Chapitre 21 : Un seul remède : le rire
Elle referma le livre puis regarda sa montre. Il était déjà six heures moins quart et toujours pas de trace de Tomoyo. Elle rangea ses affaires dans son sac puis sortit de la bibliothèque. Là, elle sortit son portable et appela une énième fois.
"Tomoyo.
- Sakura, murmura-t-elle, excuse-moi de ne pas t'avoir prévenue plus tôt mais Adam veut qu'on reste encore un peu.
- Encore ! Mais il est fou, ce mec !
- Oui. Je t'en prie rentre et dis à Toya de venir me chercher, si possible, à dix neuf heures.
- Il travaille ce soir.
- Ah, oui c'est vrai... Ce n'est pas grave, je rentrerai seule.
- Ah, pas question ! Je peux encore attendre une heure.
- T'es certaine ?
- Oui.
- T'es un amour, ma Sakura. Bon, je te laisse parce qu'il a remarqué que je téléphonais.
- C'est lui les cries d'hystériques derrière ?
- Oui.
- Courage, encore une heure."
Elle raccrocha, un peu embêtée. Qu'allait-elle faire maintenant ? Il ne restait plus grand monde dans l'enceinte de l'école. Elle allait sûrement être mise à la porte si elle restait à déambuler dans l'école alors qu'elle n'avait plus cours.
Elle se souvient alors d'un endroit où personne, surtout le Chauve, ne viendrait la déranger pour la chasser de l'école. Et justement, le proviseur adjoint montra le bout de son museau.
Vivement, Sakura contourna le bâtiment pour se cacher.
"Je suis contre cette décision de laisser l'école ouverte à tous après le championnat de sport. Je ne comprends pas comment monsieur le proviseur a pu se laisser convaincre par les élèves. Vous imaginez un peu ? Nous aurons sûrement en plus de nos lycéens, ceux d'autres écoles alentours qui n'ont pas reçu notre enseignement. Qui sait quel genre de voyous passera les portes de notre école si réputée.
- Le comité de parents d'élèves semble apprécier cette mesure.
- Parce qu'ils ont été aveuglés par leurs enfants ! Je vous le dit : tout cela est de la faute de ce Onizuka. Depuis son arrivée, les élèves, même les primaires ne jurent que par lui. Il est sans cesse à se mêler des affaires de tous. Que fait-il de plus que moi pour être autant apprécié, même de certains parents ? Qu'a-t-il de si exceptionnel ?
- Il a un sens du contact, de l'écoute et un franc parlé qui est apprécié.
- J'ai tout cela "
Mais bien sûr, songea Sakura amusée, comme si j'allais parler de ma vie privée à un religieux de son genre. Si je lui avais parlé de mon histoire, il aurait fait une syncope. Je suis sûre que pour lui, c'est "pas de sexe avant le mariage".
"C'est décidé ! s'écria le Chauve. Je vais remplacer Onizuka dans l'esprit de mes élèves et me montrer plus proche d'eux Ils doivent savoir que je suis comme leur père voire leur ami et qu'ils peuvent tout me dire, ainsi je couperai l'herbe sous les pieds d'Onizuka "
Les deux hommes s'éloignèrent enfin.
Sakura riait à en perdre haleine. Imaginer le Chauve en doublure de Onizuka avait de quoi faire rire même le plus taciturne des hommes.
Elle tenta de calmer son hilarité mais à chaque fois l'image du Chauve avec une perruque blonde sur la tête et des tatouages sur les avant bras, l'emportait vers une nouvelle crise.
Tant bien que mal, elle monta les escaliers.
Maintenant, je comprends pourquoi Tomoyo et les autres ont autant de boulot, pensa-t-elle pour retrouver un peu de son sérieux. Ils doivent aussi préparer la fête du soir. C'est génial mais ils auraient dû en parler plus tôt. Ça ne m'étonne pas du Chauve. Il espérait certainement la faire annuler. Et après, il veut jouer les Onizuka, c'est...
Et l'image revient encore à son esprit.
Elle explosa de rire.
Elle s'arrêta au dernier étage et tient sur la rampe d'escalier pour reprendre son souffle.
Allongé sur le dos, il observait le ciel.
Une petite brise lui caressait le visage, jouant avec les mèches de ses cheveux.
Un endroit paisible et silencieux.
Un endroit calme où reposer.
Un endroit solitaire pour réfléchir.
Juste un endroit perché en hauteur, près du ciel et des étoiles, pour soigner son cœur blessé, loin des regards indiscrets.
Le vent lui apportait la voix de celle dont l'éclat demeurait inscrit dans sa mémoire.
Il lui était impossible d'oublier Sakura.
