Chapitre 20

Un penny pour vos pensées

L'entraînement des Gryffondor venait tout juste de commencer lorsque Malefoy vint s'installer au milieu des gradins, entouré de quelques autres Serpentard. Hermione, un peu plus haut, remarqua que sa cour n'était pas aussi fournie que l'année précédente. Les Serpentard lancèrent quelques lazzis quand Ron toucha le souaffle. Mais Luna, à la droite de Neville se mit alors à crier plus fort qu'eux pour l'encourager. Neville sifflait entre ses doigts pour couvrir le bruit des Serpentard. Hermione se sentait désolée de ne pouvoir participer. La marche jusqu'au terrain de Quidditch l'avait déjà fatiguée et la montée des tribunes l'avait achevée. Quelques marches plus bas, Dean et Seamus commentaient l'entraînement. Hermione les entendit avec plaisir formuler des appréciations positives sur le jeu de Ron. Effectivement, il avait pris plus d'assurance. Les cinq buts qu'il avait marqués lors du dernier match contre Serdaigle y étaient sûrement pour quelque chose. Il avait l'air radieux et lorsqu'il leur fit signe de la main, elle se força à lui répondre. Sa main retomba sur ses genoux sans force. Neville croisa son regard plein de larmes. Il lui sourit et serra ses doigts sans un mot.

Harry, un peu nerveux au début de l'entraînement, se détendit peu à peu. Les deux batteurs n'étaient pas très brillants mais ils n'étaient pas si catastrophiques que cela. Ils lui confièrent qu'ils s'étaient entraînés pendant les vacances afin de rester dans l'équipe qui allait certainement encore une fois gagner la coupe puisque Harry Potter serait de retour. Cela redonna confiance à Harry. Il rattrapa toutes les balles qu'on lui envoya et s'en donna à cœur joie sur son balai. Les Serpentard quittèrent l'entraînement avant la fin, sous les rires des Gryffondor. Ron et Harry débarquèrent de leur balai tout près de leurs amis.

- Harry a dit que je pouvais rester dans l'équipe, s'écria-t-il en montant les marches quatre à quatre pour venir s'asseoir à côté d'Hermione.

Seamus lui cria depuis sa place qu'il s'était débrouillé comme un chef.

- De toutes façon, dit Harry dans un clin d'œil à Neville, faut pas rêver, on ne retrouvera jamais un gardien comme Dubois !

Ron allait lui répondre quand il aperçut la main d'Hermione dans celle de Neville. Il oublia ce qu'il allait dire. Neville d'ailleurs lâcha la main d'Hermione pour tendre la sienne vers le balai de Ron.

- Un Brossdur, hein Ron ?

- Oui, fit Ron. J'aurai préféré un Nimbus, mais mes parents…

Il fit une grimace.

- Moi, je me contenterais bien d'un Brossdur ! fit Neville avec envie. Grand-Mère n'a jamais voulu m'en acheter. Elle avait bien trop peur que je me blesse parce que je suis…

- Si maladroit ! se mirent à rire Ron et Harry.

- Mais Oncle Algie, lui… Je vais lui dire que j'aimerais bien avoir un balai. Il m'en achètera un puisque Grand-Mère n'est pas là pour l'en empêcher. De toute façon, ça ne sera pas un bolide.

- Ce serait bien, dit Ron sérieusement. Comme ça, la prochaine fois qu'on aura besoin de sortir de Poudlard on saura comment faire.

Harry lui donna un coup de coude. Il désigna Hermione de la tête.

- Tu oublies, Ron, que je ne suis pas folle de vol en balai, rappela celle-ci dans une grimace.

- Tu n'auras qu'à venir avec moi, conseilla Neville. Je ne suis pas un fou de vitesse comme ces deux là ! On se rassurera mutuellement.

Hermione regarda ses mains. Elle tenait à peine debout. Comment tiendrait-elle sur un balai dont elle avait peur. Elle ne leur serait d'aucun secours, s'ils avaient à affronter à nouveau un quelconque danger. La voix de Neville parvint jusqu'à elle.

- Tu vas bien Hermione, demandait-il avec sollicitude.

Elle lui sourit.

- Tu le prendrais mal, si je t'embrassais sur la joue ? demanda encore Neville.

Elle se mit à rire.

- Tu te sens bien, Neville ? demanda Ron totalement ahuri.

