Chapitre 54

La Gazette du Sorcier

Lorsque Tonks entra dans le petit salon, les jeunes gens discutaient entre eux de leurs impressions quant à la situation. En effet, sans certitude, ils ne pouvaient que se fier à des présomptions bâties sur des paroles entendues à la sauvette et les vagues renseignements que Harry pouvait leur donner. Hermione, repliée sur elle-même contre l'épaule de Ron, sur le grand sofa qui faisait face à la cheminée éteinte, se taisait. Harry ne pouvait s'empêcher de penser à leur conversation de la semaine précédente. Ses conclusions s'étaient révélées justes une fois de plus.

- Je peux me joindre à vous ? demanda Tonks, tout sourire, en rattrapant de justesse le guéridon de l'entrée qu'elle venait de renverser.

Ginny lui fit signe de venir s'asseoir auprès d'elle sur le tapis.

- Tu fais des progrès, constata-t-elle tandis que la métamorphomage prenait place à côté de la jeune fille.

- Oui, je m'améliore, confirma Tonks en riant. Ce n'est que la deuxième chose que je fais tomber depuis que je suis arrivée. Et encore, là, j'ai réussi à le rattraper au vol.

Elle tendit un exemplaire de la Gazette du Sorcier à Ginny.

- Comme je sais que vous êtes en manque d'informations, j'ai pensé à vous ! s'exclama-t-elle. C'est la Gazette de demain matin. J'ai pu en faucher une sur le bureau de Maugrey.

Ginny se jeta sur le journal et le feuilleta avidement. Ron lui réclama les pages sportives. Elle lui fit un geste qui ne laissait aucun doute sur ses intentions d'en avoir la primeur.

- Alors ? demanda Tonks. C'est quoi les gros problèmes que vous avez évité à Poudlard Ça a encore à voir avec ce sagouin de Vous-Savez-Qui ?

- Alors ? fit Ron. C'est quoi les problèmes de Charlie en Roumanie Ça a quelque chose à voir avec ce sagouin de Karkarof ?

- Plus ou moins, répondit Tonks après un silence. Vous savez que la Bulgarie est tombée aux mains des partisans de Vous-Savez-Qui. La guerre s'est étendue dans les pays avoisinants comme une traînée de poudre. En fait, tous les pays qui dépendent de l'école de Durmstrang sont en guerre civile. La situation là-bas est explosive. La Roumanie n'est pas épargnée. Charlie a dû se cacher lui aussi, afin de pouvoir continuer l'œuvre qu'il avait commencée.

Il semblait aux jeunes gens que Tonks avait un peu pâli. Elle parlait sur un ton rapide comme si elle se dépêchait de sortir de son esprit tous ces mots et ces pensées terribles. Ron avait pâli en même temps qu'elle. Pourquoi Charlie était-il obligé de se cacher ? Pourquoi ne revenait-il pas au pays ? Pourquoi personne ne se décidait-il pas à poser ces questions à sa place ? Il n'était pas certain de vouloir entendre les réponses.

- Pourquoi est-ce là-bas que cela a explosé en premier ? demanda-t-il quand même. Après tout, Vol… Voldemort est anglais et il est en Angleterre…

Tonks haussa une épaule.

- Je suppose que cela vient du tempérament slave…

- Quoi ? fit Ron. Qu'est-ce qu'il a, le tempérament slave ?

Tonks haussa l'autre épaule.

- Ce sont des caractères à l'opposé du tempérament britannique, expliqua-t-elle. Rien à voir avec le flegme qui nous caractérise. Eux, c'est tout ou rien, en quelque sorte. C'est l'eau qui dort ; le torrent asséché qui soudain se remplit et emporte tout sur son passage ; le feu sous la glace… et une fois que la glace est brisée on ne peut plus les arrêter. Du moins, c'est ce qu'en dit Charlie.

Ginny les interrompit, au grand soulagement d'Harry qui voyait avec appréhension Ron froncer ses sourcils.

- C'est quoi cette histoire de corbeaux et de couronne chez les Moldus ? demanda-t-elle à Hermione.

Celle-ci haussa les sourcils. Elle réclama le journal à Ginny qui le lui passa aussitôt. Harry vint lire par-dessus son épaule.

