Encore une de ces
foutues journées sur cette foutue île. Mais aujourd'hui
n'est pas un jour comme les autres, et oui c'est mon anniversaire
! Ça c'est le pied, j'espère que grand-mère
a pensé à ma collection. J'ai douze ans aujourd'hui,
mais je ne suis plus un gamin attention ! Pour tous les jeunes
garçons, le jour des douze ans est un jour exceptionnel. Ca
vient d'une de ces vieilles légendes qu'on se raconte au
coin du feu en mangeant de la soupe. Laissez-moi vous la raconter.
Au début des temps, était une terre, Hyrule. Un
jeune garçon de la forêt, Link le Kokiri, le jour de ses
douze ans a été désigné pour la plus
périlleuse des quêtes. Le mal envahissait inexorablement
le pays, et ce jeune garçon, après bien des aventures,
a défait Ganondorf le seigneur du malin et a sauvé
Hyrule. Une période de paix et de prospérité a
suivi. Link le Héros du Temps fut honoré et on batit un
immense palais à sa mémoire. Car nul ne sait ce qu'il
est devenu après sa victoire.
Ce qui me plait dans cette
histoire c'est que je m'appelle Link aussi, bref j'ai tout du
héros ! Et comme j'ai douze ans aujourd'hui et bien on va
m'habiller comme lui. Une tenue verte un peu trop épaisse
avec une capuche. C'est d'un ringard ! Ça vaudra mieux que
mon pyjama remarquez…Et puis c'est juste pour la journée,
faisons honneur à la tradition.
« OOOYYY !
»
Tiens voilà ma petite sœur, elle s'appelle
Arielle, comme la lessive de grand-mère. Je l'aime bien sauf
qu'elle a toujours une ribambelle de mouettes avec elle. Alors
forcément elle doit souvent nettoyer son pyjama, d'où
son prénom.
« OOOYYY ! »
Je ne l'aime
pas non plus quand elle hurle comme ça, mais tant qu'elle ne
touche pas à ma collection de pinces à linge ça
va. Là je supporte pas.
Réveille-toi grand frère
chéri ! Grand-mère veut te voir !
Oh je dormais pas,
t'as pas touché à mes pinces à linges j'espère
?
Meuuuuh non, voyons…
Lui lançant
un regard plein de méfiance, je descendis prestement de la
tour de guet. Combien d'heures ai-je passé ici à
réfléchir sur le sens de mon existence. Mais je
m'endors toujours avant de trouver la réponse. Encore plongé
dans mes réflexions je n'ai pas vu la déjection
qu'avait laissé sur le barreau de l'échelle, une
des mouettes de ma petite sœur. Mon pied dérapa.
Par
chance, j'ai aterri sur le ponton, si j'étais tombé
dans l'eau j'aurai eu à changer de pyjama.
Ihihihihiih
!
Bien sûr toi ça te fait rire !
Ben oui
!..
C'est qu'on s'amuse bien entre frère et sœur.
C'est donc en boitant que j'ai traversé le village, en
saluant au passage les quelques habitants. Je fis signe à
Hydrie, notre voisine, c'est une personne que j'aime vraiment
beaucoup. Elle est si jolie ! Enfin, j'arrivais à la
maison ; j'entrai sans tarder.
Salut mémé, je
viens pour le carnaval !
Je suis dans la mezzanine !
Comment
t'es grimpée là haut ?
C'est grâce à
la soupe.
Grand-mère me donna la tenue verte, j'étais
fou de joie : J'avais douze ans et j'étais habillé
comme un héros d'antan : j'allai pouvoir me la péter
grave ! En plus mémé allait faire de la soupe pour tout
le village, y aurait une de ces fêtes ce soir ! J'inviterai
Hydrie à poser son pot, et on dansera un slow sur le Chant de
Saria…Allons narguer soeurette !
Je grimpais les dix mètres
d'échelle, et, enfin au sommet de la tour de guet, je
m'essuyais discrètement les mains sur le pyjama d'Arielle,
car les barreaux étaient encore souillés.
OOYYY !
Ça te va bien le vert, ça fait crapaud, c'est pas
trop chaud ?
Bouarf…
Tiens comme c'est ton anniversaire je
te prète ma longue vue pour la journée !
Bah si ça
peut te faire plaisir…
J'eus subitement une idée. Je
vins me placer à coté de ma sœur qui regardait
l'horyzon depuis la rembarde.
C'est si gentil à toi
d'avoir pensé à mon anniversaire ! je vais regarder
les îles là-bas…
Bah c'est normal, t'es mon
grand frère chér…OOYYYYYYY !
Je pris soin
d'envoyer ma petite sœur par-dessus la rembarde. Elle tomba dans
l'eau dix mètres plus bas.
SCHHPLOUUUUFFFFFF !
