Disclamer Rowling, toujours Rowling, c'est notre demiurge !!! A genoux infidèles !!! lol

14/ Ténébreux, veuf et inconsolé.

- Non ! Non ! Non ! Non ! Criait Rusard d'un air désespéré.

Son mur ! Son beau mur immaculé, il était justement maculé à présent ! Non, son mur ! On avait encore écrit des idioties dessus ! Des inepties ! Des vers moldus !

Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,

Le prince d'Aquitaine à la tour abolie :

Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé

Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Gérard de Nerval.

- Tes résultats baissent ! Lança Rei d'un air furibond.

Joyce se balançait sur sa chaise en observant sa sœur qui ne parvenait plus à bouger de son bureau.

- Tu es sûre que ta blessure va mieux ? S'enquit l'adolescente avec inquiétude.

- Ne change pas de sujet !

Tenant le bulletin de second trimestre dans ses mains dégoûtées, Madurei énuméra « tranquillement » :

- 6 en potions, 8 en divination, 9 en soins aux créatures magiques… Même les matières où tu avais un bon niveau ont chut : 8 en sortilège, 7 en métamorphose et 5 en défense contre les forces du mal. Même dans mon cours, tu fous plus rien !

Cela faisait deux semaines qu'il y avait eu cette affaire avec Voldemort et Joyce avait suffisamment planté de devoirs pour faire retomber toutes ses moyennes. Mais elle n'avait plus envie de travailler. Elle sortit la nouvelle baguette que Rei lui avait offerte (elle avait perdu la sienne sur la plate-forme où les Mangemorts l'avaient attaquée) et joua avec son extrémité. Silfrid, comme pour joindre sa voix rauque à la colère de sa maîtresse, se mit à croasser avec engouement.

- Tu as fait la paix avec Korée ? Soupira Madurei.

Korée était restée cachée tout le long et n'avait pas aidé son amie lorsque Voldemort l'avait torturée.

- Non, affirma Joyce en fronçant les sourcils.

- Que voulais-tu qu'elles fassent ?! S'emporta sa grande sœur, si elle s'était montrée, la situation aurait empiré. Voldemort aurait pu faire pression sur toi en la battant sous tes yeux… En plus, toi, il n'a pas intérêt à te tuer. Alors que Korée n'aurait pas eu la même chance, il l'aurait livrée à des détraqueurs sans faire de sentiments !

Joyce fit une grimace et s'apprêta à sortir.

- J'espère que tu vas essayer de me remonter tout ça, grogna Rei en agitant une dernière fois son bulletin.

- Non, souffla Joyce avant de claquer la porte, je préfère lire de la poésie !

Et elle marchait, furibonde. Bon sang ! Si elle avait su, il y a quelques mois, lorsqu'elle se documentait sur Harry Potter et Voldemort que ce dernier n'était autre que Jédusor, l'Homme aux Yeux Rouges… Elle avait l'impression que tout lui tombait sur les épaules au même moment. En même temps, quand elle avait compris que Rogue avait la marque des ténèbres tatouées sur son bras, et qu'il était celui qui lui avait mutilé les mains, que c'était le redoutable Rouge-Gorge, celui qui était rempli de haine, elle avait bien réalisé tout au fond d'elle-même que Jédusor était Voldemord mais elle se refusait toujours à l'admettre à ce moment-l

Personne ne pouvait la comprendre. Shun et Malicia ne connaissaient pas la vraie version de l'histoire et elle n'avait pas le droit de le leur raconter… Potter et ses amis n'étaient pas assez intimes pour elle. La présence de Korée lui était pour l'instant insupportable. Pourtant la fillette redoublait d'attention pour se faire pardonner. C'était justement ça le problème. En effet, pour Joyce, c'était AVANT que Korée aurait du faire preuve d'autant de loyauté. A présent toutes ces marques de tendresse lui apparaissaient comme des masques d'hypocrisie redoutable.

A qui se confier alors ? Rei la bassinait nuits et jours à cause de ses mauvais résultats. Mais Joyce ne voyait plus l'intérêt de travailler : pourquoi assurer son avenir alors que l'Homme aux Yeux Rouges allaient certainement la tuer ? A présent, elle souhaitait simplement vivre un peu plus, faire ce qu'il lui plaisait vraiment, lire de la poésie, rencontrer Caïn… Carpe diem… Comme diraient les latins… Vivere vitam beatam : vivre une vie heureuse…

Malgré tout, elle ressentait toujours l'envie de parler, de s'appuyer sur une épaule. Se confier à Rogue alors ? Pas après qu'il l'ait remballée de cette façon « je dis ça pour son bien », tu parles ! Au début, Joyce avait été trop bouleversée pour prêter attention à ses sarcasmes et ses reproches mais maintenant que la raison lui était totalement revenue, chacune des critiques de Rogue était décuplée dans son esprit, de telle sorte que cela lui faisait mal. Très mal.