Le moindre de ses gestes, le moindre de ses sourires, même la couleur de ses yeux et son parfum l'hantaient chaque nuit. Le souvenir de Sakura semblait s'être tatoué sur chaque parcelle de sa peau. Il était enchaîné à elle. Intérieurement, il criait son amour. Extérieurement, il était condamné au silence. Il étouffait de devoir la voir chaque jour sans oser lui adresser la parole. Le seul sourire permis lui arrachait plus de regrets qu'autres choses. Il vivait son éloignement comme une douloureuse absence alors qu'elle était tous les jours devant lui. Il tendait la main mais elle s'éloignait.
Elle était comme les étoiles que sa main cherchait à saisir désespérément.
Elle semblent si proches mais si éloignées à la fois, pensa-t-il en tendant le bras vers le ciel, comme toi Sakura. Chaque jour qui se lève est une nouvelle épreuve à me demander si tu ne vas pas définitivement tourner la page sur nous. Mais je me réjouis en me disant que malgré tout tu seras encore assise devant moi. Que je pourrais te regarder sans avoir peur de croiser ton regard. Je crois que je serais capable de rester comme ça. Le plus important est que je ne sois jamais loin de toi. C'est ça, l'amour... Je ne voulais pas de ce sentiment ! Alors, pourquoi ? Pourquoi est-ce que je me suis volontairement laissé emprisonner ? Maintenant, je suis incapable de regarder une autre sans penser à elle. Je la vois, je la sens, je l'entends partout ! Que quelqu'un m'arrache le cœur pour me libérer... J'en peux plus de vivre comme ça...
"Ha, ha, ha, ha "
Il se releva aussitôt.
Les rires recommencèrent de plus belles.
Le son de cette voix.
Il ne rêvait pas. Il ne délirait pas. C'était vrai. Elle était là, si proche de lui.
Elle ne doit pas me voir. Je ne suis pas en état de devoir encore une fois passer à côté d'elle sans rien lui dire, sans pouvoir profiter de sa présence.
Que faire ? Suivre son cœur ou suivre ses doutes ?
Il voulait la voir. Voir son visage égayé par les rires.
Il marchait à grandes enjambées, presque en courant, en suivant le son de la voix.
D'un geste, il ouvrit la porte qui menait vers les escaliers.
Et là, il la découvrit.
Sakura était penchée sur la rampe à rire seule comme une démente.
Elle leva les yeux vers lui. Elle resta un instant pétrifiée, puis soudain son rire la saisit à nouveau (et ben, on peut dire que le Chauve en costume Onizuka mérite vraiment le détour ).
Shaolan, se méprenant sur la cause de l'hilarité de Sakura, se vexa.
- C'est moi qui te fais rire autant ? demanda-t-il froidement.
- Ah, non...C'est pas toi, c'est l'autre, articula-t-elle difficilement.
- L'autre ?
- Aide-moi, Shaolan ! J'en peux plus ! C'est trop !
- Je comprends rien de ce que tu racontes !
- C'est lui, là ! Il veut à tout prix se la jouer Onizuka et c'est...
- Mais qui ?
- Le Chauve... Il veut battre Onizuka sur son propre terrain ! Tu l'imagines avec une perruque oxydée, des piercing et des allures de bad boy, et se la jouant pote avec nous ? C'est...
- Je comprends pourquoi tu es dans cet état, dit-il avec un sourire. Allez, calme-toi ou tu vas finir par mourir de rire.
- Mais comment ? Y'a... y'a toujours son image dans ma tête !
Il réfléchit un moment.
Soudain, il recula d'un pas. Effrayé, il pointa Sakura du doigt.
Elle l'observa inquiète.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Panique pas mais je crois que j'ai vu, derrière toi, deux fantômes et...
Dans un hurlement, Sakura gravit les dernières marches, passa devant lui en coup de vent et courut à l'extrémité du toit.
- Ben, voilà ! C'était pas si compliqué que ça, dit-il en la rejoignant.
- Ils sont où ?
- Partis. Je crois qu'ils avaient une réunion de famille, dit-il amusé.
- Tu... C'était un mensonge, hein ?
- C'était pour te calmer.
- Je t'ai demandé de me calmer, pas de m'effrayer ! dit-elle en le foudroyant du regard.
- C'était la seule solution ! Il fallait bien t'effacer la vision burlesque du Chauve en version Onizuka. Et comme je sais que tu as peur des fantômes et de tous ces trucs bizarres, dit-il en levant les bras et en avançant vers elle tel un zombi.
- Je ne te remercie pas, pour la peine ! fit-elle en croisant les bras sur sa poitrine.
Silence.
L'ambiance s'alourdit subitement entre eux.
Ils se tenaient à bonne distance, l'un de l'autre, à se regarder comme s'ils cherchaient à savoir dans les yeux de l'autre, quelle suite donner à leur échange.
- Tu ne devrais pas être chez toi à cette heure-ci ? demanda-t-il en marchant.