- Très bien, Ron, merci, répliqua Neville. J'ai juste envie de dire à Hermione combien je suis heureux d'être son ami, de la savoir à nouveau parmi nous.

- C'est pas ce que tu viens de faire ?

- On ne dit jamais assez aux gens qu'on les aime, Ron, quand on a l'occasion de le faire. Tu peux me croire sur parole.

Hermione s'approcha de Neville et ce fut elle qui lui donna un baiser sur la joue. Neville se tourna vers Luna.

- Je t'aime bien aussi, Luna. Et je suis heureux d'être ton ami.

Hermione se pencha légèrement en avant pour apercevoir la jeune fille.

- Je crois que Neville voudrait un autre baiser, Luna, dit-elle.

- J'avais bien compris, Hermione. Merci.

Luna fixa un moment Neville. Ses yeux ne cillèrent pas. Elle embrassa le jeune Londubat à son tour. Neville leur offrit à tous un sourire heureux.

- Hé bien, je n'ai pas perdu ma journée ! leur dit-il.

Il se leva et tendit une main à chacune des jeunes filles. Elles la prirent et se levèrent également.

- A tout à l'heure ! s'écria Neville à Harry qui riait et Ron, complètement éberlué.

Et tandis que Neville et Luna aidaient Hermione à redescendre des gradins, Ron resta un moment à les voir s'éloigner, la bouche ouverte. Harry lui donna une bourrade pour ramener ses esprits vers lui. Ils commencèrent à descendre également, leur balai à la main.

- Parfois, soupira Ron, je me demande si Neville a toute sa tête.

Harry eut un sourire narquois.

- Il est bien plus malin que tu ne le crois, Ron.

Il désigna le jeune homme qui emmenait Hermione et Luna vers le château, chacune à un bras, tandis qu'eux-mêmes se dirigeaient vers les vestiaires.

- Qui a-t-on vu recevoir deux baisers devant tout le monde au milieu des gradins de Quidditch un samedi après-midi ? Et qui repart avec deux filles à son bras ?

- C'est Hermione et Luna, Harry ! Ce ne sont pas des filles !

Harry hocha la tête.

- Je crois que je commence à comprendre pourquoi tu n'as pas de petite amie, Ron…

- Parce que tu en as une, toi ? se moqua le jeune Weasley.

Harry sourit d'un air espiègle tandis qu'un groupe de jeunes filles les croisaient en gloussant. L'une d'entre elles interpella Harry et lui fit un signe de la main.

- A tout à l'heure ? demanda-t-elle.

- A tout à l'heure ! répondit Harry, qui réprimait un fou rire devant la tête de Ron.

- Qui est-ce ? demanda ce dernier.

- Isadora Marchinson.

- Isadoquoi Machinchose ? s'étrangla Ron. Elle sort d'où ?

- I-sa-do-ra Mar-chin-son ! articula Harry qui savait très bien que Ron avait fort bien entendu. Sixième Année Poufsouffle.

- Connais pas !

- Parce que tu ne prêtes pas attention, Ron.

- Elle doit pas l'attirer non plus ! Je sais que tu es myope, Harry, mais avoir une jolie fille à son bras c'est quand même plus drôle qu'un…

- Graphorn des Montagnes ?

Les oreilles de Ron rougirent brusquement.

- Isadora n'est pas un laideron, et elle a de très jolis yeux. Elle est tout le temps de bonne humeur. Et une fille qui sourit tout le temps, ça me changera un peu… ajouta-t-il un peu amer.

- Ne me dis pas que tu es encore amoureux de cette imbécile de Cho !

- Non, Ron. Ce n'est pas une question d'amour. C'est une question d'amour propre ! T'inquiète pas ! Ca passera !

- Mais tu n'es pas amoureux de cette Isadora !

- Pas encore, répondit Harry. Mais elle, elle m'adore !

Ron renifla devant la suffisance de son ami.

- C'est elle qui te l'a dit ?

- J'ai d'autre moyen de savoir ce qu'on pense de moi, Ron, insinua Harry.

Ron ouvrit la bouche et cessa d'avancer.

- Tu n'as pas fait ça !

- Je n'ai pas pu m'en empêcher ! s'excusa Harry. En ce moment, tout ce qui me manque c'est de me prendre une veste ! Alors tu comprends…

- Mais c'est un procédé digne d'un… Ron s'interrompit.