Et puis il y avait Rei… La jalousie s'infiltra en elle : Rei aimait Rogue. Serait-il possible qu'un jour cela devienne réciproque ? Joyce s'empourpra à cette pensée… Mais qu'est-ce qui lui arrivait au juste ? Pourquoi cette jalousie ? Elle n'aimait pas Rogue pourtant… Elle l'appréciait, le respectait mais ça n'allait pas au-delà… Si, un petit peu… Beaucoup même… Ou alors le problème était peut-être dans l'autre sens : elle aimait Rei et était jalouse de Rogue… En fait le problème était carrément dans les deux sens. Elle préféra mettre un terme à cette sordide réflexion avant de devenir folle.

Et là, elle aperçut Caïn… Elle vira complètement de bord et se planqua hâtivement derrière un pilier.

Caïn Headcliff, en véritable personnification de l'ennui, passait ses journées à ne rien faire… Surtout depuis l'arrivée de Lady Madurei, il ne devait plus surveiller Lady Néréis et cela le dérangeait quelque peu. Il la remarqua d'ailleurs, cachée derrière une colonne mais il ne chercha pas à connaître le pourquoi de la chose.

Son morne quotidien s'ébranla quelque peu quand il passa devant le poème de Gérard de Nerval, toujours inscrit sur le mur. D'abord intrigué, il le lut avec intérêt jusqu'à le mémoriser entièrement. Il s'agissait en fait de la première strophe du sonnet « El desdichado » mais il ne se souvenait pas de la suite. Ainsi, au lieu de gagner la salle commune des serpentards comme à l'accoutumée, il fila vers la bibliothèque et s'arrêta dans la section « recueil moldu ». Il dut longuement chercher avant de découvrir le poème, et en trouvant la page, une feuille de papier pliée en deux en tomba. Il la ramassa, c'était une lettre écrite en langue Ksrie :

« Joli poème, n'est-ce pas ? Il t'a fait penser à Rogue ? Moi, il m'a fait penser à toi. Caïn, seul et inconsolable, dont l'incertitude se dissimule sous le masque de l'ennui. Lis bien la suite du poème, je le trouve splendide. Joyce Happer »

El desdichado

Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,

Le prince d'Aquitaine à la tour abolie :

Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé

Porte le Soleil noir de la Mélancolie

Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,

Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,

La fleur qui plaisant tant à mon cœur désolé,

Et la treille où le pampre à la rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?

Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;

J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène…

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :

Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée

Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.

Caïn referma le livre d'un air pensif…

Bon gré, mal gré, Joyce avait fini par retourner dans le bureau de Rei. Le seul endroit où elle se sentait encore à sa place.

- Tu m'agaces avec ta crise existentielle ! Râla sa grande sœur, ce n'est vraiment pas le moment de m'importuner. J'ai à faire…

Elle désigna du doigt une pile de dossier.

- C'est votre prochain cours, expliqua-t-elle, mais il va me falloir utiliser de vrais spécimens.

L'adolescente jeta un œil sur l'entête et s'exclama :

- Etudier en classe de vrais Euménides ? Mais c'est vachement dangereux !

- Je sais, répliqua Rei, mais c'est dans le programme, je n'ai pas le choix. Il faut se dépêcher si on ne veut pas prendre du retard. (Rogue serait trop content de me le faire remarquer). Je pense le faire demain.

Mais Joyce considéra sa sœur avec appréhension : même si elle ne conservait aucune plaie extérieure de sa blessure, ses os et ses organes étaient encore très fragiles à l'intérieur. Elle soupçonnait même que certains étaient encore brisés et que Rei se refusait à l'admettre de peur de finir dans les abysses de l'infirmerie.

- Pourquoi tu ne demandes pas à un autre professeur de t'assister ? Rogue serait ravi.

Rei marqua une longue pause pour la fusiller du regard.

- C'est le temps que prend ton orgueil mal placé pour réfléchir ? Dit Joyce d'un air narquois qui ne lui allait pas.

Un petit grognement plus tard et la grande sœur daigna enfin reprendre la parole :

- Je n'ai pas envie de le déranger. Et puis je ne suis pas encore impotente.

Là n'était pas la question pour Joyce. Les Euménides étaient de sacrées teignes. Dans l'antiquité, elles étaient au nombre de trois et présidaient à la vengeance. Mieux valait ne pas s'attirer leurs foudres.

Mais Madurei ne changerait pas d'avis… A moins que… Joyce était toujours en proie à ses noires pensées. Mais maintenant elle brûlait d'envie de mettre Rogue et Rei ensemble, juste pour voir ce que cela ferait. Elle voulait tirer cela au clair et comprendre si elle était, oui ou non, jalouse…

Aussi, quelques minutes après, elle pénétrait dans le bureau de Rogue. Elle tenta de prendre un ton neutre pour ne pas se trahir :

- Professeur, ma sœur demande si vous voulez bien lui donner un coup de main, demain. (Ho ! de main, demain : je l'ai pas fait exprès en plus pas de quoi se vanter, c'est naze )

Elle lui exposa le problème.

- Et pourquoi ne vient-elle pas en personne me le demander ? s'enquit Rogue avec mauvaise humeur.

- Elle allait venir vous voir mais je me suis dévouée, répliqua Joyce, je la trouvais si fatiguée que je ne voulais pas qu'elle fasse des efforts. Vous savez que ce n'est pas une partie de plaisir de desceeeeeeendre dans ces cachots, et puis de remooooooooooonter…

Après la neutralité, elle avait sorti la carte du « regard de chien battu ».

