Toujours eu quelqu'un

(Naruto)

Qu'est-ce que tu crois ? Que tu es plus fort que tout le monde ?

J'ai grogné, mais assez bas parce que je suis pas suicidaire.

C'est pas ça, Oba-chan, je vous jure que je me sentais bien…

Tu n'es qu'un gamin sans cervelle, c'est tout.

Elle fronça les sourcils et les deux points sur son front se rapprochèrent.

Il n'est pas question d'excuses, Naruto. Je t'avais dit de rester une semaine. Tu sais combien de jours ça fait, une semaine ? Sept. Sept jours et sept nuits pendant lesquels tu aurais dû récupérer complètement. Tu m'écoutes ?

Ouais, ouais, j'avais pas trop le choix. Enfin, comme j'avais l'habitude de me faire engueuler j'ai fait comme à chaque fois ; divisé mon esprit, employant la première moitié à afficher un air vaguement contrit et envoyant la seconde se balader autre part. L'autre part en question était pas terrible, je dois dire. Une chambre d'hôpital comme y doit en exister des milliers. Grande fenêtre sur jardin. Lit bordé et propre. Odeur de naphtaline omniprésente. Et le blanc surtout, du blanc partout, un blanc froid et étranger qui se veut rassurant parce qu'il faut faire comme si c'était le paradis ou dans le genre, faire comme si tout le monde baignait dans les nuages alors que c'est qu'un blanc qui cache du rouge, de la douleur et des larmes et des adieux, un blanc taché par trop de gens qui ont trop souffert et finit par mourir.

Tsunade-sama avait une moue fâchée scotchée sur le visage. J'ai détourné le regard, changé ma position sur le lit.

Merci, Yakuru, tu peux nous laisser. Est-ce que tu as une répétition ?

Il y a bien une représentation ce soir mais je suis déjà prêt, Hokage-sama.

Parfait. Si tu pouvais rester à ma disposition, je te serais grès.

Il a hoché la tête, le sale petit rapporteur, avant de sortir attendre dans le couloir.

Vous pouvez pas me garder, Oba-chan, j'ai protesté. Sasuke a réapparu, j'ai ajouté en guettant sa réaction.

Elle est restée impassible.

Enlève ton T-shirt, elle m'a dit.

Ca avait bien l'air d'un ordre alors j'ai obtempéré sans broncher. Elle a machinalement écouté mon cœur et aussi mes poumons, mais c'était pas dur de voir qu'elle était préoccupée et que ça menait pas loin. Elle a rien dit pendant un bon moment si bien que j'ai fini par la regarder et j'ai remarqué que ses yeux à elle me fixaient le nombril. Rigolez pas, s'il vous plait.

Hé ! j'ai dit. Qu'est-ce qui y a avec mon ventre ?

Quoi ? Rien. Rien, pourquoi, tu crois que tout tourne autour de ton nombril ? Laisse-moi te dire…

Elle a voulu continuer à me taquiner mais elle a vu que je suivais pas. Un poids sérieux m'imposait la réalité.

C'est quoi ce signe, Oba-chan ?

J'ai montré les runes qui bruissaient. Elle a gardé sa fausse bouche ouverte –ben ouais, au cas où vous sauriez pas, c'est qu'une illusion-, a fait un maigre sourire du genre je l'avais piégé. Soupiré.

Ah, ça, Naruto, c'est l'histoire de ta vie, elle a dit d'un ton un peu sage un peu blagueur. Il y a une douzaine d'années, un démon à l'apparence de renard à neuf queues s'est mit à ravager le pays, causant toujours plus de morts que la fois d'avant, toujours davantage de désastres. Il fallait absolument l'empêcher de parvenir à notre village et l'Hokage de cette époque s'est chargé de créer un jutsu afin de sceller le démon. Au moment fatidique, de nombreux ninjas de la feuille ont fait diversion, laissant juste assez de temps à l'Hokage pour appliquer son plan. Le démon renard fut emprisonné -au prix de la mort de l'Hokage- dans le corps d'un nouveau-né. Ce nouveau-né, c'était toi.

Ca a été à mon tour de rien dire.

Le démon est désormais inoffensif, scellé à l'intérieur de toi, séparé de ton esprit par une barrière que rien ne saurait détruire ; Naruto. Ne voit pas cela comme une punition ou une malédiction.

C'est quoi le problème, alors ? j'ai commencé à m'énerver. Pourquoi l'autre m'a ramené ici ?

Il n'y a aucun problème. Tu n'aurais simplement pas dû faire le mur. Nous nous sommes inquiété, tu peux l'imaginer ? S'en aller, comme ça, croyant ne rien devoir à personne. Des gens s'occupaient de toi, tu t'en rends compte ? Ton taux d'oxygène était trop bas pour risquer te lever. De même que tu avais encore quelques examens à faire. Tient, prends ça.

J'ai même pas senti qu'elle me fourrait un gobelet dans les mains. Je me souvenais, par à-coups me brusquant la mémoire, me rendant une partie de moi que je croyais disparue mais qui n'avait jamais cessé d'être là ; par vagues qui déposaient des reliquats de moments et de sensations sur les rives de mon esprit ; par éclairs qui faisaient la lumière sur des faits, et je remettais enfin la main sur les clefs de tiroirs qui m'avaient toujours semblés clos. Il y avait quelqu'un d'autre. Non, il y avait toujours eu quelqu'un d'autre. Au fond de moi, je le savais bien avant que Tsunade-sama ne le dise.

Elle continuait à parler de tout sauf de ce que je voulais savoir, c'est à dire pourquoi ça allait pas. J'ai accentué ma prise sur le gobelet. Ses reproches et ses inquiétudes me remplissaient les oreilles, me brouillaient le cerveau, et j'ai de nouveau senti la colère se propager en moi. C'était pire que la dernière fois. Ca s'emparait de moi et je pouvais rien faire contre. J'avais l'impression de regarder un film dont j'aurais été l'acteur principal. La rage écrasait tout ; arrachait les commandes ; merde, pourquoi j'étais jamais au courant de rien pourquoi on ne m'écoutait pas pourquoi il fallait être poli et calme et attendre rien faire d'autre toujours être patient une minute puis une heure et tous ces gens qui m'évitaient sans raison…

C'est ça…Laisse-moi faire…

Le liquide a coulé dans ma gorge.

Bien, tu te souviens sûrement, maintenant, elle a articulé. Je vais te laisser te reposer.

Le brouillard m'empêchait de voir mais aussi d'agir. J'ai essayé de lutter mais c'était aussi facile que danser dans de la mélasse. J'ai essayé de remonter tout au fond de moi… Jusqu'à sentir sa présence… Pénétrer dans son domaine… Son territoire… Son territoire qui était aussi le mien… Non ?

La réalité devenait toute gondolée, presque rêve, et il fut bientôt impossible de défaire l'une de l'autre.

L'au revoir de Oba-chan me parvint à travers un univers de promesses de cauchemars cachés derrière le somnifère. Je relâchais ma prise sur son bras et elle put se lever.

Ma tête toucha l'oreiller avant que je puisse l'entendre passer le pas de la porte.