- Ha ! fit-il en souriant amèrement. Il se pourrait qu'en fin de compte le Chicaneur ne raconte pas que des bêtises !

- Qu'y a-t-il ? questionna Tonks. Je n'ai pas eu le temps de le lire avant de vous le donner.

- Les corbeaux de la Tour de Londres ont disparu ! s'exclama Hermione. En fait, ils ont tous été retrouvés morts.

- Et alors ? demanda Ginny.

- C'est dans la Tour de Londres que sont gardés les bijoux de la Couronne d'Angleterre… dit Harry.

- Et alors ? répéta Ron à son tour. Ils ont été volés ?

- Apparemment non, lut Hermione, perplexe.

- Alors pourquoi cela mérite-t-il un article dans la Gazette ? s'inquiéta Tonks.

Hermione fit passer le journal à Ron qui se plongea dedans.

- Parce que, commença-t-elle sur le ton sérieux qu'elle prenait toujours pour donner une explication qu'elle jugeait capitale, il est dit que le jour où la Tour de Londres n'aura plus de corbeaux pour garder les trésors royaux, l'Angleterre sera en grand danger et verra poindre des jours de grand malheur…

- Oh ! fit Ron sans lever la tête du journal.

- C'est quand même autre chose que des toilettes régurgitantes ! murmura Tonks, soucieuse.

- C'est un avertissement, vous croyez ? s'inquiéta Ginny.

- C'est carrément une menace pour les moldus ! répliqua Hermione.

Harry frissonna. Il imaginait Londres à feu et à sang. La guerre civile dans le pays comme en Europe Centrale, et les gerbilloises à crête à l'assaut de Poudlard.

On entendit un appel dans le couloirs "Tonks ! Maugrey est là " cria la voix de Lupin. La jeune femme bondit sur ses pieds. Elle prit le journal des mains de Ron.

- Je peux garder les pages sportives ? pria-t-il, un peu gêné.

- J'ai juste besoin de la page avec les corbeaux de la couronne… les bijoux de la Tour… enfin ce truc moldu ! dit Tonks précipitamment.

Elle fila vers la porte sa feuille de journal à la main. Ils l'entendirent qui criait "Je viens ! Je viens " Il y eut un bruit de chute et un éclat de rire de Dumbledore, juste avant le silence de la "chambre du secret".

Harry fit le tour du canapé et se laissa tomber à côté d'Hermione. Ginny se leva de sa place et vint s'asseoir près de lui.

- Tu crois que Voldemort cherche à se venger sur les moldus de son échec à Poudlard ? hésita-t-elle à demander.

Harry secoua la tête.

- Si Voldemort cherchait à se venger sur des moldus de son échec à Poudlard, reprit-il la voix rauque d'émotions, il saurait où en trouver pour faire mal aux responsables de cet échec…

Hermione cacha son visage dans ses mains et se mit à sangloter. Ron la serra dans ses bras. Il lança un regard assassin à Harry.

- Je suis sûr que le Professeur Dumbledore a mis tes parents sous protection, Hony… murmura-t-il en la berçant doucement.

Il frappa sur l'épaule d'Harry. Ses yeux lançaient des éclairs.

- Je ne parlais pas pour eux, Hermione, se hâta d'ajouter Harry. Je parlais pour mon oncle et ma tante. Si Voldemort a deviné que le sang de ma mère me protégeait de lui, il aura deviné que la maison de sa sœur en faisait autant. Il cherchera à abolir cette protection qui s'amenuise d'ailleurs d'elle-même chaque jour. Ce n'est pas que j'apprécie réellement mon oncle et ma tante, et encore moins mon cousin Duddlinouchet, mais je n'aimerai pas être la cause de leur mort…

Il songea à ce qu'il éprouverait s'il trouvait la Marque Noire au-dessus de Privet Drive en rentrant pour les vacances. De la peine, il en doutait. Des regrets, sûrement pas. Des remords, peutêtre. De la colère, certainement. Il mit sa main sur l'épaule d'Hermione et la serra. Elle se tourna vers lui et cacha son visage dans son cou.

- Oh ! Harry ! sanglota-t-elle. Cela ne suffisait donc pas que je ne puisse plus retourner chez moi ! Il faut aussi que je mette mes parents en danger !

