Braves gens... ceci est l'un des plus beaux cadeaux qu'on m'ait jamais offert ! Gift-fic de ma SeaGull-chan que je ne remercierai jamais assez d'avoir ciselé ce petit bijou juste pour moi... Je te juuuure goéland de moi : tu le mérite ton fan-club !

Auteur : SeaGull

Ses compte ffnet : www .fanfiction .net / u / 607384 / et www . fanfiction .net / u / 563377 / (enlevez les espaces et rajoutez les http devant, sans ça ffnet me les prend pas... ¬¬)

Son adresse mail : honmyoseagullfree.fr (avec un arobase avant le "free"... vive ffnet... ¬¬)

Si vous préférez laisser une review se sera transmis, ne vous inquiétez pas ! Et si vous voulez adhérer au fan-club suffit de demander... #graaannnnd sourire d'invite#

Titre : Intimacy -part I.

Genre : YAOI ! #sourire dégoulinant# ; un peu angst aussi de temps en temps, il faut... et, heu... je crois que c'est tout...

Disclamer : Moi je dis, vu comment elle les écrit ils mériteraient d'être à elle ces bishou ! Mais ce n'est pas le cas (enfin, à ma connaissance... Oo) : Kougaiji, Dokugakuji et tous les trucs qui leur gravitent autour et sont complètement secondaires (Hu ? Quel parti pris ? #sourire innocent#) appartiennent à Minekura Kazuya, à qui je demande expressément un burial de Kou et Doku qui sont les seuls à pas en avoir eu ! Injustiiice ! è.é

Blabla d'avant fic : Cette histoire est la continuation (en quelque sorte) de "Fractions de secondes", sur la page du goéland (là : www . fanfiction . net / s / 1810246 / 1 /)qui est elle-même la suite de "Un nouvel homme", que j'ai loadé il y a quelques jours (une autre gift-fic de mon volatile favori !). Lire ces deux autres fics n'est absolument pas nécessaire à la compréhension de celle-ci, néanmoins je vous le conseille fortement : on n'a pas le droit de passer à côté d'une fic de SeaGull !

L'action se déroule juste après la première bataille du Sanzo-ikou et du Kou-tachi... Et avant pour les nombreux flash-backs...

Sur ce... Bonne lecture ! Promis, vous ne serez pas déçu ! Cette fic est une pure merveille !

oooooooOOOOooooooo

« Intimacy »

oooooooOOOOooooooo

oo DOKUGAKUJI oo

Ririn est persuadée que c'est à elle que Kou en veut. À cause de son escapade insensée pour aller éliminer le sanzo-ikkou. C'est étrange. À croire qu'elle ne le connaît pas. Certes, son frère est en colère. Mais pas contre elle. Jamais contre elle. Il s'emporte, il peste… Il se fait du souci, comme tous les frères. Mais ça ne dure jamais bien longtemps. En fait, ce qui l'inquiète le plus pour l'instant ce sont les blessures de Yaone. Les longues estafilades qu'elle a reçues quand elle a voulu protéger Kou des débris tombant des maisons voisines se sont rouvertes pendant notre retour à dos de dragon. Malgré les protestations de l'intéressée, il a insisté pour s'occuper lui-même des blessures qui défigurent son dos. Notre pauvre biochimiste est assise sur la table de travail de son propre laboratoire, à moitié dévêtue, rougissante comme je ne l'ai jamais vue. Kougaiji a comme pris possession de l'endroit, se munissant avec aisance des onguents et bandages dont il aura besoin. C'est à se demander pourquoi il a besoin d'une apothicaire. La mine troublée de Yaone me dit qu'elle est sans doute en train de se poser la même question. Chacun de ses gestes est précis, efficace, non dénué d'une certaine douceur.

Pourtant, Ririn n'apprécie pas de regarder. Le sang sur la peau blanche de sa « nounou » lui est un vivant reproche, elle trépigne presque et demande soudain d'une petite voix qui lui ressemble peu si elle peut quitter la pièce. Le regard que lui lance Kougaiji l'en dissuade aussitôt. Quelque part, il a peut-être raison de vouloir lui apprendre la leçon : son acte inconsidéré aurait pu avoir des conséquences bien plus graves si nos ennemis n'avaient pas été des gens aussi… imprévisibles. Avec d'autres que Sanzo et sa bande, elle aurait pu tout aussi bien être morte.

Instinctivement, c'est vers moi que Ririn se tourne pour chercher un réconfort. Elle me rejoint dans le coin où j'ai choisi de me faire le plus discret possible. Je ne peux m'empêcher de lui adresser un léger mouvement de tête désolé, tandis que Yaone assure la petite fille que tout va bien et que ce n'est pas douloureux du tout. Kougaiji lève les yeux au ciel, mais ne dit rien. La rouquine devrait le connaître mieux que ça. Là, la seule personne à qui Kougaiji s'en prend, c'est lui-même. C'est sa sœur, elle devrait le comprendre… Mieux que moi sans doute. Pourtant…

C'est vrai que Kou n'a pas dit grand chose depuis notre retour. Il est tellement absorbé dans ses pensées qu'il ne se rend pas compte comme son comportement nous affecte tous. Notre repas est plus morne que d'ordinaire. Ririn a conservé son gros appétit, mais c'est avec moins d'entrain que d'habitude qu'elle manie ses baguettes. Je dois avouer que ce spectacle m'est assez pénible. Ma botte sous la table fait contact assez rudement avec la cheville de Kougaiji pour être sûre d'attirer son attention. Il semble enfin sortir de ses réflexions, et fronce légèrement les sourcils, tandis que ses paupières voilent un instant ses prunelles dans un mouvement d'irritation. Il croise cependant mon regard d'un air vaguement interrogateur. Mes baguettes se pointent instantanément vers Ririn d'un geste impérieux. Yaone a un sourire quand elle surprend notre conversation silencieuse. Le regard de Kou s'est adouci instantanément quand il s'est posé sur sa sœur.

« Tiens. »

Avec un mouvement d'une négligence affectée, il pousse soudain vers elle un plat de viande rouge auquel il a peine touché. C'est un petit geste. Mais l'offre de paix est acceptée avec un cri d'allégresse de l'enfant. Ririn se jette dessus avec bonheur, comme si elle n'avait pas déjà englouti sa part et la moitié de la portion de Yaone, sans compter les morceaux que je suis sûr qu'elle a réussi à me chiper. Bientôt les échos de son bavardage résonnent bruyamment autour de la table, et peu de temps après nos voix se mêlent à la sienne. Un fin sourire ourle les lèvres de Kougaiji. Personnellement, je trouve que ce n'était pas une si mauvaise journée que ça…

Yaone s'est retirée tôt, plus fatiguée par ses blessures qu'elle ne veut bien se l'avouer. Il ne reste que moi et Ririn chez Kou. Non pas que la présence de Ririn change grand chose. D'humeur câline ce soir, et surtout agréablement fatiguée par une journée bien remplie, elle s'est endormie sur un siège, pelotonnée comme un chaton contre la jambe de Kou qui y avait pris place en tailleur en début de soirée. Et comme tout grand frère attentionné, du moment où elle s'est endormie il n'a plus osé bouger d'un pouce, maintenant stoïquement cette position inconfortable pour lui avec le poids de l'enfant sur ses membres ankylosés. Ses doigts caressent distraitement les cheveux roux de sa sœur, son verre à moitié vide oublié dans l'autre main. La petite semble rayonnante de plaisir dans son sommeil. Lui regarde d'un air absent le feu qui crépite joyeusement dans l'énorme cheminée. Malgré l'été, les nuits sont fraîches à Hôtô, même si dés le lever du jour la chaleur devient rapidement étouffante.