- D'un Serpentard ? proposa Harry. Moui… Tu vois moi au moins j'ai écouté le Choixpeau : je partage avec les Serpentard…

Ron revint à la hauteur de son ami.

- Hum ! fit-il. Tu voudrais pas lire dans les pensées d'Hermione pour savoir ce qu'elle pense de moi ?

- Désolé, Ron ! Je ne lis pas dans les pensées de mes amis !

- Seulement dans celles de tes petites amies ! se moqua Ron. Quand Hermione va savoir ça !

Harry se tourna vers lui vivement.

- Si jamais tu parles, Ron…!

Harry sourit d'un air innocent : "Tu crois qu'elle le prendrait mal si elle savait que tu l'as embrassée quand elle était endormie de son sommeil de sortilège ?"

Les oreilles de Ron devinrent écarlates. Il ne put répondre à Harry, ils arrivaient aux vestiaires. Ils enfermèrent leur balai dans le placard des Gryffondor et changèrent de tenue.

- Et si tu essayais de savoir ce qu'elle pense vraiment de Krum…? Chuchota Ron à Harry alors qu'ils reprenaient la route du château.

- Tu sais ce que moi j'en pense, Ron. Et Neville nous a donné sa façon de voir aussi. Si tu n'as pas compris, c'est que tu es vraiment… mais alors vraiment irrécupérable !

Ron ne dit rien. Il n'avait pas envie qu'Harry croie qu'il était irrécupérable. D'ailleurs, ça voulait dire quoi irrécupérable ? Et qu'est-ce qu'il avait fait Neville, à part se faire embrasser par Loufoca Lovegood et Miss Je-Sais-Tout Granger. Il rougit tout seul. Il se savait très injuste. Envers Hermione. Envers Luna. Envers Neville. Et même envers Harry.

- Bon, Ron, à tout à l'heure.

Harry lui fit signe de la main. Ron se retrouva bêtement tout seul, tandis que son ami s'éloignait avec Isadora Machinchose. Fallait-il être myope pour ne pas se rendre compte qu'elle n'avait rien d'extraordinaire ! A part ce regard d'admiration qu'elle posait sur Harry. Il trouva Neville, Luna et Hermione assis sur les marches du perron du château. Il prit place à côté d'eux. Neville s'enquit de leur ami.

- Il a un rendez-vous ! répondit Ron sarcastique malgré lui.

- Avec qui ? s'étonna Neville.

- Isatruc Machinchose ! marmonna Ron.

- Isadora Marchinson ? rectifia Neville en riant. De Poufsouffle ?

- Tu la connais ? interrogea Ron stupéfait.

- Toi aussi, Ron ! Nous avons eu des cours avec elle !

- Oui, mais c'étaient des cours de botanique, Neville, précisa Hermione d'une voix lasse. Et tu sais bien que Ron et les cours de botanique…

- Tu n'aimes pas la botanique, Ronald ? demanda Luna. Moi j'aime beaucoup la botanique… on peut faire des tas de choses avec les plantes. Elles ont des pouvoirs tellement fascinants…

- C'est fort possible… dit Ron. Et ça doit être vrai puisque Neville pense la même chose…Il a eu la meilleure note de la promotion en Botanique !

Luna tourna ses grands yeux d'oiseau effrayé vers le jeune Londubat qui rougit un peu.

- Je n'ai pas vraiment de mérite, j'aime vraiment ça…

Il fut sauvé de l'incendie de son visage par la grosse voix d'Hagrid qui retentit de loin. Lorsqu'il arriva près d'eux, il passa sa grande main sur la tête d'Hermione qui essaya de ne pas trop grimacer. Il lui demanda comment elle allait et si elle était remise de ses émotions de la veille. Hermione se contenta de hocher la tête et s'éclipsa avec moins de vivacité qu'elle ne le souhaitait.

- Quelles émotions de la veille ? demanda Ron alors que Hagrid lui aussi pénétrait dans l'école.

- Tu ne l'as pas vue arriver, Ronald ? demanda Luna.

Ron secoua la tête.

- Elle est arrivée en diligence, Ron, précisa Neville.

- …..

- Qu'est-ce qui mène les diligences, Ron ? reprit Neville.