Harry la repoussa doucement. Le malaise qu'il avait ressenti à l'évocation de la mort éventuelle des Dursley s'accentuait. Il quitta le sofa pour la fenêtre. La nuit allumait ses lumières artificielles dans les rues de la ville. Il leur tournait le dos et pourtant il sentait tout leur désarroi. A moins que ce ne fût le sien qui emplissait toute la pièce de son angoisse et de ses peurs.

La tête de George apparut à la porte, celle de Fred sur son épaule.

- Waow ! quelle ambiance ! firent-ils d'une même voix enjouée.

Ils entrèrent sans attendre qu'on les invite à le faire. Fred lança à Ginny une oreille à rallonge.

- Tiens, soeurette ! dit-il en riant. Ce que tu nous as demandé ! Je l'ai depuis trois jours, mais Maman nous avait à l'œil toute cette semaine. J'ai idée que tu ne t'en serviras pas ici ! George a entendu papa insister auprès de maman, hier soir, pour vous laisser retourner à Poudlard avec Harry et Hermione.

Ginny retrouva le sourire. Elle sauta au cou de son frère et Ron à celui d'Hermione.

Ça ne fait rien, dit Ginny sur un ton plus réjoui. Neville ne m'a pas rendue avant de partir celle que je lui ai prêtée pour espionner les Serpentard. Une oreille de plus ne sera pas à négliger, si ce qu'Ellie McGregor m'a dit vendredi dernier est vrai…

- Qu'est-ce que t'a dit McGregor ? demanda Ron, sceptique.

- A peu près ce que Harry a dit à table, fit Ginny sur un ton léger. C'est à se demander où, ou qui lui a appris que Malefoy voulait ouvrir un atelier d'entraînement aux sortilèges offensifs…

Hermione retint un rire. Harry haussa les épaules. Ron se tourna vers lui :

- C'est McGregor qui t'a appris que Malefoy avait cette intention ?

- En fait… commença Harry sur une grimace tout aussi bien destinée à retenir ses lunettes sur le haut de son nez qu'à cacher sa gêne. Elle ne me l'a pas dit à moi directement…

Ron ouvrit les yeux et la bouche tout grands :

- Tu n'as tout de même pas recommencé à lire dans les pensées des autres… ! A moins que tu n'aies lu dans ses pensées pour une tout autre raison…

- Laisse tomber, Ron ! l'avertit Harry.

- Tu avais dit que tu n'avais pas l'intention de…

- Ron !

Hermione frappa sur son genou. Elle lui fit de gros yeux mécontents tandis que Ginny était morte de rire.

- Qui est McGregor ? demanda George.

- La jolie brune de Serpentard ? demanda Fred.

Ron se tourna vivement vers lui.

- Tu la connais ?

- Je l'ai remarquée, corrigea Fred. Je remarque toujours les jolies filles. Et celle-ci ne fait rien pour passer inaperçue.

- Alors, fit George à Harry. Tu en es où avec elle ?

- Mais nulle part ! répondit Harry avec exaspération. Je n'ai pas dû lui adresser la parole plus de trois fois depuis le début de l'année.

Heureusement pour lui, Mrs Weasley entra à son tour pour envoyer tout le monde au lit. Ron et Ginny essayèrent de négocier quelques minutes de plus. Leur mère leur rappela sèchement qu'ils étaient sensés être punis et que s'il n'en tenait qu'à elle, tout le monde dans cette pièce le serait aussi. Les jumeaux firent semblant de ne pas se sentir concernés. Ils quittèrent le petit salon les premiers. Les autres les suivirent, sous le regard sévère de Molly. Ron resta devant la porte de la chambre qu'il partageait avec Harryà faire des signes de la main à Hermione. Elle lui envoya un petit baiser discret sur le pas de la sienne avant de refermer la porte sur elle.

Lorsque Ron revint de la salle de bains, il rangea ses vêtements sur une chaise. Harry le vit ouvrit un livre de cours et il crut qu'il avait l'intention d'étudier avant d'éteindre la lumière. Ron y rangea une feuille qu'Harry crut reconnaître comme la page sportive de la Gazette à cause de sa couleur légèrement jaunâtre. Avant qu'il ait pu l'interroger dessus, Ron se tourna vers lui :

- Sérieusement, Harry, ne me dis pas que tu es amoureux de cette fille ! dit-il d'un air sombre.