- J'attends Tomoyo.
- Ah, oui. C'est vrai qu'elle s'occupe aussi des préparatifs.
- Et je suppose que tu attends Eriol ?
- Pas vraiment. C'est un mec, il ne risque rien le soir. En fait, je n'étais pas vraiment pressé de rentrer chez moi.
- Tes sœurs ?
- On peut dire ça.
Il s'approcha de la grille et regarda le vide au-dessous de ses pieds.
Il était au bord du précipice avec Sakura. Un seul faux pas et il tomberait inexorablement vers les ténèbres. Mais comment lui dire ?
- Ferme les yeux, ordonna-t-elle en se plaçant à côté de lui.
- Hein ?
- Fais ce que je te dis ou je m'en vais.
Il s'exécuta, intrigué.
A sa grande surprise, la main de Sakura se plaqua violemment sur sa joue.
Il rouvrit aussitôt les yeux et la regarda, interloqué.
Elle lui souriait.
- C'était pour me défouler, expliqua-t-elle avec un sourire.
- Te défouler ? Tu rigoles !
- Bah, non, dit-elle naïvement. Ça permet d'évacuer toutes les émotions contenues en moi depuis ces dernières semaines.
- Et t'as pas trouvé quelqu'un d'autre à violenter ?
- Réfléchis un peu ! Si j'avais trouvé la personne adéquate, tu ne l'aurais pas reçue cette gifle. T'es vraiment pas futé.
- On dirait bien que tu te paies ma tête.
- Tu crois ? dit-elle malicieuse.
- Viens ici ! dit-il en lui courant après.
- Je peux pas ! Mes jambes m'entraînent loin de toi sans que je le veuille ! Elles doivent être allergique à toi.
- C'est que t'es vraiment insolente !
- J'essaie d'être à ta hauteur !
Lorsque enfin il réussit à l'attraper, il la souleva du sol.
- T'es fou ! Repose-moi à terre !
- C'est toi qui voulais être à ma hauteur. T'as déjà le vertige, p'tite tête ? Ca m'étonne pas. T'es pas habituée à voir le monde d'aussi haut.
- S'il te plait, repose-moi ou je vomis sur ta belle veste froissée.
Il la repose alors sur terre.
Ils restèrent l'un en face de l'autre, troublée par cette proximité. Les mains de Shaolan tenaient encore la taille de Sakura.
Lorsque leurs mains se rejoignirent près des hanches de Sakura. Leurs doigts se mêlèrent.
- Tu crois que le temps peut effacer les blessures ?
- Je ne l'ai jamais cru, dit-elle. Il reste toujours des traces quoiqu'on fasse. Je voulais tout oublier mais plus j'essaie, plus je me fais du mal. Je crois qu'il vaut toujours mieux accepter les blessures et ne pas tenter de les enfouir. Les accepter pour mieux les guérir et finalement pour mieux pardonner.
- Je sais que mes mots ne serviront à rien. C'est trop tard. Pourtant, je te jure que je n'ai jamais cherché à te tromper. Cette photo...
Elle posa un doigt sur ses lèvres.
- Si tu t'excuses c'est comme si tu étais coupable... J'ai pas besoin de ça. Tu m'as ouvert ton cœur en te confiant à moi cette nuit là. Je sais que ce n'était pas une manipulation de ta part. C'est moi qui dois m'excuser pour ne pas t'avoir fait confiance jusqu'au bout.
- Oui, mais avoue que si ça avait été un autre, tu n'aurais pas subi ça. Je peux supporter les critiques qui me sont adressées mais jamais je ne supporterai qu'on te fasse le moindre mal parce que tu es avec moi. Si tu savais comme je m'en veux à chaque fois que j'y repense... Je suis incapable de contenter quelqu'un. Il faut toujours que je déçoive ceux que j'aime...
- On dira ce qu'on voudra, mais tu es quelqu'un de bien, dit-elle en l'enlaçant.
- Non, je ne suis pas quelqu'un de bien, dit-il l'écartant doucement d'elle. Tu es prête à me pardonner alors que tu ne sais pas si je suis coupable. Je ne veux pas voir dans ton regard les doutes et le manque de confiance comme je le vois dans le regard de ma famille.
- J'ai pas de doute ! Je sais au fond de moi que tu es innocent !
- Quelqu'un te l'a dit ? Tomoyo ? Eriol ou...
- Non ! Personne ne m'a rien dit et pourquoi le feraient-ils ? Ils savent quelque chose ?
- Non...
Elle plaqua ses mains sur ses joues et le regarda au fond de ses yeux.
- Tes yeux me disent que tu es innocent. Mon cœur me dit que tu es innocent. Même le vent le dit que tu es innocent ! Et si c'est pas vrai, alors laisse-moi le croire très fort ! Si fort que ça deviendra une vérité aux yeux du monde !