- Je vous ai déjà dit, soupira son professeur avec lassitude, que ça ne prenait pas avec moi.

Joyce commença à se tordre les doigts en signe de nervosit :

- J'ai cru comprendre que Rei n'aurait pas été blessée si elle ne vous avait pas servi de bouclier alors…

- Mais je n'ai pas dit que je refusais, l'interrompit Rogue avec force. Allez lui dire que j'accepte, je n'aurais qu'à reporter mes cours…

Au moins, il possédait le sens de la gratitude, une qualité rare en ce temps de trouble. Joyce se précipita à nouveau chez sa sœur :

- Devine quoi ! J'ai croisé Rogue dans le couloir et il a spontanément proposé de t'aider !

Ce fut assez difficile de convaincre Rei : « comment ça il s'est propos ? Comment il savait que j'avais quelques soucis ? Et pourquoi surtout ? » A ces trois questions, Joyce avait répondu au cas par cas :

1/ Il a ouvert la bouche et s'est proposé, c'est tout.

2/ Parce qu'il connaît le programme de défense contre les forces du mal par cœur, et qu'il te savait encore faible du fait de tes blessures.

3/ C'est un gentleman.

A présent Joyce se sentait mieux. Etrangement, une autre partie d'elle-même, à l'antipode de cette jalousie, souhaitait voir Rei et Rogue ensemble : cette partie s'appelait Néréis, et elle avait besoin de l'amour d'un papa et d'une maman. C'est à ce moment-là qu'elle passa devant le mur où elle avait écris son poème. Mais il n'y était plus, il avait été remplac :

Je sais qu'il est des yeux, des plus mélancoliques,

Qui ne recèlent point de secrets précieux ;

Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques,

Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieux !

Mais ne suffit-il pas que tu sois l'apparence,

Pour réjouir un cœur qui fuit la vérit ?

Qu'importe ta bêtise ou ton indifférence ?

Masque ou décor, salut ! J'adore ta beauté.

Baudelaire.

Caïn lui avait répondu… A la bibliothèque, elle trouva à son tour une lettre en recherchant le poème :

« Quoi de mieux pour quelqu'un comme moi qui se cache « sous le masque de l'ennui » qu'une autre personne arborant un autre masque ? Je sais que vous êtes perturbée de voir le reflet de votre jumelle dans la glace et d'avoir oublié votre vrai visage. Tout le monde se cache, vous êtes juste plus douée que les autres… »

Un trouble naquit dans le cœur de la jeune fille : comment pouvait-il savoir cela ? Elle ne s'était jamais confiée, à qui que ce soit, sur ce point-là. Décidemment ce garçon lisait en elle avec une facilité déconcertante.

Le lendemain, la classe accueillit avec réserve le professeur Rogue dans le cours de défense contre les forces du mal. La majorité se demandait avec horreur ce qu'elle avait pu faire au bon Dieu pour recevoir un tel châtiment. La minorité, plus connue sous le nom de Joyce Happer, frottait ses mains avec impatience. Il fallait aussi compter Caïn, assis dans le fond de la classe, qui semblait totalement indifférent. Rogue avait tout prévu. Les Euménides étaient enfermés dans des cages tressées avec des fils de Parque : plus fort que les desseins vengeurs, la Destinée. Joyce connaissait bien l'histoire des trois Parques, les filles de la Nécessité. Clotho, la première, présidait à la naissance, Lachésis au mariage et Atropos à la mort. Elle songea non sans crainte que sa propre grand-mère se prénommait d'ailleurs Atropos. Les Parques tissaient un fil, le fil du destin, et quand Atropos coupait le fil de vie d'un mortel, il décédait.

Madurei fut étonnée de voir à quelle vitesse Rogue avait pu se procurer tout le nécessaire. On eut dit qu'il avait attendu ça toute sa vie.

- C'est étrange, lui dit-elle à voix basse de sorte que les élèves n'entendent pas, vous avez l'air de beaucoup apprécier cette matière. Moi, elle aurait tendance à m'exaspérer, je préfère les domaines plus… techniques, comme la préparation des potions.

Elle était sérieuse et il n'y avait aucun sous-entendu dans le ton de sa voix, Rogue lui répondit avec un sourire ironique :

- Comme quoi, la vie est mal faite.

« Oui ! » pensa Joyce, « ils se sont parlés ! Génial… » A mesure qu'elle les regardait, une pensée se formait peu à peu dans son maigre cerveau. Elle aimait Rei comme une mère, elle aimait Rogue comme un père : elle allait enfin avoir une famille recomposée, SA famille. Elle ricana dans sa barbe tandis que des tics nerveux l'agitaient dans tous les sens.

- Joyce ! Aboya Rei, soit tu te calmes, soit tu sors.

Le cours se passa très bien… Une fois les élèves sortis, Joyce traînassa quelque peu afin d'observer ceux qu'elles voyaient déjà comme ses futurs parents (rêve, Joyce, rêve, ça fait toujours du bien !). Rogue arrangeait les dernières cages sur un petit chariot pour les ramener à Hagrid quand il dit narquoisement :

- Je n'aurai jamais cru que vous auriez osé me demander de vous aider… Je vous croyais… trop orgueilleuse pour ça…

Madurei vira au rouge :

- H ! Mais c'est vous qui…

Elle s'arrêta net et se tourna vers Joyce. Malheureusement, elle n'eut que le temps de voir la porte claquer.