Harry ne sut que lui répondre. Parce qu'il n'en savait rien.

- Je ne crois pas, se décida-t-il à dire enfin.

- Enfin ! insista Ron. Tu sais bien si tu es amoureux de… cette fille ou pas !

Harry lui lança un regard goguenard par-dessus ses lunettes.

- Ce que je sais c'est que quand j'étais amoureux de Cho, je ressentais comme un coup de poing dans l'estomac chaque fois que je la voyais ou que j'entendais sa voix…

- Et pas avec McGregor ? s'enquit Ron.

- Non, confirma Harry. Avec elle, ce serait plutôt un coup de poing dans la figure.

- Ooohh ! fit Ron, nullement rassuré. Ça ne peut vouloir dire que deux choses. Soit tu es plus amoureux d'elle que tu ne l'étais de Cho, soit c'est une intuition que tu as à son égard…

- Et il n'y pas de troisième choix possible ? se moqua Harry.

- Je ne crois pas, Harry, soupira Ron. Tu n'as pas le choix. Cette fille ne t'apportera que des problèmes, de toutes façons.

Harry se glissa entre ses draps.

- Hermione pense comme toi, Ron…

- Ah bon ? fit-il sans savoir s'il devait se réjouir qu'elle fût de son avis, pour une fois, ou se sentir exclu une fois de plus de la relation privilégiée qu'ils semblaient avoir tous les deux.

- Mais elle, elle s'inquiète plutôt des conséquences pour McGregor.

Ron se redressa sur le coude :

- Quoi ? s'étonna-t-il. Quelles conséquences ?

- Tu t'imagines que Malefoy laisserait une fille de sa Maison s'afficher avec Harry Potter ?

Ron resta la bouche ouverte.

- Mais… commença-t-il. Ça ne le regarde pas ! Et puis, mieux vaut être un Serpentard qui s'affiche avec un Gryffondor, qu'un Gryffondor qui s'affiche avec un Serpentard !

- Là c'est le Gryffondor qui parle, Ron, se moqua encore Harry. Et puis, n'oublie pas que je suis à demi Serpentard.

Ron éteignit la lumière. Il se tourna vers le mur.

- La nuit porte conseil, Harry, dit-il en baillant. Tu devrais dormir et demain je suis sûr que tu verras les choses sous un autre jour.

Harry sourit dans l'ombre. S'il pouvait n'avoir que des soucis de ce genre, le lendemain en se réveillant, il affronterait cette tête de mule de Ron toute la journée. Il se demanda s'il pourrait avoir un moment avec Lupin pour lui parler de Rogue et Sirius. Il s'étonna de ne pas ressentir à ce sujet la même impatience que quelques mois plus tôt.

Ron s'éveillait, dans ce moment entre deux mondes où la conscience affleure à peine à la surface du songe. Ils sentit sur son front une douce chaleur et sur sa joue et ses lèvres un léger baiser humide. Il murmura "Hermione" dans un sourire et referma les bras pour enlacer son rêve.

- Mâââoou ?

Ron ouvrit tout à fait les yeux. Le regard doré de Pattenrond plongeait dans le sien et ses pattes entouraient son cou. Harry se tordait de rire, déjà habillé et prêt à sortir.

- C'est toi qui l'a fait entrer ? demanda Ron, vexé.

- Il grattait à la porte quand je suis revenu de la salle de bains, expliqua Harry. Allez Ron, il faut se lever tôt pour profiter de la journée.

Ron se redressa dans son lit et s'étira en même temps que le chat. Il le déplaça sur le côté du lit pour se lever.

- Hermione et Ginny sont déjà debout ? questionna-t-il tandis qu'il ouvrait les fenêtres sur un matin pluvieux d'avril.

- Elles sont à la cuisine, lui apprit Harry. Je vais les rejoindre. Dépêche-toi, si tu veux faire bonne impression.

Ron lui adressa une grimace alors qu'il choisissait des vêtements dans son armoire. Harry sortit de la chambre en riant. Il s'attabla auprès de Ginny qui manifestait une bonne humeur communicative. Hermione lui servit son petit déjeuner. Tonks terminait le sien.