Ron se demanda pourquoi il sentait tant de reproche dans la voix de son camarade. Luna le regardait comme si elle le voyait pour la première fois. Mais Luna regardait tout et tous comme si elle les voyait pour la première fois !

- J'en sais rien, moi ! s'écria-t-il. Je ne les vois pas !

Et il ne referma pas la bouche.

- Les… les… ces choses !

Il se frappa le front ! Hagrid les avait décrites. Harry les lui avait décrites. Mais il n'arrivait pas vraiment à les imaginer. Il réalisa que Neville et Luna, eux aussi les voyaient.

- Est-ce qu'elles sont vraiment impressionnantes ? Et c'est de cela que vous parliez tous les trois ?

- On ne parlait pas, répondit Neville.

- Qu'est-ce que vous faisiez alors ? s'interrogea Ron.

Luna détacha son regard de Ron pour le poser sur Neville.

- On était ensemble, dit-elle. Il faut savoir écouter le silence parfois. On entend beaucoup de choses intéressantes dans le silence. Tu n'écoutes jamais le silence, Ronald ?

Neville se mit à rire.

- Ron n'écoute jamais rien, Luna. Ni le silence, ni ceux qui parlent ! Tu connais les Mimbulus Mimbletonia ? C'est une plante très rare !

- Je sais ! chantonna Luna. On la trouve en Assyrie. Mon père en a rapportée une un jour. Elle crache des jets d'empestine quand on la chatouille un peu trop…

- Tu savais ce qui allait se passer, dans le train, quand j'ai voulu montrer à Harry… se souvint Neville.

- Hun hun ! fit Luna tout en tournant son visage aux froids rayons du soleil de septembre.

- Et pourquoi n'as-tu rien dit ?

Neville était abasourdi.

- Parce que tu ne m'as rien demandé…

- Et parce que tu ne savais pas si nous étions de ceux qui te piquent tes affaires tout au long de l'année ou si nous étions des amis…

- Hun hun ! refit Luna. Tu as ton Mimbulus à Poudlard ? Celui que mon père a ramené a disparu dans l'explosion de l'atelier de ma mère.

Neville se leva, il tendit la main à Luna pour l'aider à se relever.

- Tu sais, moi aussi on me prenait mes affaires la première année…

- Et on ne te les prend plus ? demanda Luna en s'éloignant avec Neville.

- Ben, non ! dit ce dernier. Plus depuis que Harry Potter est mon ami.

Ron resta pantois. Ils l'avaient complètement oublié. Il reprit le chemin de la salle commune, la tête basse. Dans le hall, il entendit la voix apeurée de Jezebel Dawson qui demandait si quelqu'un savait s'il y avait vraiment un calamar géant dans le lac. Il prit un couloir pour l'éviter et aperçut Hermione qui s'acheminait lentement vers le bureau des Professeurs. Ron secoua la tête. Elle reprenait le dessus, apparemment. Il fut surprit cependant de ne pas la voir s'arrêter devant le bureau. Elle continua vers les cachots, il la suivit discrètement. Les Serpentard traînaient toujours dans ces eaux-là. Elle frappa à la porte du Bureau de Rogue. Il fut sur le point de courir l'empêcher de se rendre seule chez le professeur de Potions. Puis il se traita d'idiot. Et comme il n'avait rien de plus intéressant à faire, il décida de l'attendre.

Hermione ouvrit la porte. De mauvais souvenirs lui revinrent à la mémoire lorsqu'elle entra dans le cachot.

- Vous m'avez convoquée, Professeur ?

Elle tenait encore à la main la note que la Préfète en Chef de Gryffondor lui avait remise. Rogue était assis à son bureau. Il l'observa tandis qu'elle s'avançait à pas comptés vers lui. Le papier glissa de ses doigts. Elle se baissa avec peine pour le ramasser. Elle se retint au bureau pour se relever. Elle était pâle. Elle tremblait.

Rogue se leva d'un bond. Elle tressaillit. Penché au-dessus de son pupitre, Rogue plongeait son regard dans le sien. Ses yeux s'écarquillèrent et elle essaya de détourner la tête. Elle ferma ses paupières dans un cri effrayé. Rogue la saisit par le bras.

- Petite idiote ! gronda-t-il.

- Laissez-moi, Professeur ! haleta Hermione.

- Vous l'avez vue ! chuchota Rogue d'une voix rauque. Vous l'avez vue, n'est-ce pas ! Racontez-moi !