- La sale petite… Grogna Rei.

Un coup brusque la détourna de sa colère, Rogue, ayant lui aussi compris que Joyce les avait roulés, venait de poser lourdement la cage qu'il tenait en mains.

- Attendez que j'ai cours avec elle, siffla-t-il, j'ai justement besoin d'un cobaye pour une potion de rictusnihile, elle va arrêter de rire, croyez-moi.

Il n'appréciait guère qu'on le manipule ainsi. Madurei songea que cette vengeance était largement suffisante.

- Enfin, dit-elle, merci pour votre aide.

Elle esquissa un mouvement afin de se saisir du chariot mais elle vacilla. Elle agrippa une main sur sa poitrine en serrant les dents.

- Tout va bien Madurei ? S'enquit Rogue.

- O-Oui… ça va, ça va.

Il s'approcha d'elle :

- Je vois bien que vous n'allez pas bien. Votre blessure n'est toujours pas guérie ? Vous devriez aller voir Pomfr…

- Non, merci… Il me faut juste un peu de temps et laisser faire mes défenses naturel…

Elle ne parvint pas à finir sa phrase et serait tombée à terre si Rogue ne l'avait pas rattrapée en passant un bras derrière son dos. Il était penché sur elle. Les cheveux de Madurei traînaient légèrement sur le sol.

- Trop fière, murmura Rogue, vous êtes bien trop fière…

Il se redressa en la ramenant vers lui et la cala contre son corps. Il devinait en elle cette volonté de ne dépendre de personne, un sentiment d'autonomie exacerbé par de longues années de solitudes…

- On a oublié de m'apprendre les notions d'entraide et de réciprocité là d'où je viens… Répondit-elle.

- Moi aussi…

« Et si on rattrapait tout ça ? » C'est la pensée qui leur vint à tous les deux mais Rogue s'éloigna brusquement d'elle.

- Je ne peux pas vous obliger à aller à l'infirmerie, conclut-il, mais faîtes attention…

Et il empoigna le chariot et sortit…

Shun et Malicia lurent le nouveau poème inscrit sur le mur sans grande conviction :

-Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ;

Ce qu'elle cherche, amie, est un lieu saccagé

Par la griffe et la dent féroce de la femme.

Ne cherchez plus mon cœur ; les bêtes l'ont mangé.

Baudelaire.

- Ils n'ont pas fini, s'énerva Shun, de se laisser des petits mots doux ?

- Mots doux ? S'étonna Malicia, je le trouve assez sec ce poème.

Joyce qui arrivait par derrière les interrompit :

- Caïn m'a fait un compliment dans ses derniers vers qui m'a déplu. Je veux juste lui montrer que c'est inutile de me brosser dans le bon sens du poil…

- T'es bizarre, soupira Malicia, c'est bien toi qui a voulu rentrer à nouveau en contact avec lui, non ? Et puis c'est gentil quand même ce qu'il t'avait marqu : « J'adore ta beaut ».

L'intéressée laissa ses lèvres se plisser en position « rictus ». Shun chercha quelques précisions vis à vis de ce nouveau poème :

- Tu parles à une femme dedans… En plus, je le trouve un peu tendancieux, surtout le premier vers.

- Ce n'est pas ma faute, répliqua Joyce, si tous les grands poètes sont des hommes. Comprends bien que Baudelaire n'allait pas s'adresser à des mecs. Caïn comprendra très bien que « amie » est à prendre au masculin et que je m'adresse à lui.

Quant à la « femme féroce », le poète parlait bien sûr de toutes les femmes au sens générique, mais Joyce, en ce qui la concernait, songeait à sa sœur jumelle.

- Severus, je ne vous dérange pas ? demanda Dumbledore en passant sa tête barbue dans l'ouverture de la porte.

- Non, monsieur le directeur.

Il ferma soigneusement la porte derrière lui. Rogue l'invita poliment à s'asseoir.

- Il n'y a aucune autre nouvelle, soupira le professeur de potions, le Seigneur des Ténèbres ne m'a pas rappelé depuis la dernière fois.

- Et nous n'avons toujours pas de nouvelle de « L'Ecarlate », acheva Dumbledore.

Le directeur paraissait inquiet, où diable pouvait être cette enfant ?

- Dans sa tête, reprit le vieil homme, elle n'a que 15 ans, ce n'est qu'une enfant. Voldemort pourra la corrompre sans peine s'il la trouve avant nous.

- J'ai la vague impression qu'il a déjà pris contact avec elle… La question est de savoir pourquoi le Seigneur des Ténèbres ne l'a pas obligée à rester auprès des Mangemorts…

Dumbledore caressa sa barbe :

- Vous avez certainement une idée de ce qu'il veut faire…

- Nous l'envoyer en espion, déduisit Rogue, je ne vois que ça… Je parie qu'elle ne va pas tarder à apparaître au seuil de l'école…

Réponse de Caïn :

Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve,

Pauvre et triste miroir où jadis resplendit

L'immense majesté de vos douleurs de veuve,

Andromaque, des bras d'un grand époux tombée,

Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,

Auprès d'un tombeau vide en extase courbée ;

Veuve d'Hector, hélas ! et femme d'Hélénus !