- Au fait, dit-elle en finissant son thé. J'ai dit à Maugrey pour ce dont on a parlé hier soir. Il imaginait bien quelque chose de ce genre, maintenant il en est sûr.

Elle replongea le nez dans son bol comme Molly lui lançait un regard acéré.

- Tu travailles encore aujourd'hui ? demanda Ginny.

- Pour l'Ordre cette fois, répondit Tonks, un œil épiant la réaction de Mrs Weasley, l'autre examinant la tenue d'Harry. Tu devrais vraiment te payer une nouvelle garde robe, tu sais. Je connais plein de boutique à Londres où tu peux t'habiller pas cher et à la mode. Je vous y amènerai aux prochaines vacances si vous voulez…

Mrs Weasley posa brutalement la théière devant elle.

- Enfin… s'il n'y pas de contretemps majeurs…

Et comme Molly levait les yeux au ciel, Tonks préféra quitter la place. Elle avait d'ailleurs rendez-vous avec Maugrey et ne voulait pas se mettre en retard au cas où elle serait une fois de plus suivie. Mrs Weasley parut regretter son mouvement d'humeur.

- Tonks ! la rappela-t-elle alors que la jeune femme bousculait Ron sur le pas de l'entrée de la cuisine. Si Arthur réussit à contacter Charlie, y a-t-il quelque chose à lui dire de ta part ?

Tonks lui sourit :

- Ouais ! fit-elle. Qu'il se débrouille pour rentrer au pays à la date prévue ! Parce que sinon, c'est moi qui irais le chercher, même au milieu de dragons de tous genres !

Mrs Weasley hocha la tête. Tonks se détourna vivement. On entendit quelque chose tomber dans le hall et Tonks crier "Désolée, Molly " Puis la porte se referma et on n'entendit plus que le silence. Ron profita de l'émotion de sa mèreà nouveau tournée vers ses fourneaux pour cacher une larme, pour embrasser rapidement Hermione.

- Alors ? demanda-t-il pendant qu'Hermione emplissait son bol de thé et que Ginny poussait vers lui une assiette de porridge. Quel est le programme aujourd'hui ? On a le droit de passer la journée dans le petit salon ?

- Et on a le droit de faire autre chose que travailler ? insista Ginny.

- Ne soyez pas insolents, vous deux ! leur conseilla leur mère.

- Une partie d'échec Ça te dit Harry ? proposa Ron.

- Ce serait une bonne chose, répondit le jeune homme.

Il ne serait pas mauvais en effet de mettre de l'ordre dans ses pensées et de faire le point des évènements récents. Ron se dépêcha de terminer son déjeuner et ils se rendirent à nouveau dans le petit salon. Ron et Harry laissèrent entrer les filles. Ils s'arrêtèrent dans leurs chambres pour récupérer l'échiquier dans la valise de Ron. Quelques minutes plus tard, ils retrouvaient les filles dans le salon. Ginny était penchée sur l'épaule d'Hermione et elles tournaient le dos à la porte.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda Ron en souriant.

Il posa l'échiquier sur la table et s'approcha d'elles. Harry le suivit. Ginny leva les yeux sur son frère avec ressentiment, aurait juré Harry. Hermione quant à elle, parcourait avec des yeux qui semblaient ne pas vouloir croire ce qu'ils lisaient dans les pages sportives de la Gazette du Sorcier. Harry tenta de lire par-dessus son épaule.

- Tu as lu les pages sportives de la Gazette !

C'était moins une question qu'une accusation de la part de Ginny à son frère.

- Oui, enfin… j'y ai jeté un œil, dit Ron. Je voulais voir si Flaquemare était encore en tête du championnat.

Ginny émit un reniflement dubitatif. Elle se tourna vers Hermione et lui prit le journal des mains. Hermione resta sans réaction, bouleversée et anéantie. Harry ne put voir que le titre qui s'étalait en haut de la page. "La Bulgarie renonce au Quidditch " Ginny mit le papier sous le nez de son frère.

- Et tu vas me dire que tu n'avais pas vu cela ?

Harry observait son ami sans un mot. Il n'entendit pas Remus Lupin qui l'appelait depuis le pas de la porte.

- Harry ? répéta l'ancien professeur. Molly m'a dit que tu voulais me voir ?