Il se fait tard d'ailleurs. Faisant jouer mes épaules courbatues, je quitte ma place pour me diriger vers eux. Mon mouvement fait légèrement sursauter Kougaiji qui me regarde me pencher vers lui en me préparant à ramener Ririn jusqu'à ses appartements. C'est une tâche dont je m'acquitte souvent. Le poids soudain absent de ses jambes, Kou pousse un profond soupir de soulagement, dépliant avec circonspection ses membres douloureux.

« Ne la réveille pas, » m'intime-t-il inutilement.

Comme si je n'avais pas fait ça des centaines de fois avec Ririn, ou même avec Gojyo quand il était petit… Aucun d'eux ne s'est jamais réveillé. Jamais. Je suis un grand expert. Toujours endormie, la rouquine se blottit tout contre mon épaule, tandis que dans un mouvement inconscient son bras s'enroule autour de mon cou en une molle embrasse. Je ne peux empêcher un sourire réjoui de s'épanouir sur mon visage, en la regardant.

« Ça doit être un don que tu as…Tu fais les gens se sentir en sécurité… »

Une pointe d'admiration se fait jour dans la voix grave de Kougaiji. Toujours accoudé sur un des bras du vaste fauteuil, il m'observe. Son regard paraît songeur à la lueur des flammes, et captive mon attention alors que curieusement la plus grande partie de son visage est dissimulée par les longues mèches auburn qui retombent sur ses yeux. La main sur laquelle il appuie son visage laisse ses longs doigts faire de l'ombre à sa face, dissimulant ainsi à la vue sans le vouloir les ecchymoses laissées par Son Goku, ce qui n'est pas pour me déplaire. C'est étrange de se sentir ainsi scruté, et pourtant je devrais être habitué à l'intensité de son regard depuis le temps.

À mon retour dans ses quartiers, Kougaiji n'a pas bougé de son siège. Il gît là, complètement abandonné, la tête renversée en arrière. Il semble déjà dormir. Mon sourire se fait narquois, j'en suis sûr…

« C'est le tour de l'autre gaki, maintenant. »

Sauf qu'une paire d'yeux violets s'ouvre soudain pour me foudroyer du regard.

« N'y pense même pas Doku, je suis encore capable me coucher tout seul, rassure-toi… »

La trace d'humour dans la voix ne peut complètement dissimuler sa lassitude, cependant.

« Je suppose que tu restes ici, cette nuit ? » ajoute-t-il après une courte pause, sans vraiment attendre de réponse. « Je suis sûr que tu sais même plus à quoi ressemble tes appartements… »

« C'est pour ça que mon futon est ici et pas là-bas. » J'acquiesce d'un ton satisfait.

Kougaiji a renoncé depuis longtemps à comprendre pourquoi j'insiste pour rester chaque nuit. Cela fait tellement d'années maintenant, que ça nous semble tout à fait naturel. Comme chaque soir, il se débarrasse un à un de ses bracelets et de son diadème qu'il pose négligemment sur un antique meuble d'ébène qui se trouve près de son lit. D'un geste fluide, il fait glisser de ses épaules sa lourde veste de cuir. Il révèle sur sa peau quelques ecchymoses supplémentaires que je n'avais pas remarquées et dont il s'est évidemment bien gardé de me parler. Il perçoit mon grognement désapprobateur, prend conscience de mon regard posé sur lui, et choisi de m'ignorer superbement au moment de se glisser entre ses draps. Je fais de même, pas trop loin. J'attends que sa respiration se fasse régulière avant de me laisser moi-même aller au sommeil, comme j'en ai depuis longtemps l'habitude. Dans ce court laps de temps, je repense à une phrase qu'il vient juste de prononcer. Je suis encore capable me coucher tout seul, rassure-toi…

oooOooo

Mais une fois ça n'a pas été le cas. C'était il y a déjà quelques années et je comprends très bien pourquoi Kougaiji refuse encore de se souvenir de ce jour. Cette soirée reste pour moi un des moments les plus pénibles que j'aie connu depuis mon arrivée ici. Au départ elle ne différait en rien des nombreuses autres qui l'avaient déjà précédée ; et Yaone, Ririn, Kou et moi avions déjà pris la plupart des habitudes qui régissent encore notre quotidien aujourd'hui. Comme d'ordinaire, à la nuit tombée, je me retrouvais invariablement dans ces appartements. J'avais à peine mis un pied à l'intérieur que la voix de Kougaiji me parvint. Elle me parut un peu étouffée, mais sur le moment je n'y avais pas prêté attention.

« Où est Ririn ? »

Le nombre de fois où il me posait cette question chaque jour… Cela porterait presque à sourire ; mais il est vrai qu'à cette époque-là j'en étais encore à me demander si la gamine n'avait pas des pouvoirs de prestidigitation. Yaone et moi passions la moitié de notre temps à la chercher aux quatre coins de la forteresse (1). Dieu merci, pour une fois je pouvais répondre sans risque de me tromper.

« Elle passe la soirée avec Yaone : elles travaillent sur la dernière création de notre chimiste de génie ! Une fragrance qui endort… La petite avait l'air de trouver ça marrant de jouer à faire des mélanges. Et puis Yaone a dit que quand il se fera tard, elle pourra toujours tester le résultat sur Ririn pour arriver à la faire se coucher… »

En écoutant ma réponse, Kougaiji s'était enfin tourné vers moi. Son regard inexpressif fit mourir les mots sur mes lèvres. Ses traits avaient quelque chose de hanté. Tout à coup je m'aperçus qu'il était tellement pâle que ses marques faciales ressemblaient à des traînées de sang…

« Tu sais, c'était une plaisanterie, Yaone ne ferait jamais ça ! » me suis-je aussitôt senti obligé de préciser.

Je ne pense même pas qu'il m'ait entendu alors. Quand il a repris la parole, son ton était tellement lointain que je me suis instinctivement rapproché de lui, comme si cela pouvait me permettre de mieux entendre ce qu'il avait à dire. Je n'ai pas tout de suite compris où il voulait en venir.

