20. Ce n'est pas un jeu
(Fly)
J'atteignais presque l'hôpital lorsque je surpris, alors que je distinguais de loin le dos du bâtiment, quatre hommes sautant d'une fenêtre. Revoir Sasuke avait fait renaître des souvenirs que je pensais raides morts et desquels je m'étais simplement détourné. C'était avant. Ca remontait à longtemps. Et même si ça faisait vachement plaisir de discuter avec lui, on avait tous les deux perdus ce qui autrefois nous avait rapproché. Peut-être le fait que je veuille tuer son frère m'empêchait-il de pouvoir être tout à fait à l'aise avec lui, au fond ; non, il le savait, il le voulait lui-même : ce but ne faisait d'ailleurs de nous ni des ennemis ni des alliés. On n'en avait quasiment jamais parlé, en fait. C'était pas un sujet tabou mais de toute manière, qu'est-ce qu'on aurait pu dire de plus ? Les larmes rageuses, humiliantes se seraient pressées et il m'avait déjà vu pleurer, on allait pas remettre ça –même si, bizarrement, ça nous avait rendus complices l'un de l'autre.
La raison pour laquelle j'ai fait attention à ce convoi est pas tellement inconcevable. Y avait trois grands types emmitouflés dans des manteaux gris, avec des bouts de jambes poilues qui s'en sortaient, terminés par de grosses sandales noires, genre très discret. Le truc qui m'a le plus mis la puce à l'oreille, c'est les bandages qu'ils portaient tout autour de la tête, comme si fallait pas que quelque chose sorte. Ils étaient tellement voyants que même un aveugle aurait tourné la tête. Evidemment j'ai tout de suite reconnu les trois ninjas déserteur du village de je sais plus où, j'avais peut-être le livret indicateur sur moi…
Ils ont quand même réussis à me voir et le plus jeune –un brun- leur a fait signe de rester. L'un d'entre eux lui a remis un paquet de couvertures que, en me rapprochant, j'ai pu identifié comme un corps. Là, mon cerveau a carburé ; corps, hôpital… Qui pouvait s'avérer intéressant ? Celui qui m'intéressait. Le brun a difficilement hissé les couvertures sur son dos, ce qui m'informait que l'endormi devait peser au moins son poids, et l'étoffe a glissé, laissant apercevoir des mèches blondes. J'ai souri.
Je me suis avancé et, manque de pot, le brun s'est redressé et a décampé comme une flèche. Alors que je restais, bouche bée, pris de court par sa rapidité, les trois autres se sont placés à dix mètres de moi. Je sais pas comment ils faisaient mais visiblement ils étaient pas terriblement myopes. J'ai pas tardé à me reprendre. Bon, ils avaient l'air complètement déglingués mais ça voulait pas dire que je l'étais moins qu'eux, alors y avait pas de raison que je perde, non ?
Le
premier a fait un pas vers moi et porté ses mains à son
visage. J'étais resté immobile mais pas question
qu'ils gardent la main plus longtemps, qu'il fasse son numéro
alors je me suis élancé, comme ça, je me suis
mis à courir. Les stratégies, c'est pas mon truc, ça
non.
Mes
pieds se sont mis à dévorer la terre et les mètres
à se perdre considérablement ; neuf, huit, sept…
Je
m'armais de kunais et de shurikens –ouvrant le bal, c'était
pas la peine de commencer par des techniques épuisantes,
suffisait de les tester ; quatre, trois…
Je
bondis, le temps se suspendit, et le type enleva ses bandages. De ses
yeux suintèrent aussitôt des larmes gluantes qui
gigotèrent dans ses paumes ; un…
Je
tombais vers lui et il releva la tête, ses globes vides me
souriant.
Le
premier projectile ne heurta qu'un kunai que j'avais heureusement
levé pour me protéger le visage ; le deuxième me
toucha à la jambe. Une énorme pression enfla à
cet endroit et m'envoya rejoindre le sol, quelques mètres
plus loin. Putain ! C'était quoi, cette merde ? Je m'étais
à moitié redressé quand un kunai se planta dans
la terre à côté de mon oreille ; me retournant,
je faisais face au deuxième. Il tenait une faux au manche
enrubanné et, dans un grand geste…
Je sautais maladroitement pour y échapper, tendais les bras, me réceptionnais une main sur chacune de ses épaules, lançais un pied au hasard qui percuta un obstacle, passais par-dessus la tête du deuxième et poussais de toutes mes forces afin de me jeter hors de portée. J'atterris plus ou moins en sécurité, le cœur tambourinant. J'ai cherché des yeux mon kunai sauveur et l'ai retrouvé gisant, la lame explosée. J'ai baissé la tête dans le silence flottant.
