Affreux comme histoire
(Sasuke)
Les branches succédaient aux branches. Le jour se levait juste.
Mon pied se posait, amortissait le poids de mon corps, le propulsait en avant, se posait de nouveau. Le paysage défilait sous mes yeux sans que je sache réellement où j'allais. Ailleurs.
Naruto.
Je fronçais les sourcils et fermais les yeux une seconde, essayant de déloger l'image qui m'accaparait. Une seconde suffisante à ce que je heurte une terminaison de branche au niveau de l'épaule. Grimace. Merde. Ca fait mal. Merde… J'étais bien trop faible, c'était cela le vrai problème. Trop faible pour me défendre. Pour vaincre. Pour me venger. A quoi sert la vengeance si elle ne peut être assouvie ? Merde… Mon bras me faisait souffrir. Le bandage était trop serré… Ou peut-être étais-je trop délicat.
Un regard renforcé par le Sharingan en arrière me permit de voir qu'il ne m'avait pas laissé tranquille.
Maintenant, je devrais vous raconter, n'est-ce pas ? Ne pas vous perdre. Je ne sais pas si j'en ai vraiment envie. Je ne sais pas beaucoup de choses. L'analyse c'est pas pour moi. Ce dont je suis certain c'est de ne pas vivre parce que je l'ai voulu ou parce que j'ai quelque chose de spécial à accomplir. Je vis parce que quelqu'un ne m'a pas tué. C'est affreux, n'est-ce pas ? Vous avez insisté, pourtant. Donc, je ne vis que parce que quelqu'un a décidé de me laisser la vie sauve ; ouais. Ce qui est affreux, c'est que la vraie vie, celle qui se porte au creux du cœur, n'importe qui de supérieur peut en écarter délicatement vos doigts et aussi délicatement la briser entre les siens. La vie, c'est quelque chose d'assez superficiel, en fait.
Et puis il a fallu lui trouver un sens, à ce geste. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Pour me faire souffrir. Pour la douleur, pour la solitude, le chagrin, la peine, la tristesse… Et puis la force de se relever. Les coups durs qui rendent plus forts peuvent aussi rendre plus faibles. Que je fonçais tête baissée vers la mort, je le savais. Mais je ne pouvais pas laisser l'assassin de ma famille en vie. Je ne pouvais pas. Et pour atteindre mon but il fallait devenir encore plus fort.
Je secouais la tête ; je perdais du terrain.
Naruto. Il fallait aussi le battre pour devenir plus fort, mais surtout pour me prouver que je n'étais pas faible. Il fallait aussi le battre parce qu'il m'avait humilié, quoi qu'il fut à cet instant. La douleur dans mon épaule revint à la surface, tache d'encre noire et tenace, fleurit dans mon esprit, me mordit jusqu'au sang, enfonçant toujours plus loin ses crocs dans ma chair. Merde…
Une fois la bataille terminée, je n'avais eu d'autre choix que de partir. Ma route ensanglantée avait croisé celle de la roulotte d'un cirque ambulant qui cheminait justement à travers la forêt jusqu'à Konoha… Je n'avais rien demandé. On m'avait apporté un peu d'aide. On m'avait replacé l'os. Pansé. Je desserrais rarement les dents. Lui non plus. Lui, c'était un garçon d'à peu près mon âge –je sais même pas exactement ce qu'il faisait comme boulot, mais ça m'importait peu, et de toute manière je parlais pas des masses non plus. Il était vêtu d'une sorte de costume noir et large. Il avait les cheveux bruns et lourds, bouclés, un visage rond et intelligent, et sur la figure un vague sourire qui donnait à penser qu'il était à des années lumières et en même temps trop près. Je me suis pas tout de suite méfié, c'est vrai. Même s'il me regardait jamais dans les yeux et si ses mouvements autour de mon épaule étaient trop précautionneux.
J'étais revenu trouver Naruto. Vous allez sûrement trouver ça idiot pourtant j'en avais besoin. Il était complètement largué, le pauvre. Je me demandais ce que ça faisait d'avoir un démon en soit. De sentir la puissance au bout de ses doigts. De pouvoir tuer, tuer et tuer encore sans que personne ne soit en mesure de vous arrêter. Il était tellement paumé que j'ai pas eu beaucoup de mal à l'envoyer au tapis. Ca m'a un peu rassuré, c'est vrai. Mais il avait même pas l'air de se souvenir qu'il m'avait humilié, je sais pas vraiment, enfin ; c'était pas exactement ce que j'aurais voulu.
Comme l'autre fou voulait pas me lâcher, j'ai été obligé de m'enfuir encore.
Et il voulait toujours pas me lâcher, en plus.