« Je me demandais pourquoi je n'avais jamais entendu parler de l'existence de Ririn avant que l'incantation des dieux sur Hôto ait été levée, c'est tout… Mais maintenant je sais… »

Il s'interrompit soudain, comme s'il ne savait plus comment exprimer ce qu'il avait à me dire. En admettant qu'il soit réellement en train de me parler, car rien n'était moins sûr. J'avais presque l'impression qu'il avait déjà oublié ma présence. Il semblait désorienté, et je ne voyais absolument pas ce qui pouvait le mettre dans cet état, ce qui ne faisait qu'augmenter mon inquiétude. Avec les mouvements rigides d'un automate, il se saisit d'un élégant flacon. Partout on trouvait encore dans ce château des traces du raffinement et de la richesse qui avait dû exister ici, à l'apogée de la puissance des maîtres de la forteresse. Cette carafe était une véritable œuvre d'art : avec sa panse ciselée de motifs légèrement opaques d'une complexité extrême, ainsi que la couleur ambrée de l'alcool à la lueur des flambeaux, on avait l'impression qu'une flamme dansait, prisonnière dans le flacon. Le chatoiement capta mon regard au moment où Kou se remit à parler tout en se versant un verre. Pas le premier de la soirée, j'en eus aussitôt la certitude. Pourtant, ce n'était pas l'ivresse qui rendait son discours presque incohérent à mes oreilles.

« Ils l'ont créée… J'aurais dû m'en douter… C'était impossible qu'elle soit si jeune, sans qu'elle ne se souvienne avoir été jamais scellée… »

« Kou ? »

Je crois que je donnerais beaucoup aujourd'hui pour qu'il se soit tu et que je n'aie jamais su. Pour que lui non plus ne l'ait jamais appris.

« Gyokumen n'a jamais été prisonnière après la mort de mon père…Science ou magie, je ne me suis jamais soucié de savoir comment elle a pu conserver sa jeunesse… Et je ne me doutais pas que ces connaissances allaient jusque-là… Ririn n'était pas née quand mon père est mort, simplement parce qu'elle n'est pas son enfant au sens propre… Tellement longtemps qu'elle se donne le moyen de réaliser son projet… Cinq cents ans ! »

Kougaiji avait commencé à tourner en rond dans la pièce, et plus il parlait plus j'avais l'impression qu'il délirait complètement… Jusqu'à ce qu'il s'arrête brusquement de marcher. Jusqu'à ce qu'il prononce avec un calme impensable :

« Le cadavre de mon père n'était pas encore froid, la place forte pas encore scellée que Gyokumen avait déjà réussi à mettre la main sur un échantillon de son ADN et s'était déjà enfuie… Et presque cinq cents ans plus tard, elle a créé Ririn pour en vérifier la conservation. Avoir un réceptacle. C'était le premier test qui mettait en branle son projet de résurrection. »

Lentement, j'ai réussi à faire sens de ce qu'il venait de dire. J'ai senti le sol vaciller sous mes pieds à l'instant où tout est devenu clair pour moi.

« Kami-sama. »

Impossible, j'avais envie de dire. C'est juste une petite fille. Kougaiji fixait un point, très loin devant lui. Son corps immobile ressemblait à une coquille vide. Et moi, j'avais juste besoin qu'il me dise que ce n'était pas vrai et que de telles choses ne peuvent pas exister…

« Kou… »

Et mon ton se faisait réellement suppliant. Pour la première fois, son regard se posa sur moi. L'horreur qu'il devait lire sur mon visage, vivant miroir de la sienne, sembla soudain le ramener à la réalité. Et dans la seconde, il se trouvait tout près de moi. C'est une sorte d'urgence qui l'animait, tout aussi violente que la détresse qui l'avait précédée. Il se saisit d'une main de mon vêtement pour être sûr d'avoir ma complète attention, et son regard plongeant dans le mien, il déclara :

« Il ne faut pas que Ririn l'apprenne…Tu entends, il ne faut pas qu'elle SACHE ! »

Au même moment, son autre main se resserra convulsivement sur son verre. Celui-ci vola en éclats entre ses doigts sous la tension, et reculant d'un pas sous l'effet de la surprise, Kougaiji jeta un regard interdit à sa main ensanglantée, aux fragments enfoncés dans sa paume, au sang qui coulait des blessures et tombait sur le tapis à ses pieds. La couleur rouge me rappela moi aussi à mes sens. Parce que quand le sang coule, les choses sont simples. Il s'agit juste de s'occuper de la blessure. Plus besoin de penser à autre chose.

« Ça saigne beaucoup, je vais aller chercher Yaone. »

« Non. Reste… » souffla-t-il, ce qui me fit renoncer aussitôt à gagner la porte. « Si je reste seul en pensant encore à ça, je vais devenir fou… »

Il fit ce calme constat avec une telle certitude que j'en fus ébranlé.

« Hai. Calme-toi. »

Chose plutôt stupide à dire étant donné que de nous deux, c'était sans doute moi le plus affolé. Je me précipitai finalement sur un kit que Yaone veillait souvent à réapprovisionner et qui se trouvait en permanence dans les appartements de Kougaiji, en prévision de mes « bagarres pour rire » avec Ririn, celles-ci ayant tendance, en plus des dégâts, à souvent occasionner écorchures et ecchymose sur les deux parties.

« Et assieds-toi. » lui intimai-je, tandis que je m'agenouillais près de lui.

Dans un silence encore lourd des mots prononcés, Kougaiji me laissa prendre soin de sa main. Heureusement les dommages étaient moins importants que je ne l'avais craint. Mais mon soulagement ne dura que jusqu'à que mon regard se porte sur son visage… On pouvait encore y lire la violence du coup sur son esprit. Ses traits semblaient creux, tirés par l'épuisement. Ses yeux paraissaient briller de fièvre. Leur couleur particulière les faisait paraître plus grands que d'habitude en contraste avec son teint livide. Il évitait consciencieusement de croiser mon regard, comme s'il essayait de se recroqueviller en lui-même. Ce qui était précisément ce pourquoi j'étais là : l'empêcher de se renfermer sur lui, se couper du monde, ce qu'il avait dû faire un grand nombre de fois du temps où le palais était vide. Et s'il avait oublié un peu vite qu'il m'avait demandé de ne pas partir, moi j'étais finalement plutôt soulagé d'être resté.

Il eut un petit geste de recul quand ma main entra dans son champ de vision, mais il ne protesta pas quand je lui enlevai doucement le cercle de métal qui reposait sur son front. Ma paume se posa là, cherchant une trace de chaleur suspecte qui expliquerait son regard fiévreux, mais allez être sûr avec un youkai de feu… Sa main se plaça sur la mienne, tandis qu'il y pressait son front davantage, comme s'il trouvait un certain soulagement dans ce contact. Un long soupir lui échappa, ses yeux se fermèrent. Je n'osais plus bouger. Et puis un instant après, je me fichais bien de ce qu'il pourrait penser. Je me suis redressé pour prendre place à côté de lui sur le divan et refermait mon bras sur ses épaules, trouvant moi-même un certain réconfort en sa présence toute proche, en sa chevelure cuivrée qui effleurait mon visage. J'ai senti son souffle courir sur ma peau quand il a parlé :

« Fais-moi oublier, onegaï… »

Je n'ai pas su déchiffrer le sens de sa prière, ce soir-là. Encore aujourd'hui, je ne comprends pas exactement ce qu'il me demandait. Et soudain, comme reprenant tout à coup ses esprits, il s'est levé, s'éloignant vivement de moi. Je ne crois pas qu'il se rendit compte de ma réticence à le laisser s'éloigner… Il se dirigea vers une alcôve dissimulée par une tenture derrière laquelle il attrapa deux coupes d'un travail exquis. Sans aucune considération pour la fragilité des artefacts, il en lança un au travers de la pièce que je n'attrapai que de justesse. Puis il revint vers moi en tenant une flasque qu'il avait péchée je ne sais où. Quelque chose de plus fort que ce que je l'avais jamais vu boire, je me suis rendu compte quand la brûlure de la première gorgée eut disparu et que ma vision eut cessé d'être troublée sur les bords.

