La deuxième partie ! (coupée un peu au petit bonheur en plein milieu : les 33 pages word j'avais un peu peur que ce soit trop pour ffnet...) Et je copie/colle texto le blabla parce que je suis morte et que j'ai cours demain... X.x
(message personnel au goéland exploiteur : t'as vu ce que tu me fais faire, hein ! #air de bébé tigre battu et auréole plus vraie que nature en équilibre sur les noreilles#)

Auteur : SeaGull

Ses compte ffnet : www .fanfiction .net / u / 607384 / et www . fanfiction .net / u / 563377 / (enlevez les espaces et rajoutez les http devant, sans ça ffnet me les prend pas... ¬¬)

Son adresse mail : honmyoseagullfree.fr (avec un arobase avant le "free"... vive ffnet... ¬¬)

Si vous préférez laisser une review se sera transmis, ne vous inquiétez pas ! Et si vous voulez adhérer au fan-club suffit de demander... #graaannnnd sourire d'invite#

Titre : Intimacy -part I.

Genre : YAOI ! #sourire dégoulinant# ; un peu angst aussi de temps en temps, il faut... et, heu... je crois que c'est tout...

Disclamer : Moi je dis, vu comment elle les écrit ils mériteraient d'être à elle ces bishou ! Mais ce n'est pas le cas (enfin, à ma connaissance... Oo) : Kougaiji, Dokugakuji et tous les trucs qui leur gravitent autour et sont complètement secondaires (Hu ? Quel parti pris ? #sourire innocent#) appartiennent à Minekura Kazuya, à qui je demande expressément un burial de Kou et Doku qui sont les seuls à pas en avoir eu ! Injustiiice ! è.é

Blabla d'avant fic : Cette histoire est la continuation (en quelque sorte) de "Fractions de secondes", sur la page du goéland (là : www . fanfiction . net / s / 1810246 / 1 /)qui est elle-même la suite de "Un nouvel homme", que j'ai loadé il y a quelques jours (une autre gift-fic de mon volatile favori !). Lire ces deux autres fics n'est absolument pas nécessaire à la compréhension de celle-ci, néanmoins je vous le conseille fortement : on n'a pas le droit de passer à côté d'une fic de SeaGull !

L'action se déroule juste après la première bataille du Sanzo-ikou et du Kou-tachi... Et avant pour les nombreux flash-backs...

Sur ce... Bonne lecture ! Promis, vous ne serez pas déçu ! Cette fic est une pure merveille !

oooooooOOOOooooooo

« Intimacy »

oooooooOOOOooooooo

oo KOUGAIJI oo

Qu'est-ce que c'est que ça ?

C'est moi qui ai fait ce geste. C'était tellement instinctif… Pourtant, je ne le comprends pas. Une impulsion soudaine qui me dépasse. On ne se comporte pas comme ça avec son…

Son quoi ?

Parce qu'en fait, il n'existe pas de mot pour désigner ce qu'est Dokugakuji. Bretteur ? certainement. Et un des meilleurs, qui plus est. Homme lige ? Sans doute. Sa loyauté ne fait aucun doute. Garde du corps ? Assurément. Mais pas seulement. C'est tellement plus que ça, que sa présence protège… Ami ? Même ce mot-là paraît faible, quand je pense à la place qu'il tient dans mon existence.

Je réalise soudain que Doku est juste… Doku. Il n'y a pas d'enchaînement de syllabes capable de le définir pleinement, à part ce nom.

Ce qui n'est certes pas une explication.

Il a eu l'air surpris. Pris au dépourvu. Choqué.

En entrant dans la chambre, un mouvement capte mon attention du coin de l'œil. Mon reflet dans le grand miroir me renvoie mon regard d'un air désapprobateur. Je ne peux qu'être d'accord : c'était complètement…

Déplacé.

Ou peut-être que c'est moi qui accorde trop d'importance à l'incident. Il n'y a pas encore eu de réaction violente ou d'explosion de colère au-dehors. Tout au plus, je l'ai vaguement entendu marmonner quelque chose. Peut-être que je devrais m'excuser quand il rentrera, lui aussi. Ou peut-être que je devrais juste oublier. Comme si rien ne s'était passé.

oOo

Le jour se lève encore. Il se lève toujours. Mes yeux se sont ouverts au même instant. Ils le font toujours. Et Dokugakuji dort.

Je l'ai entendu quand il a regagné sa couche hier soir. Il n'a rien dit en pénétrant dans la chambre. Peut-être qu'il pensait que je dormais déjà. Et maintenant, j'espère pouvoir quitter la pièce avant qu'il ne se réveille. Je ne cherche pas vraiment à l'éviter (ou juste un peu). C'est seulement qu'ayant fait appel à Engokuki hier, la tension de la magie se fait toujours sentir jusque dans mes nerfs. Un non-pratiquant des arcanes majeures comme lui ne pourrait pas comprendre. Ce genre d'invocation puissante a souvent un effet pervers sur l'organisme. Presque comme se shouter après une longue période de sevrage. Aussitôt, la vieille addiction du système nerveux pour ces sensations d'une intensité rare se réveille. Les premiers jours, il est prudent de sacrifier encore un peu d'énergie pour calmer les cris du corps et éviter quelques désagréments physiques tels que de légères fièvres, des tremblements, ou même des sautes d'humeurs plutôt violentes. Bref, faire à nouveau appel à la magie. Si Doku connaissait ce genre de détail, je sais exactement quel regard il me jetterait. Et quitte à agir stupidement, il croirait de son devoir de faire en sorte que tout recours à la magie me devienne inutile. Il ne comprendrait pas que malgré le prix, ce désir a toujours coulé dans mon sang. Autant s'éloigner avant qu'il ne s'interroge.

Je ne sais pas quand le fait de le regarder dormir est devenu plus une habitude qu'un simple acte de curiosité ponctuelle. Dés les premiers temps, avoir tout à coup un autre être vivant constamment dans les parages était un changement plutôt drastique. Même un an après mon retour dans la communauté des vivants, je n'avais encore guère connu de contacts, avant son arrivée. L'observer avait vite eu un certain charme. Et son sommeil contribuait à une discrétion jugée tout de même nécessaire. Moi, les premiers temps, j'avais juste peur qu'il ne soit pas réel. Simplement. Alors parfois, en me réveillant en pleine nuit, il m'arrivait de le chercher quelques instants du regard malgré l'obscurité pour m'apercevoir invariablement qu'il n'était jamais loin. Quand je sentais que le sommeil m'avait bel et bien abandonné, parfois je continuais à le fixer. Certains soirs, en me concentrant bien, je pouvais entendre les battements de son cœur, même à l'autre bout de la pièce. Il ne m'a surpris qu'une seule fois en fait. Le feu était presque mort, ce jour-là, et les dernières braises rougeoyantes formaient des ombres étranges sur sa silhouette. Mes mains jouaient distraitement avec mon verre de cristal presque vide, mon doigt humide glissant sur le bord de la fine coupe. Un son étrange se fit soudain entendre, qui le tira de sa somnolence et moi de ma tranquille contemplation. Il ne fit aucun commentaire, mais je ne pus soutenir son regard. Je quittai mon vaste siège pour aller rejoindre mon lit.