- Merde, les gars, mes fringues…
Le vernis avait tenu, ça m'étonnait pas parce que cette jambe, elle m'avait pas rien coûté, loin de là. C'était du bois de bonne qualité, la meilleure, et il m'avait fallu la payer pendant longtemps, alors c'était pas des minables oranges liquides qui allaient l'entamer. J'ai arrêté de voir si y avait pas de dégâts, et les types étaient moins sûrs d'eux, ces pauvres cons.
-
Sale minus, a ricané le deuxième, celui avec la faux.
T'es qu'un tricheur.
-
Qui tu traites de tellement petit qu'à la loupe on le voit
pas !
je me suis énervé, mais ensuite j'ai réussi à me maîtriser : Wah, qu'est-ce que t'as travaillé tes répliques, toi. T'aurais mieux fait de bosser tes techniques, connard ! Il a pas tenu plus longtemps, le pauvre, et il a chargé une nouvelle fois avec sa faux ; sauf que pendant qu'il courait, il a passé ses armes de jets à celui qui avait plus ses bandages ; mais trop de trucs se passaient en même temps, et je suis pas doué pour penser à l'avenir.
Je me suis préparé à parer une seule attaque, celle de la faux ; et j'ai balancé un coup de pied qui a intercepté la lame –elle s'est quand même fichée dans ma semelle en fer, entamant un peu le bois- ensuite j'ai piétiné avec mon autre pied le corps du pauvre con numéro deux et je lui ai fait lâché sa garde. C'est pile quand j'amorçais ma descente que le numéro un a lancé ces boulettes aqueuses ; là, pas le choix, j'ai rapidement tracé un jutsu de feu et soufflé pour évaporer les oranges d'eau. J'avais pas compté sur les shurikens cachés à l'intérieur et plusieurs d'entres eux sont passés, m'entaillant. J'ai grimacé avant de shooter ce salaud sans yeux avec le manche de la faux qui était toujours dans ma chaussure, et ça l'a délogée –la faux, hein, le mec ça lui a juste amoché la face.
Je me remettais à peine quand j'ai senti des minuscules aiguilles se faufiler le long de mon dos ; ça fichait la chair de poule, comme sensation, ça s'insinuait tout contre ma peau, et lorsque j'ai essayé de m'en dépêtrer en avançant, j'ai senti vraiment comme quelque chose qui me retenait en arrière ; j'ai tourné la tête et vu le pauvre con numéro trois, les bandages au menton dégoulinant de sang, et ces gouttes de sang se faufilaient dans les interstices et se tendaient en bâtonnets gluants, à la rencontre des fils du manteau gris, se mêlant toutes pour me retenir.
J'allais pas moisir ici alors je me suis démené mais ça menait nulle part. Une manche s'est glissée sur ma nuque, puis a remonté jusqu'autour de mon cou, et le contact chaud a achevé de me faire flipper réellement… Je pouvais rien faire du tout… Mon cœur a battu plus fort, ce débile, et plus de sang encore a trouvé le passage bloqué. Et une image m'a subitement frappé les prunelles. Mon frère. Ma famille. Assis sur son lit d'hôpital, dans sa chambre d'hôpital, blanc d'habit et de visage. Le visage mort. Qu'est-ce que j'aimerais qu'il puisse rire encore ! Les larmes font que rouler. C'est tout ce que je veux. C'est tout ce qui me force à continuer. Ses yeux retiennent rien de ce qui devrait rester gardé. Ses sanglots-là, cher frère, il faut les accepter. Il faut les contenir. Regarde pas en arrière. Souris. S'il te plait. Souris une dernière fois. Pour n'importe quoi, pour mon langage, ma taille et mes colères, pour mes reproches, mes moues, mes disputes, mes bêtises, mes rêves…