Et nous nous sommes enivrés. Jusqu'à l'inconscience et très méthodiquement, dans le cas de Kou. Je l'avais regardé enchaîner verre sur verre avec obstination, et longtemps encore après que son regard soit devenu vitreux. Confusément, je sentais que je ne pouvais pas le laisser sans défense et finalement je ne me contentai que de quelques coupes, de quoi simplement anesthésier le fil de mes pensées sans trop émousser mes réflexes, me refusant le luxe de la perte de conscience. Kou vida la flasque quasiment à lui tout seul.

Lorsqu'il s'est levé l'air hagard, sans doute pour en chercher une autre, ses jambes ont simplement refusé de le porter, et je n'ai eu que le temps d'éviter sa chute. Cette fois, il n'ouvrirait certainement pas les yeux avant le matin… Il était aussi inerte qu'une poupée de chiffon. Au moins, toute tension avait quitté son visage, c'était déjà ça. Si tant est que l'on puisse réellement retirer une certaine satisfaction de voir quelqu'un à qui l'on tient dans un tel état. Le porter jusqu'à sa couche ne fut pas bien fatigant : il n'est pas très lourd. Sa tête ballottait contre mon épaule à chaque pas, une mèche acajou légèrement humide de sueur venant parfois se coller à sa joue. Arrivé à destination, je le déposai avec précaution, m'employant ensuite à lui retirer tout ce qui pourrait le gêner dans son sommeil.

D'abord les anneaux à ses poignets. Les déposer près de lui, sur son meuble de chevet. Puis sa veste. Le redresser un instant et sentir à nouveau le poids de son corps contre le mien, tout en faisant attention à sa main blessée. Ses boucles d'oreilles, peut-être ? Non, à la réflexion, je me souviens qu'il ne les ôte jamais, il y tient trop. Et je sais que c'est peine perdue pour les deux lourds anneaux à son cou : il n'y a aucun moyen de les enlever, je me rappelle. Au moins la large ceinture de cuir sur son jean couleur de sable. Je suis presque à califourchon sur lui pour la lui retirer. C'est le drôle de serpent noir toujours dans la main que je me suis brusquement interrompu.

J'avais beau avoir déjà une certaine intimité avec Kou à cette époque, c'était quand même la première fois que je le voyais à moitié nu et abandonné à ce point. Cela me procura une drôle d'impression. Sa tête légèrement tournée sur le côté exposait encore davantage son cou, malgré les cercles de métal. Une de ses longues mèches formait une arabesque compliquée sur sa peau moite, jouant sur les ombres légères qui marquaient la présence de ses côtes. Je me suis demandé un instant si cet alcool n'avait pas un effet pervers sur la libido à des doses plus légères que celle que s'était infligée Kou… Je me le demandais encore en me penchant vers son visage et ses lèvres légèrement entrouvertes. J'étais tellement proche maintenant que j'aurais pu compter ses cils. Et je pouvais même voir ce léger éclat lumineux au coin de l'œil clos… Une feinte trace d'humidité qui avait le goût de sel quand j'y posai les lèvres. Mon prince était réellement – complètement - sans défense ce soir.

Tellement vulnérable qu'il en devenait intouchable.

Je me rappelle Ririn et Kou penchés sur un jeu de dames, il y a longtemps…

"Tu vas en pleurer oni-chan, je vais t'aplatir !"

"J'en doute fort… Et d'ailleurs, même si cela arrivait, ça fait longtemps que je ne sais même plus comment on fait pour verser des larmes, tu vas être frustrée…"

Et moi dans un coin de la pièce, qui sait qu'il ne s'agit même pas d'une boutade de la part de Kou, mais de la stricte vérité...

Est-ce que tu aurais eu besoin de te mettre dans cet état, si tu avais été capable de laisser les larmes couler, Kou ?

Le petit matin me trouva assis au pied son lit, mes bras croisés sur son matelas pour servir de coussin précaire. Ma veille s'était prolongée relativement tard dans la nuit. C'est la sensation de brûlure dans mon dos qui me tira de mon sommeil. La lumière diffuse malgré les lourdes tentures tirées des baies disait que la journée était bien entamée. Un rayon de soleil particulièrement vicieux avait cependant trouvé une ouverture dans le tissu et tombait maintenant exactement sur mon épaule, y engendrant une douleur des plus cuisantes. Instinctivement, avec un grognement plaintif, je me déplaçai légèrement sur le côté pour lui échapper. Le rayon de lumière tomba cette fois sur les draps ivoirins, conférant à cet endroit une blancheur éclatante au tissu. Et évidemment, mon premier mouvement fut ensuite de chercher Kou du regard. Son visage n'était pas très loin du mien en fait, me suis-je aperçu en relevant la tête.

C'était une drôle de vision, ces yeux d'améthyste qui étaient en train de me fixer sans ciller d'un air énigmatique, à moitié dissimulés par quelques mèches désordonnées, le reste de ses longs cheveux écarlates déployés en courbes sinueuses s'agrippant à ses épaules. Allongé sur le flanc, sa tête reposait sur un de ses bras repliés. Je me suis simplement contenté de lui rendre son regard, le visage toujours posé sur mes bras croisés. Très lentement sa main libre se tendit vers moi, jusqu'à pouvoir effleurer mon visage de ses phalanges, avec une sorte d'incrédulité. Il avait eu l'air presque surpris de me trouver là.

Je me souviens très bien le moment précis où il a commencé à essayer de se rappeler les événements de la veille.

« Tu as l'air épuisé. » souligna-t-il calmement, avec un léger froncement de sourcils.

Un de ses doigts près de mon visage se déplia doucement pour qu'une longue griffe trace avec précaution une ligne invisible sous mon œil. Mon reflet dans le miroir, un peu plus tard, me fera réaliser qu'elle suivait simplement un léger cerne bleuté. Je ne devais pas avoir l'air très « reposé », en effet. Un jour il faudra que je lui explique le concept de gueule de bois : il n'a pas l'air de saisir, et c'est même incroyable qu'après hier soir il n'en ait aucune idée…

Et je me souviens aussi parfaitement du moment où il a fini par à se rappeler. L'expression de détresse fut de retour, une fraction de seconde, avant que le masque d'un calme feint ne se pose sur son visage.

« Gomen. » formèrent ses lèvres, sans qu'aucun souffle ne les franchisse réellement.

Son expression devint presque tendre. Et moi je ne vois pas ce que je pourrais avoir à lui pardonner de toute façon… Une de mes mains se referma sur la sienne qui se trouvait toujours en contact avec mon visage.

« Kou… À propos d'hier soir… » je ne pus m'empêcher de commencer…

« Je ne veux plus en parler. Jamais. » répondit-il d'une voix légèrement cassée.