La clarté dans la pièce s'intensifie. Dans son sommeil, son corps se tend déjà imperceptiblement. Il a déjà senti ma présence qui se rapprochait. Il ne va pas tarder à s'éveiller en sursaut si je ne fais rien. Ma main se tend de sa propre initiative, effleurant ses courts cheveux noirs. Le plus léger des contacts est suffisant. On croirait qu'il me reconnaît, même depuis les limbes où il se trouve maintenant. Ça n'a pas toujours été le cas.

oOo

Parfois, je me demande si les quelques années qu'il a passées sur les routes et dont il ne m'a que vaguement parlé n'ont pas laissé leur marque aussi profondément sur lui que les cinq siècles que j'ai passés scellé ici. Je suis quasiment certains que ses aptitudes de guerrier, c'est là qu'il les a acquis. Mon instinct me dit qu'il n'est pas né avec ça dans le sang. Et que la leçon fut de celles qui sont durement apprises. Parfois, le regarder me remet les pieds sur terre. Cinq cents ans de solitude rendent facilement narcissique. L'observer lui, et même les autres personnes de mon entourage, me sert à me rappeler que je n'ai pas le monopole de la souffrance, loin de là. Non pas que ça rende à chacun sa croix plus facile à porter, mais… Enfin. Toujours est-il que lorsqu'il est arrivé à Hôto, Dokugakuji (ou quel que soit le nom qu'il ait porté auparavant) savait ce qu'était la solitude ainsi que la méfiance.

Son instinct de survie imprégnait la moindre parcelle de son corps. J'aurais dû y penser, ce matin-là, peu de temps après sa venue à Hôtô, avant de lui effleurer l'épaule sans réfléchir pour le réveiller : sa main jaillit avant même qu'il n'ouvre vraiment les yeux pour se saisir de l'intrus potentiel, tandis que son poids me faisait basculer vers le sol. Le sabre que je lui avais donné apparut dans sa main au moment où son bras frappait. Il ne fut pleinement conscient de ce qu'il faisait qu'au moment où le heurt du métal contre le métal se fit entendre. Il ne s'était guère écoulé qu'une fraction de seconde.

Sa lame ensorcelée avait rudement fait contact avec un des anneaux à mon cou (il en porte encore aujourd'hui la marque). De farouche, son expression se fit soudain douloureuse et lointaine. Sa prise sur l'arme se relâcha, et elle disparut, simplement. Cependant, ses deux mains se refermèrent sur mes bras, tandis qu'il me redressait soudain. Son regard plongea dans le mien avec une intensité qui provoqua chez moi le malaise… Quand il se mit à parler, je ne pouvais pas échapper à ses mots, même s'il semblait regarder au-delà de moi.

« Tout ce que je vois là c'est… De l'indifférence ? De la résignation ? J'ai déjà vu ce regard une fois, chez un gamin que je connaissais… Il allait se faire tuer. En fait, il allait se laisser tuer. »

Je ne m'en étais pas rendu compte. Maintenant que j'y repense, c'est vrai que j'aurais facilement pu esquiver le coup avant qu'il ne tombe. Malgré le choc. Malgré la surprise. Et pourtant, sans la présence du bijou à mon cou… Est-ce que j'étais vraiment prêt à le laisser faire sans réagir ? Simplement parce qu'il était la seule personne que je connaissais qui n'attendait rien de moi, est-ce que je me sentais obligé de tout lui accorder ? Ou est-ce simplement qu'à cette époque je n'avais encore rien qui vaille le coup de se battre ou même de vivre, puisque Gyokumen ne m'avait pas encore montré la prison de ma mère pour me rallier à ses projets déments… Les premiers jours après ma libération, je n'avais été qu'euphorie : le souffle de l'air du dehors, le vent sur ma peau, les écailles brûlantes des dragons sous mes mains, les voix des gens autour…. réelles. Mais cela n'avait pas duré. Je savais que malgré les différences, je n'avais fait que troquer un emprisonnement contre un autre. Doku avait raison. Je me serais peut-être laisser tuer.

« Je ne veux plus jamais voir ça, tu entends ? Plus jamais ! »

Son invective me parut étrange. Pourquoi s'en souciait-il, il n'était là que depuis quelques jours… Ce n'était pas la voix de l'imperturbable homme d'arme que je connaissais… Il essayait de se maîtriser, mais l'étau de ses mains ne quittait pas mes épaules. Jusqu'à ce que… Sa poigne sur moi se transforma en une étreinte possessive, impérieuse. Ses bras puissants enroulés autour de mes épaules. Son souffle contre mon cou. Encore une fois, il refusait de me libérer jusqu'à ce que je me laisse aller à accepter le contact. Sa chaleur. Je ne serai plus jamais seul, m'avait-il dit un soir quand nous grimpions le long escalier de la tour, dans des circonstances presque identiques. À cette époque, je refusais encore de croire à de tels serments.

« Kami-sama. J'ai failli te tuer… »

Sa frayeur avait quelque chose de terrible. Pourtant il était plus terrible encore de ne pas savoir quoi répondre pour espérer l'effacer de sa voix.

oOo

La familiarité prend du temps… Lentement mais sûrement, il a fait fondre toutes mes réserves, mes réticences. Il a tenu toutes les promesses qu'il m'avait faites sans que je lui demande rien. Parfois, je ne sais plus s'il n'est là que depuis hier ou depuis toujours.

Mes doigts quittent sa chevelure, effleurent un instant sa pommette. Un soupir dans son sommeil et il retrouve tout à coup sa quiétude… Je peux partir tranquille.

oOo

J'ai mis du temps à m'habituer à sa présence, les premiers mois. À vrai dire, j'aurais mis du temps à m'habituer à n'importe quelle présence. Mais c'était d'autant plus difficile que quelque part j'étais encore persuadé qu'il ne resterait pas. Jeter un œil par-dessus mon épaule pour m'apercevoir qu'il continuait à me suivre avait quelque chose de perturbant. Car pour moi, il ne pouvait s'agir que d'une sorte d'état transitoire. Et peut-être que j'aurais même été soulagé de me retourner un jour pour m'apercevoir qu'il avait tout simplement disparu comme une sorte de mirage.

Oh. J'aurais été dévasté aussi. Mais ça aurait été plus sûr. Parce que je n'aurais jamais cru possible que je puisse me mettre à dépendre de ce petit nombre de personnes qui gravitent autour de moi à ce point. À sa manière tranquille mais déterminée, Dokugakuji leur a à tous ouvert la voie. Et je me retrouve dans cette situation impossible où je m'efforce au maximum de me comporter en seigneur alors qu'ils ne sont déjà plus mes serviteurs, car si Gyokumen pouvait un instant se douter de quelque chose, je sais très bien ce qu'elle serait capable de faire.

