Seul et rien
(Yakuru)
« Je vais te laisser te reposer. »
Phrase qui était certainement le signal pour que je suspende mon écoute ; mes mains tracèrent immédiatement une dissipation et réintégrèrent mes poches. Le fourmillement avait disparu, laissant la place à des bouffées de soulagement qui fleurirent dans mes paumes. J'étais accro. Ou plutôt, comme toujours, ma vie étant entièrement composée de cette drogue, j'en étais imprégné à ne plus pouvoir respirer. On m'avait élevé dans les jutsus et je ne pouvais plus m'en passer. Ce n'était plus une passion. C'était ma vie.
La porte de la chambre vingt-deux se tira et Tsunade-sama sortit. Elle se tenait l'épaule gauche de la main droite, soulignant son énorme poitrine, trop démesurée pour être vraie.
Mon écoute ne m'avait rien appris que je ne savais déjà ; le sceau apposé par Mizuko, l'amie de celle qui se tenait en ce moment au montant de la porte, était trop superficiel pour pouvoir tenir longtemps encore. En plus de ça, le caractère de Naruto –sans conteste spontané- fragilisait le mur entre les deux esprits. Il risquait de céder. Il fallait rapidement s'accaparer l'enfant démon parce que c'était un atout considérable. Ce qui changeait désormais la donne, c'était que Naruto était au courant du démon en lui ; les cartes n'étaient plus les mêmes, et par conséquent les combinaisons gagnantes venaient de changer elles-aussi. Il allait falloir jouer autrement.
Ah, Yakuru…
Un voile de fatigue s'était déposé sur les traits du cinquième Hokage. Je levais les sourcils, cachant mal ma surprise. Elle serra les mâchoires, sans lâcher son bras, se reprit, se redressa, gonfla sa poitrine qui enfla comme deux montgolfières.
Justement. Naruto… Naruto se réveillera d'ici quelques heures. Est-ce que tu peux veiller sur lui, s'il te plait ?
J'avalais tant bien que mal ma salive. Sa voix était aiguë et légèrement dédoublée, son souffle laborieux.
Ouais… Bien sûr, rectifiais-je.
Elle me fixa une poignée de secondes, comme hésitant à me faire confiance ou non –non sans raison car, après tout, je venais tout juste d'arriver à Konoha- puis céda à la facilité. Je m'étais si facilement fait une place. Il suffisait d'écouter. De rire. D'être humain, en quelques sortes. Evidemment, je les avais un peu détestés pour toute leur chance, toute cette chance d'avoir pu grandir tranquillement, avec des parents et tout ce qu'il faut.
Il va bien ? demandais-je innocemment.
Evidemment, je les avais un peu haïs pour être quelqu'un, pour ne pas être aussi fin qu'une feuille, aussi souffle ou brume, parce qu'ils avaient eu le droit de devenir ce qu'ils voulaient, timides, effacés, orgueilleux, rieurs, sensibles, jaloux ; ils avaient même eu le droit d'être exclus pour ce qu'ils étaient devenus. Moi, j'étais seul et je n'étais rien à la fois. Ce n'était pas juste.
Oui, merci de te soucier de sa santé.
Et s'il veut partir ?
Elle se mordit la lèvre, trahissant son anxiété.
Eh bien, s'il veut partir… Retient-le.
Parfait. Je hochais la tête de haut en bas, muet.
Tsunade-sama me salua et, tournant le dos, s'en fut dans le couloir de l'hôpital.
D'entre ses doigts jusqu'à sa tunique perlaient quelques gouttes de sang. Quelques lourdes gouttes, concrètes, qui imprimèrent leur rouge carmin et tellement vivant sur mes pupilles.
Je la regardais s'éloigner. Puis je refaisais face à la porte. Elle était trouée d'une minuscule fenêtre et, toujours silencieux, j'observais Naruto. Il n'était plus que des cheveux blonds enfouis dans un oreiller.
Et pourtant, il était si peu banal…
Rien de tout cela n'était juste.