Je serrai fort sa main, même au risque de lui faire mal, comme pour l'assurer de ma compréhension, si ce n'est de ma compassion. Ses coupures d'hier étaient toujours là, protégées par le bandage. Et la vérité que nous connaissions, protégée par notre silence, n'avait pas disparu non plus. Elle ne comptait pas, c'est tout. Et elle… cicatriserait. À chaque fois que nous entendrions le rire de Ririn, elle cicatriserait… Au moment où je quittai enfin son chevet, Kougaiji se tourna sur le dos, observant le plafond, puis étendant le bras et fixant sa main bandée d'un air pensif. Au moment où je tirai les vastes tentures pour laisser le jour couler à flot dans la pièce, je lui jetai un regard. Il se trouva inondé de lumière, comme figé dans cette étrange posture. Un bien étrange tableau. Aujourd'hui encore, je pense que le cours de ses pensées suivait le mien.

Les coups se mirent à pleuvoir sur le lourd battant de la porte, tandis que de dehors nous parvenaient les appels pressants d'un aide de camp quelconque annonçant que Gyokumen désirait voir Kougaiji-sama sur l'heure… Mon prince se leva sans hâte excessive, et un à un remit dans un silence presque irréel tous les items vestimentaires que je lui avais ôtés la veille au soir. Mon intervention se borna à doucement démêler de l'un des bijoux à son cou une de ses longues mèches qui s'y était traîtreusement enroulée durant son sommeil, remarquant que sa main blessée le gênait dans certains de ses mouvements. Il pencha légèrement la tête vers moi quand j'eus fini.

« Profite de mon absence pour prendre du repos, Doku, onegaï… »

Lorsqu'il passa la porte de ses appartements, son visage ne trahissait rien de la nuit écoulée. Je fus absolument sûr que Gyokumen n'y verrait que du feu.

oooOooo

J'étouffe mes jurons dans mon oreiller. Essayez un peu de trouver le sommeil après avoir repensé à tout ça !

Pas si loin, Kou est en train de dormir… Sa respiration s'est enfin faite régulière.

oooOooo

Un sourd gémissement. Et mon nom dans un souffle presque inaudible…

Il n'en faut pas plus pour me tirer de mon sommeil. C'est à nouveau le silence. Jusqu'à un profond soupir. Puis un brusque bruissement de tissu provenant de ton lit qui me dit que je ne suis pas le seul à être réveillé. Pourtant, je ne fais pas un mouvement. Un instant tu as semblé me chercher du regard. Mes paupières voilent mes yeux de peur que tu les croises. Ton regard glisse enfin sur moi pour se tourner vers la vaste ouverture par laquelle se déverse la clarté maladive d'un ciel d'été étoilé. Je me contente de te regarder te lever, rejeter d'un geste irrité tes draps sur le côté avant de quitter ta couche. Je suis des yeux ta silhouette longiligne tandis que tu te diriges vers la vaste terrasse sur laquelle s'ouvrent tes quartiers. Ton ombre, sur le mur au clair de lune, a des griffes d'une longueur infinie pendant un quart de seconde avant que ton image ne s'éclipse quand tu passes l'embrasure de la vaste baie…

Je me redresse déjà sur mon futon. Ne pas te rejoindre tout de suite, malgré la tentation. D'instinct je sais que tu auras besoin de quelques minutes pour retrouver une certaine contenance et que ma présence ne sera pas tout de suite la bienvenue. Mais bientôt, dans un instant, je vais venir te retrouver. Pour le moment, je me contente de me diriger à tâtons vers ta couche, comme si je pouvais y déceler les indices de ce qui te tourmente jusque dans ton sommeil. Je me laisse tomber sur ton matelas : c'est impressionnant comme la fraîcheur de la nuit a déjà fait se volatiliser la moindre trace de la chaleur de ton corps qui devait encore imprégner les draps, il y a quelques instants. Une faible lueur attire mon regard vers le meuble de chevet. Un de tes anneaux, abandonné sur le bois noir, a dû capter un rayon de lune. Ils sont cinq, posés là. Lourds de leur poids en argent massif. Les quatre joncs imposants que tu portes à tes poignets, et le serre-tête à peine moins dépouillé qui orne habituellement ton front. Je ne peux m'empêcher de saisir un bracelet pour laisser courir mes doigts presque amoureusement sur le métal.

Ils sont glacés, ces anneaux. Tellement glacés qu'il m'échappe des mains, celui que je tiens. Il roule un instant sur le sol avant de tomber sur le flanc. Je me retrouve à fixer un instant ma paume vide d'un œil incrédule. Parce que je sais aussi qu'ils sont parfois brûlants, au contact de ta peau. Que j'aime la façon dont ils tintent à tes moindres mouvements quand tu bouges, la façon dont ils ondulent doucement autour de tes membres. L'angle étrange que prend parfois ton poignet pour empêcher que ces anneaux trop grands ne tombent, simplement. Lorsque tu ne les portes pas, j'ai parfois l'impression que tu es nu. Et en même temps je les déteste. Parce que j'ai appris ce qu'ils représentaient. Parce que je sais pourquoi les deux anneaux autour de ton cou ne possèdent pas de fermoir et, contrairement aux autres, ne quittent jamais ton corps.

Hooo… Comme je hais cette femme. Quand je me penche vers le sol pour ramasser le « fuyard », ma main se referme avec force sur lui, comme il le ferait sur le cou de cette…

Un ricanement amer m'échappe. Je n'ai même pas de mot pour exprimer le dégoût qu'elle m'inspire.

C'est de l'orfèvre même qui les a forgés que j'ai appris l'histoire de ces bijoux. Et moi qui me demandais pourquoi ces colliers m'évoquaient immanquablement des sortes de carcans ! J'avais l'impression que les deux anneaux de métal t'étranglaient presque. Je ne comprenais pas ton obstination à les porter. Je n'étais pas ici depuis longtemps. Tout ce que je connaissais alors de Gyokumen était sa voix. Hormis toi, je ne voyais presque personne (et je n'avais envie de voir personne d'autre d'ailleurs). Et c'est par le plus grand des hasards que j'ai appris. Sans cela, je n'aurais jamais rien su. Tu ne me l'aurais jamais dit. Tu ne me l'as jamais dit.

J'étais simplement en train de traverser une des nombreuses cours d'un des niveaux inférieur de la forteresse. D'un pas rapide. Parce que Kougaiji m'attendait. C'était bizarre après plusieurs années d'avoir à nouveau quelqu'un qui m'attendait. Une voix féminine m'avait tout à coup interpellé… A croire que l'on commençait à remarquer ma présence constante à tes côtés.

« Hé, vous ! L'homme de Kougaiji-sama ! »

C'est à cause de ces mots que je me suis arrêté. Je n'étais pas très liant avec les autres youkai que je croisais à Hôtô, alors. Mais c'était la première fois qu'on me reconnaissait pour ce que j'étais déjà au fond de moi. Une silhouette pantelante me rentra presque dedans quand je me retournai. Une youkai blonde. Féline. Une longue chevelure taquinant le bas du dos, des yeux bleus curieux voire prédateurs. Des tatouages affectant le pelage rayé d'un fauve. Et pourtant souriant ingénument de toutes ses canines.