Plutôt futile, quand on y pense ! Comme si j'avais jamais pu le maintenir réellement à distance ? Je me m'en suis aperçu trop tard en fait : les choses avaient déjà atteint un stade d'intimité bien supérieur à ce que je me serais autorisé autrement, et cela sans même que je m'en rende compte. Pire encore fut le moment où j'ai découvert à quel point j'avais désespérément besoin de Doku. Tellement besoin que ça fait peur. Que j'ai peur de le mettre en danger rien que parce que je suis incapable de me passer de sa présence. Et quand par hasard ma raison l'emporte, c'est lui qui refuse de s'éloigner. C'est un cercle vicieux : il ne l'a pas accepté, hier soir encore.

oOo

Cette silhouette de haute taille s'est mise à devenir aussi familière que mon ombre, toujours dans mon sillage, comme s'il existait entre nous une fine cordelette que je serais incapable de voir mais qui guiderait tous ses pas. Je me souviens comme je m'étais surpris à sourire quand je m'étais aperçu que les sbires de Gyokumen finissaient petit à petit par relâcher leur étroite surveillance de ma personne dans l'enceinte du château, tout simplement parce que sa stature et son regard devait un peu trop leur rappeler un molosse veillant jalousement sur son os. Constat qui m'avait échappé un soir, lors d'un repas. Son regard brun s'était posé sur moi, vaguement réprobateur. Je devais être habitué à son franc-parler à cette époque, car je fus à peine étonné de l'entendre me répondre du tac au tac :

« Un sac d'os plutôt, alors finis ta viande… »

Une phrase si typique d'un grand frère qui m'avait intriguée pourtant. Pas le genre de remarque qu'on aurait attendu d'un serviteur qui encore quelques mois plus tôt avait encore du mal à me regarder dans les yeux et se contentait le plus souvent de m'observer à la dérobée… Si j'avais été mon père, il serait déjà mort. (Non en fait, si j'avais été mon père, il ne se serait sans doute jamais trouvé à la même table que moi dans mes appartements…). Doku n'avait pas eu l'intention d'être insultant, je le savais, mais c'est idiot comme certaines phrases peuvent parfois rappeler de vieux souvenirs qu'on préfèrerait oublier…

Je me rappelais Gyumao me disant presque la même chose : « Mange. » L'écœurement qui me gagna me coupa presque le souffle, me mettant le cœur au bord des lèvres. Je crois que si ce jour-là je n'avais pas passé la plus grande partie du jour, avant de rejoindre Doku, à assister à une des nombreuses expérimentations (infructueuses, comme toujours) devant précéder la résurrection de mon père, le tout sous le regard vide et obsédant du cercueil de fer, mes nerfs n'auraient pas été à vif au point que le dit bol (riz compris) fasse un soudain vol plané en direction de son visage avant d'éclater contre un des murs de pierre.

Garder une prise sur ses sentiments est une des nécessité de la vie en société. Et après cinq cents ans, j'avais parfois encore du mal à être sociable… Le seul avantage d'une forteresse vide, c'est qu'il est facile de s'y débarrasser de sa frustration : même les plus importants dommages matériels à l'intérieur ne peuvent entraîner de blessés. Ce soir-là, j'étais juste assez civilisé pour m'être assuré d'un oeil que je n'avais pas fendu le crâne de Doku, avant de quitter la pièce sans un mot. Le plus dur fut de comprendre à son regard troublé qu'à ce moment-là, c'est lui qui s'inquiétait vraiment pour moi. Alors que j'aurais pu le blesser. Tout ça parce qu'à cet instant j'avais été incapable de me maîtriser.

C'était le jour où je lui ai « raconté » qui était réellement mon père. Non pas qu'il n'ait pas commencé à nourrir ses propres doutes, j'en suis sûr. À la place de Doku je me serais déjà posé des questions, moi aussi. Si les mots « légende vivante » ont une signification, c'est ce qu'était Gyumao dans l'enceinte de la forteresse. C'est d'ailleurs la raison de cette fidélité étrange que me vouent certains youkai : certains refusent de voir que je ne suis pas lui. D'autres me suivent parce que je ne suis pas comme lui, mais oublient qu'un jour j'aurais peut-être à le relâcher sur le monde. Le souvenir de ce soir reste très vif à ma mémoire. Son obstination à ne pas de demander la raison de mon acte me rendait fou. Alors, autant qu'il sache tout. J'étais sur le point de craquer. Il m'avait suivi et je voulais juste qu'il parte. Qu'au moins il s'éloigne. Et si la vérité pouvait le faire fuir, c'était très bien. Je la lui ai crachée comme si les mots pouvaient être des coups. Je ne comprends pas cet homme. Il est resté. Pourtant ne serait-il pas logique de penser que le fils d'un démon soit un démon aussi ?

oOo

Dokugakuji n'était pas aveugle. Plus il vivait dans cet endroit, plus il avait appris à jauger ce monde dans lequel Kougaiji évoluait. Plus le bretteur en apprenait, plus il haïssait l'endroit. Pourtant, plus il haïssait l'endroit, et moins il voulait partir. Parce que Kougaiji ne pouvait pas partir, lui. Il était comme enchaîné à ce lieu.

Parfois, Dokugakuji ne pouvait s'empêcher d'observer avec une horreur fascinée le regard que la reine des lieux posait sur Kougaiji. Les sentiments de Gyokumen à l'égard de son « fils » avaient toujours été hautement ambivalents. Désir et répulsion. Recherchant en Kougaiji ce qui lui rappelait son Gyumao et méprisant tout ce qui était un héritage du sang de Rasetsunyo. Envies contradictoires et étroitement liées à la fois de mettre le prince dans son lit ou de le tuer. Mais elle avait tout pouvoir sur lui, et surtout sur sa mère. Et elle en jouissait. Dokugakuji espérait que son prince n'en avait pas aussi clairement conscience que lui. Kougaiji ne pouvait pas courir le risque de provoquer ouvertement le courroux de la maîtresse de la forteresse. Il la servirait. L'esclavage lui allait bien, son air défiant la faisait rire… C'est ce que le bretteur lisait dans ces yeux d'un bleu glacial. Elle n'aurait pas toléré que le prince youkai entrave ses projets, ou même reste simplement « inemployé ».

C'était une époque où son charisme était une question de survie, pour Kougaiji. Dokugakuji s'en était vite rendu compte. Ce charme qu'il possédait, le bretteur savait pertinemment que son seigneur en était lui-même à peine conscient. Ce qui n'empêchait pas Gyokumen de l'exploiter. Malgré le pouvoir qu'elle possédait, c'est autour de la personne de Kougaiji qu'elle réussit bientôt à faire revivre ce qui avait été un des plus grands empires youkai. Son tact, sa diplomatie, cette loyauté instinctive que ce petit prince était capable d'inspirer lui permettrait de réaliser ses rêves, pensait-elle. Gyokumen manipulait tous les fils.