Harry hocha la tête. Il suivit Lupin dans le couloir. Il crut qu'il l'emmenait vers sa chambre pour une conversation privée. Il le vit avec surprise ouvrir la porte du bureau de Dumbledore et lui faire signe d'entrer.

- On sera tranquille ici, dit-il sur un ton las. Pas de réunion d'état-major avant ce soir. A moins d'un imprévu.

Il se força à sourire tout en invitant Harry à prendre un siège. Lui-même s'assit à demi sur la table.

- Tu voudrais que je te parle de ton père, n'est-ce pas ? commença-t-il sans préambule.

Il soupira.

- C'est une demande légitime, Harry, reprit-il comme le jeune homme se taisait. Mais je ne crois pas être une personne très objective. Il était mon ami. Nous étions très jeune. On ne lui a pas laissé le temps de devenir un homme tel qu'il aurait pu l'être. Tu as besoin qu'on te parle de ton père, et moi je ne pourrais te parler que du jeune homme qu'il était.

- Mais si vous ne pouvez me parler de lui, Professeur, qui pourra le faire ? demanda Harry avec désespoir.

- Je crois, dit Lupin au bout d'un moment, que certains t'ont trop parlé de lui.

- Vous voulez parler du Professeur Rogue ? demanda encore Harry avec amertume.

- Severus, en effet, a une vision tout à fait personnelle de l'adolescent qu'était ton père, sourit Rémus Lupin.

- Il avait ses raisons, murmura Harry amèrement.

- Et nous nous avions nos raisons pour l'aimer sincèrement, reprit Lupin. Comprends-tu ce que je veux te dire, Harry ? Le portrait que t'en a fait le Professeur Rogue n'était pas si faux que cela. Et il était aussi tel que Sirius te l'a dépeint. Il n'était ni meilleur ni pire que chacun d'entre nous. Il n'y a qu'une chose que je te dirais sur lui sans aucun scrupule : c'était un cœur fidèle et généreux. Et cela, même Severus ne peut dire le contraire.

Harry eut un coup au cœur. Il n'aurait peutêtre pas besoin de poser des questions difficiles à formuler.

- Parce qu'il l'a sauvé de la mort ? demanda-t-il très vite.

- Et moi du remords de l'avoir tué.

- Et Sirius ?

- Sirius ? soupira Lupin. Sirius, il a sauvé son âme et il l'a sauvé d'Azkaban…

- Parce que si Rogue était mort, il aurait été un assassin ? insista Harry d'une voix rauque.

Lupin eut un sourire amer.

- Quand on lui répétait qu'il n'était qu'un voyou et qu'il finirait à Azkaban, il riait.

- Mais Rogue, lui, est un véritable assassin. C'est Peter qui l'a dit. Et il n'est pas allé à Azkaban.

- Il y en a tant d'autres qui ne sont pas allés à Azkaban et qui méritaient cent fois plus d'y finir leurs jours.

- Est-ce vrai que Dumbledore lui a donné une seconde chance ?

- Oui, fit Lupin du bout des lèvres. Tu penses que c'est plus que ce qu'ont eu ton père, Sirius, ou même moi, n'est-ce pas ?

- Il vous a fait renvoyé quand même, dit Harry avec ressentiment. Et à présent, tout le monde sait que vous êtes un loup-garou.

Lupin hocha la tête.

- Si quelqu'un doit en vouloir à Severus pour cela, c'est moi. Et cette seconde chance, Harry, sais-tu combien il l'a payée ? Et combien il la paye encore ?

- Je sais qu'il est devenu un Mangemort à cause de Bellatrix Lestrange, dit très vite Harry. Et je sais qu'il a fait quelque chose qui a rendu Sirius fou de rage quand Bellatrix le lui a appris.

Il leva les yeux vers Lupin et fixa son regard.

- Je ne te dirai pas ce qu'il y avait entre ces deux hommes, Harry. Cela ne concerne ni ton père, ni toi. C'est tout ce que tu as besoin de savoir.

Harry se leva d'un bond.

- J'en ai assez qu'on me dise ce que j'ai besoin de savoir ! Il n'y a que moi qui sache ce que j'ai besoin de savoir ! Et j'ai besoin de savoir pourquoi mon parrain a cru bon d'envoyer à la mort un homme que je suis sensé respecterécouter et à qui je dois faire confiance !