« J'ai ce qu'il voulait. Vous lui apporterez,… ? »

Elle attendait mon nom. Je ne lui ai pas donné. Elle ne s'est pas formalisée et m'a juste fait signe de la suivre vers son échoppe. Une des nombreuses donnant sur cet espace découvert. Sous un auvent de cuir fatigué s'alignait un nombre imposant de bijoux du plus simple anneau aux plus extravagantes parures. Or, argent, platine. Pierres, gemmes, perles. Je n'ai même pas eu le temps de tout voir avant qu'elle ne mette sous mes yeux un écrin de velours noir. Ouvert, il laissait apparaître quatre lourds anneaux identiques. Elle effleura une dernière fois son travail du doigt.

« L'argent est sa couleur… » souffla-t-elle. « Quand je le vois, je ne sais pas si c'est l'éclat du métal qui rehausse sa carnation ou la chaleur de sa peau qui fait briller mon argent… J'ai fait au plus simple. On ne peut pas rivaliser avec le niellage de ses boucles d'oreilles, le motif est trop ancien, le travail trop fin. Il m'a demandé les quatre bracelets pour compléter sa parure. »

J'étais en train de soupeser un des joncs. Pourtant la répugnance qui planait sur le dernier mot attira mon attention et me fit croiser son regard. Un lent sourire amer étira ses lèvres.

« Vous êtes à Lui ou à Elle ? » demanda-t-elle soudain, très doucement.

Ses yeux clairs s'étaient un instant dirigés vers le haut, comme pour regarder le faîte de la tour au travers du plafond. Elle. La femme derrière le rideau qui avait descellé le château. Libéré Kougaiji. Et que mon prince haïssait, je le savais. Ou du moins je le devinais. Mon visage a dû trahir mon sentiment profond. Je me sentais outré qu'on puisse un instant douter de la personne à qui allait ma loyauté. Satisfaite, elle n'a même pas attendu ma réponse finalement.

« C'est Elle qui a voulu qu'il porte le premier anneau à son cou. »

Elle émit un feulement désapprobateur. Bizarrement, une langue fourchue darda entre ses lèvres… Captant mon regard surpris, elle eut un froncement de nez amusé en expliquant qu'il s'agissait du résultat d'une improbable intoxication alimentaire. Je me demande comment je me souviens même de ce détail…

Son air était de nouveau grave quand elle reprit son récit comme si de rien n'était :

« On ne peut plus l'enlever une fois installé. Elle ne supportait pas ses pendants d'oreilles, mais il refusait de les enlever. Elle voulait aussi laisser sa marque sur lui d'une manière ou d'une autre. On aurait cru qu'il s'agissait de poser une chaîne à un esclave. Normalement je n'ai pas le droit d'en parler. Kougaiji-sama m'a prié de réaliser le second qui se trouve à son cou. Il le voulait identique, que rien ne puisse le distinguer du premier. Que même Elle ne puisse pas faire la différence. Et le diadème aussi. »

J'ai juste refermé l'écrin d'un geste sec. Et je suis parti. Il n'y avait plus rien à ajouter. Je t'ai rejoint. Tu as pris possession de ton bien. Je t'ai contemplé tandis que tu passais un à un les bracelets à tes poignets. Et j'ai vu comment chaque anneau qui s'ajoutait à ton corps était une tentative de faire oublier la présence du premier qui ait jamais orné ton cou. Tu semblais retrouver ta fierté en exhibant tes chaînes de la manière la plus ostentatoire. Gyokumen n'avait pas réussi à te marquer. Tu l'avais battue à son propre jeu. Personne n'en a jamais rien su depuis. Et tout le monde s'est habitué à ton étrange apparence. Au tintement de métal qui accompagne chacun de tes pas. Alors c'est vrai… Quand je peux oublier… Quand je peux regarder ces bijoux comme faisant partie de toi, je peux les aimer. Et quand je me souviens, je ne peux que les haïr.

Mes doigts, toujours crispés sur un de tes bracelets, commencent à me faire souffrir. Je me décide enfin à ouvrir la main et à reposer l'objet de mon ressentiment à côté des autres bijoux. Un léger courant d'air effleure ma nuque et achève de me tirer de mes réflexions. Cette fois, je me décide enfin à te rejoindre dehors. Malgré le ciel dégagé, j'ai d'abord du mal à distinguer ta silhouette.

« Kou… » j'appelle doucement pour éviter que tu puisses croire que je cherche à te surprendre.

Dis-moi de te laisser, et je partirai.

Mais tu ne dis rien…

oooOooo

Cette tour est trop haute. Il n'y a que le ciel et le vent ici… Aucun bruit que pourraient faire en contrebas les animaux nocturnes qui hantent les déserts du Hôto ne peuvent nous atteindre. Le chemin de ronde ne passe pas en cette partie de la forteresse. Le silence y est toujours irréel. J'ai appris à savoir que Kou déteste le silence quand il lui rappelle la solitude, mais il n'a jamais déserté cet endroit. J'ai cru comprendre qu'il avait pris possession des anciens appartements de Rasetsunyo. Peut-être que de bons souvenirs ont laissé des traces ici, je ne sais pas…

Mais la place forte tout entière vieillit, et malgré les frénétiques travaux de réhabilitation de la nouvelle souveraine, certaines parties du château commencent à se dégrader. On devine que les quartiers de son ancienne rivale ne l'intéresse guère. Ici, les blocs qui pavent la terrasse commencent à se disjoindre, par endroits. Dans l'obscurité, ils deviennent même carrément traîtres pour tout autre que Kou. Ce que j'apprends encore une fois ce soir à mes dépens. Mon pied nu rencontre douloureusement une des dalles descellées et je manque perdre l'équilibre, le tout avec un juron retentissant. Autant pour la calme tranquillité qui régnait ici il y a encore quelques secondes.

Posté plus loin, Kougaiji me jette un regard par-dessus son épaule, et je vois à la ligne interrogative de ses sourcils qu'il s'assure avant tout que je ne me suis pas fait mal. C'est seulement après qu'il se permet d'ourler ses lèvres en un fin sourire amusé. L'expérience rend philosophe : en continuant d'avancer un boitillant peut-être un peu exagérément, au moins j'ai capté son attention.

« Tu as prononcé mon nom, tout à l'heure. » je lui lance tout à trac. Parfois, je manque de tact, c'est vrai.