- Non ! souffla Hermione.

Elle dégagea son bras au prix d'un effort insoutenable. Elle trébucha en arrière. Rogue fut auprès d'elle sans qu'elle sût comment. Il la tenait aux épaules et la forçait à lever les yeux vers lui. Elle refusait de penser à ça. Elle ne voulait pas. Elle se mit à glisser. Elle savait qu'elle glissait. Ron. Il lui parlait puis s'éloignait. Harry. Neville et Ginny. Percy inconscient. Et le mur lépreux de la cave, où perlait l'humidité qui lui emplissait le nez. Les cris et le bruit de la chute. Non ! Pas ça ! Elle ferma les yeux.

- Laissez-moi voir !

Les doigts de Rogue s'enfonçaient dans la chair de ses épaules.

- Non ! hurla Hermione.

Il la lâcha brusquement. Elle s'écroula sur le sol glacé du cachot. Elle tremblait de peur, de froid, et d'angoisse. Elle ne voulait pas lever la tête vers lui. Elle ne voulait pas à nouveau sentir ses pensées lui échapper. Elle ne voulait pas qu'il s'approche d'elle. Elle l'entendait souffler près du bureau. Elle craignit sa colère.

La robe noire du professeur s'approcha. Elle ne pouvait fuir. Ses chaussures. Elle voyait un bout de ses chaussures qui dépassaient. Elles étaient marron. C'était laid des chaussures marron avec une robe noire. Elle savait qu'il se baissait vers elle. Il allait se moquer d'elle, si faible, à sa merci. Il toucha son visage et le leva vers lui. Il écarta les mèches emmêlées qui couvraient ses yeux. Le teint cireux de Rogue creusait des cernes sous ses orbites. Ses cheveux noirs et ses prunelles sombres le rendaient aussi pâle qu'elle.

- Laissez-moi voir, pria-t-il doucement.

Elle secoua la tête.

- Alors dites-moi : vous l'avez vue. Est-ce qu'elle est morte sur le coup ou est-ce qu'il l'a faite souffrir avant ?

Hermione secoua une fois de plus la tête. Elle ne voulait plus penser à elle.

- S'il vous plaît, laissez-moi voir et je pourrais vous rendre le sommeil tranquille.

- Je ne veux pas dormir. Je veux oublier.

Rogue parut renoncer. Il poussa un soupir douloureux. Il se releva lentement.

- Vous ne pourrez jamais oublier, dit-il.

Sa voix était à nouveau froide et dure.

- Sortez.

Elle ne pouvait pas. Elle restait là sur le pavé gelé, dans ce cachot sombre et désespéré. Elle ferma les yeux. Il était inutile d'essayer de chasser ces images. Elles étaient là tapies dans sa mémoire et surgissaient dès que sa vigilance s'assoupissait.

- Si je vous laisse voir… vous m'aiderez ?

Rogue revint vers elle dans le bruissement de sa robe de sorcier. Il se pencha et la releva doucement. La pièce tournait autour d'elle. Il la mena jusqu'au fauteuil de son bureau où la fit asseoir. Il mit sa main sur son visage et riva son regard au sien.

Il plongea dans son esprit aussi facilement que s'il tournait les pages d'un livre. Elle ne résistait plus. Il revit sa chute. Il sentit son désarroi, sa rage impuissante. Il fixa le salpêtre du mur jusqu'à ce qu'elle vienne montrer sa face de gargouille mal ébauchée. Et la voix haïe de Pettigrew qui lançait le maléfice sur elle. Lequel des deux haïssait-il le plus ? Il n'aurait su le dire même en ce moment. Elle ne cria pas. Ses yeux de démente s'écarquillèrent. La peur. La douleur. Et plus rien. Plus rien qu'une grimace monstrueuse qui ne voulait pas s'effacer de l'esprit de la jeune fille. Lentement, sa main sur le visage d'Hermione referma ses paupières. Elle l'entendit murmurer une incantation qui se perdit en chuchotis.

Une pression sur son épaule fit sursauter Hermione. Elle soupira comme si elle n'avait pu inspirer normalement depuis des jours. Rogue lui tendit un flacon qui contenait une potion violette ainsi qu'un pli cacheté.

- Vous porterez ceci à Mrs Pomfresh. Et je vous conseille de dormir à l'infirmerie durant quelques nuits. Vous lui direz que je veux voir l'ordonnance des potions que les guérisseurs vous ont prescrites.

