Chapitre 10
Lorsque Wenluin rouvrit les yeux, le jour était levé depuis un bon bout de temps. Durant quelques minutes, elle fut surprise d'être allongée dans sa barque. N'étaient-ils pas en route pour Thgil ? Puis brusquement, tout lui revint en mémoire, l'incendie, la fuite, tout. Mais si la veille, elle avait eut envie de désespérer, sa volonté était désormais plus forte que tout. L'Organisation allait devoir être reprise à zéro, et si c'était elle qui devait tout faire, alors elle le ferait. Il fallait bien qu'elle serve à quelque chose, non ?
"Tiens, tu as fini par te réveiller ?" constata Tagath." J'ai cru que tu nous rejouais la Belle au Bois Dormant."
La petite adolescente lui jeta un regard dédaigneux.
"Tu n'as même pas réussit à mourir toi ?"
"C'est la vie. Il n'y a rien de plus difficile à tuer qu'une blatte, tout le monde sait ça. Au fait, tu veux manger ? Il me reste un peu de pain dans un coin."
"Juste du pain ?" se plaignit la rouquine. "Tu n'as rien de mieux à proposer ?"
"Nous devions faire le plein à Thgil," lui rapella Pol. "Donc ce sera du pain ou… du pain, c'est au choix. Mais je dois pouvoir te trouver un peu de pain si tu le désires, c'est à toi de voir."
Wenluin lui jeta un regard dégoûté et s'empara du morceau de pain qu'elle commença à grignoter. Elle n'avait pas vraiment faim, mais ça faisait une occupation comme une autre, et qui la laissait libre de réfléchir. Relancer l'organisation, c'était bien gentil, mais c'était plus facile à dire qu'à faire. Il allait lui falloir des appuis, des gens puissants capables de l'aider, en qui elle puisse avoir une confiance totale… Ce qui limitait singulièrement le choix, quand on y réfléchissait. En fait, ça ne faisait que deux personnes, en comptant Pol bien sûr. Or l'autre personne n'était pas simple à contacter, et était une traîtresse toute désignée. Wen était certaine que Pol la soupçonnait d'être responsable de la découverte de leur organisation. Ce qui n'était pas si improbable que ça après tout, pour qui ne se fiait qu'à sa réputation. Ce que ne faisait pas la petite rouquine qui, au contraire, admirait le courage de cette femme qui avait osé s'attirer la haine de tous ses anciens amis uniquement par loyauté envers l'organisation et l'homme qui lui avait offert une nouvelle vie. Une femme aussi extraordinaire ne pourrait que l'aider, c'était certain.
"Pol ?"
"Quoi encore ? Le pain ne te plait pas ?"
Wenluin, qui avait déjà oublié cette histoire, mis quelques secondes à comprendre de quoi elle parlait.
"Non, ce n'est pas ça ! Ecoute, tu crois qu'on peut être quand chez Robin ? Je suis sûre qu'elle, elle pourrait…"
"Niet," coupa Pol. "Elle, c'est non. Tu peux aller demander à n'importe qui parmi les éventuels survivants de la rafle mais elle, c'est sans moi."
"Très bien. Eh, le crétin !" interpella-t-elle Tagath. "J'aurai… besoin de ton aide. Tu voudrais bien m'emmener à Marijoa ? Enfin, si tu es assez intelligent pour savoir où elle se trouve bien sûr."
Le Capitaine Corsaire lui lança un regard noir. Au bout d'un moment, c'était lassant les insultes.
"Qui ne le sait pas ? J'y suis déjà allé une ou deux fois par dessus le marché. Dis donc, la Robin dont tu parles, ce ne serait pas…"
"Ben si. Le vice-amiral Nico Robin. C'est l'une des nôtres tu sais ! Elle nous a été très utile !"
L'enthousiasme de la petite adolescente devait être un peu trop visible, car le jeune homme leva un sourcil d'un air pour le moins circonspect, et Wenluin s'empressa de reprendre l'expression ennuyée et méprisante qui était normalement la sienne. Ce qui était rendu simple par le fait qu'elle avait soudain un horrible mal de tête, ce qui ne s'accordait pas exactement avec la joie.
"J'arrive pas à croire que vous ayez accepté une femme pareil dans votre organisation," commenta le géant. "Tu sais combien de fois elle a trahi ceux qui lui faisaient confiance ? Même mon grand-père elle l'a abandonné pour entrer dans la marine. Et à partir de là, les ennuis se sont succédés pour lui… Je n'accuse personne, mais quand même !"
"Bien d'accord," grogna Pol. "Cette bonne femme, c'est un aimant à ennuis ! Je t'ai dit que je soupçonnais quelqu'un de nous avoir trahi… et bien à mon avis, c'est elle qui a fait le coup ! Sale monstre, une espèce de mutante qui a mangé un fruit du démon…"
"Moi aussi j'en ai mangé un," nota platement la rouquine qui tentait d'atténuer sa migraine en se calmant.
"Toi, c'est pas pareil. Tu es mon associée, tu ne peux pas être un monstre. Elle, chacun de ses faits et gestes montrent qu'elle n'ait pas humaine."
"Tu peux parler…"
La jeune femme aux yeux dorés prit un air offusqué qui n'impressionna absolument pas la petite adolescente.
"Comment oses-tu ? Je suis tout ce qu'il y a de plus humaine, fourre-toi ça dans ton petit crâne ! Et je le répète, personne n'ira voir Robin."
"Qui as dit que tu venais ?" railla Wen." Je peux y aller juste avec l'autre arriéré."
"Pas si tu continues à m'appeler comme ça…"
Elle le toisa du regard, son mal de tête la rendant de plus mauvaise humeur encore qu'en temps normal.
"Ton vrai nom est trop moche."
Il préféra ne pas relever. De toutes façons, il était assez d'accord, puisque ce nom avait été choisit par son grand-père avant même sa naissance à en croire sa grand-mère. Cela dit, il soupçonnait cette dernière d'avoir fortement influé sur le choix, elle avait un sacré caractère après tout. Au moins autant que la petite peste en face de lui et qui a présent souriait d'un air triomphant.
"Quoi qu'il en soit," soupira-t-il, "je ne te conduit nulle part si Pol n'est pas d'accord. Elle est plus vieille que toi, elle sait mieux ce qui est bien."
"Ah bon ?" firent les deux filles d'une même voix.
Tagath se demanda s'il avait bien fait de s'acoquiner avec ces deux là. Ce ne devait pas être la dernière fois qu'il se posait cette question…
"Je blague," le rassura Pol. "Mais après tout, puisque Wen est la Gardienne… elle doit plus ou moins savoir ce qui est bien pour nous. Au pire, elle pourra toujours planter son jolie sabre dans le ventre de madame la vice-amiral. Enfin, si on n'a pas le temps pour quelque chose de plus exotique bien sûr."
Wen voulut sourire, mais n'y parvint pas à cause de la douleur. Une sensation qu'elle ne connaissait que trop bien l'envahit alors, et elle tomba à genoux au fond de sa barque, les mains crispées sur ses tempes et les dents serrées.
"Wen ! Qu'est ce qui t'arrives ?"
Les yeux dans le vide, l'adolescente se releva et se tourna vers Pol et Tagath, le visage inexpressif, ce qui ne manqua pas de les inquiéter.
"Ecoutez ma voix, la voix de la Gardienne, qui aujourd'hui révèle le passé et le futur…"