Et
merci pour la longue-vue, je vais te regarder nager!
T'es vilain
!
Soudain le ciel se couvrit. J'aperçu au loin un immense
oiseau. Il tenait dans ses serres quelque chose, ça
ressemblait à une pince à linge. Je voulais en avoir le
cœur net. Il était poursuivi par un bateau pirate qui lui
tirait dessus. Un des boulets obligea l'oiseau à lâcher
la pince à linge, qui tomba dans le petit bois au sommet de
l'île. Je savais ce qu'il me restait à faire.
J'espérais en moi-même que cet oiseau ait fait ses
besoins avant de s'envoler, j'en avais assez avec les mouettes de
ma sœur. Décidément elle attirait tous les oiseaux.
Il
me fallait une arme pour explorer le petit bois. Je partis voir Orco,
le vieux maitre d'arme. Il m'offrit grâcieusement une épée
et me proposa de m'entraîner avec lui. Je jugeai la chose
inutile, car le héros c'est moi, mais devant son insistance
nous échangeames quelques coups. Je le décapitai par
inadvertance et, bien embarassé, je prévins son frère
qu'Orco semblait avoir perdu la tête.
Je partis vers le
bois comme si ne rien n'était, et je me fis la main en
égorgeant quelques cochons. Ça ferait de la viande pour
la fête de ce soir. J'en laissai un vivant toutefois, qui
aurait du être la part d'Orco. Je n'aime pas le
gâchis.
Plus décidé que jamais à
agrandir ma collection de pinces à linges, je traversai le
pont surplombant le village, en direction de la forêt. C'est
alors que j'aperçus une jeune pirate accrochée à
la branche d'un arbre. Dire que je l'avais prise pour une pince à
linge ! Déçu, je m'apprêtais à faire
demi-tour, quand un Bokoblin se présenta devant moi. Je
dégainai. Il se rua sur moi mais j'évitai avec grâce
et malice chacune de ses attaques. Ses coups fendaient l'air sans
jamais me toucher. C'est alors que, devinant une ouverture dans les
défenses de mon ennemi, je fendis en deux le crâne du
Bokoblin d'un geste majestueux, mon épée n'étant
stoppée que par le plombage que mon adversaire avait à
l'unique molaire inférieure qu'il lui restait.
La
branche qui retenait la jeune fille pirate céda sous le poids
excessif de celle-ci, et elle tomba dans la mare de sang et de
cervelle qui s'écoulait du cadavre encore tiède de
celui que j'avais si héroiquement pourfendu. C'était
si drôle !
Un de ses compagnons pirates vint nous rejoindre
et ria avec moi, puis nous ressortîmes tous trois des bois. Ma
sœur m'attendait de l'autre coté du pont.
Il y eut
comme un éclair dans mon esprit. Là, dans la poche du
pyjama de ma petite sœur, quelque chose dépassait. C'était
une pince à linge. La plus belle pince de ma collection !
Pinçouille ! J'avais tant d'affection pour Pinçouille…elle
me l'avait piqué par vengeance pour l'avoir envoyé
à l'eau !
Arielle traversait le pont et j'avais bien
l'intention de la pousser dans le vide, quand le grand oiseau,
sorti de nulle part, la pris entre ses serres et l'emporta dans le
lointain. Arielle avait échappé à ma colère
grâce à son nouveau copain oiseau, et Pinçouille
était désormais portée disparu…
Perdu dans mes
pensées, je rejoignis le village en laissant les deux pirates
retourner sur leur bateau. Déjà, on préparait
les funérailles d'Orco.
Ça y est je l'ai trouvé
!
Que se passait-il ? J'aperçus le frère d'Orco
au loin, il tenait quelque chose dans la main.
Tiens, on a une
belle journée, einh Link ?
Mouais, dis-je pensivement.
Qu'avez-vous trouvé ?
Oh, c'est simplement que la tête
d'Orco a disparu mystérieusement, je pensais l'avoir
trouvé mais ce n'était qu'une tête de truie.
L'émotion vous aura fait confondre…c'est si triste
de perdre un frère. J'ai de la chance, je n'ai qu'une
sœur !
Oui, je me demande vraiment comment cela a pu arriver.
Mais bon, nous ne nous entendions plus très bien lui et moi…
J'allai rejoindre
la maison de grand-mère quand un cri me fit sursauter :
Ouais
! Strike !
Là, derrière la maison d'Orco, le
petit morveux du village jouait au bowling avec la tête du
maitre d'arme. Des pots lui servaient de quilles. J'étais
rouge de colère !
Hey mais ça va pas ? Ce sont les
pots d'Hydrie ! Mal élevé ! On ne t'a pas appris le
respect ?
Beuh ! Snirfffffl…
Je redressai les pots un à
un délicatement, puis je pris la tête d'Orco par les
cheveux pour la lancer à son frère.