Baudelaire

« Il insiste, le bougre ! » songea Joyce en lisant. « Je pense à vous ! ». Elle devint perplexe, quel message voulait-il faire passer ? Qui était ce superbe « Pyrrhus » dont elle était sous le joug ? Elle connaissait l'histoire d'Andromaque : c'était une figure mythologique de la guerre de Troie. Elle était l'épouse d'Hector, un des fils du roi de Troie, Priam. Il fut tué par Achille. Par la suite, Andromaque fut réduite en esclavage par le fils du meurtrier de son mari : Pyrrhus. Mais ce dernier en tomba amoureux et lui fit des enfants. Ensuite, Pyrrhus fut assassiné et Andromaque devint la femme d'Hélénus… « J'espère que Caïn ne se symbolise pas lui-même par Pyrrhus et Hélénus… Ce serait un peu arrogant… » Et sans chercher à déblatérer davantage, Joyce partit en quête d'une nouvelle réponse…

- A propos, annonça Dumbledore avant de s'en aller, j'ai une, haem, nouvelle : bonne pour Harry, mauvaise pour vous…

Rogue leva ses yeux noirs en se préparant à recevoir le coup :

- Sirius va venir vivre à Poudlard, maintenant qu'il a été innocent

- Bien, bien…

Le ton se sa voix montrait qu'il voulait mettre fin à cette conversation. Cependant le visage du directeur exprimait l'inverse :

- Par contre, j'ai un problème… Tous les appartements des professeurs sont pris, et on ne peut pas l'installer avec les élèves. Certains ont encore peur de lui… Et je crois savoir que vous avez une chambre de libre dans vos quartiers…

Rogue eut l'impression d'être électrocuté sur place :

- NON ! Cria-t-il, c'est hors de question !!!

- Voyons Severus…

- Il n'a qu'à prendre sa forme Animagus et dormir avec Potter…

- Il ne peut pas rester en chien toute sa vie, il a sa dignité.

- Et moi j'ai la MIENNE ! Il ne viendra pas CHEZ MOI !

D'habitude, Rogue ne perdait jamais son calme face à son supérieur mais la situation était trop insupportable.

- Mais ce serait provisoire, Séverus ! S'expliqua Dumbledore, juste le temps de dégager une salle d'entrepôt et de la rendre vivable… On peut certainement trouver un arrangement.

- NON, NON, NON et NON !

Réponse de Joyce :

Tais-toi, le ciel est sourd, la terre te dédaigne :

A quoi sert tant de pleurs si tu ne peux guérir ?

Sois comme un loup blessé qui se tait pour mourir

Et qui mort le couteau de sa gueule qui saigne !

Leconte de Lisle.

Tous les professeurs étaient réunis pour le dîner, et Sirius les avait rejoint. Il avait abandonné ses bagages à l'entrée de la grande salle, pressé qu'il était de retrouver son filleul. Après avoir étreint celui-ci, il se mit à table, prenant un soin méticuleux pour ne pas se retrouver à côté de Rogue.

- Alors, où vais-je loger ? demanda-t-il.

- Heu… fit Dumbledore devant le regard furibond du maître des potions, je suis en train de chercher, ne vous inquiétez pas…

Black eut un drôle d'air. Le directeur songea qu'il était inutile de lui proposer de cohabiter avec Rogue, il aurait certainement la même réaction excessive. Mais comment s'arranger ?

- Attendez, Madurei, dit Rogue, je vais vous servir…

- Je suis loin d'être impotente ! râla doucement celle-ci.

Elle le laissa cependant faire avant d'entamer la conservation.

Dumbledore qui les regardait eut une illumination :

- Vous semblez mieux vous entendre tous les deux ! s'exclama-t-il. Madurei, vous accepteriez de déménager provisoirement ?

Rogue s'étrangla avec son verre d'eau. Rei, qui n'avait pas saisi où Albus voulait en venir, planta sa fourchette dans sa viande :

- Oui, bien sur, du moment que j'ai un toit pour dormir.

- Alors vous acceptez ?

- Oui.

- Vous me le promettez ?

- Oui, fit-elle avec une note d'agacement.

- Très bien : Séverus a une chambre libre… Sirius logera chez vous en entendant.

Choc ! Heureusement que Madurei savait maîtriser ses émotions à la perfection. Fort heureusement même, car dans le cas contraire, elle se serait ratatinée sur sa chaise.

- Je veux bien rendre service, dit-elle négligemment, enfin si Rogue est d'accord. Bien sûr.

« Autant joindre l'utile à l'agréable » ne put-elle s'empêcher de penser sournoisement. Rogue restait interdit, cette mesure ne lui plaisait pas du tout. Un murmure amusé parcourut la table… Severus en compagnie féminine ? La bonne blague !

- L'affaire est arrangée, décréta Dumbledore, il est d'accord…

- Monsieur le directeur, dit lentement Rogue, il faudra que je vous parle en privé.

Rei ricana, et lâcha ces quelques mots du coin des lèvres dans un petit murmure, de sorte que son futur colocataire soit le seul à les entendre :

- Du calme, je ne vais pas vous sauter dessus !