- Sakura...
Elle le lâcha puis baissa les yeux.
- Je ne sais pas ce qui s'est passé cette nuit-là... Je ne m'en souviens plus... Et je le regrette tellement. J'aurais voulu rester à tes côtés pour avoir l'occasion de te voir dormir et émerger le matin avec ton sourire, me dire que je serai toujours la seule pour toi... Et moi... J'ai tout oublié de cette nuit... J'ai eu peur que tu me juges comme étant une fille facile. Je ne voulais pas de ça...
Les sanglots lui secouaient le corps.
Il la serra contre elle et déposa un baiser sur le sommet de sa tête.
- Moi, non plus je ne me souviens de rien, avoua-t-il. Et je le regrette tout comme toi. Moi aussi j'aurais voulu voir le soleil se lever sur toi. Tu n'as pas à t'en vouloir. Et je peux te jurer que jamais je n'ai pensé que tu étais une fille facile. Je te l'ai pourtant déjà dit, non ?
Elle leva timidement son visage vers lui.
Il était sincère.
- Tu es prête à t'engager avec moi malgré tout ce qui risque de nous tomber dessus ?
- S'engager ? Tu me proposes le mariage ?
- Euh... Là, c'est prendre le TGV. On va commencer par le vieux train.
- Sans vouloir jouer les rabats joies, le TGV on l'a déjà pris depuis un bon moment, non ?
- Que dirais-tu si on y mettait un frein, histoire de bien profiter de ce qui nous est passé sous le nez sans qu'on le sache ?
- D'accord, mais c'est moi qui conduis, dit Sakura.
- Je sens que les accidents de parcours vont être nombreux, se moqua-t-il.
- Pas cette fois-ci. Je ferai en sorte qu'aucun obstacle ne se dresse sur notre chemin.
Front contre front, ils se sourirent.
- Fais-moi penser à remercier Onizuka, dit-elle.
- Toi aussi, il t'a fait la morale ?
- Sans lui, je crois que je serai encore à me demander si ça vaut de souffrir par amour.
- C'est le meilleur. Mais pas question de lui dire, sinon il ne va pas me lâcher avec ça jusqu'à septembre, si ce n'est plus.
- Je sais comment le remercier ! dit-elle en s'échappant des bras de Shaolan.
- Comment ?
- Je vais de ce pas lui révéler mes mensurations ! dit-elle en courant.
- Ca va pas la tête ! Sakura !
Elle s'arrêta pour qu'il la rejoigne.
- Je rigolais.
- T'aimes me faire tourner en bourrique, hein ?
- Tu vas devoir t'y habituer, mon chou.
- Une dernière chose.
- Quoi ?
- Je ne supporte pas les surnoms de ce genre. Ça me donne des frissons rien qu'à les entendre.
- Ah bon ! Toi tu peux me surnommer comme tu veux, mais pas moi ! fit-elle faussement furieuse.
- C'est pas ça, mais si tu savais les noms que mes ex m'ont donné. Ça craint vraiment...
- P'tite tête, alors ?
- C'est de bonne guerre, dit-il dépité.
C'est alors qu'une question assez importante passa dans son esprit. Sakura semblait l'avoir oublié. Il n'allait pas s'en plaindre mais il fallait que tout soit clair entre eux.
- Sakura.
- Quoi ?
- Et Toya ?
- Bah, quoi, Toya ?
- Qu'est-ce que tu vas lui dire ?
- Lui dire quoi ? Il va devoir l'accepter, c'est tout.
- T'as pas de cœur ou quoi ? Il va avoir le cœur brisé.
- Le cœur brisé ?
- Une rupture, c'est difficile.
- Je ne comprends pas.
- Tu ne vas lui dire qu'entre vous c'est fini, comme ça, dit-il en claquant des doigts.
- Ne me dis pas que...
Shaolan ne comprenait pas.
- Tu as cru que...
- Tu pourrais finir tes phrases au moins ! dit-il fâché.
- Désolé mais c'est si drôle ! Toya est mon frère.
- C'est pas vrai ?
- Bah, si.
- Tu veux dire que je me suis pris la tête sur son compte pour rien !
- On dirait que oui. Mais qu'est-ce qui t'a fait croire une chose aussi stupide ?
- Je ne sais pas. C'est Tomoyo qui...
Il surprit le regard amusé de Sakura.
- Elle voulait me rendre jaloux, c'est ça ?
- T'as tout deviné ! Un peu tard, mais c'est déjà ça.
- Là, je suis vexé !
- Ben, voyons.
Elle lui pinça la joue puis dévala les escaliers en riant.
Tu es enfin à moi, Sakura. Et je te laisserai plus filer. Quelque soit les saisons, je ferai en sorte que la fleurs de cerisier demeure toujours sur son arbre.