Attrape !
Mince,
raté !
Je le regardais courir après la tête,
il la rattrapa bien vite, puis il alla la déposer dans le
cercueil de son frère.
Bonjour à tous, habitants de
l'île de l'Aurore !
Tiens, bonjour facteur, quelles
nouvelles ?
Oh…
Sa mine s'assombrit.
Vous êtes
certainement au courant de ces rumeurs de kidnapping…il est certain
aujourd'hui que ce ne sont pas de simples rumeurs. Deux fillettes
ont disparu sur Mercantîle. Des témoins ont vu un
immense oiseau les emporter. On dit qu'elles sont faites
prisonnières dans la forteresse maudite.
Un immense oiseau
?
LINK !
Grand-mère accourut vers moi. Elle essuya
le filet de soupe qui lui coulait de la bouche. Arielle était
introuvable, et il n'y avait plus une seule mouette dans l'île…j'en
arrivais malheureusement à l'horrible conclusion que ma sœur
avait été kidnappée par cet oiseau. Rien ne
pouvait me fendre davantage le cœur, car elle avait Pinçouille
dans sa poche. Je devais aller à la forteresse maudite à
tout prix. Je pris le bouclier qui ornait la mezzanine. On trouvait
ce bouclier dans chaque maison car la tradition le voulait, en
mémoire au Héros du Temps. Ainsi armé, il ne me
restait plus qu'à trouver un moyen de quitter l'île.
Ma première idée fut de partir à pied mais
je compris vite que c'était impossible. Je sentais peser sur
moi le poids de la fatalité, quand je me souvins du bateau des
pirates.
Je fis mes adieux à grand-mère, lui
promettant de retrouver Pinçouille, et tant que j'y étais,
Arielle. Je profitai d'un moment où elle avait le dos tourné
pour lui prendre toutes ses économies, et pour mettre la tête
de truie, qui commençait à m'embarrasser, dans la
marmite de soupe. Je me dirigeais vers la plage quand Hydrie
m'interpella :
Alors comme ça tu t'en vas
?
Gueuuuu…
C'est si courageux !
Gueuuuu…
Reviens-nous
vite…Je te fais don de ce collier, il te portera chance, mon petit
Link.
Je prie le collier d'Hydrie. Il était fait des plus
jolis coquillages de l'île. Le coquillage central était
orné d'un saphir du même bleu que les yeux d'Hydrie.
Je laissai Hydrie rentrer chez elle, et déjà j'aurai
aimé que ce soit le jour de nos retrouvailles. Je dois avouer
qu'elle m'intimide un peu. Elle est si jolie ! Mais je me
sens bien à ses côtés.
Les pirates étaient
prêts à lever l'ancre. Je fis au plus vite pour
grimper à bord. L'équipage ne semblait pas heureux de
me voir.
Si tu veux voyager avec nous il faudra que tu travailles
à bord.
Je suis un héros et les héros ne
travaillent pas.
Si tu étais le Héros du Temps, ça
se saurait !
Tous s'esclaffèrent, et la jeune pirate la
première.
Allez nettoie le pont ! Va éplucher des
noix pour la soupe !
Mon sang ne fit qu'un tour. Excédé,
je les jetais tous par-dessus bord pour avoir la paix. Après
tout, j'avais seulement besoin d'un bateau. Je découvris à
ma grande surprise que les pirates ne savaient pas nager. Ils se
noyèrent tous les uns après les autres. Il ne restait
que la jeune pirate. Je décidai de l'attacher en haut du
mât, car elle pourrait toujours servir.
Le vent s'engouffra
soudain dans les voiles. Le bateau quittait lentement le rivage.
Voyant le cerceuil d'Orco flotter à quelques dizaines de
mètres de moi, je le pris pour cible pour m'entrainer à
tirer avec les canons du bateau pirate. L'île de mon enfance
s'éloignait de plus en plus. J'entendais au loin comme des
applaudissements alors qu'un de mes boulets faisait mouche. Ou
étais-ce simplement le bruissement des vagues ? Les
minutes passèrent et je n'entendis plus rien. A part les
cris de la jeune pirate bien sûr.
L'après midi
touchait à sa fin quand j'ai débarqué sur
l'Île de la Pantoufle. Je décidai d'y passer la
nuit. L'auberge n'est pas trop chère et il y a de la soupe
à volonté. Demain, je tâcherai de rejoindre la
forteresse maudite. Mais d'ici là, j'aurai besoin d'une
carte de l'océan.
Avant de fermer les yeux, j'eus
comme l'impression d'avoir oublier quelque chose. Ce n'était
pas le petit morveux que j'avais enfermé dans la
porcherie…Non, ce devait être autre chose. Peut-être
n'était ce pas si important. Je m'endormis en pressant
contre moi le collier d'Hydrie.