Lupin souriait. Il leva l'index et l'agita devant lui.

- Non ! Non ! Harry ! Tu n'as pas besoin de savoir. Tu as besoin de comprendre. Mais ce n'est pas mon secret. Il ne m'appartient pas de te le révéler.

Harry retint un geste de rage.

- Est-ce que cela a un rapport avec Lucius Malefoy ? insista Harry.

Lupin fronça les sourcils. Il ne répondit pas.

- Dois-je prendre votre silence comme une confirmation de ce que je viens de dire, Professeur ?

- Tu peux m'appeler Remus, Harry. Je ne suis plus ton professeur. Et je ne le serai plus. Tu en sais à présent presque autant que moi en ce qui concerne les forces du mal. Et bientôt, tu en sauras bien davantage encore. Algie dit que tu es un élève doué. Et Severus, un apprenti entêté.

Harry leva les yeux vers lui, un peu pâle.

- Vous désapprouvez ? demanda-t-il conscient qu'il n'aurait pas d'autre réponse à sa première question.

- Il faut connaître ce que l'on combat, admit Lupin.

Il quitta son assise bancale sur la table. Il vint vers Harry et posa ses mains sur ses épaules. Son visage était grave et fatigué.

- Je voudrais te dire que je serais toujours là pour toi, Harry. Je voudrais te dire que je répondrais à toutes tes questions. Mais si j'ai appris une seule chose au cours de mon existence chaotique, c'est que la vie se fiche complètement de toutes les promesses que les hommes peuvent faire. J'aurais aimé t'être d'une aide plus conséquente. J'aurais aimé t'amener sur le chemin que tu prends avec Severus. Je l'avoue, j'ai été un peu jaloux quand il est venu se vanter auprès de moi de ta demande : tu le reconnaissais comme maître incontesté de la lutte contre les forces du mal et comme un sorcier aux grands pouvoirs. J'ai cru qu'il venait simplement me narguer, et narguer à travers moi Sirius et ton père. Puis j'ai compris que ce n'était pas qu'une revanche ; il y avait de la fierté en lui. C'était la première fois où je le voyais exprimer autre chose que de la rancœur et de l'amertume. Garde cela à l'esprit, Harry, la prochaine fois que tu te trouveras en face de lui : il est facile d'enlever sa fierté à un homme, mais rares sont ceux qui réussissent à la leur rendre.

- Si vous croyez me réconforter, Professeur… je veux dire, Remus… je ne crois pas qu'avoir rendu Rogue plus fier de lui me rende moi plus fier de moi.

Lupin lui sourit.

- Alors, ce n'en est que plus méritoire de ta part…

Il se mit à rire.

- Il faudra un jour que tu m'expliques comment tu as fait pour réussir là où d'autres, plus expérimentés et bien plus sages que toi –cela dit sans vouloir te vexer- ont échoué pendant des années.

Harry haussa les épaules.

- Sans doute son orgueil s'est-il ému de voir un gamin aussi arrogant que moi mettre ses sentiments personnels en veilleuse pour le salut de tous… dit-il dans une grimace.

- Oh ! fit Lupin en riant encore. Alors mon enseignement n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd ! Je suis heureux de constater que tu as su laisser de côté de vieilles querelles.

- Et en ce qui concerne Sirius et Rogue ? tenta une dernière fois Harry en voyant Lupin dans ces dispositions plus heureuses.

- Tu ne désarmes pas, toi ! Entêté comme…

- Mon père ? proposa Harry en souriant en coin.

- Ta mère n'était pas mal non plus de ce côté-là ! dit Lupin en lui rendant son sourire. Ce n'est pas forcément un défaut dans ta situation.

- Et pour Sirius et Rogue ?

Lupin éclata de rire. Il redevint sérieux pour dire :

- Eh bien, disons qu'il s'agit d'une affaire de famille… oui, je crois qu'on peut présenter cela ainsi.

Il se rendit à la porte et l'ouvrit. Harry sortit. Il n'en savait pas plus. Peutêtre devrait-il soumettre ces paroles à Hermione. Elle saurait peutêtre lire entre les lignes, comme d'habitude. Il se hâta vers le petit salon, prêt à parler échecs avec Ron.