Son sourire disparaît aussitôt et il se retourne vers la nuit au-delà des remparts. Contrairement à la plupart des personnes qui se tiennent entre les créneaux pour se pencher volontiers vers le vide, il se tient debout, au coin d'un des hauts merlons qui lui arrivent aux épaules, un genou calé dans le creux formé par le créneau. Il y pose ses bras croisés, où il appuie son visage. Son corps est collé à la pierre. Dans le noir, ils se confondent. Peut-être qu'avec sa peau, il cherche à capter les moindres particules de chaleur absorbées par les larges blocs durant le jour, doucement restituées aux petites heures de la nuit… Il se love parfois de la même façon contre nos dragons lorsqu'il s'occupe d'eux… J'ai toujours cru qu'il détestait cette « forteresse luguuuubre » comme se plaît à l'appeler Ririn. Peut-être que je me trompe. En fait, presque inconsciemment, il lui arrive souvent de caresser la pierre des longs couloirs quand il marche, j'ai remarqué. Non pas que les vieilles pierres n'aient pas reçu leur lot de coups de poings : il suffit de voir le mur à la sortie du vaste hangar qui abrite et le tombeau de son père et ses rencontres journalières avec Gyokumen. Il porte les marques de trop nombreuses frustrations…

« Ce n'était qu'un cauchemar. »

Un vague haussement d'épaule pour ponctuer ses mots. Il me répond, alors que perdu dans mes pensées, j'avais déjà presque oublié ma question qui flottait entre nous.

« Ça t'arrive souvent. Avoir des cauchemars, je veux dire. »

Appeler mon nom aussi, d'ailleurs.

Mais je sais que tu considérerais cela comme une preuve de faiblesse, alors ça, je ne te le dirai pas.

Il ne dit rien. À la réflexion En fait, c'est moi qui ai besoin de parler, je réalise. C'est le sentiment de ma propre impuissance qui m'a poussé à le suivre ici. Je continue mon approche circonspecte, et dieu merci, il ne semble pas vouloir fuir ma compagnie comme cela lui arrive parfois, certains soirs où il ne se sent pas la force de supporter une présence même amicale. Je m'installe juste à côté de lui, assis sur le créneau, le dos tourné au vide. Je n'aurais qu'à tendre la main pour le toucher. Il m'a calmement suivi du regard, le visage toujours à moitié enfoui dans ses bras dont l'un est replié vers son cou, ses doigts perdus dans sa chevelure auburn.

Un profond soupir m'échappe, et je sais que mes épaules sont plus tombantes que d'habitude. Mes avant-bras se posent sur mes cuisses et entre mes mains ouvertes, dans un bruissement d'air, apparaît mon sabre, apparemment inoffensif juste posé là sur mes paumes. Je me concentre un instant sur l'œil étrange toujours enchâssé dans sa garde. Il me renvoie soudain à l'esprit l'image de Kougaiji, au-dessus de moi, légèrement distordue par cette vision en contre-plongée. Mon prince s'est tourné légèrement pour mieux me voir. Une longue mèche serpentine, soudain libérée glisse doucement sur son bras puis le long de son corps frôlant amoureusement la chair découverte jusqu'à la taille. Puis comme une ombre, vient accentuer la chute de ses reins.

« Tu ne te rends pas compte comme ça peut être dur pour moi. »

En fait, je m'interromps dès la première phrase. Je ne m'attendais pas à ce que cette admission franchisse si facilement mes lèvres. Mon visage reste baissé vers le sabre. C'est plus facile de parler sans croiser son regard. Il ne sait peut-être pas que l'œil du sabre est toujours à l'observer, lui. Les yeux de Kougaiji s'agrandissent un fugitif instant, puis son expression se fait songeuse, presque lointaine. Curieusement, c'est ce qui m'encourage à poursuivre. Ma poigne sur la garde du sabre se fait tout à coup plus ferme, alors que lentement je le tends devant moi, en faisant miroiter la brillante lame au clair de lune.

« Tu m'as confié une épée, il y a longtemps. C'est un fait admis par tous que je suis ton garde du corps. Mais moi… Je ne peux pas te protéger contre ce genre de chose. »

Je ne m'attendais pas non plus à ce que sa réponse fuse aussi vite :

« C'est faux. La plupart du temps, ta simple présence les fait fuir. »

Et là, je me demande s'il n'est pas simplement en train de se moquer de moi. C'est le bruit de ses pendants d'oreilles quand il se redresse qui attire de nouveau mes yeux sur lui. Soudain, il se tient adossé à la muraille, regardant dans la même direction que moi. Et il n'y a aucune malice dans ses yeux, quand il penche légèrement sa tête sur son épaule pour enfin soutenir mon regard.

Y'a des moments, comme ça… On le croirait pas, mais ils existent. Ces minuscules secondes où tout devient clair, ou tout prend soudain un sens.

C'est drôle de réaliser que ma vie a enfin atteint une sorte d'équilibre… Je ne dis pas que ma vie est parfaite. Je dis juste, que cette fois, je sais où je vais. Et je sais même qui je suis. Dokugakuji n'est plus un nom qu'on m'a donné alors que je cherchais à en oublier un autre. C'est moi. Et cela ne pourrait pas être si je n'avais pas revu mon frère aujourd'hui. Parce que je sais maintenant avec certitude que Gojyo est vivant, je peux faire table rase du passé, le laisser vivre sa vie comme il l'entend, et enfin je suis libre de mener la mienne en toute sérénité. Plus que jamais, je peux maintenant choisir où se trouve ma place légitime. C'est ici, sur cette terrasse où le vent commence à se faire glacé, avec cette personne tellement proche de moi qu'il me suffit d'un geste pour me saisir d'une des mèches cuivrées de la main qui ne tient plus l'épée. Entre mes doigts, on croirait qu'elle est vivante. Je crois que Kougaiji ne s'est même pas rendu compte de mon mouvement.

Aujourd'hui je me sens aussi prêt à leur pardonner. À eux. Nos pères. Étranges de les placer côte à côte, hein ? Gyumao l'ennemi des dieux, le seigneur de guerre, figure de terreur et d'horreur, de pouvoir et de folie… Le youkai qui méritait bien le nom de monstre. Et le père de Sha Jien, cet obscur youkai dont le seul haut fait fut d'avoir trompé sa femme et lui laisser sur les bras le fruit d'une de ses liaisons… Pourtant leurs actes à tous les deux ont marqué l'existence de leurs descendants jusqu'à maintenant d'un fer incandescent et nous poursuivent, entravant nos actes et peut-être même nos esprits. Peut-être qu'il est vain d'essayer de nous libérer de leur souvenir, mais il n'est pas question que je les laisse me dicter ma conduite ou celle de Kou. Mon père… C'est sûr, parfois, il me manque, simplement. J'aurais bien voulu le connaître davantage…Mais à d'autres moments, je me dis que c'est lui qui mériterait qu'on le traite de bâtard. Pas Gojyo. Il y était pour rien, ce môme. Ha ! Mais le passé est le passé, maintenant…

Est-ce présomptueux de ma part de vouloir choisir librement ? La vérité, c'est qu'aujourd'hui c'est le cadet de mes soucis de savoir ce que mon père aurait pensé de son fils. Il n'y a que l'opinion de deux personnes qui compte pour moi : la mienne et …

La voix grave de Kougaiji se fait soudain entendre, avec une clarté et une sérénité que je ne lui avais pas connue depuis longtemps.

« Je vais me battre, Dokugakuji. »

Je sais ce qu'il sous-entend… Les doutes que je sentais en lui et qu'il refusait de reconnaître même devant moi… Croyait-il vraiment pouvoir me tromper ? Ces doutes, il les a enfin balayés. Je n'aurais pas cru que sa rencontre avec le sanzo-ikkou aujourd'hui pourrait avoir un effet si bénéfique. Je sens quelque chose se détendre imperceptiblement en moi. Et voici comment nous nous retrouvons ici, ce soir, avec moi qui répond, comme pour renouveler un vieux serment :

« Et moi je me battrai à tes côtés. »

Même pas la durée d'un battement de cœur avant qu'il ne réplique. Sa voix claque comme un fouet.