Kougaiji faisait ce qu'on attendait de lui. On ne lui laissait pas le choix. Même si le masque semblait se fissurer dès que les regards se détournaient de lui. Hormis ces rares occasions où il devait faire étalage de tout son talent et se montrer les plus agréable des hôtes et des seigneurs, il ne regardait que rarement les gens en face. Son regard se faisait fuyant, il cherchait d'ailleurs souvent à éviter les alliés souvent peu recommandables de la nouvelle reine, et même ses sujets les plus dévoués à l'intérieur la forteresse. Il retombait dans ses vieux travers. Il s'isolait quand la tension était trop violente. Ce soir-là, Dokugakuji avait eu l'impression que c'était encore pire ; Kougaiji était même prêt à se couper de lui.

Le prince youkai avait disparu dans la chambre à coucher. Le bretteur se leva pour ramasser les débris. Avec un frisson, il se souvint comme l'ustensile de céramique était passé près de sa pommette. Il se rappela aussi la lueur d'effroi dans les yeux de Kougaiji avant sa retraite. Même le prince semblait avoir été choqué par son propre geste. Quand il eut fini, il se demanda s'il devait laisser Kougaiji tranquille. Peut-être était-ce ce que le prince voulait, mais le bretteur n'était pas sûr que ce soit le meilleur pour lui. Kou avait été seul trop longtemps. Et puis il y avait des choses qu'il voulait éclaircir. Il poussa une profonde inspiration avant d'oser passer le pas de la porte.

« Tu veux que je te fasse monter un autre plat, Kou ? »

Pas de réponse. Ho, décidément, il n'aimait pas ça du tout. En d'autres temps, Kougaiji aurait lui-même ranimé les flammes d'un simple geste de la main, à son entrée. Son genou s'était pris dans un pan du couvre-lit clair qui forma une tâche de clarté dans la pénombre, quand il se retrouva tendu sur une jambe du prince au moment où il repliait ses membres vers son buste. Comme une sorte de barrière. Un étrange geste de défense qui blessa son homme d'arme. Finalement, le bretteur s'activa lui-même sur les multiples chandelles des antiques candélabres qui parsemaient la vaste pièce. Des reflets incongrus illuminèrent l'endroit. D'habitude les longues mèches de Kou arboraient les riches nuances de l'acajou poli. Dans cette étrange lumière, elles prenaient un éclat tout différent. Celui du métal incandescent. Le prince ne lui jeta pas un regard. En fait, il se détourna même encore plus ostensiblement dans un doux bruissement de tissu. Du peu que Dokugakuji pouvait voir de sa silhouette tournée, l'épaule appuyée contre le bois sombre du cadre ouvragé du lit, Kougaiji semblait étreindre son propre corps. Les longues griffes d'une de ses mains formaient de leur ombre d'étranges zébrures sur la peau nue de son bras visible.

Le bretteur chercha à deviner ce que fixait le profil immobile de son prince. Il suivit son regard. Un miroir. Un grand miroir qui ornait le mur près de la fenêtre. À son tour, Dokugakuji y discernait le visage de Kougaiji. Le prince fixait son propre reflet avec une étrange intensité. Comme s'il y cherchait quelque chose. Et soudain, la réflexion du prince dans le miroir jeta un bref regard à l'autre youkai, faisant presque sursauter celui-ci. Kougaiji se mit à parler. Sa voix grave à peine au-dessus du murmure.

« Tu sais qui était mon père, nee, Doku ? Oui, tu as dû en entendre beaucoup parler depuis que tu es ici… Mais quoi que tu aies entendu, il était pire. Il aimait le pouvoir, il aimait savourer ce pouvoir, et le plus souvent, cela se traduisait par la jouissance de la souffrance et la terreur qu'il pouvait imposer à ceux qu'il dominait. On te l'a déjà dit, n'est-ce pas, qu'il se nourrissait de viande humaine et que ses suiveurs faisaient de même… Ce n'était pas seulement le fait d'enfreindre un interdit divin qui l'y incitait. Il aimait ça… Il y prenait plaisir… Pas seulement le goût de la chair, mais tout le processus allant de la traque à l'exécution de sa proie qui se faisait généralement sur sa propre table. »

Dokugakuji eut soudain le sentiment diffus que son prince prenait un intérêt presque malsain à lui raconter cela, à observer l'effet de ces propos dérangeants sur lui. Tout en percevant l'angoisse et le désespoir larvés qui filtrait sous les mots. Il ne comprenait pas cette barrière de mots que le prince cherchait à élever entre eux. Et Kougaiji continuait à parler, son amertume et celle des souvenirs laissant un goût de fiel sur ses lèvres.

« J'étais très jeune, la première fois où j'ai participé à un de ses banquets. Je n'avais que très peu côtoyé mon père jusque-là, j'avais été élevé par ma mère. J'ai vu les victimes se faire saigner à blanc sur les tables, j'ai entendu leurs cris, leurs supplications et leurs malédictions. J'ai vu la vie qui s'éteignait peu à peu dans leurs yeux. J'ai regardé Gyumao (il était Gyumao, maintenant, c'était sans doute trop dur de parler d'un père, dans ces circonstances) découper les lanières de chair encore chaude, et tandis que le sang le maculait presque jusqu'aux coudes, en tendre une à son fils en lui disant : mange. »

Dans la pièce, Dokugakuji eut tout à coup la sensation que la tension était à couper au couteau. D'une manière encore plus inaudible si cela était possible, Kougaiji ajouta encore quelques mots.

« On ne pouvait pas désobéir à Gyumao. »

Le bretteur eut un soudain haut-le-coeur. Sa main se porta à ses lèvres. Derrière ses doigts, il chercha à reprendre son souffle. Mais il ne voulait pas non plus faillir à Kougaiji. Il voulait absolument soutenir son regard. Il sentait confusément que s'il se détournait maintenant de son prince, il le perdrait.

« Va-t-en, » poursuivit Kougaiji. « À ta place, je ferais davantage attention aux personnes à qui je jure fidélité, tu pourrais regretter le chemin que tu as pris. C'est le même sang qui coule dans mes veines. Parfois, j'ai peur de voir un jour son reflet me renvoyer mon regard dans le miroir. Un jour ce qu'il y a de lui en moi pourrait bien refaire surface. Alors pars. »

Cette fois, Dokugakuji réussit à prendre une profonde inspiration. À recouvrer un peu d'empire sur lui-même. Kougaiji semblait ne plus faire attention à lui. Cette fois, son regard se perdait vers le dehors. Le youkai brun l'observait. Et plus il regardait, plus il s'apercevait qu'il se fichait de ce qu'il venait d'entendre. Le passé n'avait pas d'importance (en tout cas celui de Kou était plus facile à ignorer que le sien propre) et Kougaiji n'était pas responsable des actes de son père. Plus important encore, il était… Kou. L'homme qui avait fermé les yeux sur le passé de Sha Jien et ne jugeait son bretteur que sur ce qu'il était aujourd'hui. Quel sens cela aurait-il de lui demander à lui, Dokugakuji, d'agir différemment à l'égard de son prince ? Après un long silence gêné, sa voix s'éleva. Il essayait ce choisir soigneusement ses mots, même si ce n'était habituellement pas son fort.