Il crispa ses doigts sur son couteau en la dévisageant méchamment. Mais Rei ne lui prêtait plus attention :

- C'est pas vrai ! S'indigna-t-elle, elle recommence !

- Quoi donc ? s'irrita Rogue.

- Joyce : elle continue à nous épier en lisant sur les lèvres.

Instinctivement, tous les yeux professoraux se braquèrent sur l'adolescente, tout au bout de la table des gryffondors. Joyce les vit : ses cheveux se dressèrent, ses joues se plaquèrent d'un rouge rubis, ses membres furent saisis de tics nerveux, et elle tourna la tête vers son assiette.

Rogue emmena donc Dumbledore à part dans son bureau. Rei leur emboîta vivement le pas en traînant Joyce dans son sillage. Elle entra et jeta sa petite sœur en avant. Cette dernière en rougissant se plaça dans un coin de la pièce en silence.

- Ce n'est pas malin, Albus, déclara Madurei d'un ton grave, si jamais un Mangemort apprend que Rogue partage son appart avec moi, il va se faire trucider…

- Mais ne vous inquiétez pas, répondit le directeur avec un grand sourire, les professeurs n'ébruiteront pas cela parmi les élèves, enfin. Et personne d'autre ne sera au courant.

C'est à cela que Rogue avait pensé dans un premier temps :

- Je trouve ça risqué, grogna-t-il, c'est une fantaisie qu'on ne peut se permettre…

- Mais non, Severus, continua Dumbledore, ne vous inquiétez pas… De toute façon, Voldemort vous a bien demandé de surveiller ses cousines ? En plus, en qualité d'espion, vous êtes forcé de vous montrer le plus « bienveillant » possible envers nous tous… Et souvenez-vous que ce n'est que temporaire, une semaine, tout au plus… En tout cas, c'est ça ou vous retrouver avec Sirius… Je ne connais aucun autre prof susceptible de vous dépanner comme le fait Madurei.

- Je ne prendrai pas beaucoup de place, l'assura Rei, et nous allons veiller à ce que ça ne s'ébruite pas…

Elle avait dit cela en désignant Joyce d'un coup de menton :

- Tu as intérêt à ne pas raconter ça à tes amis.

- J'ai autre chose à faire que me délecter de sombres commérages, grande sœur ! Je peux partir maintenant ?

Joyce tenait absolument à voir si Caïn lui avait répondu. Etrangement, les petites affaires entre Rogue et sa sœur ne l'intéressaient plus tellement pour le moment.

- Moi aussi je dois y aller, ajouta le directeur.

Ils s'en allèrent, laissant les deux professeurs seuls. Et c'est le moment que Rei choisit pour exploser :

- Dumbledore a toujours des idées aussi lumineuses ? S'emporta-t-elle. A quel jeu joue-t-il ?

- Qu'est-ce qui vous arrive d'un coup ? S'énerva Rogue à son tour, ça vous dérange tant que ça de rester en ma compagnie ?

Il se demandait pourquoi il avait dit cela, Rei répliqua sourdement :

- Nullement ! Mais pas si cela menace votre vie…

- Vous avez pourtant accepté.

- Notre directeur me l'a fait promettre avant que je ne sache de quoi il s'agissait. En outre, s'il a eu la charité de m'accepter comme prof, alors que je n'ai aucun diplôme, et ma sœur comme élève, alors qu'elle n'a ni l'âge, ni le tempérament, je ne peux pas refuser de lui rendre service.

Un soupir plus tard, elle reprit la parole :

- Qu'y a-t-il entre Sirius et vous ?

- Ça ne vous regarde pas, rétorqua Rogue sur un ton dur.

- « Ça ne vous regarde pas », reprit Madurei d'une voix fluette, vous êtes vraiment EXASPERANT quand vous vous y mettez ! Hurla-t-elle en reprenant un ton normal quoique furieux.

Et elle sortit en claquant violemment la porte. Rogue, aussi rouge qu'un coquelicot la rouvrit aussitôt :

- Vous devriez vous faire soigner ! Pauvre folle !

Et hop ! Madurei pivota d'un geste royal et rebroussa chemin :

- Je vous demande pardon ?! Siffla-t-elle, je vous conseille de faire attention à ce que vous dîtes ! Votre vieillesse n'excuse pas tout !

Réplique plus qu'ironique : c'était presque le mot à mot de ce que Rogue lui avait dit le jour de son arrivée à Poudlard : « PARDON ? Je vous conseille de faire attention à ce que vous dîtes ! Votre jeunesse n'excuse pas tout. »

« La garce ! » Songea le maître des potions.

- Vous pouvez parler, espèce de vieille goule sexagénaire !

- Sorcier de mes deux !

- Arrogante petite pimbêche !

- Présomptueux prof de DCFM ! Ho ! Pardon, ajouta-t-elle avec un ravissement narquois, j'ai oublié que vous ne l'avez jamais ét !

- #/µ&# !!!!!!! Réplique censurée

- Rogue ! S'indigna Rei avec dégoût, je ne serai jamais tombée aussi bas, moi.