Hermione prit le flacon et la lettre.

- Vous avez vu ce que vous vouliez voir, Professeur ? demanda-t-elle.

Rogue hocha la tête :

- Ils vous ont dit ce qu'elle vous avait fait ? Ils vous ont dit que vous devriez être morte ?

A nouveau, le ton de sa voix était sec.

- Ils me l'ont dit, Monsieur. Mais je ne suis pas morte.

- Non, vous ne l'êtes pas…

Sa voix trembla un instant.

- Que s'est-il réellement passé quand vous êtes descendue dans les profondeurs de l'école ?

- Ne le savez-vous pas, Monsieur ? Puisque je vous ai laissé voir le secret de mon âme.

Rogue ne répondit pas. Sa joue s'agita d'un tic.

- Puis-je partir, Professeur ?

Elle fit traîner son pas jusqu'à la porte.

- Ho! Miss Granger, la rappela Rogue alors qu'elle ouvrait déjà la porte. Mrs Pince est avertie que vous devrez lui présenter une autorisation de ma main si vous voulez sortir un livre de la bibliothèque. La réserve vous est bien entendu interdite.

Hermione fit un signe de tête. Au fond d'elle-même, elle exultait. Elle allait à nouveau retourner à la bibliothèque. Elle referma la porte derrière elle.

- Ron ?

Ron l'examinait avec attention. Elle eut l'impression d'être hagarde.

- Tu vas bien ? Tu es restée longtemps. J'allais repartir.

Il aperçut dans sa main le flacon violine.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Une potion que je dois remettre à Mrs Pomfresh pour ce soir.

- C'est Rogue qui te l'a donnée ? voulut savoir Ron. Tu ne vas quand même pas la boire.

Elle serra ses doigts sur la fiole. Il lui serait si facile de la lui prendre des mains.

- Oh oui, je vais la boire. Je vais boire tout ce que le Professeur Rogue me dira de boire, Ron.

Elle passa devant lui. Il la rattrapa en deux enjambées.

- Je t'accompagne, dit-il. Si tu veux ?

- Tu t'ennuies à ce point, Ron ?

- Quoi ?

- J'ai dit : tu t'ennuies à ce point que tu ne trouves rien de mieux à faire que d'accompagner une infirme qui va prendre son remède ?

Ron soupira de contrariété :

- Harry est occupé, Neville et Luna s'amusent avec un truc qui crache de l'empestine, Dean et Seamus me portent sur les nerfs…

- Tu sais, Ron, je préfèrerais y aller seule, finalement.

"Comme tu veux" murmura Ron en la laissant s'éloigner. Il avait la vague impression d'avoir raté une marche. Et la pensée qu'il faisait encore partie de l'équipe de Quidditch n'arrivait pas à chasser son malaise. Pas plus que l'idée de Malefoy en retenue chez Rogue. Il avait dû passer à côté de quelque chose, sans parvenir à savoir quoi. Et puis il se souvint ! Il bondit jusqu'à la salle commune de Gryffondor, où il trouva Ginny en compagnie de Dean près de la fenêtre. Il devait raconter encore quelque bêtise, car Ginny riait avec lui de bon cœur. Ron saisit sa sœur par le bras pour l'emmener à l'autre bout de la pièce sous les yeux stupéfaits de Dean.

- Tu te sens bien, Ron ? se mit en colère Ginny.

- Dans trois jours, c'est l'anniversaire d'Hermione ! chuchota Ron.

- Oui, je le sais, riposta Ginny.

Elle s'arracha à l'étreinte de la poigne de son frère.

- Tu n'as toujours pas trouvé de cadeau pour elle, s'amusa-t-elle. Pauvre Ron ! Toujours un train de retard !

Ron lança un regard inquiet à Dean Thomas :

- Qu'est-ce qu'il a dit ?

Ginny soupira :

- Des fleurs ?

Ron leva les yeux au ciel. Le parfum des fleurs de la chambre d'hôpital d'Hermione lui emplit le nez brusquement.

- Krum l'a déjà fait !

- Un bijou ?

- Krum l'a déjà fait !

- Quelque chose qui l'intéresse.

- Harry lui a déjà acheté un livre, rappela Ron.

- Du parfum ?