« Kou… Tu n'es pas ton père et moi je ne suis pas le mien… Ça saute aux yeux, au moins dans ton cas… Je ne dis pas que ça ne m'intéresse pas de savoir qui c'était ce Gyumao, mais ce n'est pas ce qui me convaincra ou me dissuadera de te suivre… Quoiqu'il ait fait ou quoi qu'il t'ait fait. Ça c'est une décision que j'ai déjà prise, il y a longtemps… Et s'il faut que je te le rappelle de temps en temps pour que tu t'en souviennes, je le ferai… »

Il avait détourné le regard pendant le plus bref des instants et ne vit pas les yeux de son prince s'agrandir sous le choc. Mais il vit ses bras qui se resserraient encore instinctivement sur sa frêle silhouette. Prenant garde de ne faire aucun geste brusque, le bretteur se rapprocha de l'autre youkai et prit place à côté de lui. Il se pencha sur l'épaule de Kougaiji tout ne plaçant sa main au sommet de la tête de celui-ci, en un geste cavalier qui lui deviendrait vite familier. Sa présence pesait d'une manière rassurante contre le dos du prince youkai. Kou poussa un léger soupir, comme s'il allait dire quelque chose, mais il choisit finalement de se taire.

« Donc, si je comprends bien… C'est pour ça que la viande saignante te répugne… » déclara le bretteur après un moment, comme s'il s'agissait de la révélation la plus importante de la soirée.

Kougaiji tourna légèrement la tête vers lui et le regarda comme s'il venait de tomber de la Lune.

« Je me souviendrai d'éviter les bols qui volent la prochaine fois, » conclut Dokugakuji en ébouriffant affectueusement sa chevelure.

Le coude de Kougaiji fit contact avec ses côtes, sans grande conviction. Avec un grognement faussement outragé, le brun cessa son manège sans pour autant ôter sa main des mèches cuivrées, tandis que son prince se calait plus confortablement contre son épaule.

oOo

oo KOUGAIJI oo

Je quitte enfin le couvert des arbres où mon dragon s'est trouvé un abri confortable sur le sol couvert des aiguilles odorantes des épineux. C'est la fin de l'automne, mon pas fait craquer les longues herbes qui commencent à sécher en prenant une étrange couleur argentée et qui tapissent la prairie qui borde la forêt. Peu à peu le terrain s'élève en pente douce vers une légère éminence qui mérite à peine le nom de colline. Le ciel bas et gris est chargé de nuages, il s'étale sans fin au-dessus de ma tête. Cet endroit est parfait. Tellement éloigné de la forteresse et inhabité que je n'attirerais pas l'attention. Je m'arrête d'avancer à mi-chemin du sommet.

L'air est presque froid : il brûle mes poumons et insensibilise chacun de mes nerfs. Ma mère avait coutume de dire qu'il n'y a que très peu de sensations qui peuvent se comparer à l'extase de la magie. Des étincelles d'excitation parcourent déjà mes doigts. Les paroles de l'incantation s'écoulent de mes lèvres. Le temps n'a plus d'importance, la sourde mélopée d'invocation peut durer des heures ou quelques minutes, ce n'est pas ce qui importe. Je crois qu'aujourd'hui elle se fait très lente… Qui sait combien de temps j'ai laissé s'entrelacer mots et magie, tandis que montait lentement la fièvre ? L'afflux d'énergie dans mon corps le fait vibrer au rythme syncopé des syllabes. Lorsqu'elle se libère tout à coup, c'est comme si elle emportait une partie de moi avec elle…

Le corps ondulant d'Engokuki s'élance soudain à l'assaut du ciel avec une morgue et une rage qui me drainent sans pitié de mon énergie, mais l'exaltation que l'on ressent à cet instant est si intense que cela semble un bien faible prix. Même hier mon incantation n'était pas aussi puissante : trop risqué avec tant de gens autour… Mon cri d'allégresse reste emprisonné dans ma poitrine, mais la créature infernale me prête sa voix et son rugissement sauvage envahit soudain l'espace tandis que sa chaleur se répand. Comme une flèche incandescente, sa silhouette transperce soudain le couvercle des nuages, les faisant tourbillonner sur son passage. Il se forme dans le ciel un trou immense par lequel se déverse une étrange lumière dorée au moment où Engokuki disparaît définitivement de ce monde.

Le cercle parfait ainsi délimité dans le ciel ne semble pas vouloir se refermer malgré le bouillonnement impétueux des nuages à sa périphérie. On dirait les vagues déchaînées d'un océan qui serait suspendu la tête en bas dans l'espace… Impression étrange qui confine au vertige. Mon corps vidé se laisse tomber dans l'herbe haute. J'ai encore l'impression de flotter, mais le contact de la terre à quelque chose de solide et de rassurant, sous moi. Le sang pulse dans mes oreilles et son rythme hypnotique fait doucement sombrer ma conscience.

J'entends des pas sur l'herbe. Ils se rapprochent. Pourtant je m'abandonne quand même à la torpeur qui m'a saisie sans aucune inquiétude. Je sais déjà qui c'est.

oOo

Kougaiji tomba plus profondément encore dans les eaux profondes du sommeil sans réellement s'en rendre compte. Mais il le sentit arriver pourtant, avec le même froid glacial qui semblait tomber sur son âme à chaque fois : ce n'était pas le cauchemar qu'il redoutait le plus. Celui avec les cadavres de ses amis qui le fixaient de leurs grands yeux vides était bien plus terrifiant. Mais celui-là faisait aussi partie des plus éprouvants.

C'était le noir, le néant, l'essence même de la solitude. Le même sentiment qu'il avait ressenti au pire de son enfermement. Ce moment où la corde raide de la raison se met à tanguer si violemment que l'on se met à douter de l'existence même du monde du dehors, tandis que les ténèbres s'épaississent au point de vouloir l'étouffer. Il ne sentait plus son corps, il ne se sentait plus respirer, même les battements de son cœur n'étaient plus qu'un lointain écho erratique. Seuls quelques éclairs de douleur le traversaient encore. Les ténèbres tentaient de se créer un passage en lui, jusque dans les moindre de ses fibres, comme pour le dissoudre. Comme chaque fois, il sentait sa conscience voler en éclats sans qu'il puisse rien faire, et il savait que dans quelques secondes il ne serait plus rien. Comme s'il n'avait jamais existé. Pire, il ne se souviendrait même pas avoir existé. Maintenant, même la souffrance disparaissait, bâillonnée elle aussi par la noirceur.

Puis apparut une sensation qui perçait les ténèbres de son aiguillon. Tellement éphémère, tellement légère… Mais il la sentait pourtant… Il était… Quelque part son corps existait encore.