Ils virent alors deux élèves de première année qui les observaient avec effroi. Rogue les chassa d'un regard furieux. Rei ricana et lui tourna le dos avec un air de triomphe et tandis qu'elle s'éloignait, il lui conseilla à nouveau, bien gentiment, de songer le plus tôt possible à un traitement pour ses sautes d'humeur...

Réponse de Caïn :

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,

Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.

Musset

Réplique éloquente, Joyce lui avait demandé de rester stoïque, et lui préconise le cœur, même la souffrance s'il le faut. « Il a du goût » pensa-t-elle, « ils sont jolis ces vers… ». Elle se sentait bizarre, ce message ne la laissait pas indifférente, assurément… Elle médita quelques secondes et trouva la réponse adéquate…

De l'éternel Azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poète impuissant qui maudit son génie
A travers un désert stérile de Douleurs.

Il roule par la brume, ancien et traverse
Ta native agonie ainsi qu'un glaive sûr ;
Où fuir dans la révolte inutile et perverse ?
Je suis hanté. L'Azur ! l'Azur ! l'Azur ! l'Azur !

Mallarmé

Etrange réponse ? Ce poème est sensé traduire l'impuissance et la souffrance du poète face à la beauté inaccessible et cruelle du divin, de la nature. Caïn lui paraissait si lointain…

Plus tard dans la soirée, Joyce aida Rei à empaqueter ses affaires.

- Je ne prends pas tout, dit sa grande sœur, juste le strict nécessaire.

Il y avait déjà 8 valises de faîtes.

- Vraiment ? s'exclama Joyce désespérée, tu as besoin de tout ça.

Rei lui expliqua qu'il s'agissait de livres, ainsi que de grigris, portant sur la magie noire. Elle n'avait aucunement envie de les laisser à la vue de Sirius.

- Mais ce ne serait pas si gênant pourtant, rétorqua l'adolescente, Dumbledore sait très bien que tu es une experte en forces occultes.

- Sans doute, mais j'aime conserver mes outils de travail auprès de moi… Toi-même, Joyce, laisserais-tu ta Faux toute seule dans la tour des gryffondors ?

Joyce tressaillit : bien sur que non ! Elle trouva cependant que, même si Rei emmenait décidemment trop d'affaire, il manquait quelque chose. Au bout de quelques secondes de réflexions elle demanda :

- Où est ton corbeau, grande sœur ?

- Silfrid ? Je l'ai installée dans la volière avec les hiboux, il piaillait trop…

- Ha bon ? Et tu le laisses tout le temps là-bas ?

- Oui…

- Mais je croyais que tu l'avais bien dress

- Mêle-toi de tes affaires !

Joyce se renfrogna.

- A propos, continua Rei, je voulais d'entretenir d'une chose.

- Oui, grande sœur ? fit la petite en boudant.

- Il serait souhaitable que tu cesses immédiatement ton petit cirque avec Caïn…

La jeune fille exprima une surprise feinte.

- Tu sais très bien de quoi je veux parler, gronda Madurei, arrêtez de roucouler sur les murs ! Rusard est furieux ! Je n'ai pas envie que tu airs des ennuis pour une telle idiotie.

- Mais comment vais-je garder le contact avec Caïn ?

La grande sœur laissa tomber un bouquin de dépit :

- Bon sang, Joyce ! Tu n'as qu'à lui parler ! Ne sois pas aussi gamine !

Et l'autre de répondre :

- C'est ça, grande sœur ! Parce que toi tu trouves que c'est plus malin de faire la méchante pour draguer !

- Quoi ?

Joyce perdit son assurance devant les flammes qui brûlaient dans les yeux sororaux :

- Nan, fit-elle d'une petite voix, ne fais pas attention, je suis un peu énervée ce soir…

Mais Rei conserva un air dubitatif et maugréa :

- Je ne sais pas ce que tu t'imagines, mais si c'est pour ça que tu t'es arrangée pour que Rogue m'aide dans mon cours, tu te trompes lourdement !

- Ne te vexe pas !

Oula ! L'adolescente comprit qu'elle était en zone dangereuse : Rei avait horreur qu'on la perce à jour.

- Puisque tu t'immisces dans mes affaires, continua sa grande sœur, je ne vois pas pourquoi je n'en ferais pas de même !

- Comment ? tu ne vas quand même pas…

Mais on toqua à la porte. En voyant le directeur entrait, Joyce en profita pour se faire la belle. Dumbledore avait tenu à accompagner Rei, afin de soi-disant l'aider à transporter ses affaires (mais elle avait déjà réduit ses valises pour les mettre dans sa poche). En fait, il voulait éviter tout jet de sang pour cette première soirée.

Un silence mortel régnait dans l'appartement de Rogue. Dumbledore avait beau sortir ses meilleures blagues, les deux professeurs ne déridèrent pas. Rei s'installa dans la chambre d'ami, se demandant au passage pourquoi il en existait une dans les quartiers principaux des serpentards… En effet les directeurs de l'école des ambitieux n'étaient-ils pas réputés pour ne pas avoir d'amis ? Elle jeta un œil sur Rogue et sur leur supérieur pour lancer subitement :

- Bonne nuit.

Et elle referma sèchement la porte. Rogue grogna quelque chose et s'engouffra dans sa propre chambre, placée à l'opposé.

