19. Juste une fille

(Sasuke)

Il me tourna le dos et se volatilisa.

La douleur fleurit à nouveau, éclosant en bulles criardes ; mais c'était une douleur réelle, une de celle que je pouvais supporter parce que je connaissais son origine, savais précisément où elle se situait et pourquoi elle y était. Et la connaissant, il m'était plus facile de l'ignorer, de la recouvrir d'un voile comme un meuble que l'on aime plus ou un tableau que l'on a trop vu. A l'inverse des douleurs du cœur qui sont là sans que l'on sache pourquoi et dont l'on ne peut se débarrasser qu'à condition d'en trouver la cause. Tandis que mon épaule ne devait son pansement qu'à Naruto -ou à la chose qui s'était alors éveillée en Naruto -une humiliation de plus. Une vengeance de plus. J'avais cru tenir la tête et lorsque j'avais jeté un regard en arrière ils étaient si peu nombreux…

Je quittais la petite clairière, pénétrais dans la forêt et prenais la direction de chez moi.

Fly. C'est marrant. Il me reste encore quelques souvenirs qui lui sont rattachés. Il s'emportait facilement. Surtout à cause de sa taille. Faut dire que si on grandissait tous il était le seul à gagner difficilement les centimètres ; pour compenser il se battait comme un gosse, les pieds et les poings tout en vrac, cherchant plus à évacuer sa colère qu'à blesser. Ca l'aidait pas des masses. Pourquoi on avait finit par traîner ensemble ? Je vous ai dit que ça m'intéressait pas de savoir ce genre de trucs. Il m'amusait, sans doute. Il me parlait. Y avait eu ce jour où je l'avais entendu pleurer. On devait avoir, quoi, dix ans, et il avait cédé, à l'entendre ça pouvait pas attendre, fallait que ça soit maintenant et pas plus tard. On était tous des mômes pleins d'animosité rancunière et de chagrin mais j'avais jamais entendu personne pleurer comme ça, comme quelqu'un qu'on aurait laissé se débrouiller, quelqu'un qui aurait personne sur qui compter, qui serait en plein dans la merde et qui le saurait. Qui saurait aussi que s'il voulait en sortir il faudrait le faire tout seul. Voilà par où ça avait commencé. Puis y avait eu ce jour où on était parti toute la journée dans la forêt histoire de changer d'ambiance. Et ensuite celui où on avait carrément fugué. Quand ma punition avait été levée, on l'avait transféré. C'était pas grave. On s'était bien amusé.

Mon épaule me lança. Une main se posa sur celle encore valide. Je tressaillis, me retournais violemment. Merde, qu'est-ce qu'ils avaient tous à être aussi forts ? Comment pouvais-je me laisser surprendre ainsi ?

Le type aux tresses essaya de sourire. C'était assez laborieux et le seul résultat fut que ses lèvres se tendirent sur ses dents.

Encore toi ?

Il ne dit rien mais son visage s'empourpra, en particulier au niveau des joues. Je raffermissais la position de mes pieds sur le sol.

Lâche-moi. Tu veux être payé pour les soins ou quoi ?

Il dénia en secouant la tête de droite à gauche et chaque tresse cogna une joue. Son front blanc était complètement découvert et ses yeux en amande ne clignaient presque pas. Il ouvrit la bouche, la referma vivement avant de demander brutalement :

Comment s'appelle la fille aux cheveux roses ?

Je le considérais un court instant sans répondre. Sa voix n'était ni grave ni aiguë, juste banale, un peu faible.

Sakura ? hasardais-je.

Comment tu la trouves ?

Comment ? C'est… Juste une fille. Collante. Inutile. Orgueilleuse. Pourquoi ? Attends…

Il ouvrit plus grand les yeux et les ombres de ses cils projetées sur ses joues reculèrent.

Comment ça… Juste une fille ?

L'incrédulité laissa place à l'étonnement. Oui, Sakura n'était qu'une de ses filles attirées par la malédiction qui s'était abattue sur ma famille. De celles qui aimaient la couleur du malheur, chérissaient principalement ne pas en être tachées, et qui pourtant en étaient séduites. J'avais trempé dedans des pieds à la tête et elles ne me lâchaient plus, armées de leurs bonheurs, leurs familles et leurs habitudes, m'observant me démener dans mes épreuves.

Le type aux tresses ne me quittait pas des yeux, étrangement heurté. Tant mieux. Mais s'il en voulait à Sakura…

Elle est même pas jolie, rajoutais-je.

Il changea de regard pour crisper les sourcils.

Alors à ta place, je laisserais tomber. De toute manière, je pense pas que tu sois son genre.

J'enfonçais les mains dans mes poches et poursuivais mon chemin sans me retourner.