« Il n'en est pas question. C'est pour moi que je me bats, ce sera mon combat. »

La surprise me réduit au silence. Le choc est trop violent pour pouvoir immédiatement soulever une objection. Trop brutale est la douleur pour essayer de comprendre. Je me retrouve debout sans trop savoir comment, mes mains ont lâché mon sabre qui s'est aussitôt dissout dans l'air avant de toucher le sol, comme se sachant tout à coup inutile. Et lui, Kou, il est déjà en train de s'éloigner, de retourner vers ses appartements. Comme si la question était close. Je crois que c'est à ce moment-là que la colère a remplacé tout autre sentiment. En quelques pas j'ai parcouru la distance entre nous. Ma main se referme sur son épaule en une étreinte de fer.

« Kou ! Regarde-moi, bon sang ! »

Il se dérobe pourtant à mon contact, tellement facilement, d'un simple mouvement du bras et sans même cesser d'avancer, que c'en est stupéfiant. Mais je n'ai aucune envie d'abandonner là. Une fois encore ma main se saisit de lui. Emprisonnant son poignet. D'une secousse d'une violence qui pourrait déboîter l'épaule d'un mortel, je le force cette fois vraiment à s'arrêter. Ce regard qu'il me lance quand il se retourne…

« Arrête-toi un instant, onegaï. »

Ma phrase ressemble à une prière, mais son bras prisonnier lui laisse bien deviner qu'il s'agit davantage d'un ordre. Son regard est furieux et défiant, ses prunelles où danse une flamme glaciale me crucifient sur place, mais baisser les yeux maintenant, c'est s'avouer vaincu et le laisser me maintenir à l'écart de sa vie…

« Lâche-moi. » commente-t-il simplement d'une voix qui ne recèle que froideur.

Ses mâchoires sont serrées, les lèvres imperceptiblement retroussées dévoilent légèrement l'éclat de ses canines. Un instant je devine quelle terreur superstitieuse son père a pue inspirer à des mortels, il y a cinq cents ans pour que des générations plus tard on se souvienne encore de lui avec crainte. Kougaiji ayant hérité en outre de la beauté de sa mère, le tableau est d'une terrible splendeur qui peut couper le souffle… Le feu de son regard est toujours insupportable. Et je n'ai qu'une chose à laquelle je puisse me raccrocher…

Dokugakuji…

Un nom qu'il m'a donné. Mon seul nom, maintenant…

Dokugakuji…

C'est comme ça que tout a commencé : mon nom murmuré dans son sommeil. Un cauchemar a-t-il dit. Et, là, l'angoisse que je lis mêlée à la flamme qui danse dans ses yeux d'améthyste, c'est la même que j'ai vue cent fois sur son visage, et même plusieurs fois ne serait-ce qu'aujourd'hui, quand il a compris où se trouvait Ririn, quand ces blocs de pierres se sont effondrés sur Yaone… Se battre pour soi est une chose. Il y est résolu. Mettre en danger les gens auxquels on tient en est une autre, hein ? C'est tellement simple que c'est à se demander comment je n'ai pas deviné plus tôt la teneur de son rêve. Et tout à coup sa fureur n'a plus de prise sur moi. Et les mots s'écoulent, essayant maladroitement de lui expliquer… Lui expliquer quoi ? Je ne sais même pas exactement moi-même…

« Ne te méprends pas…Ce n'est pas pour toi, mais pour moi que je veux me tenir à tes côtés. Je t'ai choisi pour maître, Kougaiji, mais je ne croyais pas être devenu ton esclave pour autant… Et quand je promets de te suivre, ça veut dire que je promets aussi de ne pas mourir… »

Est-ce l'inflexion particulière de mes mots qui a réussi à l'atteindre ? L'expression de mon visage ? Je l'ignore. L'urgence que je décèle dans ma propre voix me surprend presque moi-même.

« Dis-moi que tu comprends, Kou… »

Au lieu de cela, son corps semble s'affaisser jusqu'à ce que son front se pose sur ma poitrine. Toujours prisonnier dans ma main, son bras droit se lève cependant, formant un poing qui se pose au niveau de mon cœur. Pas vraiment un coup. Pas vraiment une caresse.

« Fou… »

C'est le seul mot qui marque sa capitulation. Je ne sais pas s'il parle de moi et de mon obstination, ou de lui-même qui se laisse fléchir. Il tremble. Je ne peux pas l'expliquer. Il m'a dit un jour que les youkai de feu ne sentent pas le froid, parce que le feu, c'est en eux qu'il se trouve. Pourtant mon premier mouvement est de draper mon bras libre autour de ses épaules. Peut-être aussi pour l'empêcher de s'éloigner. Ma main se pose sur sa nuque, les doigts enfouis dans sa chevelure et entremêlés aux deux anneaux de métal. Mon autre main et la sienne sont toujours près de mon cœur. Ses veines pulsent sous ma paume avec un rythme erratique. Sa respiration reste pourtant régulière contre ma poitrine : souffle chaud à chaque expiration, ma peau glacée durant les brefs laps de temps où il inspire… Son bras gauche pend inerte sur le côté, n'a aucun mouvement pour retourner l'étreinte. Il n'en a aucun non plus pour me repousser, cependant.

oooOooo

Le temps est une notion toute relative, n'est-ce pas ? Je ne saurais pas dire si nous sommes restés longtemps comme cela. Je me souviens simplement de la tension qui soudain a redressé son buste, de son visage qui s'est levé vers moi et de son regard indéchiffrable. Je revois sa main libre se lever pour se poser sur ma nuque et attirer mon visage vers le sien. Je me rappelle le contact léger de ses lèvres sur les miennes pendant la plus infime des secondes. Puis profitant de mon état de stupeur aussi profonde que complète, il se délivra en douceur de mon étreinte tout à coup sans force, reprenant sa route vers ses appartements, et me jetant calmement par-dessus son épaule un tranquille :

« Oyasumi. (2)»

Ma main se porte à mes lèvres, comme pour se persuader que ce contact fugace n'était pas un simple effet de mon imagination. L'impression de chaleur qui avait soudain envahi tout mon corps ne reflua que petit à petit, et Kougaiji avait déjà disparu à l'intérieur depuis un certain temps quand je lui ai enfin emboîté le pas. Pour autant, la sensation d'inassouvissement et de manque se fit soudain d'une violence telle qu'elle en était presque douloureuse…

« Ha ouais ? Et comment je suis supposé dormir après ça, moi ? »

oooooooOOOOooooooo

(1) Qui a dit, rien ne change ?

(2) Devinette : sous quel autre nom connaît-on les youkai de feu ?
Réponse : des allumeurs…

oooooooOOOOooooooo

FIN... naaaaaannnn, j'déconne ! huhuhu ! #évite les jets de tomates# OK, OK, je loade la suite, ça va... Si on peut plus plaisanter...