- N'oubliez pas de fermer derrière vous, monsieur le directeur. Lâcha-t-il avant de disparaître.

Il avait failli dire « monsieur l'emmerdeur » sous le coup de la colère. Dumbledore respira avec déception et s'en alla.

Le lendemain, Joyce trouva cette réponse de Caïn sur le mur habituel :

Enfant ! si j'étais roi, je donnerais l'empire,
Et mon char, et mon sceptre, et mon peuple à genoux
Et ma couronne d'or, et mes bains de porphyre,
Et mes flottes, à qui la mer ne peut suffire,
Pour un regard de vous !

Victor Hugo

Mais pourquoi voulait-elle tellement entrer à nouveau en contact avec lui ? Quand elle avait été confrontée à Voldemort, elle avait eu des regrets… Oui, des remords… Elle aurait voulu connaître Caïn davantage, elle aurait souhaité qu'ils soient amis. Amis ? Seulement amis ? La première fois qu'elle l'avait rencontré, son cœur s'était emballé. Cependant lorsqu'elle avait appris par Rei que la famille Serpentard avait massacré la sienne, elle avait pris peur. Il y avait en outre tous ses mystères qui planaient autour de ce garçon : il savait sur elle des choses que même Rei ignorait. « Et il t'entendait, toi, pleurant dans ta tour d'Ivoire où l'on t'avait faite prisonnière… Il a bu les sanglots de Néréis et à présent il ne peut plus en détacher son esprit. » Avait dit Madurei… Serait-il possible que Caïn connaisse autant de détails secrets sur Néréis parce qu'il l'avait entendue se lamenter du sommet de sa tour ? Mais alors cela voulait dire que depuis toujours il l'attendait ?

Joyce connaissait ce poème de Victor Hugo, il s'intitulait « à une femme »… C'était un poème d'amour… Elle réfléchit… Au lieu d'effacer le poème comme ils avaient pris coutume de le faire pour le remplacer par un autre, elle écrivit à la suite… Il s'agissait en fait de la suite et de la fin de « à une femme » :

Si j'étais Dieu, la terre et l'air avec les ondes,
Les anges, les démons courbés devant ma loi,
Et le profond chaos aux entrailles fécondes,
L'éternité, l'espace, et les cieux, et les mondes,
Pour un baiser de toi !

« ça fait bien mièvre » pensa-t-elle un peu honteuse. Elle se précipita alors à son cours : la journée commençait avec Défense contre les forces du mal. Rei ne la loupa pas :

- Encore en retard ! Qu'importe… J'ai oublié d'emmener la carte du pays des géants. Va donc me la chercher, elle est dans mon bureau…

Joyce, étant encore sur le seuil de la porte, s'apprêta donc à obéir.

- Attends ! l'interrompit sa sœur, j'ai aussi besoin des 6 premiers volume de mon encyclopédie… Mais tu ne pourras pas tout transporter toute seule… Et si tu essayes de les rétrécir, tu risques de leur mettre le feu (je te connais, grande maladroite !)… Hum… Headcliff, allez donc avec elle !

L'adolescente vacilla… Caïn se leva sans rien dire.

Le couloir était désert. Logique, tout le monde était en cours à cette heure-là. Madurei l'avait certainement fait exprès. « je devrais peut-être en profiter pour lui parler… » Songea Joyce. Mais sa gorge était sèche et aucun mot ne sortait de sa bouche. Elle avançait, juste derrière lui, le cœur serré. Caïn ne se sentait pas aussi angoissé mais un trouble latent grandissait en son fort intérieur. Joyce aperçut avec frayeur le mur où ils avaient marqué leur poème. Caïn s'arrêta, le lut, et parut stupéfait : « Pour un baiser de toi ! » Joyce devint totalement rouge. Mais il ne dit rien et poursuivit son chemin.

« Quoi ? » se dit Joyce avec déception. Ça ne lui faisait rien ? Il fallait à tout prix rompre ce silence ! Le poème de Baudelaire sur Andromaque et quelques autres vers lui revinrent en tête.

- Caïn ! Cria-t-elle en courant après lui, je pense à toi, Caïn ! Tes yeux d'airains !

Il accéléra le pas mais elle aperçut un sourire se faufiler sur ses lèvres :

- Néréis, Néréis, souffla-t-il, d'un grand rêve tombée ! Près de l'écume morte en extase courbée !

- Je suis hantée ! Clama Joyce de plus belle alors qu'elle parvenait à sa hauteur. Caïn ! Caïn ! Caïn ! Ca…

Elle n'eut pas le temps de finir : il s'était retourné, l'avait saisie par le col, soulevée… et embrassée…

- ..ïn… Murmura-t-elle quand il l'eut reposée à terre.

Madurei regardait avec étrangeté la dernière note de Joyce : c'était un devoir de potions, et elle avait la moyenne !

- Tu m'as l'air d'aller mieux, toi, dit-elle un peu vexée.

Joyce soupira de félicité. Elle était de si bonne humeur qu'elle avait même fait la paix avec Korée. « Et maintenant » songea-t-elle, noyée dans un bonheur complet, « il ne reste plus qu'à faire en sorte que Rogue devienne mon beau-frère et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes …»