour où je te demanderai celle de l'équipe masculine n'hésite pas à me flinguer. Alors, cette clé ?

- Et ben, je n'ai pas pu à cause de votre nymphe.

- T'as fait exprès ! l'accusa-t-il en posant ses mains à plat sur sa table. Tu m'as éloigné d'Ayumi et maintenant tu m'éloignes de mon paradis !

- Mais vous allez me foutre la paix avec ce fantôme !

- T'as vu comment tu parles à ton prof ? Franchement, tu mériterais que je te donne une fessée, Li !

- Si ma mère n'a pas jugé bon de m'en donner, c'est pas vous qui allez être le premier.

- Ta pauvre mère doit souffrir d'avoir un fils aussi insolent que toi. Je devrais peut-être aller la consoler.

- Si vous touchez à ma mère vous êtes mort !

- Oh ! dit-il en mettant sa main devant sa bouche. Li est un fils à sa maman !

Voyant que leur conversation ne menait à rien, Shaolan baissa les bras. Il soupira.

- Ne sois pas triste pour les clés, Li. C'est pas grave. De toute façon, je me rattraperai avec Ayumi, mlle Yin et avec mon équipe féminine, dit-il en posant un regard sur les filles de sa classe.

- Oh, non, m'sieur ! Pas question que vous veniez dans nos vestiaires !

Le proviseur adjoint recula de la porte. Il n'avait jamais entendu autant de sacrilège sortir de la bouche d'un professeur. Cette classe était perdue. Il fallait la mettre en quarantaine et empêcher que les autres élèves ne tombent entre leurs griffes.

Il avait tant travaillé pendant ces six dernières années et voilà que Onizuka venait de mettre ses efforts en miettes. Il devait en parler au proviseur afin de discuter sérieusement de ce diable de Onizuka. Et s'il ne l'écoutait pas, il irait s'entretenir avec le comité des parents d'élèves. Les futurs acteurs de la vie politique et économique de la Chine ne devaient pas dévier de leur chemin.

Onizuka ne restera pas dans cette école ! C'est mon objectif et je l'atteindrais avant le début des vacances d'été.

L'ignorer ou ne pas l'ignorer ? Telle était la question.

Sakura opta pour la seconde solution et continua à descendre les escaliers sans se retourner. Elle était décidée à s'enfuir à toute jambe dès qu'elle parviendrait dans le hall. Accorder une audience à Shaolan reviendrait à avouer qu'elle acceptait sa présence à ses côtés, et il était hors de question qu'elle soit assimilée à une de ses conquêtes !

Il la rattrapa et se planta devant elle avec un sourire triomphateur.

Quand même qu'est-ce qu'il était trop mignon !

- La vipère aurait-elle perdu son venin et la lionne sa témérité ?

- Ose me toucher et tu recevras un bon coup dont tu te souviendras longtemps !

Elle plaqua aussitôt sa main sur sa bouche, honteuse. Les autres élèves les regardaient avec intérêt. Mais cela ne semblait pas gêné Shaolan. La pauvre Sakura, elle, ne savait plus où se mettre.

- Enfin ! J'ai retrouvé ma fleur de cerisier sauvage !

- S'il te plait, arrête, l'implora-t-elle tout bas.

- J'ai rien entendu. Tu peux répéter ?

- Arrête, dit-elle à son oreille.

- Ah ! Tu veux sortir avec moi !

- Ca va pas la tête ! Arrête de prendre tes délires pour la réalité ! Est-ce que tu es sourd ou vraiment désespéré dans ta vie ! Je préfère finir vieille fille plutôt que de sortir avec toi !

Sur ces mots, elle le planta au milieu des escaliers.

Malgré cette humiliation publique, cela ne dissuada pas Shaolan. Comme si de rien n'était, il descendit les dernières marches avec son flegme habituel. Sakura pensait avoir bouclé le dossier, elle se trompait. Il lui était difficile de chasser Sakura de son esprit, d'oublier ces deux émeraudes qui se voilaient dès qu'elle se mettait en colère ou s'éclairait lorsqu'elle riait. Il n'imaginait pas renoncer à elle aussi vite sans avoir appris à la connaître.

Sakura marchait furieuse en direction de la pelouse de la cours.

Vivement que le cours de sport commence, j'ai vraiment besoin de me défouler !

Pas question de devenir la prochaine petite amie sur la liste certainement bien remplie de ce Li Shaolan.

Elle n'était pas à ce point folle pour sortir avec l'un des top dix de l'école Tao. Le magazine que s'arrachait les filles de l'école et celles alentours, préparé par l'association pour les "BG Forever" (Bô Gosse pour toujours -), avait circulé entre les mains de fans sur existées dès dix heures. Shaolan trônait en première place. Son dauphin était un certain Adam Kendall, les yeux d'un bleu clair et blond, en terminale A.

Elle se souvenait avoir été surprise en voyant la photo de Shaolan et d'Adam, l'une en face de l'autre. Ils étaient radicalement opposés à tout point de vue. Shaolan, gardait son éternel sourire qui semblait vous narguer, sa pose décontractée et sa cravate éternellement desserrer. Tandis qu'Adam avait tout d'un étudiant modèle. Il ne souriait pas et ses vêtements ne portaient aucun pli aucun laisser-aller. Elle n'avait pas encore aperçu cet américain car l'école comptait d'autres élèves étrangers, et elle se demandait si ces deux-là se connaissaient et si oui se supportaient-ils ? Adam avait l'air d'un garçon sincère et s'il l'était, elle préférait de loin sortir avec lui.

Menteuse !

La vérité est un bien lourd fardeau pour celui qui cherche à se mentir. Car, elle avait beau nier de tout son être, il fallait avouer que son animosité contre Shaolan faiblissait à mesure que ses tentatives désespérées le mettait dans des situations impossibles. Elle le détestait mais c'était surtout parce qu'elle ne savait pas comment le cerner. Menteur, séducteur et infidèle... Il pouvait être autrement que ce que disait les rumeurs. Et puis, elle ne le connaissait pas vraiment. En classe, il était tout de même sympathique et drôle.

Elle se frappa le crâne.

T'es folle ! T'es dingue ! se reprocha-t-elle. Ne le vois pas autrement que ce qu'il est : un fourbe !

Pourvue que tout cela ne soit qu'un intérêt passager qui ne l'engagerait à rien, un coup de folie sans plus. Car si vraiment, comme le disait Tomoyo, elle était sous le charme... Non, ce n'était pas possible ! Mais si ! L'intérêt se transformait en attirance et le coup de folie virait en coup de foudre.

Mais, elle n'était pas décidée à fondre entièrement devant Shaolan. Certes, il était difficile de ne pas succomber à ces yeux pleins de malice, à ce sourire de bad boy et à sa ténacité, mais il y avait l'autre côté moins reluisant de sa personne. Il était poursuivi par les rumeurs qui en faisaient un être insensible. Rien ne semblait l'atteindre. Il était sûr de lui et de ses capacités, pas elle !

Elle voulait rester discrète le temps de terminer cette année scolaire et de retourner - si le travail de son père le permettait - au Japon, là où l'attendait tous ses amis. Elle ne tenait vraiment pas à subir les railleries des autres élèves ou leurs méchancetés.

Alors pas de Shaolan et encore moins un autre !

Comme pour tirer un trait sur le sujet "Shaolan", elle siffla un air qui lui passait par la tête.

Une goutte d'eau glissa le long de sa joue. Elle s'essuya le coin de l'oeil. Pourquoi cette soudaine larme ?

Elle retrouva Tomoyo en compagnie de deux filles de leur classe.

- T'en as pris du temps !

- Je suis désolée, je...

Tomoyo se releva et l'écarta du groupe.

Elle avait senti le léger tremblement dans la voix de Sakura.

- Qu'est-ce qui ce passe ? demanda Tomoyo inquiète, en voyant que Sakura gardait la tête baissée. Regarde-moi, Sakura !

Sakura releva la tête. Les prunelles vertes avaient pris une teinte grise.

- Pourquoi pleures-tu ?

- Je ne pleure pas, lui assura-t-elle.

- Si, dit-elle en lui tendant un mouchoir.

- Ce n'est pas moi, Tomoyo.

- Qu'est-ce que tu racontes ?

- Je ne sais pourquoi mais elle est si triste... si triste.

- De qui parles-tu ?

- Phoebe. Elle est mon amie et je ne peux pas l'aider.

- Qui est cette Phoebe ? Une fille de cette école ?

- Elle est si gentille de me prévenir et moi... Je sais que tu as mal mais je ne peux rien faire ! Je t'en pris, arrête de pleurer !

Le comportement et les phrases étranges de Sakura commencèrent à inquiéter Tomoyo.

- Mais c'est toi qui pleures, Sakura !

- Arrête de pleurer, Phoebe. Je t'en...

Tomoyo rattrapa Sakura de justesse avant qu'elle ne s'écroule sur le sol.

- Sakura !