Il se tendit vers la chaleur. S'il y avait de la chaleur peut-être que la lumière n'était pas loin. Il tenta de s'y accrocher de tout son être. Si seulement il avait encore ses griffes… À un moment, il réalisait presque ce que c'était que cette caresse qui réchauffait son être, qui le protégeait de sa propre disparition… C'était…

Plus rien. Il se sentit tomber dans le vide, sachant qu'il ne toucherait jamais le sol. La chute était sans fin…

Il n'avait plus rien à se raccrocher, à quoi bon crier ? Si le monde n'existait plus qui serait là pour l'entendre ? Il n'y avait plus personne… Personne… Seulement un vague souvenir… Quel était son nom ?

Doku ?

Plus de silence : appelle mon nom et je te répondrai toujours… C'est ce que le bretteur lui avait dit, il y a… tellement longtemps… Il ne lui aurait pas menti n'est-ce pas ?

« Kou ! »

Doku ?

« Kou, tu m'entends ? Je suis là… Bon sang, ouvre les yeux ! »

Ses yeux s'ouvrirent. Le monde réapparut soudain, comme s'il n'avait jamais disparu. Il écouta Doku lui parler. Il répondit même, au bout d'un moment.

Une petite partie de lui continuait cependant de se demander quel était ce goût étrange qui s'attardait sur ses lèvres.

oo DOKUGAKUJI oo

Veille ou sommeil, la frontière est mince. Pas besoin d'ouvrir les yeux. Dans le brouillard de ma semi-torpeur, je sais déjà qu'il n'y a plus personne dans la pièce. Je connais la sensation et je la déteste. Pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir que Kou est parti. Comme à chaque fois qu'il fait ça, s'éclipser sans prendre la peine de me dire où il va, c'est la même angoisse qui m'envahit. Il n'a jamais compris, et même le fait d'être son garde du corps ne lui semble pas une raison suffisante pour expliquer mon appréhension. Pourtant, combien de fois m'a-t-il vu retourner le château sens dessus dessous pour le retrouver ? Combien de fois m'a-t-il vu faire irruption dans ces réunions en huis clos où l'on n'avait pas juger utile de me convier ? Il pourrait t'arriver n'importe quoi sans que je le sache, je n'arrête pas de lui répéter. Il soupire et souligne qu'il sait se défendre. C'est tout. Mon esprit brumeux essaye de se mettre en branle, où peut-il être ? Mes yeux cherchent à s'ouvrir alors que mon corps est encore engourdi. Une faible lueur attire mon regard. Une minuscule bougie allumée laissée intentionnellement près de ma couche. Venant de Kou, c'est comme un message :

Pas besoin de me chercher, tout va bien, je reviens bientôt…

Ce motif d'inquiétude ayant disparu, je peux laisser mon esprit vagabonder quelques instants encore, alors que je ne suis pas tout à fait sorti de mon état de somnolence… C'est toujours à se moment-là que me viennent les réflexions les plus étranges. Mes yeux mi-clos restent fixés sur la minuscule flamme qui se dresse avec fierté devant moi… Droit comme un « I », ça ne veut rien dire. Kou, lui, il se tient… Droit comme une flamme. Droit comme la flamme de cette bougie dans une chambre close. Appuyé sur un coude, je reste un instant à rêvasser en fixant la flammèche. Le charme se rompt quand mon soupir amusé par cette pensée la fait soudain trembler.

C'est idiot de croire aux présages, hein ? Je n'ai pas aimé ça du tout. Comme si cela annonçait un danger planant sur la tête de Kougaiji. C'est mon souffle qui a fait ça… Et si par ma faute quelque chose lui arrivait, aujourd'hui ? C'est stupide d'avoir ce genre d'idées, diront les gens normaux. Ces gens-là n'ont pas voyagé seul pendant des mois. Ils n'ont pas laissé les pensées les plus absurdes rouler et rouler encore comme de minuscules cailloux dans leur tête, prenant pour prétexte les moindres accidents de la nature, les moindres incidents de parcours, pour en tirer les conclusions les plus farfelues sur ce que serait la journée juste entamée. Juste en espérant que les auspices soient favorables pour celui qui voyageait sans but. Car survivre un jour de plus était déjà un exploit en soi. Alors peu importe le message rassurant de Kou : il faut que je sache où il est. Quitter la chambre, échanger quelques mots avec Ririn et Yaone au détour d'un couloir. Et prendre un dragon. Je ne sais pas quelle serait la réaction de Kougaiji s'il apprenait que j'ai dressé ma monture à retrouver la sienne…

J'aurais dû me douter que je le trouverais là. Il croit encore que j'ignore cette étrange obsession qu'il nourrit pour la magie et l'endroit qu'il choisit parfois pour s'y adonner, et que je ne sais pas à quel point il en a parfois besoin. Il m'avait emmené ici, une fois : on appelle ce lieu les Champs Boréens. Quand le vent souffle et que les longues herbes ondulent, de grandes vagues argentées et vertes semblent rouler sur la prairie. On dit que c'est l'effet du galop des fils de Borée, un dieu du vent (je ne lui ai pas demandé dans quelle mythologie), qui fait se ployer ainsi les herbes, m'a-t-il expliqué un jour.

« C'est à Ririn que tu devrais raconter ça. Elle adore les histoires. » avais-je répondu.

« Mauvaise idée, parce que j'aurais à lui expliquer pourquoi les fils de Borée sont figurés sous la forme de chevaux. La mythologie, c'est comme des cours de débauche, et pour ça, Ririn a déjà sa mère… » avait rétorqué Kou avec un sérieux du plus haut comique.

J'ai juste eu le temps de voir les derniers éclats d'Engokuki se dissipant dans l'éther. J'imagine déjà Ririn en train de demander à son frère pourquoi il y a un trou de beignet au milieu des nuages. Kougaiji est là, allongé dans l'herbe. Encore quelques pas et je serai à sa hauteur. Sa respiration est calme et régulière, on dirait qu'il dort. Je me suis encore inquiété pour rien. Il ne me reste pas grand-chose d'autre à faire que m'asseoir à proximité et attendre qu'il se réveille. Le nez en l'air, je constate que le trou dans les nuages se résorbe lentement. Bientôt, les quelques rayons dorés qui me réchauffaient encore légèrement vont disparaître.

Kou ne bouge toujours pas. Mais presque inaudible, un gémissement sourd s'échappe de ses lèvres. Ma main posée sur le sol se crispe sur les brins d'herbe. J'ai le réflexe idiot de m'incliner vers lui comme pour mieux entendre. Je n'envie pas Kou. À croire que ces cauchemars se tiennent perpétuellement en embuscade dans un recoin de son esprit, attendant la première occasion pour tourmenter son sommeil… Une fois encore je suis complètement inutile.

C'est faux. La plupart du temps, ta simple présence les fait fuir.