Il grimaça. Ça, il lui en avait déjà fait cadeau, mais il ignorait si elle l'avait porté ou non.

- Des chocolats ? s'écria Ginny, entre l'exaspération et l'apitoiement

- Tout le monde l'a déjà fait !

Il se laissa tomber sur une chaise, la tête dans les mains. Ginny s'assit à côté de lui.

- J'ai vu dans un catalogue, une barrette, vraiment très jolie. On dirait un bijou. Si on envoie la commande aujourd'hui, tu pourrais la recevoir à temps…

- Une barrette ? répéta Ron. Pour ses cheveux ?

Ginny leva les yeux au ciel :

- Non, Ron, pour mettre en collier à Pattenrond…!

- C'est qu'elle est un peu susceptible avec ses cheveux…

Ginny bondit sur ses pieds.

- Débrouille-toi tout seul !

Une lueur de panique dans les yeux de son frère la fit changer d'avis.

- Tu crois qu'on pourrait la recevoir dans trois jours ? interrogea-t-il.

- On pourrait faire mieux : on envoie un hibou à Fred et George pour leur demander d'aller l'acheter dès lundi. Le magasin est juste à côté de leur boutique. Et mardi matin, elle la reçoit à son courrier de ta part.

- Fred et George ? Tu crois que c'est une bonne idée ?

- As-tu vraiment le choix, Ronnie ?

Ron dut reconnaître que non. Dean et Ginny quittèrent la salle commune ensemble. Ron resta seul, avec un groupe de Première Année occupés à travailler ensemble. Un samedi après midi de septembre ! songea Ron. Quand il était en première année, il n'y avait qu'Hermione qui était capable de faire une chose pareille. Et parce qu'elle n'avait pas d'amis ! Il réalisa qu'il était en Sixième Année et qu'il se trouvait seul, sans amis, à lancer des regards sévères à des enfants totalement effarés. Il alla chercher son jeu d'échec dans sa chambre, puis il s'installa près de la fenêtre, à la place qu'occupaient Ginny et Dean quelques instants plus tôt. Lorsque Harry rentra une heure plus tard, il le trouva dans la contemplation de l'échiquier.

- Tu joues contre toi-même ? Ou tu penses à notre partie d'échec ? demanda-t-il en s'asseyant en face de son ami.

Harry s'aperçut que la Reine blanche était brisée en deux, sur la table.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? questionna Harry, étonné que Ron ne l'ai pas réparée.

Il sortit sa baguette et murmura : Reparo ! Les deux morceaux se ressoudèrent et la Reine remercia chaleureusement Harry, avant de tourner le dos à Ron, d'un air offusqué.

- Tu sais, dit alors Ron. Je crois que toi aussi tu devrais te méfier de ta Reine, Harry.

Ce dernier le regarda par-dessus ses lunettes.

- Tout d'abord, elle n'est pas tout à fait réparée. Et elle dit et fait des choses bizarres. Elle était chez Rogue, cet après midi. Elle y est restée longtemps et il lui a donné quelque chose à boire. Elle a dit qu'elle boirait tout ce que Rogue lui donnerait à boire.

- C'était quoi ? s'inquiéta Harry.

- Une potion violette, répondit Ron. Ensuite elle a dit qu'elle voulait rester seule.

- Qu'est-ce que tu lui as dit ? insista Harry de plus en plus inquiet.

- Rien ! se défendit Ron vivement. Je lui ai juste demandé si je pouvais aller avec elle, parce que j'étais tout seul.

Harry le fixa un long moment, la bouche ouverte, prêt à parler. Manifestement quelque chose le retenait. Il referma la bouche sans un mot.

- Mais quoi ? fit Ron.

- Si je te le dis, répondit Harry en remontant ses lunettes sur son nez, je crois que nous ne pourrions plus être amis, Ron. Parce ce que l'un d'entre nous serait obligé de mettre un coup de poing dans la figure de l'autre. Et nous perdrions aussi Hermione car je ne crois pas qu'elle supporterait d'être la cause d'une querelle entre nous.

- Hermione ? balbutia Ron avec désespoir. Mais je croyais que c'était avec Isadora Marchinson que tu sortais…

Harry ne put s'empêcher frapper Ron sur la tête.

- Bon ! fit-il ensuite. Qu'est ce que tu voulais me dire l'autre jour au sujet de notre partie d'échec ?