Si seulement c'était vrai…

Ça doit être un don que tu as…

J'en doute. Est-ce que ma présence semble le protéger, là ? Je ne suis même pas sûr que le réveiller puisse être la solution. Je me penche encore davantage, même en sachant que je ne peux rien faire. Ma main se pose sur sa pommette. Si seulement je pouvais lui faire sentir qu'il n'est pas seul… Peut-être qu'il sait, finalement. Dans son inconscience, son visage se tourne légèrement vers moi. Sa main se porte inconsciemment vers ce point de contact. Peut-être engourdie par le sommeil, elle n'a pas de réflexe de préhension mais le dos de sa main et ses jointures font maladroitement contact avec la mienne. Je ne sais pas quel est l'instinct stupide qui me fait poser ma bouche sur la sienne. Comme hier soir, ce n'est guère plus qu'un simple effleurement. Ou pas. Ses lèvres s'ouvrent soudain, comme s'il cherchait à prendre une goulée d'air. Ce qui n'était qu'un simple contact se transforme vite en un véritable baiser. Est-ce que ça vaut le coup de risquer de se faire réduire en cendres, s'il se réveille maintenant ?

Hooo, oui.

Avec une volonté propre qui confine au désespoir, son autre main se pose sur mon flanc, s'accrochant de toutes ses forces comme si j'allais disparaître, ses griffes s'enfonçant profondément dans ma chair au travers du tissu. Mon léger cri de douleur s'étouffe dans sa bouche. Malgré la douleur, malgré la sensation étrange du sang tiède qui commence à perler sur ma peau, ma main libre se glisse sous le col de sa veste, cherchant sa peau brûlante, repoussant le cuir qui dissimule son épaule…

Kami-sama, qu'est-ce qui ne tourne pas rond, chez moi ?

C'est à ce moment que je m'écarte presque avec brusquerie de Kougaiji, mon souffle encore court de ce qui vient de se passer. La première personne (la seule personne) avec qui j'ai jamais eu des rapports charnels était ma mère. Et voilà que celui que je désire me rappelle mon frère…

Ce n'est qu'un enfant. Même s'il est fort, même s'il est courageux…

Ou, du moins… me rappelait mon frère… C'est étrange. Depuis que j'ai revu Gojyo, tout a changé… Un Gojyo qui est vivant. Qui a grandi (même sans moi) et est devenu une autre personne. Est-ce que c'est ce dont j'avais besoin pour faire clairement la différence ? Je commence enfin clairement à la voir, autant celle qui existe entre leurs deux personnes qu'entre les sentiments que je leur porte à chacun… Kami-sama. Il est absolument clair que je n'aime pas Kou comme j'aime Gojyo. C'est la première fois que j'accepte clairement de prendre conscience du fait. Savoir était une chose. L'accepter en était une autre jusqu'ici. Tout en me morigénant, je m'étais souvent demandé depuis combien de temps je regardais Kou avec ces yeux-là. J'ai été plus que stupéfait aujourd'hui de réaliser que cela a sans doute toujours été le cas. Dés le premier jour. Invariablement, dès que Kou se trouve dans une pièce, c'est lui que je suis des yeux. Peut-être que c'était plus facile avant, de me persuader qu'il s'agissait simplement de mon devoir de veiller sur lui.

Mes yeux se posent à nouveau sur mon prince endormi. Quelque chose de ne va pas avec Kougaiji. Sa respiration qui s'était tout à coup douloureusement emballée au moment où je m'étais écarté de lui s'est ensuite faite irrégulière. Elle semble maintenant s'être totalement… arrêtée. Sa cage thoracique ne se soulève plus. Aucun souffle ne semble plus animer son corps. Ma peur se réveille instantanément, formant un poids presque tangible dans ma poitrine.

« Kou ! »

Mon sang est froid comme la glace dans mes veines. Est-ce que c'est ça qui rend mes doigts tellement faibles au moment où je saisis Kou par les épaules ? On prétend que l'on peut infuser de la force aux gens que l'on aime, rien que par le contact… Mais c'est faux ! Il refuse de me répondre, de revenir… Malgré mes supplications. Encore une fois, je me retrouve agenouillé à ses côtés et aussi inutile que si je n'étais pas là.

« Kou, tu m'entends ? Je suis là… Bon sang, ouvre les yeux ! »

Un frémissement de paupière un instant avant qu'il ne prenne une profonde inspiration. Seigneur que j'aime ce regard violet, je pense avec soulagement en le voyant enfin revenir à ses sens…

Maintenant, il faut parler. Dire n'importe quoi pour le faire reprendre pied ici et maintenant, et oublier ma propre terreur. Et surtout ne rien laisser paraître, que ma voix ne révèle rien de la frayeur qu'il m'a faite. Adopter ce ton de légère moquerie qui l'énerve prodigieusement… Et…

« Et comme je sais ce que notre bel angoissé (un sourcil levé de mon prince, ça marche déjà) se demande toujours aux moments les plus improbables : Ririn va bien, Yaone va bien, et ton serviteur (feinte courbette de ma part), comme tu peux voir va bien ! »

J'enchaîne en le relevant d'une main secourable comme si de rien n'était :

« Tu ne connais pas la dernière. Ririn a décidé de passer la journée avec Yaone pour se faire pardonner et d'être sage comme une image. Je les ai croisées en chemin… »

Ça y est, il est enfin assez revenu à la réalité maintenant pour me donner une réponse autre qu'un vague hochement de tête.

« Hm. Sage comme une image. À la manière de Ririn. Pauvre, pauvre Yaone… » commente Kou avec un léger sourire en coin.

Lui aussi, il sait ce que ça signifie. Avant la fin de la journée, Yaone aura trébuché au moins une trentaine de fois sur la gamine, sera presque sourde de toutes ses questions incessantes, et, dans son cas particulier, devra faire très attention à ce que Ririn ne mette pas la main sur les explosifs qu'elle garde dans son labo. Très reposant, tout ça…

Kougaiji pose un instant son regard sur moi ; il n'a même pas l'air surpris de me trouver à ses côtés à son réveil. Puis il se tourne vers la forêt où mon dragon fait maintenant la sieste à côté du sien. Tout en commençant à se mettre en marche, il me fait signe de le suivre. Un instant, il a semblé se concentrer sur l'air qu'il respirait avant de déclarer tranquillement :

« Il va pleuvoir, c'est un peu ma faute, j'ai dû déranger les nuages… Il vaut mieux gagner l'abri des arbres, en bas. »

Comme tout youkai de feu qui se respecte, il prend de l'eau tombant du ciel comme une insulte personnelle. Je m'empresse de le rattraper pour atteindre le bas de la pente en même temps que lui.

« Et c'est prudent d'aller sous les arbres, si jamais la foudre tombe ? »

« Je n'ai pas dérangé le climat à ce point ! » réplique-t-il d'un ton faussement scandalisé.

Les premières gouttes qui frôlent ma peau sont étrangement tièdes. Avec un léger goût de soufre. Je me demande si ce sont les restes d'Engokuki qui nous retombent dessus… Peut-être que la Nature se venge… D'une main, Kougaiji a le geste d'essuyer quelques perles de pluie sur son visage. Il remarque le liquide rouge qui macule encore ses ongles. A le réflexe vaguement animal de porter à ses lèvres sa main ensanglantée comme pour goûter le liquide. Il tressaille. Il vient de s'apercevoir que ce n'est pas son sang. Son regard d'aigle se porte aussitôt sur moi. Pas le temps de me détourner assez vite. Sur mon flanc, il a vu la tâche en train de s'agrandir sur le tissu blanc.

« Doku ? C'est moi qui t'ai fait ça ? » murmure-t-il d'une voix blanche.

Il n'attend pas ma réponse, il plisse légèrement les yeux, comme pour essayer de se rappeler. Quand il porte à nouveau la main vers sa bouche, ce n'est pas mon sang sur ses griffes qui l'intéresse. Pensivement, il effleure ses lèvres. Quelque chose passe dans son regard. Comme un éclair de soudaine compréhension.

Kuso. Il sait.

Et quelque chose me dit que je ne suis pas aussi gêné que je devrais l'être. Pourtant les secondes semblent s'allonger indéfiniment. Son regard est perdu dans le vague, mais je n'ose pas le tirer de ses pensées.

« Pourquoi ? » demande-t-il enfin, simplement.

Allez répondre à cette question ! Il vaut mieux éluder…

« Hm. C'est aussi ce que je me suis demandé… Hier soir. »

Ce léger sarcasme le fait tressaillir. Il pousse alors un long soupir découragé.

« Je ne sais même pas comment on en est arrivé là… »

Là, la réponse est évidente, pourtant…

« Kou. Six ans d'intimité, ça doit créer des liens, je suppose. »

« Hm. »

Je ne sais pas si cela veut dire que l'explication le convainc, ou si simplement il ne sait pas quoi dire. Maintenant que nous avons atteint l'orée de la forêt, de même que le tintement métallique de ses bijoux quand il marche, le son de notre conversation semble plus étouffé. Il m'a à nouveau légèrement précédé. En regardant son dos, c'est brusquement plus facile de lui parler. Ses trois longues mèches humides sont collées au cuir noir de sa veste. J'ai une envie folle de tendre la main pour les démêler en même temps que les mots affluent.

« Quand tu m'as pris avec toi, tu ne m'as jamais rien demandé… Alors pour compenser, j'ai essayé de te donner tout ce que tu voulais bien accepter de moi… Et plus le temps passe, plus je me suis aperçu que j'agissais de manière purement égoïste. »

Son pas ralentit légèrement. Peut-être que ça veut dire qu'il m'écoute. De toute façon, nous allons bientôt atteindre nos dragons, et après je n'aurais plus le temps de parler… Il faut bien poursuivre :

« Parce que je t'avais trouvé et que je voulais te garder, je me suis abstenu de te dire tout ce que j'étais prêt à donner en espérant que tu t'en rendrais compte tout seul. Alors, Kou, pour une fois, j'aimerais que tu me dises vraiment ce que tu veux de moi. Parce que moi, je sais exactement ce que je veux. »

Il stoppe brusquement. Sa tête se penche légèrement vers moi sans qu'il se retourne vraiment. Je ne peux même pas voir ses yeux.

« On ne peut pas avoir tout ce qu'on veut à Hôto. »

Son ton monocorde est celui de quelqu'un qui ne se fait plus d'illusions. C'est un ton qui me révolte.

« Bon sang, je ne te demande pas de me dire ce qui est raisonnable Kougaiji ! »

Au lieu d'être perturbé par mon éclat de voix, il me fait maintenant face. Il y a quelque chose de déstabilisant dans son regard.

« Mais… On n'est plus à Hôto ici… » souffle-t-il avec une légère incrédulité dans la voix, tandis que son regard se fait soudain étrangement spéculateur…

C'est là qu'il montre réellement la puissance de son sang youkai dans ses veines… Il n'y a qu'un pur youkai pour bouger avec cette grâce animale et languide qui imprègne ses moindres mouvements. Il s'approche d'abord presque prudemment. Mais son geste est plein d'assurance quand ses mains se posent sur moi. Je n'ose pas comprendre. Mon bras se tend vers l'arbre le plus proche, comme pour y chercher soutien.

« Doku ? »

Je réalise que c'est une permission qu'il me demande doucement. Mon visage se penche de lui-même vers lui en réponse. Il est souple comme une liane. Essayer d'étreindre son corps, c'est comme essayer de se saisir d'une flamme à mains nues. Il n'a pas besoin de se battre pour la dominance du baiser : elle lui vient naturellement, je ne peux rien y faire. Il m'envahit littéralement, je n'ai jamais connu ça… Sa langue se fait tour à tour curieuse puis taquine, audacieuse puis câline…

Comment est-ce que j'ai pu croire une seconde qu'il était encore un enfant ?

« C'est ça que tu voulais ? » me demande-t-il.

Dans ses yeux aux pupilles agrandies, on lit pourtant une réelle interrogation, voire même l'ombre d'un doute. Ils sont devenus étrangement sombres, le désir y est une vivante flamme qui couve dans ses prunelles. Alors lui aussi il la sent cette ivresse des sens… Auparavant, je n'ai vu cela qu'une fois dans ses yeux, et c'est Engokuki qui l'avait provoqué, mais qui a encore besoin de la magie après ça ? Je ne peux que hocher la tête, tandis que mes mains s'emparent de son visage pour l'attirer une fois encore vers moi jusqu'à que nos souffles se mêlent…

« Alors, épuise-moi. » a-t-il juste le temps de murmurer avant que ce soit mon tour de prendre possession de lui.

Fais-moi oublier, onegaï…

Ces mots remontent du fond de mes souvenirs, résonnent dans ma tête. Comme nous avons été aveugles, tout ce temps… Depuis quand cherchions-nous l'un et l'autre ce réconfort mutuel ? Ce n'est qu'un pas de plus sur le chemin que nous avons commencé à parcourir, il y a des années. Il n'est pas besoin de s'arrêter pour donner un nom à chacun de ces pas quand on avance dans la même direction… Je n'ai pas besoin de lui dire que…

oOo

Le lointain écho de la pluie me berce de sa douce rumeur sur la lointaine canopée des séquoias millénaires, au-dessus de nos deux corps enlacés et à l'abri sous les épaisses frondaisons… C'est bien… Un sanzo-ikkou mouillé est un sanzo-ikkou qui ne voyage pas vers l'Ouest… J'ai tout mon temps devant moi…

« Tu te rends compte que si on l'apprend ça va être l'enfer ? »

Mais jouir de l'instant présent est un concept qu'il faut vraiment que j'explique à Kougaiji…

« On ? Tu veux dire Gyokumen ? » Je trouve le courage de répondre, même à contrecœur.

« Iie. Ririn… Elle ne va plus nous lâcher… »

Mon rire éclate dans les sous-bois, il n'en peut plus d'enfler… Troublés, nos dragons qui ne sont pas très loin se mettent à battre furieusement de la queue.

Avec un soupir philosophe, Kougaiji pose ses lèvres sur les miennes, trouvant le seul moyen de me faire taire…

oOo OWARI oOo

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